Rencontre avec Nicolas Bucher

BaroquiadeS : Bonjour Nicolas. Vous êtes depuis un an maintenant le nouveau Directeur du Centre de Musique Baroque de Versailles. Comment êtes-vous venu à la musique baroque ?

Nicolas Bucher : Après le bac j’avais fait une année préparatoire à l’Ecole des Chartes au lycée Henri IV. Puis je suis parti étudier la musique, son histoire et son écriture, et l’orgue, au Conservatoire Royal de Bruxelles avec Jean Ferrard. DE 1998 à 2000 j’ai suivi la formation du CNSM de Lyon, toujours en classe d’orgue, avec Jean Boyer, qui m’avait fait découvrir cet instrument au Conservatoire de Lille quand j’avais quinze ans.

BaroquiadeS : Et vous êtes devenu organiste ?

Nicolas Bucher : Dans l’immédiat j’ai trouvé un poste d’enseignant dans les conservatoires de Lens, ma ville natale, et Arras. Ce n’est qu’en 2002 que j’ai été nommé titulaire de l’orgue de Saint-Séverin à Paris. Jusque-là ma carrière s’annonçait comme un parcours assez classique d’organiste...

BaroquiadeS : Et vous vous en êtes écarté ?

Nicolas Bucher : Oui, car je m’ennuie assez vite dans les tâches répétitives, et l’enseignement nécessite de beaucoup se répéter. J’ai donc préparé le diplôme de direction de conservatoire, et en 2004 je suis devenu directeur du Conservatoire d’Arras.

BaroquiadeS : Vous n’y êtes pas resté très longtemps je crois ?

Nicolas Bucher : Non car j’ai bénéficié d’une opportunité formidable. Quinze jours à peine après avoir évoqué mon attrait pour une telle responsabilité avec un collègue, mais que j’entrevoyais alors plutôt comme le couronnement d’une carrière, le poste de directeur des études au CNSM de Lyon était proposé dans un appel à candidatures. Je ne croyais pas vraiment à la possibilité de l’obtenir, au point que je n’ai envoyé ma candidature que la veille de la clôture ! J’ai pris le poste en 2007, et je l’ai tenu pendant quatre ans. J’avais à peine trente ans, et j’étais sorti sept ans plus tôt de cette institution. C’était un défi passionnant, qui m’a permis de grandir très vite, et m’a ouvert à une fréquentation artistique de haut niveau.

BaroquiadeS : Et pourtant vous avez quitté cette importante fonction pour une nouvelle offre de carrière ?

Nicolas Bucher : A l’époque la région Bourgogne recherchait un candidat pour développer la Cité de la Voix à Vézelay. Ce poste était au départ un simple CDD de dix-huit mois, aux contours incertains, tout le contraire de mon emploi bien réglé de Lyon ! Quand j’ai rencontré la Directrice de la Culture de la Région, elle n’a pas vraiment éclairci les incertitudes liées à ma mission, elle m’a simplement dit « Sur ce projet on est condamné à réussir ». J’avoue que la perspective de vivre à la campagne m’a attiré. Professionnellement je disposais de locaux flambants neufs, dans un cadre extraordinaire, mais assortis d’un budget ridicule : moins de 10 000 euros pour dix-huit mois ! Après avoir ressoudé l’ensemble des intervenants du site, et au bout de six ans d’efforts, l’établissement était devenu prospère et reconnu. En principe mon mandat courait jusqu’en 2020.

BaroquiadeS : Car vous n’avez pas pu résister à une nouvelle tentation...

Nicolas Bucher : La même coïncidence que j’évoquais pour le poste au CNSMD de Lyon s’est reproduite : évoquant au cours d’un repas de famille les trois postes qui pourraient me tenter, je cite celui de la direction du CMBV. Quelque semaines plus tard j’apprends que l’on recherche un successeur à Hervé Burckel de Tell ! Au final j’ai eu la chance d’être retenu.

BaroquiadeS : Il y a tout de même un fil conducteur dans ce parcours original ?

