La Lucrezia - Vistoli

La Lucrezia - Vistoli ©Nicola Allegri
Afficher les détails
La cantate italienne magnifiée

Le programme de ce disque est constitué de cinq cantates profanes qui illustrent le goût très italien pour ce genre au début du 18e siècle. Autorisant l’interprétation par des femmes (à la différence de la musique sacrée et des opéras, à Rome), les cantates étaient destinées à être interprétées dans les salons des palais, donc devant un public limité et avec des effectifs d’interprètes réduits, l’accompagnement se limitant très souvent au continuo.

La part la plus importante du programme est réservée à Haendel, avec trois cantates écrites durant son séjour en Italie entre 1706 et 1710 ou inspirées par lui, comme Deh, lasciate …  La première cantate est La Lucrezia, joyau du genre et constituant, en raison de sa remarquable progression dramatique, un véritable opéra de chambre. L’œuvre retrace les émotions d’une femme affectée psychologiquement par le viol qu’elle a subi et passant par des états psychologiques très contrastés, découpés en trois séquences musicales. A une première séquence très intériorisée de laquelle émane une profonde tristesse, succède un discours vengeur contre le violeur qui laisse la place à une alternance vertigineuse de profond désespoir et de besoin de vengeance.

Les deux autres cantates de Haendel sont des enregistrements en première mondiale et constituent elle aussi un témoignage passionnant de l’appropriation par Haendel de ce genre typiquement italien. Ninfe e pastori dans le style bucolique en vogue alors, et Deh, lasciate e vita e volo, plus tardive, aux superbes mélodies.

Avec Scarlatti et Vivaldi, on retrouve deux cantates plus anciennes mais aussi à la forme plus conventionnelle que La Lucrezia. La cantate O se fosse il mio cor in libertà fait partie d’un cycle de douze cantates dédiées par Porpora au prince-électeur de Hanovre et publiées en 1735, et dispose d’un texte écrit par Metastasio. Animée par un superbe solo de violoncelle, elle s’achève sur un passage qui sollicite beaucoup la virtuosité de l’interprète. Et enfin, la vertigineuse cantate Pianti, sospiri e domandar mercede, qui fait partie d’un ensemble de huit cantates pour alto écrites vers 1730 et qui s’achève sur un feu d’artifice de vocalises digne des grands airs pour castrats des opéras vivaldiens.

Ce programme a été donné par Carlo Vistoli à la salle Cortot le 8 mars dernier (voir le compte-rendu dans ces colonnes) et le disque est également une réussite complète. Les qualités de la voix et du style de Carlo Vistoli sont remarquables, tout comme l’homogénéité du timbre qui affronte crânement les différents registres. Les ornementations sont extrêmement soignées et raffinées, la longueur de souffle est souvent impressionnante et permet les très beaux traits de virtuosité qui émaillent le disque. Le plus frappant, à l’écoute répétée que permet le disque, c’est vraiment la capacité de Carlo Vistoli à varier en quelques instants les intentions et à rendre la variété des affects qui traversent ces pièces. Du sombre et dramatique désespoir de Lucrezia, au badinage un brin cruel de Ninfe et pastori ou à la profonde mélancolie de Deh, lasciate…

Le Stagioni réalise un accompagnement brillant et engagé de ce travail très soigné et fouillé. La complicité et la communauté d’intentions entre les trois solistes et le contre-ténor sont une évidence tout au long de cet enregistrement qui est en tous points remarquable.



Publié le 08 avr. 2022 par Jean-Luc Izard