Les Eléments - Lalande et Destouches

Les Eléments - Lalande et Destouches ©Arnaud Guillou
Afficher les détails
De touchantes Surprises...

Durant la jeunesse de Louis XV les gentilshommes de la Chambre imaginèrent de faire danser le roi en public, comme le faisait son aïeul Louis XIV au début de son règne. Ainsi fin 1720 le jeune monarque dansa, aux côtés du Régent et de jeunes gentilshommes de la Cour, dans le ballet de Lalande, Les Folies de Cardenio. Dans la grande Salle des Machines des Tuileries le jeune roi était entouré d'un effectif nombreux de musiciens et de danseurs professionnels, et son apparition fut unanimement louée. Mais Louis XV n'avait pas le même intérêt que son ancêtre pour la danse, et il se retira bien vite des représentations. En 1721 le duc de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre en exercice, imagina de faire participer le jeune souverain à un nouveau spectacle, de format plus réduit, pour lequel une salle provisoire fut aménagée dans une galerie des Tuileries. La musique des Eléments fut commandée à Michel-Richard de Lalande, surintendant de la Musique, et à son survivancier, André Cardinal Destouches ; le livret était de Pierre-Charles Roy. La mise en scène magnifiait la gloire du souverain, qui apparaissait au final sur le char d'Apollon, environné des signes du Zodiaque et suivi des quatre parties du Monde ! Les costumes en étaient brillants et nombreux, puisqu'il justifièrent la création d'un garde-meuble spécial au vieux Louvre. Malgré ces atouts l'ouvrage ne rencontra pas le succès escompté : le public le jugea trop long, il ne fut représenté que quatre fois, et le jeune roi cessa définitivement de danser sur scène. Mais dès 1725 l'Académie Royale de Musique le reprit dans une version quelque peu remaniée par les auteurs. Son succès devint alors enviable, puisqu'il fut joué à peu près régulièrement jusqu'en 1780, faisant même l'objet d'une reprise en 1748 dans le théâtre des petits Appartements de madame de Pompadour. Il inspira également trois parodies, données au théâtre des Italiens ou à la Foire Saint-Laurent. La partition originelle a disparu ; celle qui nous est parvenue est celle de la reprise de 1725 à l'Académie (sur ces différents points voir notre récente chronique : La Musique à la cour de Louis XV).

Compte tenu de la vogue de l'époque pour ce format réduit, c'est à juste titre que l'Ensemble Les Surprises nous propose une version « de salon » des Eléments, dans le cadre du 31ème Festival Baroque de Pontoise. On peut toutefois regretter que la distribution, réduite à deux sopranos et un baryton, nécessite de couper les autres parties, notamment celles dévolues à un haute-contre. Cela se ressent particulièrement dans la dernière entrée, La Terre, qui se trouve notablement amputée. De même l'ampleur des chœurs, reposant sur les seuls solistes, se trouve singulièrement limitée.

Pour la mise en scène Edouard Signolet ne renonce pas totalement aux « machines » : les nuages tombent des cintres, naturellement... Mais pour le reste il évoque avec une efficacité certaine chaque élément avec des décors minimalistes (une vague pour l'eau, un volcan pour le feu...), peints sur des panneaux placés sur scène par les artistes eux-mêmes. Un portique découpé à l'arrière-plan semble suggérer la présence royale lors de la création de la pièce. Les nombreux ballets se muent en chorégraphies modernes et dépouillées, exécutées par Joan Vercoutere, dont il faut ici saluer la performance que représente l'accompagnement dansé durant toute la pièce, y compris les passages chantés. Dominant de sa haute stature la scène et ses partenaires, la souplesse de ses larges mouvements anime vigoureusement la représentation, tandis que son ingénuité parfaitement feinte lui permet de renforcer chaque parole de ses mimiques expressives.

Mentionnons aussi les parures et les costumes amples et intemporels signés par Elise Guillou, qui adoptent au fil des entrées la couleur de chacun des éléments (bleu pour l'eau, rouge pour le feu,...), tandis que les lumières de Virginie Galas concentrent habilement notre attention sur le centre du plateau durant la représentation.

Côté chanteurs la distribution est équilibrée, et d'un bon niveau, plaçant de façon un peu inattendue de jeunes talents face à une interprète reconnue. On découvre ainsi Eugénie Lefebvre développer un timbre mat, aux attaques bien nettes dans le rôle de Vénus au prologue ; la voix se fera ensuite plus ronde et plus charmeuse au gré des rôles successifs qu'elle endosse. Etienne Bazola affiche de son côté un timbre de baryton à la large étendue, avec une agréable profondeur dans les basses et des aigus aisés, dont il témoigne dès sa première intervention (Coulez, ondes). Tous deux se montrent à la hauteur de la voix délicatement veloutée d'Hasnaa Bennani, dont le timbre bien rond et les ornements perlés rehaussent admirablement cette production, sans toutefois écraser ses partenaires. On retiendra tout particulièrement sa prestation pleine d'émotion et de sensibilité dans la troisième entrée (Le Feu).

L'orchestre des Eléments s'appuie à bon droit sur le continuo dynamique de Louis-Noël Bestion de Camboulas pour faire briller les talents de ses musiciens. On retiendra tout particulièrement une flûte expressive et virtuose dans ses solos, et des percussions bien présentes pour appuyer les manifestations des éléments : elles évoquent avec vaillance et réalisme foudre, tonnerre, tempête,... Enfin si l'acoustique du théâtre des Louvrais s'avère un peu sèche elle offre l'avantage de bien porter les voix et de donner de l'ampleur à l'orchestre, corrigeant par là-même la composition réduite de l'ensemble.

Cette représentation a été saluée par de chaleureux applaudissements du public. Nul doute que le format réduit de cette plaisante production l'aidera à trouver place dans de nombreuses salles d'Ile-de-France et de province, permetant ainsi à un large public de découvrir cette version réduite d'une œuvre qui suscita tant d'engouement au XVIIIème siècle.



Publié le 17 oct. 2016 par Bruno Maury