Nos corps emplumés - Les Epopées

Nos corps emplumés - Les Epopées © Eric Lambert
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Les oiseaux, source d’inspiration musicale

Depuis les premières notes de musique produites par l’homme, le chant des oiseaux n’a cessé de constituer une source d’inspiration privilégiée pour bon nombre de compositeurs. L’une des premières pièces de l’histoire de la musique faisant expressément référence au monde des oiseaux fut la célèbre polyphonie profane de Clément Janequin intitulée Le chant des oiseaux. Au fil des décennies et jusqu’à nos jours, les oiseaux ne cesseront d’inspirer les musiciens. Au XXe siècle, on pourra en premier lieu citer Olivier Messiaen bien évidemment, mais aussi par exemple Ernest Chausson dans Le Colibri sur un poème de Charles-Marie René Leconte de Lisle, ou la célébrissime évocation du cygne dans le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Durant la période baroque, on retrouve bon nombre de pièces aux titres des plus évocateurs, il est intéressant d’ailleurs intéressant de préciser que le claveciniste québecois Luc Beauséjour a enregistré en 2020 un CD particulièrement intéressant comprenant dix-huit pièces de différents auteurs, entièrement consacré au thème des oiseaux. Tous les concerts proposés en cette année 2023 par le Festival de la Dive Musique de Seuilly en Touraine étaient en rapport avec le thème des oiseaux. Il s’achevait en ce dimanche 20 août 2023 par un concert en la magnifique Collégiale de Candes Saint Martin, comptant parmi les plus beaux édifices religieux de la région. L’ensemble Les Épopées proposait pour l’occasion un programme conçu comme un voyage dans le répertoire vocal et instrumental de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècle, intitulé Il sort de nos corps emplumés, en référence au titre d’une chanson d’Étienne Moulinié. Créé en 2018 par le claveciniste Stéphane Fuget, cet ensemble spécialisé dans la musique baroque est notamment renommé pour sa discographie consacrée aux motets de Jean-Baptiste Lully, salués par la critique pour la qualité de leur interprétation (à lire dans ces colonnes). Il était composé pour ce concert de trois musiciens : Stéphane Fuget au clavecin, Agnès-Boissonnot-Guilbault à la basse de viole et la soprano Claire Lefilliâtre.

S’il ne semble pas nécessaire de présenter Stéphane Fuget et Claire Lefilliâtre qui comptent sans conteste parmi les meilleurs interprètes de la musique baroque, il convient de présenter brièvement la jeune gambiste. Issue du Conservatoire d'Angoulême où elle débute la viole de gambe à l’âge de six ans dans la classe de Yuka Saïto, elle rejoint ensuite le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon où elle étudie auprès de Marianne Muller, avant d’achever son cursus au Conservatoire de Paris (CNSMD) dans la classe de Christophe Coin. En 2018, elle remporte le troisième prix ainsi que le prix du public au Concours international de viole de gambe Bach-Abel à Köthen en Allemagne ; en mai 2019, elle remporte avec son ensemble Cet Etrange Eclat le second prix (pas de premier prix décerné cette année là) du Concours de Musique Ancienne du Val de Loire présidé par William Christie.

Le concert débutait par un chant tiré de la tradition populaire interprété par Claire Lefiliâtre : Rossignolet du bois. Rossignolet sauvage, apprends-moi ton langage ,apprends-moi-z’à parler, apprends-moi la manière comment il faut aimer... La voix de Claire Lefilliâtre résonne d’emblée à merveille sous les voûtes de la collégiale, on retiendra l’originalité de l’accompagnement de la viole ne jouant qu’une seule note afin d’évoquer le bourdon de la vielle à roue en soutien du chant. Dans cette chanson qui permet de faire le lien entre musiques populaires et musiques dites savantes, l’oiseau n’est pas évoqué par son chant mais par son rôle de messager et de confident. On retrouvera un peu plus loin dans le programme une autre chanson populaire, Quand je menais les chevaux boire (à écouter ici) dont les paroles racontent l’annonce d’un malheur par un coucou de mauvaise augure. Il est intéressant de rappeler que ces deux chansons figuraient au répertoire du groupe de musique traditionnelle Malicorne en 1973 et 1976… soulignant ainsi les liens souvent étroits entre tradition populaire et musique savante.

Avec Étienne Moulinié, une figure importante de la musique française d’avant Lully, vient la chanson qui tient lieu de titre au concert. Contemporain de compositeurs tels Antoine Boësset, Guillaume Bouzignac ou Henry Du Mont, il fut longtemps au service de Gaston d’Orléans, frère du roi Louis XIII. Durant sa carrière musicale, il s'est essentiellement consacré à la musique profane, son œuvre se compose essentiellement d’airs de cours et d’airs de ballets, et il aurait probablement collaboré un temps avec la troupe de Molière.

