Femmes compositrices - Zaïcik

Femmes compositrices - Zaïcik ©
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Quand complicité rime avec virtuosité

L’Hôtel des Invalides constitue un monument incontournable du patrimoine architectural parisien, et chacun sait qu’il abrite le musée des Armées ainsi que le tombeau de Napoléon. Sa saison musicale, d’octobre à juin, mérite également le détour. Elle ne propose pas moins d’une quarantaine de concerts, soit quasiment un par semaine. Et fait place à un large répertoire, du baroque au contemporain, en passant par le jazz et l’improvisation, sans oublier bien entendu les musiques militaires. Les concerts bénéficient des deux écrins prestigieux que sont la cathédrale Saint-Louis et le Grand Salon. Ils sont conçus de manière thématique, en écho aux expositions présentées au musée des Armées. Ainsi, les trois thèmes retenus pour la future saison 2023/24 sont : Victoires, Si les Invalides m’étaient contées, Duels.

Le concert auquel nous assistions ce soir-là dans la cathédrale marquait la clôture d’un cycle de huit soirées consacrées aux Femmes compositrices. Il rassemblait, autour de la mezzo-soprano Eva Zaïcik, le jeune ensemble Le Consort, dont nous avions déjà souligné à plusieurs reprises la féconde collaboration dans deux enregistrements récents (Venez chère Ombre et Royal Haendel).

Bien évidemment, la mezzo s’affirme comme la vedette de ce programme. Dès la première cantate, Hor che Apollo è a Theti in seno, due à Barbara Strozzi (1619 – 1677), elle manifeste une diction parfaitement maîtrisée, un phrasé très fluide et une présence scénique renforcée par l’expressivité de son chant. Après Les paroles à la fois joyeusement moqueuses et grinçantes de Costume de grandi, les attaques saccadées de La Vendetta lui offrent autant de supports pour développer d’autres facettes de sentiments. Notons tout particulièrement les ornements ironiques dont elle émaille le second morceau.

Avec le Non piangete de la compositrice milanaise Maria Teresa Agnesi (1720 – 1795), Eva Zaïcik aborde la tristesse. Le chant se fait aussi plus virtuose, et la mezzo joue superbement de ses intonations déchirantes qui évoquent les pleurs. C’est encore la tristesse qui prédomine dans l’aria Afflita e misera, cette fois dans une expression très dépouillée qui met particulièrement en valeur la voix.

La complicité qui unit la chanteuse avec les musiciens du Consort est perceptible à chacune de ses interventions : plus qu’un simple accompagnement instrumental c’est une véritable fusion de la ligne de chant avec celle des instruments qu’opèrent les interprètes. Cette complicité se manifeste également dans les intermèdes instrumentaux. Dans la sonate inaugurale de Vivaldi, la profondeur du violoncelle d’Hanna Salzenstein équilibre les attaques vives des violons de Théotime Langlois de Swarte et de Sophie de Bardonnèche (avec une mention particulière à cette dernière, dans une forme éclatante, malgré son état avancé de grossesse). Le clavecin de Justin Taylor sonne admirablement dans le premier mouvement de la sonate d’Isabella Leonarda, avant l’arrivée du violon (Langlois de Swarte) et de la viole de Louise Pierrard, qui apporte sa densité et son moelleux. Inédite, la sinfonia X de Reali (violoniste contemporain de Vivaldi) est une agréable découverte, comportant de brillantes parties de violon. La virtuosité de ces derniers redouble dans la sinfonia XII (Follia), où les attaques se font de plus en plus rapides, jusqu’à l’étourdissement, déclenchant les applaudissements enthousiastes du public.

Notons tout particulièrement la mise en espace réalisée pour la sinfonia IV (Capriccio) de Reali, qui démarre sur les notes fluides et nerveuses du clavecin de Justin Taylor, auquel répondent depuis le fond du chœur les attaques du violon de Théotime Langlois de Swarte, qui rejoint insensiblement le devant de l’estrade, avant que lui réponde Sophie de Bardonnèche depuis un des bas-côtés, qui rejoint à son tour ses collègues dans une brillante démonstration virtuose, elle aussi largement applaudie. Le Larghetto du Concerto en ré majeur de Bach offre une nouvelle démonstration du talent de Justin Taylor au clavecin, bientôt rejoint par le reste de l’ensemble, qu’il entraîne dans des attaques d’une impressionnante virtuosité.

Soulignons aussi la qualité du lien créé avec le public, à travers les présentations des morceaux et des compositeurs effectuées en quelques mots par Théotime Langlois de Swarte, toujours empreintes d’une touche d’humour complice.

Devant l’enthousiasme des spectateurs, et suite à plusieurs rappels, les artistes donnent en bis l’air de Sesto L’aura che spira (extrait de Giulio Cesare, et figurant dans l’enregistrement Royal Haendel). L’air est d’abord enlevé sur un tempo très rapide, qui montre à nouveau toute la virtuosité des violons ; à la reprise, plus posée, Eva Zaïcik nous régale d’une ornementation particulièrement soignée.

(Vous retrouverez sous ce lien l’ensemble des concerts de la saison musicale des Invalides.)



Publié le 11 avr. 2023 par Bruno Maury