Sonates for three violins - Ensemble Diderot

Sonates for three violins - Ensemble Diderot ©
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Un voyage musical dans l’Europe Baroque

Originaire du Tyrol du Sud, le violoniste baroque Johannes Pramsohler (voir le portrait récent chez notre confrère et l’entretien accordé dans nos colonnes) est à la fois fondateur et premier violon de l’Ensemble Diderot qu’il a créé en 2008. De nationalité italienne, mais de culture autrichienne, il est dorénavant installé à Paris avec son ensemble qui est devenu une référence de la scène baroque. Plaçant la curiosité au cœur de sa démarche musicale, il revendique l’héritage du philosophe du même nom : ouverture d’esprit, soif de découverte et humilité face à la connaissance. L’Ensemble Diderot s’attache en effet tout particulièrement à redonner vie à des œuvres injustement oubliées. Héritier spirituel de Reinhard Goebel dont il possède désormais l’un de ses violons (un instrument signé Pietro Giacomo Rogeri daté de 1713), Johannes Pramsohler est aussi lauréat du Concours International Telemann de Magdebourg.

Le nouvel album de l'Ensemble Diderot est consacré aux sonates pour trois violons. Afin de mener à bien ce projet le violoniste Simone Pirri a rejoint Johannes Pramsohler et Roldán Bernabé (violons), Gulrim Choi (violoncelle) et Philippe Grisvard (clavecin).

Les pièces proposées, écrites durant une période qui s’étend sur une centaine d’années, sont l’œuvre de compositeurs originaires des quatre coins de l’Europe. Elles sont réunies autour d’un même genre musical assez peu usité, à savoir la sonate pour trois violons. Johannes Pramsohler et les quatre musiciens qui l’accompagnent ont imaginé un programme très composite, dont l’œuvre la plus ancienne a été écrite vers 1600 à une époque ou l’esthétique musicale va évoluer de façon significative. En effet, les musicologues considèrent que l’ère de la musique baroque débute symboliquement en Italie en 1607 avec la création de l'opéra de Claudio Monteverdi Orfeo, qui marque un tournant décisif dans l’histoire de la musique.

Comme l’explique Johannes Pramsohler « toutes les œuvres de notre programme ne tombent pas dans la catégorie « sonate » qu’il faut entendre ici non comme une forme mais comme un terme générique pour la musique instrumentale ». Par ailleurs, les pièces écrites pour trois violons, avec trois voix dans les registre aigu du violon soutenues par le registre grave du violoncelle offrent une composition sonore intéressante. Mais cette combinaison instrumentale présente surtout un plus grand potentiel pour des fugues et des canons complexes que la sonate en trio qui est un procédé de composition basé sur l’échange des voix.

C’est un authentique voyage musical à travers l’Europe Baroque que nous propose l’Ensemble Diderot, voyage qui débute avec la transcription d’un choral luthérien transcrit par Johann Sommer, un compositeur allemand dont on ne sait pratiquement rien et qui n’a laissé à la postérité qu’un recueil intitulé Fröhliche Sommerzeit, dont le titre constitue un jeu de mots avec son nom. Il s’agit du Psaume 8 Höchster Gott, in unser leber Herre, dont le texte d’origine fut adapté de la Bible par Clément Marot sur une musique composée à Genève en 1551. Jouée de façon à la fois martiale et majestueuse, une grande intensité musicale transparaît de cette pièce qui figure toujours dans la liturgie protestante. Les premières mesures du thème donnent le ton et révèlent un équilibre entre les instruments absolument parfait. Le choral est immédiatement suivi par deux variations au ton beaucoup plus enlevé qui créée un contraste des plus intéressant avec l’austérité du thème original.

