Psyché - Lully

Psyché - Lully ©Laurent Brunner
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« C’est la Beauté qui commence de plaire, mais la Douceur achève de charmer »

La tragédie lyrique Psyché, créée le 19 avril 1678, constitue une sorte d’aboutissement de plusieurs œuvres antérieures auxquelles Lully avait été associé. En 1656, Lully et Boësset avaient composé la musique du Ballet de Psyché ou de la Puissance de l’Amour pour Isaac de Bensérade. En 1671, Molière et Pierre Corneille avaient écrit le texte d’une tragi-comédie augmentée de cinq intermèdes mis en musique par Lully, et donnée dans la Salle des Machines des Tuileries, sur une chorégraphie de Beauchamp et dans des décors à machines de Vigarani. La création rassemblait plus de 300 exécutants, auxquels s’ajoutaient 700 tambours et 80 canons ! Molière reprit ensuite la pièce au théâtre du Palais Royal, mais sans l’accord de Lully, ce qui entraîna leur brouille. En 1678 Lully reprit ses intermèdes mais commanda à Thomas Corneille un nouveau texte, afin de ne pas utiliser celui de Molière, qu’il mit entièrement en musique. La trame s’inspire de L’Ane d’Or d’Apulée (écrivain romain du IIème siècle) ; elle avait également inspiré à la même époque La Fontaine, qui composa Les Amours de Psyché et de Cupidon (1669). Bernard Le Bovier de Fontenelle (ou Le Bouyer de Fontenelle, plus généralement connu sous le nom de Fontenelle), neveu de Thomas et de Pierre Corneille, collabora également au livret. Rappelons qu’à l’époque Quinault (librettiste habituel de Lully, qui avait en particulier écrit les vers des divertissements de Psyché) était en disgrâce suite au quiproquo d’Isis (1677), où madame de Montespan avait cru se reconnaître en Junon. La collaboration entre Lully, Corneille et Fontenelle se poursuivit encore pour donner naissance à Bellérophon (1679), avant que Lully ne renoue finalement avec Quinault pour Proserpine (1680).

Au cours du prologue, Flore appelle Vénus et l’Amour à la rejoindre sur terre, qui jouit désormais de la paix offerte par « le plus puissant des rois ». Mais Vénus est jalouse de Psyché, et ordonne à son fils de la rendre amoureuse de l’époux le plus indigne afin de la punir. A l’acte I, Aglaure et Cidippe, les sœurs de Psyché, se réjouissent du départ du serpent qui terrorise les alentours. Ce serpent a été envoyé par Vénus afin de punir les habitants, qui ont osé comparer la beauté de Psyché à la sienne. Lychas annonce qu’un oracle a condamné à mort Psyché : c’est elle qui doit s’offrir au serpent pour l’apaiser. Les sœurs de Psyché sont anéanties par cette nouvelle, et au milieu d’une atmosphère funèbre une Femme désolée entame la douloureuse Plainte italienne. Le roi son père annonce à Psyché la douloureuse sentence. Pour protéger son peuple, Psyché accepte de se sacrifier et se dirige avec courage vers la montagne du sacrifice. Mais elle est enlevée par les Zéphyrs. L’acte II se déroule dans un palais commandé par L’Amour à Vulcain pour abriter Psyché des foudres de Vénus. L’Amour vient vérifier son avancement. Puis survient Vénus, qui a eu connaissance de ce projet : elle se querelle avec son époux Vulcain, qui lui rappelle dans des échanges moqueurs ses propres infidélités passées… Psyché s’éveille dans le palais achevé ; l’Amour lui apparaît sous les traits d’un mortel et elle en tombe immédiatement amoureuse. A Psyché qui eut connaître son identité, l’Amour lui demande de ne pas chercher à savoir qui il est, et de profiter des plaisirs du palais.

