Semele - Haendel

Semele - Haendel © Festspiele 2023: Int. Händel-Feststpiele Göttingen | Alciro Theodoro da Silva
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Une vision colorée du mythe grec

Personnage de la mythologie classique, Sémélé a captivé le public par son allure et sa puissance dramatique : une princesse mortelle, qui s'empêtre dans une affaire périlleuse avec le dieu Jupiter, conduisant à sa disparition tragique. L'opéra de Haendel a habilement donné vie à ce conte mythologique, mettant en évidence les complexités du désir humain et de l'intervention divine. À travers sa musique et son livret, Haendel a magistralement dépeint l'agitation intérieure de Sémélé, sa poursuite incessante de la passion et sa chute ultime. La composition de Haendel constitue un témoignage de son génie artistique et de sa capacité à tisser des récits convaincants à partir de mythes intemporels, captivant le public par leur intensité dramatique et leur profondeur émotionnelle, en nous faisant revivre le voyage tragique de l'histoire d'amour malheureuse de Sémélé. A l’époque de Haendel, Semele n'a toutefois pas connu plus de quatre représentations.

Comme Hercules (voir ma récente chronique), Semele occupe une place singulière dans l’œuvre de Haendel, « à la manière d'un oratorio », brouillant les frontières entre opéra et oratorio. Bien que traditionnellement classé comme un oratorio, Semele présente de nombreuses caractéristiques de l'opéra, ce qui rend sa classification quelque peu ambiguë. Les oratorios constituaient généralement des œuvres sacrées jouées en concert, tandis que les opéras bénéficiaient de productions scéniques. Cependant, Semele présente une structure narrative, des éléments théâtraux et un scénario dramatique qui rappellent étroitement l'opéra. L'œuvre comprend un livret avec des personnages à la psychologie développée, qui offre des possibilités de mise en scène élaborées, généralement associées aux productions lyriques. De plus, Haendel a composé plusieurs airs complexes et exigeants, loin de ses premières formules aux récitatifs aériens, mettant en valeur sa maîtrise de l'écriture vocale lyrique.

D'un autre côté, Semele comprend également des éléments qui la rapprochent d’un oratorio. Si l'histoire s'inspire de la mythologie classique, elle explore des thèmes moraux et allégoriques, s'alignant sur le sujet sacré habituellement rencontré dans les oratorios. De plus, l'inclusion de chœurs et l'absence d'action dramatique continue aligne davantage Semele sur les conventions de l'oratorio. La classification de Semele comme oratorio ou comme opéra dépend finalement de chaque production et de son interprétation. Semele peut être joué dans des salles de concert en tant qu'oratorio, mettant l'accent sur ses thèmes sacrés et moraux, tout comme dans des productions scéniques qui mettent en valeur ses qualités dramatiques et lyriques. L'intention de Haendel concernant cette œuvre reste un sujet de débat parmi les chercheurs, ajoutant à l'ambiguïté entourant sa classification. A Göttingen, l’œuvre est présentée en version scénique .

Poussée par l'ambition et le désir, Sémélé abandonne son amant mortel, Athamas, et se lance dans un périlleux voyage pour atteindre l'immortalité grâce à son union avec Jupiter. Cependant, sa nature mortelle s'avère incapable de résister aux pouvoirs divins de Jupiter, conduisant à sa disparition tragique. Le livret explore les thèmes de l'ambition, de l'amour et des conséquences d'aller au-delà de ses limites terrestres ; il sert finalement de récit édifiant sur les dangers de poursuivre des désirs interdits.

