Misteria Paschalia, édition 2023

Misteria Paschalia, édition 2023 © Adrian Pallasch
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Le répertoire français à l’honneur

Le festival Misteria Paschalia, 20 ans déjà !
Du 4 au 9 avril s’est déroulée le premier volet de la vingtième édition de Misteria Paschalia, prestigieux festival voué au répertoire de la musique baroque. Cette date anniversaire marque l’histoire de cette manifestation exceptionnelle, ponctuée de magnifiques concerts donnés dans des lieux patrimoniaux, églises, salle philharmonique, opéra. Pour célébrer cet événement, le festival a mis à l’honneur les aspects essentiels qui définissent son identité et son orientation artistique depuis sa création dans une double perspective : offrir au public des interprétations nouvelles d’œuvres connues du répertoire baroque mais aussi proposer des découvertes puisées dans le registre sacré en relation avec l’esprit de la Semaine Sainte et des fêtes pascales chères au cœur des Polonais, très attachés aux traditions religieuses.

Des choix musicaux exigeants
Nous savons que la Pologne a toujours manifesté de l’admiration pour l’art et la culture françaises. Aussi pour cette édition, la musique française du XVIIe siècle a-t-elle été mise à l’honneur. Les programmateurs ont invité avec un soin particulier ce que la planète baroque compte d’excellence parmi les ensembles rompus à ce répertoire. Les choix se sont imposés par un souci constant de perfection tant par la qualité des œuvres produites en concert que par le haut niveau artistiques des musiciens conviés.

Cracovie, ville d’art et de culture
Le festival Misteria paschalia renforce l’image d’une ville véritable foyer culturel. En effet, Cracovie est l’une des plus anciennes cités d’Europe dont l’histoire est perceptible au fil des promenades le long des rues Grodzka ou Kanonicza. Son patrimoine artistique, la richesse de ses musées émerveillent. Celui des Princes Czartoryski, superbement rénové conserve dans ses collections deux chefs-d’œuvre absolus : la précieuse Dame à l’hermine de Léonard de Vinci et le Paysage avec le bon Samaritain de Rembrandt. Dans la pittoresque rue Kanonicza, le palais de l’évêque Erazm Ciolek renferme un ensemble de premier ordre d’icônes, d’objets de culte et d’art polonais du XIIème au XVIIIème siècle. Couvents, églises décorées de fresques et de vitraux Art nouveau dont ceux, admirables, conçus par l’immense artiste Stanislas Wyspianski (1869-1907) figure majeure du mouvement Jeune Pologne, comblent l’amateur d’art. Fondé en 1364 par Casimir le Grand, le superbe Collegium Maius, où Nicolas Copernic étudia, fut la deuxième université créée en Europe centrale après celle de Prague. Son prestige continue à attirer les étudiants pour y suivre des cours à l’ombre du grand homme de science.

Aujourd’hui, la vie culturelle à Cracovie est foisonnante. Avec le soutien du ministère de la Culture, de la mairie et de son maire, assisté de Robert Piaskowski, brillant conseiller chargé des affaires culturelles. Le Bureau des Festivals mène une politique active et organise de nombreux événements culturels qui témoignent de la vitalité de cette capitale historique, culturelle et universitaire qui a été depuis le Moyen Age un pôle d’attraction pour les savants, les artistes et les étudiants, une ville ouverte qui a accueilli migrants et Juifs chassés d’autres pays européens. Cracovie moderne allie avec bonheur ce riche héritage venu du passé et un présent avide de créativités en privilégiant tous les domaines liés à la culture. Festivals, colloques, rencontres, expositions ponctuent l’année tandis que théâtres, cinémas, maisons d’opéra, salles de concert, accueillent un public nombreux et diversifié.

La cité ancienne est entourée d’une ceinture végétale qui remplace les remparts du Moyen Age, détruits au XIXème siècle. Il faut franchir cette bande de verdure pour accéder au cœur historique de la cité. Le Rynek, vaste place médiévale du marché bordée de belles demeures Renaissance est traversé par la Halle aux draps occupée aujourd’hui par des échoppes de souvenirs et d’ambre. La majestueuse église Notre-Dame veille à l’ombre de la place. Outre les somptueux éléments gothiques, les fresques et les vitraux de Jan Matejko (1839-1893), célèbre peintre polonais et de ses élèves, Mehoffer et le merveilleux Wyspianski qui a désormais son musée, elle contient le célèbre retable réalisé au XVème siècle par Veit Stoss, immense polyptyque en bois sculpté, peint et doré d’une qualité exceptionnelle.

