Grands airs d’opéra - Zazzo

Grands airs d’opéra - Zazzo ©Pierre Benveniste
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Quelques perles tirées des plus célèbres opéras baroques

La Calisto, créée en 1651, est sans doute un des plus beaux opéras de Francesco Cavalli (1602-1676). La musique est profonde et le livret excellent : Endymion, amoureux transi de Diane, est victime des manigances de Jupiter qui prend l'apparence de la déesse de la chasse et de la lune pour séduire la nymphe Calisto. L’ambiguïté sexuelle des uns et les déguisements des autres, donnent naissance à des scènes délicieusement osées et toujours cocasses. Lucidissima face est une déclaration d'amour d'Endimione à la Lune dont le visage resplendissant invite son admirateur à un aimable sommeil. La voix de Lawrence Zazzo chaleureuse et colorée m'a paru parfaitement appropriée pour porter cet hommage à la déesse.

La cantate RV 684, Cessate omai, cessate, d'Antonio Vivaldi (1678-1741) débute avec un récitatif accompagné passionné qui adopte d'abord la tonalité de mi bémol majeur et s'achève en do mineur. L'aria qui suit en sol mineur est soutenue par les pizzicati des cordes et est remarquable par ses contrastes dynamiques et ses vocalises aériennes émises avec aisance et clarté par Lawrence Zazzo. La reprise da capo est très ornée et témoigne de l'inspiration féconde du Prêtre Roux. Un arioso très émouvant en do mineur conduit à une aria di furore. Le da capo est particulièrement tumultueux avec ses doubles croches et ses inflexions dramatiques vers si bémol mineur mais la fin plus tranquille renoue avec la tonalité de mi bémol majeur. En tout état de cause, cette cantate est une merveille de l'art baroque à son apogée.

La date de composition du Concerto pour cordes en sol mineur RV 157 par Antonio Vivaldi n'est pas connue avec certitude mais pourrait se situer entre 1720 et 1724. Il comporte trois mouvements, deux rapides encadrant un lent, coupe qui devait s'imposer dans l’œuvre du Prêtre Roux et dans celle de ses successeurs. L’œuvre débute curieusement avec une chaconne construite autour d'une basse obstinée consistant en un motif chromatique de quatre notes. Les variations confiées aux autres instruments sont de plus en plus expressives et culminent à la fin par une extension syncopée d'une grande intensité. Cette danse ancienne est assez inhabituelle dans un concerto et donne à l’œuvre un parfum d'archaïsme. Le mouvement lent, largo, est de style sévère et débute avec des imitations entre les quatre parties de cordes. La tonalité générale est sombre avec de belles modulations pathétiques. L'écriture de l'allegro final est dense et le mouvement se poursuit sans le moindre répit jusqu'à la fin.

La prodigieuse scène de la folie de l'acte II, Ah Stigie, larvae, extraite d'Orlando HWV 31 (1733) est sans équivalent dans toute l’œuvre opératique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Elle débute par un récitatif accompagné extravagant avec des passages de métrique 5/8, et se poursuit avec un rondo dont le refrain (tempo di gavotta), Vaghe pupille, est interrompu par des épisodes très variés : récitatifs accompagnés et même une bouleversante chaconne sur un tétracorde descendant, Che del pianto, qui nous ramène au temps de Francesco Cavalli (lamento d'Ecuba dans La Didone). Cette folie d'Orlando qui a permis à Lawrence Zazzo de montrer toutes les facettes de son art vocal et en plus son talent de comédien, a constitué un sommet indiscutable du récital. A noter qu'une scène analogue figure dans Hercules, créé en 1745, que l'on classe généralement - mais peut-être à tort, puisque son sujet n’est pas religieux - parmi les oratorios.

La compagnie de l’Opéra de la Noblesse créée par le prince de Galles, non contente d'avoir raflé à Haendel ses meilleurs chanteurs, recruta en 1735 le célébrissime castrat Carlo Broschi (1705-1782) dit Farinelli ainsi que celui qu'on présente généralement comme le rival voire l'ennemi de Haendel, c'est-à-dire Nicola Porpora (1686-1768). On a vu dans le choix de Polifemo, le nouvel opéra seria de Porpora, une provocation à l'endroit du compositeur saxon qui avait produit le mask Acis and Galatea en 1731 à Londres. En fait cette opinion est peut-être exagérée car ce mythe, adoré par les compositeurs baroques, faisait partie du patrimoine commun de l'époque et d'autre part le mask du Saxon en langue anglaise ne pouvait être comparé à l'opéra seria du Napolitain. En tous cas, l'aria Alto Giove tiré de Polifemo est un chef-d’œuvre. Il débute par une messa di voce exemplaire qui pourrait être prise comme modèle dans les classes de chant des conservatoires. Cette technique vocale avait été pratiquée et peut-être inventée par Domenico Mazzocchi (1592-1665) dans ses Madrigali a cinque voci (voir ma chronique). Lawrence Zazzo murmure la première note de l'air pianissimo, la conduit à un fortissimo pour revenir progressivement à la nuance piano, le tout dans un même souffle. La suite se déroule dans un climat poignant et Acis remercie Jupiter de lui avoir conféré l'immortalité en le changeant en source. L'accompagnement orchestral tout en délicatesse évoque le ruissellement de l'eau.

