A la mode. L'art de paraître au XVIIIème siècle

A la mode. L'art de paraître au XVIIIème siècle ©Exposition A la mode. L'Art de paraître au XVIIIème siècle - Musée d'Arts de Nantes (44)
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Vêtements et séduction au XVIIIème siècle !

Le musée d'Arts de Nantes (anciennement musée des Beaux-Arts), a été créé, comme quatorze autres musées de province (dont celui de Caen que nous évoquions dans notre dernière chronique), par l’arrêté consulaire du 14 fructidor an IX (1er septembre 1801). Fermé en décembre 2011 afin d’effectuer des travaux d’expansion, sa réouverture au public date de juin 2017. Deux choses frappent le visiteur qui entre : le patio couvert d’une verrière ainsi qu’un monumental escalier à double volée permettant d’accéder au niveau supérieur. En ce qui nous concerne, nous nous dirigeons sur la droite. La personne qui nous accueille nous conseille de garder notre manteau car il ne fait pas chaud dans ces salles à la hauteur sous plafond impressionnante ! Deux brochures sont à notre disposition. La première présente succinctement le thème en nous invitant à nous « glisser dans la peau d’une fashion victime du 18ème siècle », explique l’origine des prêts des œuvres présentées, fournit toutes les infos concernant les rendez-vous à ne pas manquer autour de l’exposition. La seconde brochure explique le propos de celle-ci et sert de guide : un plan des quatre parties avec leur intitulé… une présentation de chacune d’elles (les phénomènes de mode, puis les peintres et la fabrique de la mode ; les fantaisies d’artistes et enfin une histoire du négligé-déshabillé). Et quel bonheur pour le visiteur que ce glossaire qui lui permettra de sa familiariser avec les principaux termes utilisés sur les cartouches. Car qu’est-ce qu’un casaquin, une engageante, un corps à baleine ? Une robe volante ? Sans oublier la robe à la française qui diffère de la robe à l’anglaise !

Alors quel est le propos de cette exposition ? Pourquoi confronter des pièces textiles et des tableaux souvent emblématiques ? Il s’agit « d’explorer une nouvelle mise en scène du corps et des individus, entre l’exigence sociale et les caprices du goût » explique Anne Augié dans Ouest-France (26 octobre 2021). Cette confrontation révèle les influences réciproques entre le monde artistique et la naissance de la mode. « L’exposition suit ainsi dans le détail l’histoire des liens profonds qui unissent la mode et la peinture : que la vogue du portrait (voir notre chronique, Cent portraits pour un siècle) permette de mettre en avant le luxe des tenues ou l’élégante décontraction de la classe dominante, ou que peintres et artisans collaborent étroitement dans l’établissement d’une grammaire de la parure et du comportement. » (in catalogue, Sophie Lévy, Directrice conservatrice du Musée d’arts). Adeline Collange-Perrugi tient à préciser que « les costumes ne sont souvent exposés que pour illustrer ou documenter une peinture. Cette exposition instaure un vrai dialogue entre art et mode. » (entretien in L’objet d’Art, Hors-Série N°155, novembre 2021). L’exposition met également « sur un pied d’égalité les métiers de la mode et les beaux-arts (montrant) des ouvrages comme L’Art du brodeur, L’Art du tailleur ou des planches de L’Encyclopédie qui illustrent les aspects techniques (…) des échantillons de tissus (…) des dessins et gravures de mode afin de révéler de l’influence sur le portrait. » (ibidem, Sandrine Champion-Balan)

N’oublions pas, que dans les hautes sphères de la société des XVIIème et XVIIIème siècles, « (…) la fonction du vêtement n’est pas alors de couvrir et de tenir chaud, mais de parer. L’âge baroque est le seul sans doute où l’habit masculin l’ait emporté sur celui de la femme. » (Philippe Beaussant, in Versailles, Opéra. Edition Le Chemin, nrf, Gallimard. 1981). Le règne de Louis XIV (1638-1715) s’était achevé sous le signe de l’austérité. Ainsi la dignité empesée, guindée des vêtements féminins cède la place à des tenues plus raffinées. La robe du XVIIIème siècle se libère, s’émancipe. Désormais, les dames portent d’élégantes tenues qui rivalisent avec l’habit masculin.

