Pygmalion - Rameau

Pygmalion - Rameau ©Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl
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Le baroque français en majesté à Innsbruck

Il est toujours à la fois réjouissant et un peu regrettable d'assister à un bonne représentation du répertoire lyrique français à l'étranger. Réjouissant, car cela constitue évidemment un hommage au rayonnement des compositeurs français et au caractère international de leur génie musical. Regrettable, car on ne peut s'empêcher de constater que les salles lyriques françaises limitent trop souvent leur programmation aux poncifs du XIXème siècle, de préférence italiens, alors que le répertoire national et européen regorge d’œuvres de grande qualité mais rarement données, voire proprement oubliées. Ce constat un peu abrupt rappelé, ne boudons pas notre plaisir. Car cette excellente production de Pygmalion (qui englobe un programme un peu plus large, comme nous allons le voir plus loin) a su ravir nos yeux et nos oreilles dans la salle du Tiroler Landestheater, le théâtre de la ville d'Innsbruck, dans le cadre du festival 2017. Précisons d’emblée que l'inspiration française y était bien présente, puisqu'elle a été montée avec l'appui du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV). Rappelons aussi qu'elle avait déjà été présentée en juin 2016 au festival Sans souci de Postdam (Musik Festspiele Potsdam Sanssouci), où elle avait reçu un excellent accueil.

Soulignons tout d'abord le soin apporté à l'élaboration du programme, assemblage savant et bienvenu de pièces de compositeurs différents (Rameau, Clérambault, Rebel) mais à peu près contemporains, qui nous renvoient à la première moitié du XVIIIème siècle. L'ouverture des Fêtes d'Hébé (1739) fournit à propos la consistance d'une véritable œuvre lyrique à la cantate de Clérambault qui suit, La Muse de l'Opéra ou Les Caractères lyriques. En vérité, cette cantate constitue une sorte d'opéra miniature, qui évoque plusieurs situations fréquemment rencontrées dans les œuvres lyriques baroques : la tempête, le sommeil, la scène des enfers... Dans sa biographie très documentée de Colin de Blamont, Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV, a décrit amplement combien les contemporains étaient friands d'extraits lyriques en version de concert, autant prisées dans les salons que les représentations scéniques données parcimonieusement à la Cour (voir notre chronique : La Musique à la cour de Louis XV). Cet habile programme nous renvoie donc non seulement vers l'univers musical de son époque mais aussi vers une manière d'apprécier l'art lyrique assez éloignée de celle de notre époque. Ces considérations sont reprises dans un article didactique du même auteur, traduit en allemand, qui accompagne le programme. Et pour nous permettre d'apprécier pleinement cette perception, pour la rendre plus accessible au public contemporain, la production transforme cette cantate en un ballet héroïque, qui était le grand genre de cette période, version miniature : vêtue d'un costume baroque flamboyant avec casque et plumes, la Muse de l'Opéra surgit d'un décor de théâtre, entourée de danseurs qui l’accompagneront tout au long de son monologue. De même la symphonie chorégraphique Terpsichore (au nom suffisamment allusif, puisque Terpsichore est la muse de la Danse) de Jean-Féry Rebel est illustrée avec brio par les six danseurs de la compagnie Les Cavatines, parés de longs habits rouges du plus bel effet à l’œil. Elle constitue un intermède savoureux et approprié avant l'arrivée du Pygmalion. Ce dernier bénéficie d'une mise en scène animée par de subtils décalages entre des éléments incontournables de la scène baroque (le temple grec, les perspectives latérales) et l'irruption d'éléments modernes (le costume « vamp » de Céphise, manteau rouge et bottes noires, les habits masculins contemporains), et rythmée par les indispensables ballets.

Au plan musical la direction de Christophe Rousset appelle assez peu de commentaires. On y retrouve avec bonheur un chef dont la réputation n'est plus à faire, en outre particulièrement familier de ce répertoire. Et cela se ressent tout particulièrement dans les deux pièces instrumentales que sont l'ouverture des Fêtes d'Hébé et Terpsichore, à la direction particulièrement inspirée. Comme habituellement avec les Talens Lyriques les attaques sont nettes et précises, les différents instruments bien équilibrés et les enchaînements irréprochables. Lors des ballets les danseurs donnent ainsi le sentiment de traduire en déplacements et en gestes l'énergie féconde de l'orchestre, pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos oreilles.

Héroïne de cette production qui lui sied à merveille, Chantal Santon-Jeffery nous a émerveillés (le mot n'est pas trop fort) dans La Muse de l'Opéra. Nous connaissions déjà sa voix de soprano au phrasé d'une grande noblesse : sa diction impeccable, ses attaques précises et impérieuses font d'elle une Muse idéale au plan vocal. C'est toutefois son talent de comédienne qui retient le plus notre attention. Tour à tour majestueuse dans le récitatif introductif, lyrique dans l'Air gay (Au son des trompettes) ou dans l'air des Oiseaux, dramatique dans la Tempeste ou le Prélude infernal, envoûtante dans l'air du Sommeil puis sentencieuse dans l'air final (Ce n'est qu'une belle chimère, au terme duquel elles disparaît dans une trappe), elle emprunte sans peine les attitudes et les intonations reflétant chacune de ces situations, avec une profonde sincérité. Relevons aussi la grâce naturelle de ses déplacements, environnée des danseurs qui l'accompagnent. Dans cette magnifique production et tant au plan musical que visuel cette cantate de Clérambault se révèle comme un exemple précieux de l'art baroque français dans cette première moitié du XVIIIème siècle, à l'égale des grands opéras dont elle est le brillant reflet miniature.

Dans Pygmalion la soprano nous livre une autre facette de son talent de comédienne. Par un subtil changement d'intonation la noblesse quelque peu sophistiquée de la Muse fait place à une Céphise autoritaire et jalouse, qui entrevoit sans peine le penchant de son amant pour sa rivale de pierre : sa mise en garde (Cruel, il est donc vrai) est décochée avec une sécheresse lourde de menaces, assumant sans complexe le rôle possessif soulignée par son extravagant costume.

Dans le rôle-titre de Pygmalion Anders J. Dahlin développe sans peine des aigus étirés et charnus. Sa projection est certes un peu en retrait dans le récitatif et l'air introductifs, mais elle s'ajuste bien vite devant les reproches de Céphise et se pare d'un ravissement charmeur à la vue de la statue s'animant (Que d'appas ! Que d'attraits !). Cette dernière, incarnée par Samantha Louis-Jean, affiche une timbre clair dont une pointe d'acidité souligne la malice enjouée, tandis que l'Amour de Jodie Devos résonne de ses éclats cristallins (Du pouvoir de l'Amour). Le chœur Novocanto enfin, à la diction un peu confuse dans sa première intervention (Cédons, cédons), s'est bien vite repris pour annoncer avec panache le triomphe final de l'Amour.

Souhaitons de nombreuses reprises à cette magnifique production, en émettant le vœu qu'elle soit accueillie prochainement dans la patrie de Rameau, Clérambault et Rebel !



Publié le 02 sept. 2017 par Bruno Maury