Le visiteur est séduit en découvrant cette ville, véritable joyau blotti dans les méandres de la Vistule et dominé par la colline du Wawel couronnée par l’imposant château royal qui contient une collection unique de tapisseries Renaissance et la cathédrale de Cracovie, panthéon des rois et des hommes illustres. L’ensemble architectural gothique et renaissant que présente les quartiers historiques de Cracovie ont été épargnés par les désastres des guerres alors que le quartier juif de Kazimiertz a été très éprouvé pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais l’esprit positif et la vitalité des Cracoviens ont su transformer des bâtiments liés aux temps de malheur en espaces de culture et de beauté. Ainsi, une partie de l’ancienne usine Schindler a été aménagée pour évoquer l’occupation de Cracovie par les nazis de 1939 à 1945, les persécutions et l’extermination des Juifs, bouleversant ! Une autre partie a été transformée en musée d’art contemporain, le Macak, qui a été inauguré durant l’été 2011 et représente le plus grand investissement pour l’art en Pologne. Une surface de 10 000m2 a été aménagée par deux architectes italiens, Claudio Nardi et Leonardo Maria Proli qui ont fait un bel usage du verre et de l’acier pour accueillir dans de superbes volumes les œuvres des artistes polonais et internationaux.

Charpentier, Marin Marais et l’ensemble Cohaere
Le 5 avril, en ce Mercredi Saint dans la belle église Sainte Catherine d’Alexandrie le concert de la soirée était assuré par l’Ensemble Cohaere. Fondée en 2019 par de jeunes musiciennes complices qu’un goût partagé pour la musique française de l’époque baroque a réunies, cette formation s’est fait remarquer en France (voir le compte-rendu de mon confrère). L’ensemble a été lauréat en 2021 du Concours international de Musique ancienne du Val de Loire. Le programme de la soirée s’est attaché à offrir au public venu nombreux deux représentants de la grande tradition française : Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) et Marin Marais (1656-1749).


L’ensemble Cohaere © Łukasz Zyska

De Marc-Antoine Charpentier, les Leçons de Ténèbres, chef- d’œuvre de la musique sacrée où l’art du chant se marie avec un sens des récitatifs fortement expressifs assurés par la basse Joel Frederiksen, accompagnés de viole, violons, violoncelle, flûte, luth, de clavecin et d'orgue. D’une écriture riche aussi variée que raffinée, ces harmonies subtiles ont été servies par des musiciens talentueux, familiers de ce répertoire et soucieux de restituer une interprétation juste et fidèle du style français pour créer l’atmosphère propre à la Semaine Sainte destinée à commémorer les épisodes de la Passion du Christ. Au cours de l’office de Ténèbres, l’extinction progressive des lumières accompagnant la fin de la cérémonie pour laisser place à l'obscurité, symbolise l'abandon de Jésus par ses disciples.

Des six Suites pour flûte, violon et dessus de viole que Marin Marais, un compositeur cher à l’Ensemble, a écrites en 1692 pour la Chambre du roi, deux pièces, le Trio en sol mineur et le Trio en si bémol majeur ont été interprétées tout en nuances expressives, parfaitement articulées avec grâce et légèreté en clôture de concert.

Découvrir Michelangelo Falvetti
La vaste fresque Il Diluvio universale, oratorio de Michelangelo Falvetti (1642-1692) a résonné dans la salle de la Philharmonie le 6 avril. Cette œuvre, représenté pour la première fois à Messine en 1682, est tombée rapidement dans l’oubli pendant des siècles. Jusqu’à ce que le musicologue italien Nicolò Maccavino retrouve la partition en 2002 dans les archives enfouies dans la bibliothèque de Messine, ville où Falvetti est décédé. Elle a été rééditée, interprétée puis enregistrée dans le cadre du Festival d’Ambronay en 2010 par l’orchestre Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur, dirigés par le chef argentin Leonardo Garcia Alarcón, toujours disposé à explorer de nouvelles partitions (lire cette chronique). Depuis, Il Diluvio est donné en concert dans de nombreuses salles en Europe et au-delà, dans le monde. Cracovie aura été une nouvelle étape sur le chemin du succès d’une œuvre qui a révélé le talent de son auteur. Falvetti, né en Calabre, fut un compositeur prolifique et reconnu de son temps, en particulier en Sicile, à Messine où, maître de chapelle de la cathédrale, il a développé son activité. Il a composé de la musique sacrée, messes, psaumes, oratorios à sujet biblique mais aussi des pièces profanes.


Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur © Katarzyna Kukiełka

Le livret écrit par Vincenzo Giattini pour le Diluvio, que la partition de Falvetti adapte quelque peu, emprunte son sujet au récit biblique (Livre de la Genèse, chapitre 7, versets 1 à 12) qui relate le Déluge, un châtiment divin dont la cause est la mauvaise conduite des hommes.

L’oratorio se développe en quatre parties (Au Ciel, Sur Terre, Le Déluge et Dans l'Arche de Noé), qui conjuguent des effets d’une grande théâtralité avec les accents d’une intense foi religieuse incarnée par la Justice divine (rôle de contralto). Les quatre éléments, l’Eau, la Terre, l’Air, le Feu représentent les figures allégoriques de l’univers sur lequel règne la volonté divine. Noé (ténor), son épouse Rad (soprano) sont les héros partagés entre crainte et terreur qui frappent les humains dont la nature, vouée à la mort à la suite du péché originel, est marquée par le mal, jusqu’à ce que la bonté divine accorde une paix à l’arche de Noé et à ses survivants.

Le chef Alarcón a dirigé avec énergie et passion cette partition sans théâtralisation excessive, mais a mis à vif toute l’acuité du drame en soutenant les voix des solistes et du Chœur de chambre de Namur, attentif aux couleurs à chaque pupitre de sa Cappella Mediterranea et à l’ engagement sans réserve de ces musiciens pour défendre une partition magnifique, émouvante, d’une écriture variée et toujours raffinée tant sur le plan instrumental que vocal. L’évocation de chaque moment du sort terrible réservé aux humains, déchaînement de la tempête, sentiments inquiets des hommes, troubles de la nature, tout en subtilités mélodiques et harmoniques, est saisissante.

Le plateau vocal, homogène, réunissait la soprano Mariana Flores (Rad), voix claire et lumineuse, le Noé du ténor Valerio Contaldo au timbre flatteur, la basse Matteo Belloto (Dieu), la soprano Cécile Achille (l’Eau), la soprano Ana Vieira Leite (la Nature humaine), le contre-ténor Alessandro Giangrande (la Justice divine) et enfin le baryton-basse Ilia Mazurov (la Mort). Un concert passionnant, qui n’a pas manqué de séduire un public enthousiaste.

L’Ensemble Correspondances sert le baroque français
Les festivaliers ont écouté à l’occasion de deux concerts l’excellent ensemble Correspondances, fondé par le claveciniste et organiste Sébastien Daucé. Le premier programme était centré sur la musique sacrée allemande du XVIIe siècle. De Dietrich Buxtehude (1637-1707), musicien luthérien de haute spiritualité, l’ensemble Correspondances a interprétée avec une ferveur communicative le Membra Jesu Nostri (Les membres de Jésus), cycle des sept cantates. Composées sur des poésies religieuses extraites d’un recueil médiéval dont l’auteur serait Arnulf de Louvain, un moine cistercien du XIIIe siècle, ces cantates, porteuses d’un univers mystique d’une beauté saisissante, déplorent une à une les plaies du corps souffrant de Jésus. Il faut noter qu’aux cinq plaies (les mains, les pieds et le flanc), Buxtehude en a ajouté deux, le cœur et le visage, sur des poèmes empruntés à d’autres auteurs.