A la tête du FestspielOrchester Göttingen (orchestre du Festival de Göttingen), George Petrou ouvre la soirée dans un décor assez amusant, intelligemment comique avec des suspensions musicales en fonction de l’action. Les percussions ravissent nos oreilles. Les variations mélodiques et harmoniques des da capo offrent également une lecture très rafraîchissante de l'œuvre. Les passages orchestraux révèlent une lecture très contemporaine de la musique de Haendel, avec des rythmes vivants, relayés sur scène par la mise en scène sobrement satirique de Paris Mexis et des costumes exubérants, dont les protagonistes changent régulièrement. L’utilisation très méticuleuse des lumières développée par Stella Kaltsou souligne agréablement la mise en scène.

Le baryton Riccardo Novaro (Cadmus) lance l’action sur une ouverture cérémoniale très britannique (Daughter, obey). Il est un plus tard un Somnus au timbre chaud et lyrique, comiquement entouré par de moines asiatiques en méditation. Il affiche une clarté de timbre remarquable, qui lui permet de naviguer à la fois avec aisance dans les registres aigus et avec profondeur dans les notes graves (Leave me loathsome light). Le contre-ténor polonais Rafał Tomkiewicz incarne Athamas, avec un timbre mixte d'aigus et de graves, développant dans Hymen, haste, thy torch prepare une impressionnante descente dans les graves. Vers la fin, dans Despair no more shall bless me, sa voix présente des couleurs chaudes et sonores, tandis que son timbre vibrant s’impose à la texture orchestrale.

On retrouve Vivica Genaux pour le double rôle de Juno et Ino. Au passage, nous sommes impressionnés par son énergie et son agilité à passer avec une telle agilité de Déjanire à Junon/ Ino sur deux nuits consécutives !. Dans la mythologie romaine, Junon est la reine des dieux et l'épouse de Jupiter (ou Zeus en grec mythologie). Junon était considérée comme la déesse du mariage et de l'accouchement, ainsi que la protectrice de l'État romain et de son peuple. Elle était connue pour sa fierté et sa jalousie (encore une fois, une référence au chœur d'Hercule), en particulier en relation avec les infidélités de Jupiter. En revanche, Ino est décrite comme fair, en vieil anglais : esthétiquement belle.Une autre question à propos de Sémélé est de savoir si elle est traitée d’une façon fair. Car elle est le jouet de la manipulation de Juno, qui la rend envieuse.

La mezzo incarne la nature vengeresse et jalouse de la déesse. Le personnage de Junon est animé par un sentiment de trahison ; elle cherche à punir Sémélé pour son audace dans la poursuite d'une relation avec Jupiter. La présence de Junon ajoute une tension et un conflit dramatiques au récit, alors qu'elle devient un obstacle dans la quête de Sémélé pour l'immortalité divine. Le double rôle d'Ino/Juno offre un contraste intrigant entre les perspectives mortelles et divines, représentant l'interaction complexe entre les désirs humains et les conséquences de défier les dieux. Cela permet également à Vivica Genaux de représenter dynamiquement les deux personnages, mettant en valeur sa capacité à incarner à la fois des personnages compatissants et vengeurs au sein de l'opéra.Affublée d’une grande perruque rouge, dans une extravagance satirique des déguisements, Vivica Genaux montre ses excellents talents d'actrice dans Hence, Iris, hence away. Elle enchaîne les morceaux dans un changement permanent des costumes ; si bien déguisée que si je n'avais pas en tête sa voix du concert de la veille j’aurai peine à la reconnaître.


© Festspiele 2023: Int. Händel-Feststpiele Göttingen | Alciro Theodoro da Silva

Junon est servie par Marilena Striftombola, Iris à la tenue contemporaine d’hôtesse de l'air. La chanteuse grecque fait preuve dans son chant d'une technique et d'une musicalité irréprochables. Son phrasé est soigneusement conçu et elle navigue sans effort dans les lignes mélodiques complexes et l'ornementation vocale. Son souci du détail, combiné à son interprétation expressive, se traduit par des performances à la fois techniquement impressionnantes et émotionnellement expressives dans des airs comme There, from mortal cares retiring. Dans l’air de Cupidon, Come, Zephyrs, come, while Cupid sings, on aurait toutefois apprécié une meilleure maîtrise de la respiration.

