King Arthur - Purcell

King Arthur - Purcell ©Jean-Claude Cottier
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Le triomphe du bon roi Arthur à l’heure du Brexit

Après le Fairy Queen de la veille (lire notre compte-rendu) ce King Arthur du même Henry Purcell clôt en fanfare le 37ème Festival d’opéra baroque et romantique de Beaune. On y retrouve Paul McCreesh à la tête de l’ensemble Gabrieli Choir, Consorts & Players, et la plupart des solistes de la veille. Comme The Fairy Queen, King Arthur est un semi-opéra, un ensemble de musiques de scène destinées à prendre place au sein d’une pièce de théâtre. Mais ici l’univers enchanté et symbolique du Songe d’une nuit d’été fait place à une vieille légende nationale, celle du roi Arthur. Ce choix s’explique sans doute par la volonté d’exalter les racines communes d’un peuple fortement affecté par les conflits internes qui l’ont miné tout au long du XVIIème siècle : affrontements religieux et soulèvements populaires (avec le sombre épisode de la dictature de Cromwell et de ses Puritains, qui avait pour un temps écarté les représentations de spectacles dans le pays), et bouleversements dynastiques (l’éviction du catholique Jacques II en 1688 au cours de la Glorieuse Révolution, et son remplacement par Guillaume d’Orange, qui régnera sous le nom de William III). Ce dernier s’intéresse d’ailleurs assez peu à la musique, et c’est ce qui va pousser Purcell, musicien de la Cour, à s’orienter vers des musiques de scène. Il le fera d’autant plus aisément qu’il a été formé auprès de Matthew Locke (c. 1621 – 1677), père de l’opéra anglais, qui composa notamment La Tempête (1674) et Psyché (1675).

King Arthur puise dans les mythes britanniques pour mieux célébrer le trône des Stuart. Pour mieux exalter encore l’esprit national, Purcell et Dryden (son librettiste) n’hésitent pas à s’inspirer aussi des musiques populaires et représentations théâtrales qui circulent dans le pays, souvent teintées d‘un humour goguenard. Les spectateurs peuvent ainsi s’identifier encore plus aisément aux protagonistes de l’intrigue, dont les comportements leur sont familiers. L’intrigue de King Arthur mêle donc allégrement personnages mythologiques (dieux et déesses, nymphes et sirènes) et personnages du peuple (soldats ou paysans, en général réunis dans des chœurs), tous unis dans une savoureuse fraternité nationale. La grande tirade de Vénus Fairest isle (La plus belle des îles), au dernier acte, célèbre ainsi l’Angleterre sur un mode aristocratique ; elle suit le frustre et gaillard chœur des Paysans (Old England) qui a le même objet.

Côté orchestral le Gabrieli Consort s’appuie toujours efficacement sur des cordes rondes et nerveuses, des guitares qui apportent un relief marqué dans certaines pages (à l’ouverture, ou dans certains airs), et des hautbois virtuoses (en particulier dans la magnifique partie de solo exécutée par Christopher Palameta et Hannah McLaughlin qui précède l’appel des Bergères Sheperd, sheperd). Les trompettes naturelles de Jean-François Madeuf et Graham Nicholson brillent de tout leur éclat, se distinguant aisément par leur moelleux des instruments modernes aux notes plus sèches. Paul McCreesh accentue légèrement les contrastes entre les rythmes lents et rapides, ce qui renforce indiscutablement le brio de ces derniers. Sa ligne orchestrale pleine de relief nous propulse ainsi dans cette vaste légende, retracée ici en quelques tableaux, jusqu’à l’apogée du cinquième acte, qui a des allures de fête nationale. Il interrompt d’ailleurs ses musiciens après les premiers chœurs des Paysans échangés avec Comus (et qui vantent les spécialités nationales : pudding, bières) pour déclarer à la cantonade (dans un français teinté d’une pointe d’accent britannique) qu’en cette Bourgogne viticole le public attend autre chose. Il lance ainsi le savoureux chœur Old England, Old England, dans lequel les chanteurs agitent drapeaux britanniques et européens mêlés, en ces temps de Brexit… Le clin d’œil est on ne peut plus clair, et ravit le public, qui éclate en rires et applaudissements !

Du côté des interprètes, le plateau est en pleine forme, les mimes et déplacements prennent encore plus de place que la veille, et cette version de concert est vivante à l’égal d’une version scénique. Les trois sopranos se complètent de manière quasi-parfaite. Jessica Cale et Charlotte Shaw, enjouées et moqueuses, nous livrent un désopilant duo des Bergères à l’acte II (Sheperd, sheperd). Elles se muent à l’acte IV en séduisantes sirènes dans un duo élégiaque (Two daughters) où s’entrelacent des aigus perlés du plus bel effet. Cupidon plein de fraîcheur à la pointe de malice, Rowan Pierce vient de son timbre cristallin secouer énergiquement le Froid à l’acte III (What ho !), puis éveiller ses collègues du chœur en leur insufflant sa chaleur : effet théâtraux particulièrement réussis ! Retenons encore sa trépidante incarnation de Vénus vantant avec une ingénue fraîcheur les beautés de la Grande-Bretagne insulaire (Fairest isle).

La basse Ashley Riches recroqueville sa haute stature pour mieux figurer un Froid rabougri et immobile, comme congelé. Son fameux air What power art thou, semé de graves caverneux, est interprété tout en nuances, comme un Froid peinant à s’extirper de son engourdissement mortel, infiniment plus crédible que les interprétations généralement de mise dans les récitals. Il retrouve toute son impétuosité pour la percutante apostrophe d’Eole, au cinquième acte (Ye blust’ring). Marcus Farnsworth emplit ses rares interventions solo (essentiellement dans les deux premiers actes, en prêtre puis en berger) de graves souples et ronds.

Du ténor Jeremy Budd on retient le sonore et vigoureux appel I call you all (en prêtre, à l’acte I), la douce et rêveuse complainte How happy the lover (rythmée par les guitares, qui renforcent l’atmosphère madrigalesque), et surtout la magistrale proclamation de l’Honneur (Saint George, the patron of our isle), appuyée par les trompettes et les guitares. Son compère James Way brûle à nouveau les planches à chacune de ses apparitions. Il se montre impérial dans le récit de la victoire qui conclut le premier acte, en alternance avec le chœur et appuyé de trompettes resplendissantes. Au second acte il se mue en berger rêveur, assis sur le rebord de l’estrade et animé d’une pointe d’ironie qui souligne le caractère convenu de la scène (How blest are sheperds). Au cinquième acte il insuffle encore une pointe d’humour bienvenue dans le trio patriotique For folded flocks, aux côtés de Budd et Farnsworth.

Paul McCreesh nous a rondement mené jusqu’au terme de la légende d’Arthur, et sans surprise le public en redemande ! Après des applaudissements nourris et plusieurs rappels, l’orchestre reprend quelques mesures de l’ouverture, suscitant de nouveaux applaudissements. Précisons également que l’ensemble vient de réaliser un enregistrement, qui devrait sortir dès octobre : les amateurs de Purcell qui auront manqué ce concert n’auront alors aucune excuse pour ne pas participer aux réjouissances du roi Arthur, et entonner en chœur le Old England !



Publié le 12 août 2019 par Bruno Maury