L’ensemble Correspondances © Adrian Pallasch

Sous la direction précise et sensible de Sébastien Daucé qui connaît ce répertoire sur le bout des doigts, les musiciens ont apporté toutes les nuances aux articulations et au rythme des cantates, partie instrumentale, concert vocal pour tisser ensemble une matière musicale intense. Ces qualités musicales de l’ensemble se sont retrouvées dans l’exécution de la superbe cantate Da Jesus an dem Kreuze stund (Quand Jésus se tenait près de la croix) d’Henrich Schütz (1585-1672), un maître de la musique sacrée qui fut l’un des premiers à explorer la thématique des Sept dernières paroles de Jésus sur la croix sur un texte de Johann Böschenstein (1472-1540). Entouré des deux larrons crucifiés à ses côtés, ces paroles sont rapportées par l’Evangéliste. Sur le mode d’un hymne luthérien de la Passion de Jésus, la musique dramatise les paroles de Jésus, le texte est encadré par une introduction suivie d’une sinfonia, puis en symétrie d’une sinfonia et d’une conclusion empreinte de méditation. De Schütz toujours, la cantate Mit Fried und Freud ich fahr dahin (Je pars maintenant dans la paix et la joie) est un hymne composé sur un texte de Luther ( 1524). Au dolorisme succède l’espoir qu’offre l’acceptation joyeuse de la mort pour rencontrer dans l’au-delà le Sauveur, foi en la lumière divine salvatrice qui éclaire l’homme et les peuples.

Dans sa programmation, Misteria Paschalia aime les contrastes et la diversité des registres. Dans le décor fabuleux de la stupéfiante chapelle creusée au fond de la mine de sel de Wieliczka, ornée de bas-reliefs sculptée à même le sel, un concert était dédié à la musique à la cour de Louis XIII par Sébastien Daucé à la tête de son ensemble Correspondances. En ce début du premier XVIIe siècle, la musique est présente au quotidien à la cour, rythmant la vie et les activités, offices religieux, cérémonies, fêtes et divertissements des souverains et des courtisans. Elle assure également le prestige politique de la monarchie et son identité comme affirmation du pouvoir royal, de sa puissance et de son rayonnement. Ainsi, la cour a entretenu un corps de musiciens, passé des commandes afin d’avoir à disposition les musiques et les interprètes pour les jouer. Le concert a offert un panorama de compositeurs qui ont travaillé au service de la cour : Antoine Boësset, Pierre Guédron, Louis Couperin, Jacques Champion de Chambonnières, Michel Lambert, François de Chancy. Des découvertes réjouissantes pour le public polonais.

Mozart et ses contemporains
Les festivaliers ont retrouvé la salle de la Philharmonie Karol Szymanowski en cette soirée du dimanche pascal. Christophe Rousset, à la tête de son ensemble Les Talens Lyriques, a dirigé un concert d’une grande beauté musicale dédié à Mozart (1756-1791) et ses contemporains : Giuseppe Sarti (1729-1802), compositeur d’opéras célèbre de son temps dont Mozart appréciait la musique, qu’il cite dans le deuxième thème du finale de Don Giovanni et qu’il rencontra à Vienne en 1784, Joseph Haydn (1732-1809), ami très proche et musicien admiré de Mozart, Vicente Martin y Soler (1754-1806), espagnol de naissance mais italien de cœur, auteur de nombreux ouvrages pour la scène - Mozart cite sa musique dans le premier thème de la scène finale de Don Giovanni (1787) – et enfin Antonio Salieri (1750-1835), compositeur prolixe, connu pour sa rivalité supposée avec Mozart.


Benjamin Appl et Les Talens Lyriques © Łukasz Zyska

Un florilège judicieusement choisi d’airs de concerts ou d’extraits d’opéra, interprétés par Benjamin Appl, baryton exceptionnel, voix longue et souple, au timbre clair, nimbé de lumière dans les aigus et d’une belle intensité dans les graves, une ligne de chant empreinte de noblesse qui se déploie dans un phrasé expressif, prononciation et projection toujours attentives au texte, dont Benjamin Appl restitue les nuances avec délicatesse. L’invitation à un voyage à travers ces belles pages vocales a été entrecoupée par l’Ouverture de La Clémence de Titus, opéra créé en septembre 1791 à Prague et la Symphonie n°36 en ut majeur, dite Linz de Mozart. De facture classique, composée en 1783, elle se développe en quatre mouvements (Adagio/ Allegro spiritoso/ Andante/ Menuet presto) qui s’enchaînent mélodieusement selon des modes traversés d’ombre et de clarté, de joie et d’inquiétude. La direction souple et raffinée de Christophe Rousset a offert à ces partitions une lecture limpide, essentielle, en soutenant l’équilibre entre les différents pupitres, en ménageant les contrastes et les couleurs avec une grâce et une poésie toute mozartienne.



Publié le 12 mai 2023 par Marguerite Haladjian