Entrons ! Notre regard est immédiatement attiré par la vitrine qui fait face à cette entrée. Taffetas… satins… broderies… habits et robes à la française… habits et robes à l’anglaise…. Mais d’abord quelques explications !

La base de l’habit masculin est identique au costume trois pièces qui se porte de nos jours ! Un vêtement du dessus (justaucorps), un vêtement du dessous (veste), un vêtement pour les jambes (pantalon ou culotte). C’est Louis XIV qui avait relégué la rhingrave (haut de chausses) dans la liste des vêtements du passé ! Les tissus s’allègent et les couleurs préfèrent les tons pastel. Les devants du justaucorps sont droits, munis de boutons et boutonnières. Ces boutons jouent un rôle de premier plan : ils sont exhibés et peuvent être changés pour chaque occasion ! Leur fonction est essentiellement décorative. Ainsi les quatre boutons, exposés plus loin sont en papier gouaché sous verre, cerclage de laiton et dos en métal ferreux. Ils représentent des paysages bucoliques avec des personnages. Remarquons la précision de détails, comme ces oiseaux dans le ciel ! Les manches du justaucorps se terminent par des parements hauts et larges, dit « en pagode ». La veste est confectionnée dans un tissu ordinaire pour le dos mais richement orné sur le devant et le bas des manches. Elle se ferme à la taille et laisse passer le jabot (souvent en dentelle) de la chemise. Dans les années 1775, elle prendra le nom de gilet dépassant peu la taille et perdant ses manches. La culotte descend en-dessous du genou, est fermée par une jarretière à boucle ou à nœud de ruban. Le gilet, quant à lui, devient rapidement une sorte de « marqueur » révélant, par son luxe (broderie raffinée, boutons exclusifs,…) la classe sociale de son propriétaire. Au cours du siècle qui nous intéresse, la ligne de l’habillement masculin ira en se simplifiant perdant de son ampleur. Sans pour autant subir de grandes transformations. Néanmoins, la silhouette masculine à la veille de la Révolution n’a plus rien à voir avec celle du début du siècle.

La tenue féminine du début du XVIIIème siècle se compose d’un corps à baleines en pointe, d’un manteau ou robe du dessous et d’un jupon. C’est la robe volante qui est garnie devant et dans le dos de fronces, puis de plis plats qui partent de l’encolure. Elle se porte sur un panier. Elle est très ample. Elle va se transformer à partir de 1720/1730 pour devenir la robe à la française. Celle-ci est constituée d’un manteau (ajusté sur le devant mais dont le dos présente une série de plis plats qui lui donnent son ampleur) et d’une jupe plus ou moins ornée. Le devant du corsage s’attache sur la pièce d’estomac triangulaire (portée sur le thorax et l’abdomen, sous l’ouverture frontale de la robe). Il peut dissimuler un corps à baleines (sous-vêtement rigidifié que nous appelons de nos jours corset). Celui-ci est masqué par une pièce d’estomac de forme triangulaire ou par une échelle de nœuds. Parement plat, bouillonné ou passementerie bordent le devant tournant autour de l’encolure et descendant jusqu’au bas de l’ourlet. Petit à petit, le vestiaire féminin se diversifie. Souvent en partie sous l’influence des marchandes de mode. A la fin du règne de Louis XV (1715-1774), l’anglomanie ambiante a également des répercussions dans le domaine de la mode. Ainsi, la robe à l’anglaise s’impose progressivement. Portée sans panier, elle est ajustée par des coutures dans le dos qui dessinent la cambrure. Toute l’ampleur du vêtement se déploie alors vers l’arrière qui forme une petite traine froncée depuis les hanches. Par la suite, la robe chemise va dans le sens de la sobriété, de la liberté.

Partons maintenant à la découverte de l’exposition !

