Orlando furioso - Vivaldi

Orlando furioso - Vivaldi © Teatro La Fenice
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Une distribution très engagée

Situé au cœur de Venise, le Teatro Malibran est l'un des joyaux de la scène théâtrale italienne. Ce théâtre historique a une riche histoire et a été le lieu de nombreuses productions musicales prestigieuses au fil des ans. Notamment, le Teatro Malibran a attiré l'attention grâce à la création de l'opéra Agrippina de Georg Friedrich Haendel en 1709, qui a également écrit de la musique pour les livrets d’Orlando et d’Alcina (voir ma chronique). Connu comme Teatro San Giovanni Grisostomo au temps de Haendel, le Teatro Malibran a également célébré l'héritage musical de Venise en mettant en avant les œuvres du célèbre compositeur vénitien Antonio Vivaldi au cours des dernières années. Vivaldi, l'un des musiciens les plus influents de l'époque baroque, a vécu et travaillé à Venise, et sa musique est étroitement liée à la ville.

Les œuvres de Vivaldi ont une histoire intéressante de représentations à Venise. Initialement, elles étaient souvent jouées dans des théâtres plus petits et plus intimes de la ville, reflétant ainsi la fugace popularité du compositeur auprès du grand public vénitien, surpassé par Porpora et Scarlatti notamment. Ces petits théâtres ont contribué à propager la renommée de Vivaldi et à faire connaître sa musique à un large éventail de spectateurs, notamment dans la classe moyenne et populaire.

Cependant, au fil des ans, et depuis sa redécouverte dans les années 1920 au Piémont, la musique de Vivaldi a également trouvé sa place sur des scènes plus prestigieuses, notamment le Teatro Malibran, qui est associé à l'aristocratie et à une expérience théâtrale plus raffinée. Le fait que les œuvres de Vivaldi soient désormais présentées au Teatro Malibran souligne l'appréciation continue de sa musique parmi les cercles culturels élites de Venise et au-delà.

Cette saison, la fondation La Fenice représente au public vénitien sa production d'Orlando furioso avec une distribution raffinée, spécialisée dans le baroque. Le public étant peu habitué à applaudir aux bons endroits, le chef d'orchestre Diego Fasiolis réclame un petit « applausino » après l'ouverture délicatement menée par l'Orchestre de La Fenice. L'une de ces caractéristiques les plus remarquables était évident dans les rythmes et les variations rafraîchissantes des intermezzi instrumentaux. Ces courtes pièces musicales, généralement jouées entre les actes d'opéras ou de ballets, offrent une pause bienvenue dans l'action dramatique tout en maintenant l'engagement du public. Les musiciens de l'Orchestre de La Fenice ont excellé dans l'interprétation de ces intermezzi, utilisant leur expertise technique pour apporter une variété de nuances et d'émotions à la musique. Les rythmes vifs et les variations subtiles créent une expérience auditive immersive, transportant les auditeurs dans l'univers sonore de chaque intermezzo.

En incarnant Angelica, Michela Antenucci a contribué à rendre hommage à l'héritage de ce classique du répertoire vivaldien et à enrichir l'expérience théâtrale pour les spectateurs. Elle a fait preuve d'une passion et d'un dévouement exceptionnels envers son art, créant ainsi des moments inoubliables sur scène comme Un raggio di speme. Avec sa voix puissante et expressive, ainsi que sa capacité à se fondre dans le personnage d'Angelica, elle a su donner vie à ce rôle de manière exceptionnelle. Sa présence sur scène est magnétique, captivant le public et le transportant dans l'univers émotionnel du personnage. Elle a su interpréter avec brio les tourments et les dilemmes moraux auxquels Angelica est confrontée, tout en offrant des performances vocales remarquables.

Remplaçant Lucia Cirillo (souffrante) à la dernière minute, depuis la fosse et avec l'aide d'une comédienne sur scène, Vivica Genaux a relevé ce défi avec brio. Sa voix agile et expressive a parfaitement exprimé la séduction enchanteresse d'Alcina (Alza in quegl'occhi amore l'impero) ainsi que les moments de vulnérabilité et de désespoir du personnage (Così potessi anch'io). Sa présence sur scène était magnétique, captivant le public et l'emportant dans l'histoire complexe et envoûtante de l'opéra. En tant qu'interprète, Vivica Genaux a su non seulement maîtriser les aspects vocaux exigeants de ce rôle, mais elle a également apporté une profondeur psychologique au personnage d'Alcina, permettant au public de s'identifier et de se connecter émotionnellement à ce personnage ambigu. Compte tenu de ses talents théâtraux avérés (voir ma chronique), il est dommage qu’on n’a pas eu le plaisir de la voir sur scène.

De son côté, Luca Tittoto a su incarner Astolfo avec une maîtrise remarquable. Sa voix puissante et expressive a permis de transmettre les émotions et les défis auxquels fait face ce personnage complexe (Costanza tu m'insegni). Sa présence sur scène a ajouté une dimension supplémentaire à l'interprétation, captivant le public et l'emportant dans l'univers de l'opéra. En tant qu'interprète, Luca Tittoto a apporté une profondeur psychologique à Astolfo, rendant le personnage plus humain et plus accessible pour le public, avec des instants amusants, comme l'air cavalier Benché nasconda.

Le personnage de Medoro apparaît dans plusieurs opéras baroques, notamment dans des œuvres inspirées du poème épique Orlando Furioso de Ludovico Ariosto. Medoro est souvent représenté comme un jeune homme noble et romantique, épris d'amour pour une héroïne, ce qui exige une interprétation à la fois passionnée et nuancée. Laura Polverelli a relevé ce défi avec succès. Sa voix expressive et son talent pour exprimer les émotions ont permis de donner vie au personnage de Medoro de manière exceptionnelle. Elle a su transmettre la tendresse, la passion et la vulnérabilité de ce personnage de manière convaincante, créant ainsi une connexion émotionnelle forte avec le public (Qual candido fiore).

Sonia Prina est reconnue comme l'une des grandes interprètes de l'opéra baroque, et son rôle en tant que Ruggiero est un exemple exceptionnel de son talent et de son engagement envers son art. Cependant, son interprétation d’Orlando manquait un peu de concentration cette nuit-là. Même si elle avait chanté cette production au cours des saisons précédentes, elle semblait un peu mal à l'aise avec les accessoires de scène. En particulier, l'air le plus connu de la soirée Nel profondo cieco mondo a été une véritable déception. En gravissant le globe sur scène (une référence à l'histoire originale de l'Arioste), son manque de souffle était trop évident.

Kangmin Justin Kim est reconnu comme l'un des talents émergents dans le monde de l'opéra baroque, et son rôle en tant que Ruggiero est un exemple exceptionnel de son talent et de son engagement envers son art. Bien que sa présence sur scène ait été relativement courte, il a quand même pu récompenser le public avec un très doux, calme et apaisant Sol da te mio dolce amore. Sa présence scénique a ajouté une dimension supplémentaire à l'interprétation, apportant une profondeur psychologique au personnage, rendant ses luttes et ses triomphes plus tangibles pour le public.

Le lieto fine attendu est apportée par chœur de la Fenice (Vien dal cielo in noi l'amore) clôturant cette production classique et fidèle de Fabio Ceresa.



Publié le 03 oct. 2023 par Pedro Medeiros