Portraits de famille - Frans Hals (1582/83-1664)

Portraits de famille - Frans Hals (1582/83-1664) ©Fondation Custodia - Paris
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Une « photo » de famille !

Frans Hals (1582/83-1664) est l’un des plus grands portraitistes du Siècle d’or hollandais. Avec Rembrandt (1606-1669), il en révolutionne le genre.

Mais qui est Frans Hals ? Il naît dans une famille de drapiers catholiques, probablement à Anvers qu’il quitte encore enfant. La famille fuit les troubles occasionnés par le siège de la ville (occupée par les troupes catholiques depuis 1585). Elle s’installe à Haarlem où il apprend le métier de peintre. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie. En 1610, il s’inscrit à la guilde de Saint-Luc. Il s’agit d’une organisation corporative, strictement réglementée, accueillant peintres, graveurs, sculpteurs et imprimeurs. Son nom se réfère à l’évangéliste Luc, saint patron des peintres. La guilde soutient les artistes locaux et offre la possibilité d’ouvrir un atelier et d’y former des apprentis. En 1612, Frans Hals devient membre de la milice de Saint-Georges dont il peint la compagnie à trois reprises. S’il reçoit des commandes de compagnies de milice, il peint également des groupes représentant des administrateurs, ou administratrices, d’organisations charitables. Ces scènes de genre à figures multiples s’échelonnent jusque dans les années 1630. Cependant « la plupart des portraits de Hals sont axés sur des figures isolées (dont) malheureusement l’identité de plus de la moitié des modèles reste indéterminée » (in catalogue).

Si nous lui devons plus de deux cents tableaux, moins connus sont ses portraits de famille. Rappelons que ceux-ci apparaissent aux Pays-Bas, au début du XVIème siècle. Ce sont en fait des sujets religieux où figure le portrait des donateurs. En effet, à l’intérieur d’un triptyque apparaît d’un côté le donateur avec son ou ses fils, de l’autre la donatrice avec sa ou ses filles. Petit à petit, les familles hollandaises de la classe moyenne commandent leurs portraits. Ils témoignent, par là même, d’un certain niveau de prospérité. S’ils sont conservés dans l’intimité familiale, ces portraits sont alors accrochés dans des pièces accessibles aux visiteurs. Ils témoignent souvent de la fidélité qui unit les époux et de la réussite que constitue une nombreuse descendance. Notons que, le plus souvent, la famille est représentée dans un intérieur domestique, éventuellement dans un parc.

Seuls quatre de ces portraits de famille peints par Frans Hals nous sont parvenus. La Fondation Custodia les présente pour notre plus grand plaisir et nous offre la chance de les découvrir, de les contempler tout à loisir ! C’est également l’occasion de voir réunis, pour la première fois, les fragments composant, à l’origine, le portrait de la famille Van Campen.

Ce sont d’ailleurs ces trois fragments, ces trois « tableaux », qui accueillent le visiteur ! Pourquoi ce « puzzle » ? En 2011, le Toledo Museum of Art acquiert le tableau « La Famille Van Campen dans un paysage ». Puis l’année 2016 voit l’achèvement du traitement de conservation des « Enfants de la Famille Van Campen avec une voiture tirée par un bouc », œuvre qui appartient aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Ces deux toiles sont connues pour avoir appartenu à une seule et même composition. La restauration bruxelloise confirme également que la « Tête de jeune garçon » (collection privée) est, elle aussi, un morceau du tableau découpé et dispersé !



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Série de trois tableaux présentés à l’exposition Portraits de famille de Frans Hals (1582/83-1664), à la fondation Custodia © Toledo Museum of Art (1er tableau) – Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (2ème tableau) – Collection privée (3ème tableau)- JMB

Ce premier portrait d’un groupe familial date des années 1623-1625. Gisbert Claesz Van Campen (1585-1645) était marchand « de draps de laine » à Haarlem. Il épouse, en 1604, Maria Jorisdr (1582-1666). Il est probable que le couple ait commandé cette représentation de leur famille nombreuse (six garçons et huit filles !) à l’occasion de leur vingtième anniversaire de mariage. Il s’agit donc d’un tableau de grandes dimensions puisque la toile originelle mesure 153,5 cm de haut pour près de 333 cm de large. Ceci sans le cadre ! A l’heure actuelle, les raisons du démantèlement de ce tableau (probablement au début du XIXème siècle) restent inconnues. Alors pourquoi l’avoir démantelé ? Ce genre de portrait n’a de valeur que s’il se transmet familialement. S’il ne reste plus d’héritier pouvant perpétuer le souvenir des personnes représentées, rien ne s’oppose à son découpage… Autre possibilité : une dégradation du tableau lui-même suite à une mauvaise conservation… Ou plus « simplement » des raisons commerciales car une ou des toiles de dimensions moindres se vendent plus facilement ! Et ces trois raisons peuvent également se combiner !

