Arie d'opera - Hasse

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J'aime, je languis et ne désespère pas...

La carrière de Johann Adolph Hasse (né en 1699 à Bergedorf près de Hambourg, Basse-Saxe, et mort en 1783 à Venise) embrasse les périodes baroques et classiques. A l'instar d'autres musiciens originaires d'Allemagne du nord comme Georg Friedrich Haendel et Johann Christian Bach, Hasse alla chercher en Italie une formation musicale et un tremplin pour la suite de sa carrière. Mais dans le cas de Hasse la démarche fut plus radicale puisque l'Italie devint sa patrie d'élection, il s'appropria en effet les styles en usage à Venise et à Naples dans le domaine de l'opéra seria, épousa la cantatrice vénitienne Faustina Bordoni et se convertit au catholicisme. Sa carrière de compositeur d'opéras s'est partagée entre Dresde auprès de Frédéric IV de Saxe, Vienne où il collabora avec le poète Metastasio et l'Italie. J.A. Hasse est un compositeur peu joué de nos jours et la recréation au festival de musique ancienne d'Innsbruck 2018 de la serenata Semele a fait figure d'évènement.

L'aria napolitaine avec da capo (reprise à partir du début de l'aria) ou dal segno (reprise à partir du signe) s'impose sans exceptions dans les dix airs, extraits d'opéras, contenus dans le présent CD. Elle se révèle dans sa formule la plus stricte et la plus répétitive: A1 A2 B A'1 A'2, dans laquelle les sections A sont des formes plus ou moins variées et ornementées d'une section de base A1. Des ritournelles orchestrales alternent avec les sections vocales A et B. On note chez Hasse à la différence de ses contemporains que les sections A1 et A2 sont très semblables.

Chez Hasse comme chez les baroques italiens et chez Haendel, les variations et les ornementations présents dans les sections A'1 et A'2 sont laissées à la discrétion des interprètes. La section B est un intermède le plus souvent différent de A, il adopte le mode mineur si A est dans le mode majeur et vice et versa. En plus du caractère stéréotypé de la forme, le langage harmonique de ces airs est dépourvu de contrepoint et l'air se résume à une ligne de chant très simplement accompagnée par les cordes, (contrairement à Haendel, JS. Bach ou Vivaldi où l'harmonie est plus densément nourrie). Dans ces conditions, on pourrait craindre la monotonie. Miraculeusement, ce n'est pas le cas et Hasse arrive par son don mélodique et son métier à capter l'attention de l'auditeur, à susciter son admiration et souvent à l'émouvoir. Le déroulé musical comporte souvent de petites tournures mélodiques entêtantes qui imprègnent facilement la mémoire, des gimmick, dirions-nous, en empruntant un terme en usage dans le jazz ou la variété.

Pour résumer, comme le montrent la plupart des airs gravés sur ce CD, les traits que nous avons énumérés sont typiques d'un musicien de transition, s'insérant dans la théorie des affects, rompu à la tradition baroque italienne mais évoluant vers un style plus moderne, voire préclassique. La festa teatrale Alcide al bivio (1760), composée à Vienne sur un livret de Metastasio, est une œuvre déjà galante, présentant des ressemblances avec les opéras seria (Xanaïda, 1763, par exemple) que Johann Christian Bach composait à cette époque. Son dernier opéra, Ruggiero (1771), composé à Venise, est presque contemporain du Lucio Silla (1772), composé à Milan par Wolfgang Mozart. D'ailleurs Hasse, présent à Vienne pendant l'enfance de Wolfgang, était très apprécié par la famille Mozart. « Ce garçon nous fera tous oublier » aurait-il déclaré à Leopold à propos de Wolfgang.

Hasse écrivit des opéras pour les meilleurs interprètes de son temps, d'abord son épouse, la célèbre mezzo-soprano Faustina Bordoni, mais également Francesca Cuzzoni, les castrats Ricardo Broschi (Farinelli), Gaetano Caffarelli, Domenico Annibali et surtout Giovanni Carestini...que Porpora, Haendel et Hasse se disputèrent. Les airs du présent CD furent chantés par ces divers interprètes. Les textes, pour la plupart, de Pietro Metastasio et Apostolo Zeno, évoquent presque tous les souffrances engendrées par un amour contrarié.

Parto ma tu ben mio, aria tirée de Tito Vespasiano, opéra donné en 1735 et chanté par Giovanni Carestini. Cette aria est parfaitement représentative du style de Hasse. Le chant est suave (la mention soave est fréquente dans la musique baroque), noble et d'une relative simplicité, les reprises da capo sont peu ou pas du tout ornées, sauf la dernière qui l'est discrètement. Elena de Simone, mezzo-soprano, est dans son élément car l'ambitus de ce morceau recoupe parfaitement sa tessiture vocale.