Il sort de nos corps emplumés
Des voix plus divines qu'humaines,
Qui tiennent les soucis charmés,
Et font dormir les peines.

Cette chanson qui fait expressément référence aux chant des oiseaux fut écrite par un jeune compositeur âgé de 25 ans. Elle a permis cette fois d’entendre les trois musiciens en même temps dans une interprétation irréprochable. Le pizzicato à la viole pour accompagner la dernière strophe fut du meilleur effet. Dans le Charivari de Marin Marais, extrait de la Suite n°IV en ré majeur de son Troisième livre pour la viole, se mélangent des sons discordants, produisant parfois un tumulte qui peut aisément s’associer à un regroupement d’oiseaux. Louis-Claude Daquin et son célébrissime Coucou n’ont pas été oubliés dans la programmation… mais c’est une autre pièce, L’Hirondelle, qui été choisie. Extraite (comme Le Coucou) de son Premier Livre de clavecin datant de 1735, elle a été interprétée de façon magistrale au clavecin seul par Stéphane Fuget.

Au clavecin seul toujours, deux pièces composées par Louis Antoine Dornel en 1731. De ce compositeur, on sait peu de choses si ce n’est qu’il côtoya Jean-Philippe Rameau et qu’il fut l’élève de Nicolas Lebègue. Pour l’anecdote, titulaire d’une charge en tant que maître de musique du Roi, il fut sèchement remercié un jour de 1742 après dix-sept années de service au motif qu’il « ne donnait les jours de la Saint-Louis que des motets fort négligés et presque toujours mal exécutés... », probablement victime de quelque intrigue de la part de rivaux malveillants… et l’on pourra saluer au passage la persévérance d’un auditoire qui aura « supporté » le pire sans mot dire durant ces dix sept années ! Le Chant de l’alouette et Le petit ramage, extraits de la Suite n°3 en sol des Pièces de Clavecin du sieur Dornel contenant cinq suites et un Concert calotin publiées en 1731 ont permis à l’auditoire d’apprécier des pièces relativement inédites, très peu enregistrées mais néanmoins d’une grande élégance, interprétées avec grâce par Stéphane Fuget. On notera également Les tendres tourterelles de Pierre Février, une pièce toute en subtilité et en délicatesse extraite de l’unique manuscrit de son Second livre de clavecin écrit vers 1735, retrouvé à la fin des années 90 dans une collection privée appartenant à la famille d'Arenberg en Belgique et désormais conservé à la Bibliothèque Royale de Belgique. Pierre Février fut également dans les années 1750 le professeur d’un certain Claude Balbastre. La Girouette, une pièce d’Antoine Forqueray jouée à la viole seule a permis d’apprécier la richesse du son de la viole d’Agnès Boissonnot-Guilbault ainsi que la grande qualité de son jeu. De même, Les fêtes champêtres de Marin Marais, extraites du Quatrième livre de 1717, dans laquelle la viole était cette fois accompagnée du clavecin pour une interprétation à la fois subtile et dynamique.


La collégiale de Candes Saint-Martin, vue depuis les bords de la Vienne © Eric Lambert

Au XVIIe siècle, l’air de cour fut un genre musical très en vogue et dans les salons parisiens. Trois airs de cour toujours en rapport avec le thème du festival étaient proposés dans ce concert : Oiseaux de ces bocages, Chantez petits oiseaux et Le doux silence de nos bois, respectivement de Marc-Antoine Charpentier, Michel Lambert et Honoré d’Ambruys. Ces trois airs ont permis à Claire Lefilliâtre de déployer ses talents vocaux à travers une interprétation expressive, une belle diction et un souci du détail dans les ornementations. On retiendra tout particulièrement la force émotionnelle contenue dans le splendide air de cour d’Honoré d’Ambruys auquel il est bien difficile de rester insensible, et qui constitua une fort belle découverte. Le doux silence de nos bois/ N’est plus troublé que de la voix/ Des oiseaux que l’amour assemble...

Le programme à la fois dense et original, s’achevait sur Sans frayeur dans ce bois, seule je suis venue de Charpentier, offert en bis. Cet air de cour emblématique, accompagné de la viole seule jouant en pizzicato concluait en beauté cet ultime concert de l’édition 2023 du Festival de la Dive Musique sur le thème des oiseaux dans la musique, lequel constituait accessoirement une excellente occasion d’apprécier la beauté des lieux en musique !



Publié le 17 sept. 2023 par Eric Lambert