Saul - Haendel

Saul - Haendel © Miklos Szabo
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Un drame religieux intense et théâtral

Bien que souvent classé comme un oratorio, Saul de Haendel transcende les limites traditionnelles de ce genre pour s'aventurer dans le territoire opératique. Composée en 1738, cette œuvre monumentale s'inspire du récit biblique du roi Saül et de son rival, le jeune David. Cependant, la richesse dramatique de la musique et la profondeur psychologique des personnages dépeints laissent entrevoir une expérience théâtrale d'une intensité rare. À l'époque où Saul fut créé, l'oratorio était un genre musical largement associé à la vie religieuse, destiné à être interprété lors de cérémonies liturgiques ou de commémorations. Cependant, Haendel, maître de l'opéra baroque, lui insuffla une vigueur et une expressivité dignes de ses plus grandes œuvres scéniques. Le choix de mettre en musique un sujet biblique aussi riche en émotions humaines que la jalousie, la vengeance et la folie démontre la volonté de Haendel d'explorer les profondeurs de la psyché humaine à travers la musique. Avec ses airs virtuoses et ses ensembles éblouissants, Saul défie les conventions de l'oratorio en offrant une expérience théâtrale d'une intensité saisissante.

La mise en scène captivante de Barrie Kosky offre une expérience opératique inoubliable, transportant le public dans un monde de splendeurs baroques. Un vrai théâtre de lumières, qui débute avec une immense tête décapitée sur scène. Son approche se veut à la fois ludique et satirique par rapport à la Bible, offrant une première partie colorée et une seconde en noir et blanc. Dans cette vision unique, Kosky jongle avec les éléments visuels pour créer un monde théâtral éblouissant et audacieux. L'utilisation de la couleur dans la première partie apporte une dimension de vivacité et d'énergie, tandis que le passage au noir et blanc dans la seconde partie pourrait symboliser un changement vers une atmosphère plus sombre et introspective.

Cette production du Festival de Glyndebourne, portée par des costumes somptueux et des tableaux pittoresques, nous narre cette histoire intemporelle de jalousie et de folie, mettant en vedette Christopher Purves dans le rôle de Saul et Morten Grove Frandsen dans celui de David. L'orchestre baroque Concerto Copenhagen apporte une dimension sonore authentique à l'ensemble. Lars Ulrik Mortensen, sous sa direction magistrale, insuffle à Saul une énergie captivante, ponctuée de cadences puissantes qui résonnent dans toute la salle. Sa maîtrise du rythme et de la dynamique donne à l'orchestre une vitalité exceptionnelle, transportant le public dans un voyage musical émotionnellement intense. Mais ce n'est pas tout : Mortensen lui-même, en tant qu'organiste émérite, ajoute une dimension supplémentaire à la performance. Sa virtuosité à l'orgue enchante les spectateurs, créant une atmosphère envoûtante qui souligne magnifiquement les moments clés de l'opéra.

Au cœur de Saul, le chœur occupe un rôle central, notamment dans des passages comme How excellent, où son expressivité brille de mille feux. Dans une scène marquée par la pompe baroque, le chœur est accompagné de danseurs, ajoutant une dimension visuelle éblouissante à sa performance. La grandeur de la musique se marie à l'élégance des mouvements, créant un spectacle époustouflant. Dans Welcome, welcome, mighty king !, le glockenspiel apporte une touche de féerie et de splendeur à cette pièce majestueuse. Avec ses notes cristallines et son timbre enchanteur, le glockenspiel évoque la grandeur et la magnificence de la scène, ajoutant une dimension de célébration et d'allégresse à l'arrivée du puissant roi. Plus tard, le chœur se métamorphose en une toile humaine pour incarner Envy, eldest born of hell, évoquant le souvenir du chœur de jalousie d'Hercules (voir ma chronique). Ce changement dramatique est accompagné d'un jeu de bougies, symbolisant les conséquences fatales de la jalousie et de l'envie. La lueur vacillante des bougies met en lumière la tension croissante de l'intrigue, créant une atmosphère sombre et mystérieuse qui plonge encore davantage le public dans la narration captivante.

Christopher Purves prend de manière saisissante le rôle torturé de Saul, notamment dans le récit accompagné Wretch that I am et l'accompagnato If Heav'n denies thee aid, seek it from Hell ! Dans ces moments intenses, le baryton anglais capture toute la détresse et la tourmente intérieure du personnage, révélant les profondeurs de son désespoir et de sa colère. Mais c'est dans le mot Hell (Enfer) que réside une puissance particulière. Prononcé avec un mélange de désespoir et de défi, ce mot résonne comme un appel désespéré à un pouvoir sombre et impie. Purves capture toute la gravité de cette invocation, faisant ressentir au public toute l'ampleur de la désolation de Saul, prêt à tout pour obtenir vengeance, même si cela signifie se tourner vers l'abîme de l'enfer. Avec une conviction impressionnante, il exprime la rage brûlante de Saul, déclamant avec véhémence contre ceux qui l'ont trahi. Dans le célèbre passage A serpent, in my bosom warm'd, Purves traduit la frustration et la trahison du roi déchu, révélant la complexité émotionnelle de son personnage.