Au début de l’acte III Vénus pénètre à son tour dans le palais. Sous les traits d’une vieille servante elle offre à Psyché une lampe et la conduit dans la chambre de l’Amour. Immanquablement, celui-ci se réveille et s’enfuit, tandis que le palais se transforme en désert. Vénus se réjouit de cette issue et exige que Psyché aille chercher dans les Enfers le coffret où Proserpine abrite les philtres magiques qui augmentent sa beauté. Psyché veut se noyer dans le Styx mais le Fleuve refuse son sacrifice. L’acte IV se déroule aux Enfers : Psyché y est tourmentée par trois Furies (rôles chantés par des hommes), qui la conduisant ensuite devant Proserpine. Deux Nymphes lui remettent le coffret, en promettant d’apaiser la colère de Vénus ; elles conduisent Psyché hors des Enfers. A l’acte V Psyché, pensant retrouver sa beauté perdue lors de son séjour aux Enfers, ouvre le coffret de Proserpine. Les vapeurs nocives qui s’en dégagent lui sont fatales. Mais tandis que Vénus se réjouit de sa mort, Mercure annonce la venue de Jupiter : celui-ci confère l’immortalité à Psyché et l’unit à l’Amour.

Psyché occupe une place à part dans l’œuvre de Lully. Au plan musical on peut noter l’importance des divertissements, et la singulière Plainte italienne (en réalité un tout un fragment de scène chanté et récité en italien). L’opéra italien semble avoir également influencé le livret : les dieux animés par des sentiments très humains (la jalousie, la passion,…), qui se travestissent pour parvenir à leurs fins, n’hésitant pas à se déchirer dans de savoureuses querelles aux accents burlesques (la scène de jalousie entre Vénus et Vulcain) rappellent immanquablement les intrigues chères à Cavalli. Selon Le Mercure galant l’œuvre aurait été bien accueillie par le public. Si elle n’a connu que deux reprises à l’Académie royale de Musique, bien après la mort du compositeur (en 1703 et 1713), elle a été représentée à Lyon et en Allemagne (au théâtre de Wolfenbüttel). Autre indice de son succès, elle a également été parodiée dans les théâtres des foires parisiennes.

Après les récents enregistrements de Cadmus et Hermione et Isis, Christophe Rousset poursuit avec ferveur et ténacité son exploration du répertoire lullyste. Dès l’ouverture, nous sommes frappés par la maîtrise atteinte par Les Talens Lyriques : clarté et précision des différentes parties de l’orchestre, souplesse et moelleux des cordes, aux attaques incisives, confèrent expressivité et noblesse à la ligne orchestrale. Ces qualités brillent avec éclat dans les opulents divertissements, souvent rehaussés des percussions sonores mais raffinées (tambourins, castagnettes,…) de François Garnier. Dans les parties chantées l’orchestre se met avec ductilité au service des solistes, appuyant parfois les airs de solos enchanteurs (les flûtes qui précédent la première apparition de Psyché à l’acte I, ou son éveil dans le palais à l’acte II) ou du relief soudain pris par le clavecin dont s’est saisi le maestro lui-même, doublant avec force l’accompagnement dévolu au titulaire (Guillaume Haldenwang). Nous retiendrons aussi les courtes mais brillantes interventions de Jean-François Madeuf à la trompette dans la dernière partie de l’acte V.

Pour le plus grand plaisir de nos oreilles, la distribution vocale est pleinement à la hauteur de cette exigence orchestrale. Le timbre de la soprano Ambroisine Bré se pare de couleurs mates, appuyées par une diction soignée, qui confèrent à Psyché noblesse et émotion. La malheureuse héroïne affiche sa sombre résignation à écouter l’oracle qui ordonne son sacrifice, puis son désespoir lorsqu’elle découvre qu’elle est tombée dans la machination ourdie par Vénus ; son récit de la fin de l’acte III (Vous m’abandonnez) est particulièrement émouvant. Son implication est très forte lors de l’acte IV, qui s’ouvre sur sa grande invocation et l’air Vous que ces demeures affreuses. Le livret ne lui concède que quelques moments de court bonheur, qui éclate dans un charmant duo avec l’Amour (Ah qu’en amour, à l’acte II), et lorsqu’elle découvre son amant à la lueur de la torche (A la fin je vais voir). Mais son plus grand moment est incontestablement celui de la Plainte italienne, dans laquelle elle incarne avec brio une Femme affligée : le basculement inattendu vers la langue italienne , la douloureuse invocation (Deh ! Piangete) et les échanges rocailleux avec les deux Hommes affligés, la tension frémissante de l’orchestre en font un sommet d’émotion.