Tradita sprezzata, provient de Semiramide riconosciuta, opéra donné en 1747 et chanté par Carestini. Ecrite dans le mode mineur, cette aria di furore passionnée anticipe le mouvement Sturm und Drang. Hasse va à l'essentiel, c'est pourquoi la mezzo introduit un minimum de fioritures et d'ornements dans les reprises da capo.

Deh se piacer mi vuol, autre extrait de Tito Vespasiano : cet air muni de jolies ritournelles comporte bien plus de vocalises et de trilles que les précédents. Elena de Simone y est tout à fait à son aise.

Uomini ! est une aria tirée de Asteria, opéra exécuté en 1737 et chanté par Faustina Bordoni dans le rôle titre. Le personnage d'Asteria, d'une grande modernité, féministe avant la lettre, invective les hommes : Uomini, io gli vorrei tutti conversi in cenere (Les hommes, je les voudrais tous réduits en cendres) dans une harangue très virtuose comportant de redoutables vocalises. Dans la partie B au rythme de sicilienne, le ton s'adoucit quelque peu.

Se tutti i mali miei, est extrait de Demofoonte (1758), opéra chanté par Carestini. Cet air dans le mode mineur est précédé d'une superbe introduction instrumentale et comporte de belles ritournelles instrumentales jouées par le violoniste soliste. Cet air, à la fois mélodieux et pathétique, possède des aigus qui m'ont semblé un peu tendus pour la voix de mezzo-soprano d'Elena de Simone.

Al diletto che l'inonda est une aria tirée d'Asteria (1737). C'est le tube du CD. Après une magnifique introduction du premier violon soutenu par un continuo très présent, le chant gracieux et élégant, orné d'une profusion de trilles, est soutenu par les pizzicati des cordes et le continuo. On remarque sur le fac simile de l'édition originale que la voix est notée en clé d'ut1 ce qui correspond à une voix de soprano. Des tremblements, des appoggiatures ainsi que de nombreux rythmes lombards agrémentent le chant. Les reprises dal segno sont discrètement variées, et même la section B, généralement différente des sections A, reprend simplement le thème dans le mode mineur. Elena de Simone est dans son élément et nous régale avec un chant superbe et une diction parfaite pendant près de neuf minutes.

Fissa ne' sguardi miei provient de l'opéra seria Ulderica (1729). L'ambitus de cet air correspond à une tessiture de contralto et Elena de Simone montre une grande assurance dans ce registre. Cet air joyeux comporte beaucoup de syncopes et un gimmick qui se grave immédiatement dans la mémoire et dont on a du mal à se débarrasser.

Dell'amante l'alma bella est extrait de Cajo Fabricio (1732), opéra écrit pour le castrat Domenico Annibali. Cet air dans le mode mineur est plus passionné, plus énergique et plus serré que de coutume, quasiment haendélien !

Eccomi non ferir est une aria tirée d'Isippile, opéra seria représenté à Naples en 1732 avec Faustina Bordoni dans le rôle de la prima donna. On y remarque une belle ritournelle du violon et un chant suave et plaintif, délicatement varié lors de la reprise. La mezzo s'y montre très convaincante.

Amo, bramo e non dispero est extrait d'Euristea, opera seria représenté en 1732. L'aria fut écrite pour Francesca Cuzzoni. Les paroles (J'aime, je languis et ne désespère pas...) résument le credo de cette héroïne baroque qui, d'autre part, cherche à garder le contrôle de ses affects et ne veut pas se laisser aveugler par l'amour. Très bel air suave, comportant de jolies vocalises. Ici la reprise dal segno est harmonieusement variée par Elena de Simone.

Elena de Simone a relevé avec panache le défi d'interpréter des airs chantés à l'origine par des artistes dont les tessitures vocales étaient probablement différentes les unes des autres. Sa tessiture s'est avérée suffisamment large pour s'adapter à l'ambitus des airs choisis. Le timbre de sa voix étonnamment sombre est toujours chaleureux, la ligne de chant fluide avec un legato harmonieux et une diction remarquable. De par sa connaissance approfondie du répertoire baroque, ses qualités vocales, son intelligence du chant et sa sensibilité, elle a su habilement éviter toute monotonie inhérente à la similarité des airs de ce recueil et en a parfaitement exprimé les affects.

J'ai été impressionné par le petit ensemble instrumental Il Mosaico, composé d'un quatuor à cordes renforcé par un violone (basse d'archet) et le clavecin. L'ensemble, emmené par deux excellents violonistes dont le talentueux Gian Andrea Guerra, joue dans une optique historiquement informée et nous régale avec une ornementation raffinée.

L'excellent livret sur Hasse a été rédigée par Elena de Simone en italien et anglais ce qui limitera sa diffusion en France. Malgré cette réserve formelle, ce disque régalera l'auditeur de belle musique et apportera une pierre importante à la connaissance d'un compositeur saxon dont l'italianité apparaîtra comme une évidence après audition des dix chants enregistrés.



Publié le 26 janv. 2019 par Pierre Benveniste