Nicolas Bucher : Ma vie artistique est formée d’un rapport au patrimoine musical et à l’histoire. En ce sens le conservatoire d’Arras était dans la ligne directe de ma formation d’organiste, et le CNSMD de Lyon représentait le coup de cœur du musicien pour une institution dont j’étais issu, ainsi qu’un lieu patrimonial magnifique, un couvent du XVIème siècle ! A Vézelay j’ai travaillé à quelques dizaines de mètres d’un bâtiment historique exceptionnel. Le CMBV représente également le patrimoine, tant musical qu’architectural, et les métiers d’art.

BaroquiadeS : Et vous êtes resté attaché à votre activité musicale personnelle malgré ces lourdes responsabilités ?

Nicolas Bucher : Avec des hauts et des bas… Ce n’est pas simple de dégager du temps pour sa vie familiale et artistique. Côté famille j’ai quatre enfants, qui absorbent une bonne partie de mon temps. Mais dès que la vie artistique n’est plus là c’est un drame personnel. Jouer de l’orgue me permet de me réaliser au plan personnel, et j’en jouerai toujours ! Vers vingt-cinq ans je me suis intéressé à la direction d’orchestre. Je suis assez régulièrement chef invité, soit sur des instruments anciens soit dans des formations classiques. J’ai ainsi dirigé plusieurs extraits d’opéras de Mozart. Et cette pratique occasionnelle me permet aussi de rester maître de mes choix.

BaroquiadeS : Vous avez même produit un enregistrement je crois...

Nicolas Bucher : En effet, il y a deux ans j’ai sorti chez Hortus un enregistrement sur les Noëls pendant la Révolution française. En juin j’enregistrerai, toujours chez Hortus, un CD consacré à la musique française du XVIIème.

BaroquiadeS : Revenons au CMBV. Succéder à Hervé Burckel de Tell, qui est resté douze ans à la tête de l’institution, n’est pas une tâche aisée...

Nicolas Bucher : Il est vrai que certains pensaient que plus de trente ans après la création du Centre il n’y avait plus rien à découvrir en matière de musique baroque française... J’avais pour ma part la conviction que l’institution constitue un foyer du baroque : à la fois un lieu de combustion, le réacteur de la musique baroque française en quelque sorte, et aussi au sens de foyer de théâtre, le lieu où se retrouvent les amateurs de cette musique. Ma seconde conviction est que la musique ancienne a toujours besoin de retrouver son souffle. Les préceptes qui ont guidé la renaissance de la musique baroque dans les années 1970 à 1990 ont besoin d’être constamment réinterrogés.

BaroquiadeS : Il est vrai que les enregistrements de cette période sont très nombreux, on a l’impression que tout a déjà été enregistré...

Nicolas Bucher : Les enregistrements constituent un formidable outil de diffusion, mais aussi de standardisation et de nivellement. Si on ne continue pas la recherche, on perd l’essence même de ce mouvement historiquement informé. Le rôle du CMBV est de poursuivre la recherche, à la fois sur le répertoire (il subsiste de nombreuses compositions à découvrir, y compris de compositeurs célèbres) et en matière d’interprétation. Entendons-nous : le CMBV n’est surtout pas la police du baroque ! Sa richesse réside avant tout dans son fonds documentaire : nous possédons des caisses complètes de documentation inexploitée ! Je tiens à rappeler que, depuis 1987 le CMBV a publié plus de deux mille partitions ! Il s’agit d’une contribution à la diffusion du baroque ; nous n’en avons pas l’exclusivité, et nous ne prétendons pas l’avoir. Le numérique joue aussi un rôle, qui nécessite une vraie réflexion. Il ouvre de nouvelles possibilités, mais il ne signe pas la mort du papier.

BaroquiadeS : Et comment voyez-vous le rôle du CMBV en matière de formation des artistes ?