Seule chose certaine : au début du XXème siècle, on ne connaît plus le nom des modèles peints sur cette toile. Il était généralement admis qu’il s’agissait de la famille de l’artiste Jan de Bray (vers 1627-1679). En effet, le nom « de Bray » figure sur la semelle de la chaussure droite du jeune enfant assis au premier plan, sur la gauche. Or, c’est le père du précédent, Salomon de Bray (1597-1664), qui a ajouté ce bébé en 1628, bébé pas encore né au moment où Frans Hals livrait son tableau ! Ce ne sera qu’en 1970 que Seymour Slive, grand spécialiste de Frans Hals, identifiera la cause de cette attribution erronée.

Seuls trois des quatre fragments (le quatrième étant perdu) sont réunis et présentés dans l’exposition. Les historiens d’art ont formulé plusieurs théories quant à la reconstitution éventuelle de cet ensemble. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, la restauration du fragment bruxellois (avec scanner intégral et prélèvement d’échantillons picturaux) a permis de rapprocher celui-ci du groupe familial de Toledo. La lumière infrarouge a également mis à jour des fragments repeints. De nouveaux éléments se sont révélés, tel le visage de la fillette à l’arrière du meneur de chèvre. Elle porte le même collier de corail à seul un rang que sa mère et l’une de ses sœurs, un bonnet à oreillettes comme les filles plus âgées qui entourent leur mère. Le col de dentelle se révèle identique à celui que l’on devine sur la droite du portrait du jeune garçon. « Un deuxième et un troisième fragments d’images nouveaux sont les deux plans plus foncés le long du bord gauche de la toile, à gauche de la chèvre. Ils sont parfaitement reconnaissables comme le côté droit des jupes des deux jeunes filles, placées à droite sur le fragment de Toledo » (in catalogue). Celui de gauche permet alors de rapprocher les deux fragments. Celui de droite, sur le fragment de Bruxelles, reste cependant plus énigmatique : associé à l’extrémité d’une manchette en dentelle, appartient-il à une seule ou deux personnes ? Dans ce cas, à une adulte portant un enfant dans ses bras ou assis sur ses genoux ? Seule la quatrième « partie » permettrait de résoudre l’énigme.

Une vidéo explicative fournit de plus amples renseignements quant à la composition même du tableau. En effet, l’artiste doit relever plusieurs défis : saisir la dynamique du groupe en même temps que l’individualité de chacun des personnages ! Peindre un groupe aux relations soudées ainsi que le portrait de chaque membre ! Donc ne pas oublier les rapports qui lient chaque individu à l’ensemble.

Ici la composition s’articule le long d’une courbe qui englobe tous les personnages, deux visages de garçons la fermant. Seule la fillette assise en bas à gauche est « exclue » de cette courbe. Nous voyons ici une famille heureuse de cette réunion. La joie est palpable. Elle est représentée dans un paysage. Une église au milieu, en arrière-plan, indique qu’elle est de religion catholique. Le père, sur la gauche, tient fermement ses gants (un des attributs picturaux du gentilhomme), dans sa main droite et nous regarde. Un léger sourire se dessine sur son visage. Seuls deux bébés nous regardent. Les autres personnages se regardent les uns les autres. La mère pose sa main droite sur la jambe de son époux. De l’index de l’autre main, elle désigne la charrette transportant son plus jeune enfant. Ce dernier porte le même double rang de perles de corail avec un pendentif que l’enfant du premier plan. Il est également vêtu de la robe de l’enfance qui ne permet pas de distinguer s’il est fille ou garçon. Or, traditionnellement, seul le plus jeune, l’enfant dernier né porte ce collier (voir notre chronique Enfants de la Renaissance, publiée le 4 juillet 2019). Deux enfants, à proximité de leur mère, sont absorbés par leur jeu. Deux fillettes observent ceux qui sont dans leur entourage. Que dire des costumes ? Les parents et certaines fillettes portent une fraise empesée, dite « fraise à plateau » ou en « meule de moulin » ou encore en forme « de roue de charrette » ! Les vêtements de draps lourds, dans les tons de noir, dominent dans ce premier fragment. Ils sont éclairés par quelques touches de couleur : le violine de la manche d’une des filles ou l’orangé du bonnet de l’enfant aux pieds de la mère. Et… par le panier qui répand ses pommes appétissantes !

Le fragment bruxellois attire notre attention par sa fraîcheur et par les visages rieurs de ses personnages. Le cortège est mené par un jeune garçon à la tenue particulièrement colorée : il porte un justaucorps brun, un haut de chausse pourpre, des bas jaunes avec des nœuds cramoisis et des chaussures… blanches ! Les enfants, dans la charrette, sont vêtus d’une robe bleu uni avec des manches rouges pour l’un, d’une robe de tissu gris parsemé de fleurs du même bleu pour l’autre. Le jeune garçon du troisième fragment est habillé presqu’à l’identique : costume noir et fraise blanche, manche dans les tons de brun moiré et porte chapeau qui ressemble à celui du conducteur de l’attelage.

