Aci, Galatea i Polifemo - Haendel

Aci, Galatea i Polifemo - Haendel © Thomas Ziegler : Margherita Maria Sala et Federico Fiorio
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Une serenata incandescente

Aci, Galatea e Polifemo fait partie des compositions de Haendel élaborées pendant son séjour en Italie. Il passe tout d’abord quelque mois à Florence, où il donne à l’automne 1706 son premier opéra composé dans la patrie qui a vu naître le genre (Rodrigo). Haendel se rend ensuite à Rome, où il bénéficie de la protection des grandes familles romaines, amatrices de musique. En avril 1707 il y présente sa cantate Dixit Dominus. Le cardinal Benedetto Pamphili écrit le livret de son premier oratorio, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. En avril 1708, il présente son second oratorio, La Resurrezione. Dans la foulée, il se rend à Naples. C’est là qu’il compose une serenata a tre, Aci, Galatea i Polifemo. La serenata est une sorte de petit opéra destiné à des représentations privées, généralement données par les riches familles italiennes au cours de fêtes fastueuses (voir notre chronique).

Celle-ci semble avoir été commandée par Donna Aurora Sanseverino, duchesse de Laurenzana, à l’occasion des réjouissances accompagnant le mariage du duc d’Alvito, Tolomeo Saverio Gallio, avec la princesse d’Acaja, Beatrice di Montemiletto, célébré le 19 juillet 1708 à Naples. La serenata a été représentée le jour du mariage, au palais d’Alvito à Chiaia, aux environs de Naples. On ne connaît pas la distribution de la création. Si l’on en juge par la partition, qui comporte de redoutables difficulté vocales, on peut toutefois supposer qu’elle rassemblait des chanteurs d’un excellent niveau. Le livret, probablement rédigé par Nicola Giuvo, secrétaire de la duchesse Sanseverino, est inspiré d’un épisode des Métamorphoses d’Ovide.

L’intrigue, assez ténue, est toutefois solidement structurée. La nymphe marine Galatée, une des filles de Nérée (dieu marin antérieur à Poséidon), et le berger Acis, fils d’un faune et d’une nymphe, sont amoureux l’un de l’autre. Le cyclope Polyphème, fils de Poséidon-Neptune, qui demeurait dans une caverne, à proximité de l’Etna, est également amoureux de Galatée. Ses menaces et ses promesses ne parviennent pas à détourner la nymphe de son amour pour Acis. Furieux, le cyclope tue son rival en l’écrasant sous un rocher. Galatée, brisée par la douleur, change le sang d’Acis en une rivière qui porte son nom, en Sicile.

La plateau réunit deux jeunes chanteurs dont nous découvrons les voix, l’alto Margherita Maria Sala, alto (Galatea) et le contre-ténor Federico Fiorio (Aci), et un interprète expérimenté, la basse Luigi De Donato (Polifemo), dont nous avons déjà apprécié à plusieurs reprises les mérites (voir notamment notre chronique).

Margherita Maria Sala développe d’emblée un phrasé soigné, particulièrement appréciable dans les récitatifs, où elle fait également preuve de beaucoup d’expressivité (notamment dans le long Misero,e dove sono ?). S’y ajoute une belle longueur de souffle dans les ornements, comme dans le Benché tuoni ou le Dal mar fra l’onde, où les mélismes s’enchaînent avec aisance et sans jamais mettre en difficulté l’homogénéité du timbre. On relève aussi un bon équilibre avec la voix de son jeune partenaire dans le duo introductif (Sorge il di/ Scherza l’aura) et une réelle complicité dans le terzetto Dolce amico/ Caro amico/ Or poiché).

Federico Fiorio nous surprend de son timbre aigu de sopraniste, qui lui offre une incroyable aisance dans les redoutables ornements.émaillant ses airs. Mentionnons tout particulièrement ses aigus pyrotechniques dans l’air virtuose Qui l’augel, où il rivalise avec la flûte et des cordes aériennes et qui se conclut dans un final étourdissant. Les aigus filés de l’air lent Verso già l’alma sont également un régal pour nos oreilles. Gageons que ce jeune chanteur devrait se faire à nouveau remarquer dans de futures productions, tout particulièrement s’il parvient à conjuguer son indéniable virtuosité dans les aigus avec une épaisseur accrue de son timbre.


Luigi De Donato © Thomas Ziegler

Luigi De Donato confirme ici les excellentes qualités que nous lui avons vues développer dans des occasions antérieures. La diction est irréprochable, sa puissante projection toujours soigneusement équilibrée à celle de ses partenaires dans les ensembles et sa présence scénique est écrasante. Il débute sur un éclatant Sibilar l’angui d’Aletto, au son des trompettes. Il martèle ses reproches, appuyés d’une gestuelle très expressive, dans le Non sempre, no, crudele. Dans l’air lent Fra l’ombre, il nous régale d’une magnifique descente dans les graves, toute en rondeur. Mentionnons encore sa magistrale apostrophe Impara, ingrata et le long accompagnato qui précède le chœur final, dans lequel il développe à loisir toute la palette de son expressivité.

A la tête de l’orchestre Modo Antiquo, Federico Maria Sardelli imprime une ligne musicale au rythme soutenu – y compris dans les récitatifs, qui traduit avec force la montée de la tension dramatique. Tout en nous gratifiant ici et là d’un solo de flûte… Soulignons aussi l’admirable moelleux du clavecin utilisé pour ce concert.

Après de chaleureux applaudissements et plusieurs rappels, l’ensemble reprend le chœur final, à nouveau largement applaudi.



Publié le 06 juin 2023 par Bruno Maury