Acis and Galatea - Haendel

Acis and Galatea - Haendel ©
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Une version inédite et originale d’une œuvre à succès de Haendel

Aci e Galatea constitue la première œuvre de Haendel inspirée par le répertoire lyrique français (en l’occurrence la pastorale de Charpentier Les Amours d’Acis et Galatée, 1678, et la pastorale héroïque Acis et Galatée de Lully, 1686). Dans le fil de ces deux œuvres, créées dans le cadre de représentations privées (« chez monsieur de Rians, procureur du Roi » pour la pièce de Charpentier et au château d’Anet pour celle de Lully), Haendel compose une serenata – c’est-à-dire un court opéra mobilisant un nombre réduit de chanteurs, en général trois, conçu pour des représentations privées –, probablement commandée par la duchesse Sanseverino pour le mariage de sa nièce avec le duc d’Alvito à Naples (voir notre chronique). Intitulée Aci, Galatea i Polifemo et répertoriée HWV 72, cette serenata est bâtie sur un livret en italien, inspiré par un épisode des Métamorphoses d’Ovide.

Dix ans plus tard et désormais bien établi à Londres, Haendel remanie une première fois la serenata créée durant son séjour dans la péninsule italienne. La nouvelle version, répertoriée HWV 49a, s’intitule désormais Acis and Galatea, son livret ayant été transposé en anglais par un auteur inconnu. L’œuvre conserve toutefois son caractère « privé » puisqu’elle est donnée en mai 1718 dans le château de Cannons du duc de Chandos, protecteur de Haendel à cette époque. La partition en est publiée en 1722. Mais elle devra attendre le 26 mai 1731 pour sa première représentation publique, au Lincoln’s Inn Fields Theater de Londres. En mai 1732, une reprise est effectuée par John Lampe et Thomas Arne, promoteurs de l’opéra anglais, au New Theatre de Haymarket.

Ces différentes représentations publiques s’étant faites en dehors du consentement explicite de Haendel, celui-ci reprend une nouvelle fois son œuvre et la modifie de fond en comble. Le livret est réécrit en trois actes par John Hughes. La partition incorpore de nombreux airs de la serenata napolitaine ou de cantates ultérieures, chantés en italien, avec quelques airs en anglais conservés de la version de 1718. Les représentations ont lieu en juin et décembre 1732, mobilisant une distribution prestigieuse : la soprano Anna Strada del Pò (la nymphe Galatée), le castrat Senesino (le berger Acis) et la basse Antonio Montagnana (le cyclope Polyphème). Des reprises sont programmées les années suivantes, avec des adaptations effectuées par le compositeur à de nouvelles distributions. La dernière reprise effectuée du vivant de Haendel eut lieu en janvier 1741 au New Music Hall de Dublin.

La version choisie ce soir est celle donnée les 24 et 31 mars 1736 au théâtre de Covent Garden. Haendel transpose l’ensemble des airs en italien et réécrit le rôle d’Acis pour ténor. Il enrichit le rôle de Polyphème d’une grande scène, pour laquelle il réemploie la musique de la cantate Mi palpita il cor, et de nouveaux airs. « Véritable mosaïque témoignant de 28 années de composition, cette version de 1736 se démarque par une unité dramatique et esthétique étayée par la prépondérance des airs en italien et la très grande importance donnée au rôle de Polyphème, qui vient contrebalancer le focus accordé habituellement au couple Acis et Galatée » constate Alexandre Baldo dans la notice accompagnant le programme du concert.

Lors de sa présentation du concert, Philippe Grall, président de l’association PhilBarock Production, nous précise que la redécouverte de cette partition est le fruit d’un travail pugnace de recherche effectué par Alexandre Baldo. Il rappelle également la démarche de son association dans le montage de productions impliquant spécifiquement de jeunes artistes, dont celle qui va être donnée.

La version proposée ce soir a été retravaillée par l’équipe musicale et comporte l’intervention d’une récitante, l’actrice Jeanne Vitez. Celle-ci déclame entre les airs des textes de Guy de Maupassant (extraits de La vie errante), Ovide (Les Métamorphoses), Victor Hugo (Ernani) ou encore du cinéaste François Truffaut (dans son film Le dernier métro). Tous ces textes, soigneusement choisis, constituent autant de miroirs des sentiments exprimés par les chanteurs ou des situations qu’ils affrontent. Appuyée sur une forte présence scénique, Jeanne Vitez récite avec beaucoup de conviction ces morceaux littéraires, qui s’intercalent assez naturellement entre les brillantes arias du Caro Sassone.

Dans le rôle de la nymphe Galatée, la soprano Marie Ladurner nous livre un premier air en anglais (tous les autres airs de la pièce sont en italien), Hush ye pretty warbling quire, tandis que la flûte piccolo (qui évoque les gazouillis du texte) dialogue brillamment avec les deux violons. La diction est précise, le phrasé souple et délié. L’aisance est comparable dans les airs en italien, qui mettent peut-être davantage en valeur le caractère nacré du timbre (Se di perle). L’air Come la rondinella, rehaussé de magnifiques solos de Chloé de Guillebon au clavecin, constitue un des moments enchanteurs de cette soirée. Nous mentionnerons encore la délicate tristesse de son adieu à Acis (Se m’ami o caro).

Le ténor Marco Angioloni met fougue et empressement dans son incarnation du berger Acis ; il appuie son chant d’une gestuelle expressive. Son Stanno in quegli occhi, aux accents séducteurs, est particulièrement réussi. Retenons aussi son séduisant dialogue avec le traverso d’Eva Ivanova dans Qui l’augel di pianta, ainsi que sa détermination dans les échanges de récitatifs avec le menaçant Polyphème.

Un Polyphème incarné par la basse Alexandre Baldo, dotée d’une impressionnante présence scénique et d’une sonore projection, qui n’altère jamais une diction particulièrement claire. L’expressivité est également au rendez-vous, que ce soit dans le contentement (les longs mélismes du Ha solo contenti, aux graves veloutés), la douleur dramatique du Ferito son d’Amore, aux terribles accents superbement appuyés par les violons, ou encore sa goguenardise face à Acis venu défendre sa bien-aimée. Nous sommes toutefois un peu plus réservés sur sa prestation dans les deux terzettos, où sa voix puissante tend à écraser celle de ses partenaires.

Soulignons enfin les qualités de l’Ensemble Mozaïque, tant dans les ensembles orchestraux (une ouverture au rythme bien délié, dans laquelle brillent les hautbois) que dans les interventions solos (notamment le clavecin de Chloé de Guillebon et la flûte d’Eva Ivanova). Et relevons tout spécialement la complicité des deux violonistes (Gabriele Toscani et Simone Pirri), qui nourrit avec brio une ligne orchestrale inspirée, faisant chatoyer pour notre plus grand plaisir les couleurs changeantes de la partition de Haendel.



Publié le 18 févr. 2024 par Bruno Maury