Sémélé (Marie Lys), poussée par ses désirs ambitieux, adresse sa demande audacieuse à Jupiter (Jeremy Ovenden), le roi des dieux : elle aspire à être unie à lui en tant que divinité immortelle. Dans sa poursuite de la divinité, elle implore Jupiter de se présenter devant elle sous sa véritable forme divine, plutôt que sous son déguisement humain en tant qu'amant. La demande de Sémélé reflète son désir de transcender ses limites mortelles et d'atteindre un statut divin supérieur. Elle ne peut le soupçonner : son plaidoyer audacieux conduira finalement à sa chute tragique, car les simples mortels sont incapables de supporter le pouvoir et le rayonnement écrasants des dieux. Le ténor anglais incarne un dieu doux, dans Where'er you walk, alors qu'une nacelle baroque angélique descend sur scène. Un aspect notable de la voix d'Ovenden est son contrôle et sa technique impeccables. Il adopte une intonation précise, naviguant sans effort dans les lignes mélodiques et exécutant une ornementation vocale complexe. Son phrasé est sensible et nuancé, faisant preuve d'une musicalité aiguë et d'un souci du détail. En plus de ses prouesses techniques, la voix d'Ovenden dégage une expressivité captivante. Il a une capacité naturelle à transmettre un large éventail d'émotions, insufflant à ses performances profondeur et sincérité. Qu'il exprime de la tendresse, de la passion ou de la vulnérabilité, sa voix porte un véritable impact émotionnel, entraînant le public au cœur de la musique.

La soprano suisse adopte une colorature étonnante dans des airs comme Myself I shall adore, avec une expression très passionnée et ambitieuse, une détermination inébranlable à s'élever vers la divinité, même au prix de sa vie mortelle. De plus, dans No, no, I'll take no less, Marie Lys est très fougueuse et, refusant de se contenter de rien de moins que l’accomplissement de ses désirs, mettant l'accent sur sa poursuite inflexible de ses ambitions. L'accent britannique commence à s'estomper tard dans la nuit, mais les aigus répétés sont toujours là. Dans The morning lark to mine accords his note, la soprano interagit de manière très coordonnée avec le public en lui jetant des fleurs, une à une, en égrenant le mot distress.


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Le Kammerchor d'Athènes est très dynamique;il intervient régulièrement dans la grande partie des scènes de l’œuvre (prêtres et augures, amours et zéphyrs, nymphes et prétendants, serviteurs,...). Plusieurs chœurs mémorables enrichissent le paysage dramatique et musical de l'opéra. Le joyeux et exubérant Endless Pleasure de l'acte II célèbre les plaisirs de l'amour et du désir entre Sémélé et Jupiter, celle-ci descendant des cintres (Oh, terror and astonishment !) accompagnée d’un groupe, dans un final de cabaret de l'acte I. Le majestueux et festif Bless the Glad Earth ouvre l'Acte III, louant la beauté et la générosité du monde naturel. Un How Engaging, How Attaching charmant et léger dans l'acte III, exprime le plaisir des adeptes de Junon. A l'acte III, le poignant et obsédant Oh Sleep, Why Dost Thou Leave Me ? exprime le chagrin et la lamentation d'Ino face au destin tragique de Sémélé.

Sémélé dans une robe blanche ensanglantée suggérant un viol et des ballons qui éclatent nous amènent au chœur Oh terror, oh astonishment, dans un retour à la scène du début qui boucle l'action. L'épilogue de Happy, happy shall we’ll be voit la (re)naissance de Bacchus au milieu du champagne ! Tandis que la musique célèbre les réjouissances, Sémélé, tristement déçue, voit Apollon partir avec Cupidon, tandis qu’Athamas atterré est à ses pieds. Un final longuement applaudi !



Publié le 03 juin 2023 par Pedro Medeiros