Le voyage musical se poursuit en Italie du Nord avec Giovanni Battista Fontana, violoniste et compositeur à la croisée des XVIème et XVIIème siècle. Considéré comme l’un des plus grands virtuoses de son temps, il était surnommé Dal Violino. La Sonate n°16 composée à Venise en 1641 révèle une écriture à la fois virtuose et expressive, dans un style rappelant Frescobaldi et Monteverdi. Restons encore en Italie du Nord avec Giovanni Battista Buonamente, postérieur de 20 ans au précédent. Prêtre franciscain, il fut compositeur et violoniste au service de la famille princière de Mantoue avant d’être nommé compositeur impérial à la Hofkapelle de Vienne, pour terminer à la fin de sa vie comme maître de chapelle à Assise. Dans cette sonate d’un raffinement extrême et d’une écriture très novatrice pour l’époque, l’influence musicale de Monteverdi dont il fut probablement l’élève, est évidente.


Partition du Canon de Pachelbel

Étape suivante en Allemagne avec le célèbre Canon de Johann Pachelbel, compositeur et organiste allemand originaire de Nuremberg. Si ce fameux Canon est universellement connu à travers des interprétations à l’authenticité parfois plus que douteuse, l’Ensemble Diderot offre ici l’opportunité de l’entendre dans sa version originale, et surtout dans son intégralité avec la Gigue qui suit ! En effet, cette pièce est en réalité intitulée Canon et gigue en ré majeur pour trois violons et basse continue. Et dans cette pièce en deux parties a priori indissociables, Pachelbel joue de l’opposition entre le rythme 4/4 du Canon suivi du rythme ternaire à 12/8 de la Gigue. Pour l’anecdote, le fameux Canon évoque les musiciens de rue de son époque qui interprétaient des œuvres populaires jouées avec des instruments à vent. Mais cette précision n’est pas sans importance car elle conduit nécessairement à l’écouter différemment.

L’Italie à nouveau, avec une Sonata a 3 violini de Giuseppe Torelli, violoniste et compositeur né à Vérone, qui vécut une grande partie de sa vie à Bologne, mais aussi un temps à Augsbourg et Ansbach en Bavière. Torelli est considéré comme le père du concerto tel qu’on le connaît actuellement, et c’est à lui que l’on doit la forme en trois mouvements. Il est d’ailleurs l’auteur du premier concerto pour un instrument solo, écrit pour un violon. Cette sonate faite de contrastes et de virtuosité offre l’opportunité à chacun des violonistes de « briller » tour à tour en tant que soliste, les deux autres assurant un accompagnement « orchestral ».

La Sonate pour trois violons senza basso du compositeur autrichien Johann Joseph Fux constitue sans conteste l’un des sommets de ce programme. Écrite pour trois violons sans accompagnement, elle permet d’apprécier au mieux et sans le moindre artifice le son des trois violons. Le second mouvement Allegro est en fait une fugue magnifique qui révèlent une parfaite maîtrise du compositeur dans l’exercice. Dans cette sonate, les trois voix s’entremêlent savamment, parfois à la limite de la dissonance, et cette pièce offre un pur moment de bonheur à travers un sommet d’écriture musicale! Nommé officiellement compositeur de la Cour Impériale puis maître de chapelle des empereur d’Autriche-Hongrie, Johann Joseph Fux est surtout connu pour avoir été le maître de Jan Dismas Zelenka.

Le voyage se poursuit par la France avec une Sonate en quatuor de Louis-Antoine Dornel, un organiste et compositeur contemporain de Jean-Philippe Rameau, qui eut pour maître Nicolas Lebègue. Il s’agit de l’œuvre la plus tardive du programme. Écrite dans un style ou l’on discerne une influence très italienne, cette sonate est un concentré d’élégance et de raffinement, comprenant notamment de beaux passages fugués et révélant une écriture très inventive.

Retour en Italie, à Venise plus précisément, avec une sonate de Giovanni Gabrieli, un compositeur clé de la transition entre la la musique de la Renaissance et la musique Baroque. Cette courte sonate d’une écriture complexe, très novatrice pour l’époque, constitue un bel exemple de composition pré-baroque. Il s’agit de la pièce la plus ancienne du programme et son style d’écriture contraste singulièrement avec la sonate de Dornel qui la précède.