Nicolas Bucher : La formation à la musique baroque a considérablement évolué. Il y a quarante ans la formation à la musique baroque française n’existait qu’à l’étranger : aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse. Elle se faisait aussi beaucoup au sein des ensembles, comme Les Art Florissants ou La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. Aujourd’hui près de la moitié des conservatoires de province forment à la musique ancienne. L’exécution de la musique baroque est globalement incomparable avec celle d’il y a trente ans. Comment peut-on la renouveler ? Notre rôle est de remettre en question la stratification qui s’est opérée au cours du temps, de combattre les usages qui n’ont pas de fondement historique ou qui sont invalidés par de nouvelles découvertes.

BaroquiadeS : Et peut-être aussi comment mieux la diffuser ?

Nicolas Bucher : Là aussi les conditions ont radicalement changé. Au départ le CMBV avait, entre autres, pour missions de diffuser des spectacles à l’Opéra Royal et à la Chapelle. Aujourd’hui Laurent Brunner et Château de Versailles Spectacles ont fait de Versailles la première scène baroque française, avec une saison abondamment fournie. Cela a pu créer une fracture entre les deux institutions à un certain moment ; il faut passer à une autre étape. Le constat général est que la musique française est moins diffusée aujourd’hui qu’elle ne l’a été. Pourquoi ? Il y a évidemment le sujet des effectifs : les grandes œuvres mobilisent des effectifs importants, et la contrainte budgétaire pèse aujourd’hui plus fortement sur la production musicale. Une seconde raison tient aux cycles de programmation, qui obéissent à des modes : dans les années 1990 cette mode a suscité de nombreuses créations françaises ; elle est aujourd’hui quelque peu révolue… Cela est vrai aussi pour les enregistrements.

BaroquiadeS : Comment comptez-vous enrayer ce relatif déclin ?

Nicolas Bucher : En développant des partenariats avec des théâtres et avec des festivals français et étrangers, en choisissant avec eux des artistes qualifiés dans ce répertoire, afin de développer la place accordée au répertoire français.

BaroquiadeS : Et au plan international ?

Nicolas Bucher : Notre politique dans ce domaine s’est clarifiée. Notre rôle est désormais d’aider les artistes étrangers à s’approprier le répertoire français, et plus forcément de « vendre » à l’étranger des artistes français. Nos partenariats internationaux obéissent à des règles très strictes. Ils sont de trois à quatre ans, renouvelables une fois. Car si on n’a pas réussi au bout de cinq ou six ans c’est qu’on n’a pas bien travaillé, et il faut en tirer les conséquences. L’accompagnement que nous effectuons revêt des formes variables selon les projets : pour la production des Paladins de Rameau à Oldenbourg (lire le compte-rendu dans ces colonnes) nous avons envoyé Alexis Kossenko et organisé des séances d’accompagnement. Pour le Jephté de Montéclair à Budapest cette année nous envoyons un plateau français. Nous accueillons aussi des artistes étrangers pour des durées déterminées : ceux de UniRio (l’Université de Rio de Janeiro), ou ceux de l’Institut Colon de Buenos Aires pour une Armide de Lully.

BaroquiadeS : Et quelles sont vos orientations pour les formations artistiques en France ?

Nicolas Bucher : En juillet prochain nous organisons la première édition de l’Académie d’Eté du CMBV. Elle aura une dimension internationale, avec l’ambition de réunir les étudiants, mais aussi les amateurs de baroque français. Elle devrait constituer un événement pivot en ce domaine. Le second axe concerne le parc instrumental. La démarche avait déjà été lancée avec les Vingt-Quatre Violons du Roi et nous allons l’élargir. Disposer d’instruments appropriés pour jouer le répertoire baroque est indispensable pour des exécutions de bon niveau. Nous y travaillons actuellement pour les instruments à vent, comme le basson. Ce parc sera destiné aux artistes mais aussi aux pédagogues.

BaroquiadeS : Un programme ambitieux, que nous souhaitons couronné de belles réussites en matière de baroque français ! BaroquiadeS ne manquera pas de s’en faire l’écho dans ces colonnes. Merci Nicolas de l’avoir exposé pour nos lecteurs.



Publié le 16 mai 2019 par Bruno Maury