Richard Cœur de Lion - Grétry

Richard Cœur de Lion - Grétry ©Florent Mayolet
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Les beaux jours de l'opéra comique

A côté du grand opéra français s'est développé dans la seconde moitié du XVIIIème siècle l'opéra comique, issu à la fois de la comedia dell'arte italienne (Louis XV avait permis aux artistes italiens de s'installer dans un théâtre, qui prendra le nom de Comédie Italienne avant de devenir l' : on désigne encore parfois l'actuelle salle Favart comme théâtre des Italiens) et des parodies d'opéras qui sévissaient sur les foires parisiennes (voir à ce sujet la chronique : La guerre des théâtres). Pierre-Alexandre Monsigny (1729 – 1817) puis le liégeois André Ernest-Modeste Grétry furent les précurseurs de ce genre, qui connut un grand succès de son temps et fit aussi les beaux jours du répertoire de l'Opéra Comique durant tout le XIXème siècle.

Les débuts de Richard Cœur de Lion furent quelque peu mouvementés. Créée le 21 octobre 1784 dans une version en trois actes à la Comédie Italienne, la pièce fut remaniée une première fois et représentée dans un format en quatre actes le 25 octobre 1785 au théâtre du château de Fontainebleau, où elle fut mal accueillie. Une nouvelle version, ramenée à trois actes, fut à nouveau représentée à la Comédie Italienne le 29 décembre de la même année. Elle connut cette fois un vif succès, qui ne se démentira pas tout au long du XIXème siècle. Jusqu'en 1827 elle y fut donnée à près de cinq cents reprises ; en 1841 le compositeur Adolphe Adam en modifia l'orchestration, et elle fut jouée plus de six cents fois jusqu'à la veille de la Première Guerre Mondiale. Certains des airs sont devenus très rapidement célèbres, et ont été repris soit sous forme de refrains populaires soit même par d'autre compositeurs (comme Tchaïkovsky, qui a repris un air de Laurette dans La Dame de Pique).

L'intrigue tient en quelques lignes, inspirées d'un épisode de la vie de Richard Cœur de Lion (ou Richard Ier). A l'instigation du roi de France Philippe-Auguste (son allié lors de la Croisade, mais avec lequel il était en conflit pour ses terres d'Aquitaine), Richard est capturé en 1192 dans les environs de Vienne par le duc d'Autriche Léopold V. Il est enfermé au château de Dürnstein en Basse-Autriche, puis livré à l'empereur Henri VI qui le transfère au château de Trifels (Palatinat). Il sera finalement libéré contre une rançon considérable, ce qui était dans les coutumes du temps. Mais ce séjour forcé dans des châteaux hostiles donna lieu à la légende de Blondel : seigneur et troubadour du nord de la France, Blondel de Nesle accompagna Richard durant de nombreuses années. Recherchant son maître prisonnier, il aurait fini par le retrouver et le libérer.

Pour faire bonne mesure, Sedaine a ajouté quelques éléments à cette légende dans son livret. Dans son errance Blondel prend le soin de se présenter comme aveugle, il se fait accompagner du serviteur Antonio. Ils seront également aidés par Laurette, fille de sir Williams, qui distraira le gouverneur durant l'évasion. Marguerite d'Artois, amoureuse de Richard, retrouve (par hasard!) Blondel aux abords du château. Elle joue même un rôle essentiel bien qu'indirect : la romance imaginée par Richard pour sa belle sert de point de ralliement aux conjurés de cette intrigue ; son thème musical revient à sept reprises durant la pièce, sous différentes variantes.

Petit clin d’œil aux théâtres de marionnettes des foires parisiennes, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola articule sa mise en scène autour de deux danseurs, qui transportent et manipulent les chanteurs avant leurs interventions voire au cours de leur chant. Trois files de rails supportent des chariots, qui assistent également les chanteurs pour leurs déplacements ou participent au bruitage...Le château où est retenu Richard est suggéré par de grands cadres de portes vides, que les danseurs déposeront soigneusement lors de l'assaut final. On retiendra la jolie trouvaille de faire monter l'orchestre sur scène pour appuyer l'arrivée de Marguerite d'Artois, qui renvoie habilement à la tradition baroque. Les costumes sombres et dépouillés de Valia Sanz évoquent un Moyen Age imaginaire mais plausible, sans excès. Et les lumières de Pierre Daubigny jouent avec la pénombre des fréquentes périodes nocturnes (ou supposées telles), et des flots de lumière qui mettent en valeur les plus beaux airs ou ensembles de cette agréable partition. Avec une relative économie de moyens (au total sept artistes, y compris les deux danseurs) l'ensemble Les Monts du Reuil restitue ainsi avec justesse l'esprit de cette partition, offerte dans un format « de poche » (une heure quarante, sans entracte).

Richard Cœur de Lion repose avant tout sur le récit et l'action de Blondel, qui y tient le rôle essentiel. Le jeune ténor Guillaume Gutierrez s'en acquitte avec charme et brio dès son premier air (O Richard, ô mon roi). Sa diction est précise, le timbre offre des aigus bien déliés et affiche une grande souplesse sur toute l'étendue du registre : son air Que le sultan Saladin lui vaudra des applaudissements mérités. Côté expressivité scénique le chanteur porte avec conviction l'action de bout en bout. On retiendra tout particulièrement le passage du troisième acte où il chante, jugé sur une échelle, Une fièvre brûlante, sur l'air destiné à Marguerite, afin de se faire entendre de Richard prisonnier et d'entrer en contact avec lui. Face à lui le Richard de Constantin Goubet est réduit à de courtes interventions. Son air Si l'univers entier m'oublie témoigne cependant d'une bonne aisance dans ce répertoire, grâce à son timbre original de baryton léger.

Mylène Bourbeau fait montre d'une projection un peu limitée à ses débuts dans le rôle d'Antonio ; elle se rattrape en revanche de manière assez convaincante pour la courte intervention de Marguerite au troisième acte. La Laurette d'Amaya Garda nous a paru un peu lointaine, on aurait aimé davantage de relief. En revanche les brèves mais tonnantes incursions du baryton Lucas Bacro (sir Williams) résonnent vigoureusement sur le plateau, en particulier dans le duo avec Blondel au premier acte, particulièrement réussi. Notons enfin la prestation d'Orlando Rodriguez et Kévin Franc, tour à tour hercules transportant les chanteurs sur leurs épaules et danseurs aux gestes expressifs qui viennent épauler le texte tout au long de la représentation.

Côté orchestre signalons le pianoforte dynamique d'Hélène Clerc-Murgier, relayé par le violoncelle de Pauline Warnier, qui impulsent tous deux un rythme vif et pétillant, bien adapté à ce répertoire. Ajoutons aussi que les danses finales sont particulièrement réussies. Et pour finir souhaitons bon succès à cette production !

Nota : il sera possible de voir ou revoir Richard Coeur de Lion le 26 janvier à Saint-Dizier, et le 12 juillet aux Rencontres musicales de Saint Ulrich à Sarrebourg : voir les détails sur le site 'https://lesmontsdureuil.fr'. Un enregistrement du rare Raoul Barbe-Bleue de Grétry est également en préparation.



Publié le 23 janv. 2018 par Bruno Maury