Bénédicte Tauran campe avec conviction cette Vénus à la fois hautaine et jalouse, implacable manipulatrice que suggèrent les paroles du livret. Son grand récit au début du troisième acte, où elle prépare sa vengeance, est d’une noirceur très réussie. Son acharnement se poursuit jusqu’au cinquième acte, où elle tente tout d’abord de résister au commandement de Jupiter transmis par Mercure (Ah ! qu’on me laisse ma colère), obligeant le roi des dieux à intervenir en personne. Nous avons aussi beaucoup apprécié son ironie cinglante lors de la scène de jalousie avec Vulcain, savoureux intermède comique dans cette implacable tragédie.

Deborah Cachet est Aglaure, sœur de Psyché, et Nymphe : son récit au début de l’acte I (Après un temps plein d’orage) s’appuie sur un phrasé fluide, tout à fait charmeur. Ses duos avec Eugénie Lefebvre (Cidippe, Nymphe) sonnent agréablement à nos oreilles : Ah qu’il est dangereux (premier acte), et surtout Chacun est obligé, qui conclut avec brio l‘acte II.

Du côté des hommes, Cyril Auvity nous régale amplement de ses aigus solaires dans les airs de l’Amour à l’acte II : un éclatant Me voir dans mon éclat c’est me perdre à jamais et un aérien Ce n’est point comme un dieu. Ajoutons-y également le magnifique duo avec Psyché mentionné plus haut, et ses courtes mais percutantes interventions en Vertumne (prologue) et en Mercure (acte V). Autre haute-contre de la distribution, Fabien Hyon confirme ici sa maîtrise du répertoire français, à travers un duo très réussi avec Vertumne au prologue (Rendez-vous, beautés cruelles), un entraînant duo des Zéphyrs au second acte (Aimez, aimez), et surtout dans le percutant trio des Furies de l’acte IV (Où penses-tu poser tes pas), dans lequel il contrefait avec malice son timbre pour l’emplir d’une noirceur grimaçante !

Au registre des tailles, Zachary Wilder interprète un Zéphyr qui dispense ses encouragements à Vulcain d’un ton enjoué aux accents charmeurs (Psyché mérite bien et Faites tout pour l’Amour). Son phrasé est élégant et ses aigus flatteurs. Les couleurs plus graves, la projection vaillante de Robert Getchell habitent avec conviction les ordres de Vulcain (Cyclopes, achevez ce sombre palais et Dépêchez, préparez ces lieux) ; elles manient aussi avec habileté l’ironie face à Vénus (Ah que l’amour est promptement guéri) dans la scène de jalousie qui les oppose. Son timbre vigoureux domine dans l’impressionnant trio des Furies.

Philippe Estèphe campe un Jupiter majestueux, dont la projection bien développée se détache nettement face aux imposantes parties orchestrales, dominées par les trompettes, qui accompagnent ses interventions au final de l’acte V (Aimez sans trouble et sans alarme). Retenons également l’engagement dramatique particulièrement convaincant de ses interventions en Homme affligé dans la Plainte italienne. Autre basse-taille de la distribution, Anas Séguin apporte la touche de solennité et de tristesse qui sied à Lychas (Vous allez voir augmenter les malheurs) puis au Roi (Dieux cruels) à l’acte I, pour l’annonce du prochain sacrifice de Psyché. A l’acte III son intervention en Fleuve se pare d’accents à la fois impérieux et protecteurs ; notons également sa bonne expressivité physique dans cette version de concert.

Nous attendons désormais avec impatience la sortie de l’enregistrement de cette belle production, qui étoffera le choix du mélomane par rapport à la seule version de Psyché actuellement disponible, dirigée par Paul O’Dette et Stephen Stubbs à la tête du Boston Early Music Festival Orchestra, enregistrée il y a maintenant quinze ans.



Publié le 21 févr. 2022 par Bruno Maury