The cold song tiré de King Arthur d’Henry Purcell (1659-1695) est devenu un tube planétaire du fait de diverses adaptations ou arrangements notamment par le chanteur pop Klaus Nomi. La partition de Purcell devait s'intercaler dans une pièce homonyme en cinq actes de John Dryden sous-titrée The British Worthy (le brave Breton). L'ouvrage conte la lutte des Bretons conduite par Arthur contre les Saxons dont le chef est Oswald. Les deux guerriers sont amoureux de la princesse aveugle Emmeline. Arthur sera vainqueur et gagnera aussi le cœur d'Emmeline qui recouvre la vue grâce à Merlin. Ces personnages n'interviennent pas dans la partie chantée de la pièce dont le point culminant se trouve à l'acte III quand Cupidon réussit à dégeler le Génie du froid dans une scène hilarante, What power are thou. La prestation de Lawrence Zazzo en l'absence de Cupidon et du chœur est forcément très différente de celle interprétée la veille par le Gabrielli Choir, Consort and Players sous la direction de Paul McCreesh (voir mon récent compte-rendu). Le contre-ténor américain insiste sur l'aspect dramatique et même sinistre de la première intervention du Génie du froid. L'orchestre met aussi l'accent sur les chromatismes et les dissonances notamment celle sur le mot death.

Le concerto grosso en la mineur HWV 322 de Haendel est le quatrième d'une série de douze concertos pour cordes. Le terme grosso suppose une partition écrite pour un concertino de cordes (ici deux violons et un violoncelle) dialoguant avec l'orchestre au complet. Ces concertos s'inspirent des concerti grossi d'Arcangelo Corelli (1653-1713). La ressemblance avec Corelli est grande dans les deux premiers concertos de la série mais moindre dans le présent concerto car la personnalité de Haendel s'y affirme davantage. Sa coupe - quatre mouvements alternativement lents et rapides - est celle archaïque de la sonata da chiesa et s'oppose à celle, tripartite, de Vivaldi. L’œuvre débute par un larghetto affetuoso très expressif suivi par un fugato allegro assez développé caractérisé par un beau travail contrapuntique. Le largo e piano avec sourdines, écrit dans une tonalité majeure, est doux et chantant. Dans le finale allegro, le sentiment est plus léger et Les Epopées en donnent une lecture précise et expressive.

Ombra cara, une aria tirée de Radamisto HWV 12 est aussi une réussite magistrale de Lawrence Zazzo par l'intensité inouïe du sentiment et la splendeur de sa voix qui erre dans un dédale de gammes chromatiques des cinq parties de cordes renforcées par un basson caverneux, métaphore musicale du tourment de Radamisto qui, croyant son épouse morte, se désespère et crie vengeance. A l'écoute de la voix et du magnifique ensemble Les Epopées, on croirait voir Radamisto se débattre dans un enchevêtrement de lianes cherchant à l'étouffer, preuve s'il était nécessaire, du caractère épique et presque cinématographique de la musique de Haendel.

Se in fiorito e ameno prato est un des plus beaux airs de Giulio Cesare HWV 17. C'est la réponse du berger à la bergère car au préalable Lidia (Cleopatra déguisée en sa suivante) avait envoyé un brûlant message de séduction, V'adoro pupille, au héros. Dans cet aria di paragone, César compare la voix de sa belle conquête à celle d'un oiseau chanteur. Ce dernier est figuré par le violon magique de Jasmine Eudeline qui nous enchante par ses figurations élégantes et fleuries et quelques acrobaties du meilleur goût effectuées avec une justesse parfaite. Toutefois, Lawrence Zazzo et Jasmine Eudeline restent toujours près du texte tout en variant la musique avec mesure et harmonie lors du da capo.


Les Epopées © Pierre Benveniste

Que dire de Lawrence Zazzo qui n'ait pas déjà été dit. Ses qualités sont toujours au zénith : puissance exceptionnelle de la voix, timbre doux et sensuel, belle ligne de chant et superbe legato, intonation impeccable, gestion subtile de la dynamique sonore et toujours beaucoup d'émotion et de bravoure. A cela il faut ajouter ses talents de comédien et son visage très expressif.

Avec Stéphane Fuget à la tête des Epopées, on est en permanence dans l'excellence. Les deux concertos de Vivaldi et de Haendel étaient de modèles de perfection technique et d'intelligence du texte. L'orchestre de petite taille, un quintette à cordes et un continuo composé d'un clavecin et d'un théorbe, sonnait admirablement dans cette prodigieuse salle des Pôvres des Hospices de Beaune. Les deux violonistes, Jasmine Eudeline et Stéphanie Pfister-Reymann jouaient avec brio et inspiration, l'alto de Myriam Bulloz avait une très jolie sonorité dans le Largo du concerto grosso de Haendel et les deux basses d'archet (Alice Coquart et Chloé Lucas) donnaient de la voix dans les profondeurs glacées où le Génie du froid se vautrait. Grâces soient rendues au théorbe (Léa Masson) et le clavecin (Stéphane Fuget) qui ont le pouvoir de combler les interstices dans lesquels le vide pourrait se glisser avec quelques touches de beauté pure.

Ce merveilleux récital de Lawrence Zazzo concluait en apothéose ce premier week-end du 40ème festival international d'opéra baroque de Beaune.



Publié le 20 juil. 2022 par Pierre Benveniste