Déplacement outre Manche avec Henry Purcell et un Ground (appellation anglaise de la chaconne) a basse obstinée suivi de ses variations, dont le thème harmonique n’est pas sans rappeler le Canon de Pachelbel ! Toujours de Purcell suit une Pavane, danse déjà tombée en désuétude à l’époque ou elle fut composée. D’un ton très majestueux, elle dénote une écriture d’une grande densité. Le dialogue des trois violons dont les voix s’entrecroisent savamment, soutenu par le registre grave du violoncelle, est du plus bel effet sonore.

Changement de style et d’atmosphère, avec une Sonate pour trois violons composée par Johann Heinrich Schmelzer, premier maître de chapelle autrichien nommé à la Cour des Habsbourg. Construite toute en contrastes, cette pièce alterne des passages presque austères avec d’autres plus extravertis. Les trois violons sont cette fois soutenus par l’orgue positif, l’ensemble offrant une combinaison sonore des plus intéressante.

Retour en Angleterre avec Thomas Baltzar, compositeur né en Allemagne comme Haendel, qui rejoint l’Angleterre à l’âge de 24 ans pour ne plus jamais la quitter. Ses talents de violoniste hors norme selon les témoignages de l’époque l’ont conduit à entrer au service du roi Charles II en tant que membre de son ensemble « percevant un salaire annuel de 110 livres sterling », une somme conséquente pour l'époque. Assez peu de ses œuvres sont parvenues jusqu’à nous. La Pavane présentée par l’ensemble Diderot est extraite d’un recueil de danses en do majeur qui serait semble t’il être la plus ancienne suite écrite pour trois violons de l'histoire de la musique. Cette pièce au contrepoint parfaitement maîtrisé n’est pas sans rappeler les fameux Consorts anglais. D’une écriture très virtuose , elle requiert une maîtrise parfaite de la technique instrumentale.

Fin du voyage musical avec une dernière étape dans les Provinces Unies avec Carolus Hacquart, un compositeur d’origine flamande né en 1640 à Bruges et mort vers 1701. Il exerça à Bruges, Gand, Amsterdam et La Haye, mais aussi vraisemblablement en Angleterre si l’on en croit un un document, daté de 1697, accordant à un certain « Charles Hakert, native of Holland » la permission de retourner chez lui… Constantin Huygens, diplomate et secrétaire privé de la famille d’Orange (et père de Christian Huygens) le qualifie dans l’une de ses lettres de « grand maistre  de musique ». La Sonata decima présentée dans cet album est extraite de son opus 2 Harmonia Parnassia Sonatarum daté de 1686, considéré par les musicologues comme le meilleur de sa production musicale. Après une courte introduction, vient un mouvement fugué témoignant d’une grande maitrise d’écriture. Le langage musical de cette sonate est très imprégné de musique populaire, rappelant que le violon était à l’origine un instrument destiné avant tout à jouer des musiques à danser. Les trois violons sont mis en valeur et soutenus par le clavecin et le violoncelle dans le plus pur style baroque, donnant à cette sonate un caractère des plus séduisants !

A l’issue de son écoute, force est de constater que cet album constitue une authentique réussite ! A travers un programme fort bien construit, qui peut sembler hétéroclite au premier abord, il offre un bel aperçu des compositions pour trois violons avec ou sans accompagnement durant la période baroque. Les pièces présentées sont judicieusement choisies, et les passages d’une époque à l’autre sans respect de la chronologie, d’un pays à l’autre dans un ordre qui peut sembler aléatoire, rompent la monotonie de l’écoute qui réserve de bien belles surprises. La grande variété des styles et des couleurs sonores, la précision dans les attaques, une justesse impeccable, une recherche évidente du beau son, le tout de surcroît servi par une prise de son parfaite sont les éléments qui participent à cette incontestable réussite. On ne peut que saluer la démarche et le travail de Johannes Pramsohler et de l’Ensemble Diderot qui contribue à faire découvrir des œuvres de tout premier ordre souvent inédites, et dans le cas particulier à redécouvrir un genre musical délaissé.



Publié le 23 juil. 2021 par Eric Lambert