Christopher Purves (Saul) © Miklos Szabo

Mirjam Mesak incarne avec une présence saisissante le personnage de Michal. Avec une voix d'une clarté cristalline et une expressivité émouvante, elle donne vie à la complexité de ce personnage biblique. Dans O godlike youth, la soprano estonienne expose la tendresse et l'admiration mêlées d'un soupçon de préoccupation pour son bien-aimé, exprimant les tourments et les espoirs de Michal de manière poignante. Son interprétation captivante révèle la profondeur de l'amour qu'elle éprouve pour David, ainsi que ses craintes pour son avenir incertain. Dans See, with what a scornful air, Mesak révèle une autre facette de Michal, celle de la femme blessée et méprisée. Avec une intensité émotionnelle palpable, elle dépeint la douleur et la frustration de Michal face au rejet de David, ajoutant une dimension tragique à son personnage. Grâce au talent exceptionnel de Mirjam Mesak, Michal prend vie sur scène avec une humanité saisissante, capturant à la fois sa force et sa vulnérabilité dans un tourbillon d'émotions passionnées.

Morten Grove Frandsen donne vie à David, personnage biblique avec une profondeur émotionnelle remarquable. Dans des airs tels que O king, your favours with delight et O Lord, whose mercies numberless, Frandsen captive l'auditoire avec une interprétation pleine de grâce et de sensibilité. Sa voix résonne avec une émotion authentique, transmettant la gratitude et la dévotion de David envers le roi et envers Dieu. Les cadences de harpe qui accompagnent ces airs ajoutent une touche de magie à la voix du contre-ténor danois, créant une atmosphère enchanteresse qui transporte le public dans l'univers poétique de l'opéra. Dans le duo d'amour O fairest / O lovely, Frandsen incarne avec brio la passion et la tendresse de David pour sa bien-aimée. Sa voix se mêle harmonieusement à celle de Mirjam Mesak, créant un dialogue émouvant et intense qui évoque les plus belles pages du théâtre shakespearien.

Dans What abject thoughts, Clara Cecilie Thomsen transmet avec conviction et sensibilité les tourments intérieurs de Merab. Sa voix puissante et expressive exprime toute la gamme des émotions, du désespoir à la colère en passant par la résignation. La soprano danoise dépeint la détresse et la frustration de Merab face à sa situation désespérée. Sa voix tremble d'émotion alors qu'elle exprime les pensées sombres qui tourmentent son esprit tourmenté. Dans Capricious man, in humour lost, Thomsen révèle la colère et l'amertume de Merab face à l'inconstance de Saul. Sa voix résonne avec autorité alors qu'elle affronte le roi avec courage et détermination.

Benjamin Hulett livre remarquablement le rôle de Jonathan. Dans ses airs Birth and Fortune et No, cruel father, no !, le ténor anglais captive l'audience avec une interprétation passionnée et intense. Sa voix expressive transmet une gamme d'émotions allant de la joie à la douleur, en passant par la colère. Dans le poignant passage With my life I must defend/ Against the world my best, my dearest friend, Hulett incarne la loyauté et le dévouement de Jonathan envers son ami David. Sa voix résonne avec une détermination inébranlable alors qu'il jure de protéger son ami à tout prix.

Thomas Cilluffo endosse les rôles d'Abner, du Grand Prêtre, de l'Amalekite et de Do'eg, sa polyvalence et son talent se démarquent. Son interprétation dynamique ajoute une profondeur et une intensité remarquables à chaque personnage qu'il incarne. Lorsque Samuel s'exclame Hath God forsaken thee ?, le ténor américain incarne magistralement la scène, apportant une dimension grotesque à l'émergence du prophète du sol. Sa présence captivante et son jeu expressif captivent l'attention du public, donnant vie à la confrontation dramatique entre les personnages. Dans le rôle de l'Amalékite, Cilluffo incarne avec une énergie palpable le personnage qui émerge au fond du parterre. Son jeu vibrant et son expression saisissante donnent vie à la scène, créant une atmosphère de tension et de suspense.

Alors que la tragédie atteint son paroxysme avec le chœur O fatal day, on ressent profondément la perte de Saül lors de la bataille contre les Amalékites. Enfin, lorsque David restaure l'épée et déclare Gird on thy sword, c'est une conclusion puissante à cette épopée biblique. Chaque moment de cette production exceptionnelle de Saul reste gravé dans les mémoires.



Publié le 28 mars 2024 par Pedro Medeiros