Dans la même salle est accroché un « Portrait de famille dans un paysage », une huile sur toile (148,5 x 251 cm) datée des années 1647-1650. Il est conservé à la National Gallery de Londres. Le groupe est représenté sur un fond arboré, la gauche du tableau s’ouvrant sur un paysage où paissent quelques ruminants. Le père est placé au centre, son épouse assise à sa gauche comme le veut la bienséance. Sept enfants les entourent. Ici aussi les visages, les regards se tournent les uns vers les autres. Seule la fillette sur le devant de la scène nous regarde tout en fouillant le fond de son panier. Une autre se tient debout devant les genoux de sa mère, une pomme dans la main gauche. Elle regarde la fille aînée, debout à l’extrême droite, qui lui tend une autre pomme. Une figure féminine ne semble pas faire partie de la famille. En effet, sur la gauche, une servante (une nourrice ?) tient un bébé dans ses bras. Celui-ci tient la main d’un jeune garçon qui lui « offre » une rose. La mère porte encore l’ancienne fraise « en meule de moulin » qui n’est plus à la mode dans ces années-là ! Il émane de son visage comme de la tristesse… on la sent perdue dans ses pensées !

Les deux autres tableaux sont accrochés dans la seconde salle. Le « Portrait de famille dans un paysage » (202 x 285 cm) peint vers 1645/48 est conservé au Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid. Comme précédemment, la famille n’a pu être identifiée. Là encore le groupe familial est peint en extérieur et l’importance du regard se confirme. Principalement ici, entre le mari et la femme qui se regardent intensément, les mains ostensiblement jointes. Celles-ci symbolisent la fidélité conjugale. Deux enfants les entourent. Sur notre droite, leur fille adolescente tient un éventail à la main. Détail : elle porte des gants. Que fixe son regard ? Ses parents ou le lointain ? On ne peut le dire. Le fils a une attitude plus désinvolte : la main gauche appuyée sur sa hanche, une canne dans l’autre. Il nous regarde d’un sourire narquois ! Deux « nouveautés » : un chien aux poils bruns ébouriffés, que l’on devine derrière la jeune fille et la présence d’un jeune noir entre la mère et la fille. Il tient ce qui peut sembler être une bannière ou une sorte d’étendard. Ce type de personnage apparaît, dans les compositions picturales hollandaises ou flamandes, à la suite de la création de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (1621). A partir des années 1630, celle-ci participe à la traite atlantique des esclaves africains. De fait, sa présence est un symbole du statut de la famille et apporte une touche « exotique » au portrait !

Dernière huile sur toile présentée : « Portrait d’une famille néerlandaise ». Elle date du milieu des années 1630. De dimensions plus petites (111,8 x 89,9 cm), elle appartient au Cincinnati Art Museum (Ohio). La famille est installée sur une terrasse en pierre. L’arrière-plan figure un jardin (que l’on pourrait qualifier d’imaginaire !) avec ce qui peut être une maison de campagne, le tout sous un ciel bleu ennuagé. L’homme est debout devant une tenture de couleur mauve alors que son épouse est assise, au centre de la composition, devant une architecture ornementée d’un feuillage. Deux fillettes sont à leur côté, la main dans la main, tout en semblant rire et bavarder. La composition est complétée par deux sièges et une table recouverte d’un tapis rouge sur lequel sont posés un grand verre à vin et un fruit. Des roses répandues au sol, devant eux, évoquent l’amour qui unit le couple. Les costumes sombres, stricts, bien qu’éclairés pas les cols et manchettes de dentelle, évoquent une famille calviniste. Seule la plus jeune des deux filles porte une robe brune. Les visages sont souriants, chose plutôt rare dans les portraits de cette époque ! La gestuelle des mains prend toute sa dimension, apportant une touche de fraîcheur à l’ensemble.

Ces portraits montrent tout l’art de Frans Hals à pénétrer l’intimité de ces familles. Expressivité, vivacité en font le charme. Les visages ne sont pas idéalisés mais peints dans la lumière. Ah, le rose de ces joues !... Une seule couleur domine le plus souvent dans les vêtements ou le paysage mais les autres sont suggérées presque par petites touches. Pas de pose hiératique, mais une dynamique, une spontanéité qui se dégage de l’ensemble.

Si vous souhaitez connaître les tribulations de portait de la famille Van Campen ainsi que la nouvelle reconstitution qui est proposée, plongez-vous dans le catalogue de l’exposition ! Lors des deux présentations précédentes, les musées concernés ont, chacun, accompagné l’exposition de ces quatre tableaux par la présentation d’œuvres issues de leurs collections permanentes respectives. La Fondation Custodia fait de même en présentant une sélection de dessins préparatoires pour des portraits de famille. Ils sont dûs à des artistes hollandais et flamands du XVIIème siècle. Nous les retrouvons dans une chronique suivante !



Publié le 07 août 2019 par Jeanne-Marie Boesch