Arrêtons-nous devant la vitrine évoquée plus haut. Deux robes à l’anglaise y prennent place. L’une (vers 1780/85) est présentée de face : en satin de soie rose, elle est agrémentée d’un fichu de toile de lin blanc qui couvre les épaules. La seconde, vue de dos, en taffetas de soie changeant (fils de trame violets et fils de chaine roses), permet d’admirer un faux-cul destiné à mettre en valeur la taille. Le dos plat se termine par une pointe d’où partent les plis de la jupe. Deux vêtements masculins, tous deux vers 1775/1785. Un habit à la française, gilet et culotte en satin de soie prune au décor de broderies polychromes que nous pouvons admirer à loisir ! Les boutons de bois sont recouverts d’étoffe brodée. Un habit à la française et culotte en satin de soie vert clair. Admirons la brillance du tissu exempt de toute broderie. Un gilet à guirlande de roses et de myosotis en taffetas de soie rose. Egalement un « habit en pièces » (vers 1770/85) en satin de soie prune : il s’agit des devants droit et gauche d’un gilet. Plus loin nous en verrons un autre à décor de la pièce de théâtre Renaud et Armide. Ou un échantillon (un devant gauche) dont le décor tissé représente une Scène de théâtre, Commedia dell’arte. La réalisation du gilet suppose plusieurs étapes : le motif brodé des devants est d’abord réalisé sur un carton, puis brodé d’après le modèle. Les tailleurs assemblent ensuite les lés de tissus brodés.


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Habit à la française, gilet et culotte, vers 1775-1785 satin de soie prune ; broderies au ruban, taffetas, fils de soie polychromes, broderies au point de chainette, broderies sur carton, fil de soie polychromes ; boutons de bois recouverts d’étoffe brodée ; décor brodé à disposition ; H.112 cm (habit) ; H 64 cm (gilet) ; H 54,5 cm (culotte). Strasbourg, Musée historique de la ville de Strasbourg, inv. 882006.0.456.1-3 © Musée de la ville de Strasbourg - M.Bertola


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Vue de détail - Habit à la française, gilet et culotte, vers 1775-1785 satin de soie prune ; broderies au ruban, taffetas, fils de soie polychromes, broderies au point de chainette, broderies sur carton, fil de soie polychromes ; boutons de bois recouverts d’étoffe brodée ; décor brodé à disposition ; H.112 cm (habit) ; H 64 cm (gilet) ; H 54,5 cm (culotte). Strasbourg, Musée historique de la ville de Strasbourg, inv. 882006.0.456.1-3 © Musée de la ville de Strasbourg - M.Bertola

D’autres vitrines… d’autres vêtements… dont un casaquin, en gros de Tours de ton orange, dénué de baleines. Il s’agit d’un corsage d’étoffe forte. Il est donc plus souple que le corset. Les basques descendent au-dessous de la taille et sont évasées vers le côté. De ce fait, l’élargissement de la robe peut s’envisager. Remarquons la préciosité des dentelles d’argent doré. Tout au long de l’exposition, nous découvrirons diverses pièces d’ornementation du vêtement féminin. Des panneaux d’étoffe dont des pièces d’estomac, des nœuds, des guirlandes de ruban pour agrémenter le pourtour du col. Ici brodés d’or et de dentelles précieuses. Une parure de corps à baleines, pièce d’estomac et bande en pointe. Admirons le rendu de la dentelle métallique au fuseau… les broderies en fils de soie polychrome… le jaune du satin de soie ! Nous pouvons parler de « décor en kit » puisque ces pièces sont amovibles. Elles se cousent et se recousent, permettant ainsi une adaptation à la tenue choisie. Plus loin, la pièce d’estomac est présentée avec un tour de gorge, un ruban de passementerie et deux nœuds de manches.


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Casaquin vers 1730-1740. Gros de Tours de soie orange ; doublure en toile de lin bleu glacé, dentelles d’argent doré, H.61 cm. Provenance : château de Beloeil, château des princes de Ligne. Acquisition de la Ville de Paris © Palais Galliera Musée de la Mode de la Ville de Paris, inv.2004.4.31.1 – photo : JMB

Sont également exposées des pièces de dentelles très fines qui sont une des composantes du vestiaire féminin. La cravate ou la ruche, bâties sur la chemise, ornent le décolleté. Un exemple de manchette dite « engageante ». Celle-ci sort de la manche terminée en pagode. Elle est faite de trois rangs de hauteur décroissante, courte à la saignée et longue au coude. Le portrait en buste de Madame Jacques-Benoit Loys (1768) peint d’après une toile de François-Hubert Drouais (1727-1775) est un bel exemple de l’utilisation des dentelles dans le vêtement féminin autant que dans la précision du rendu pictural. Tout, ou presque, est dentelle sur un haut que l’on pense être de velours rose, lui-même en harmonie avec le fard des pommettes ! Harmonie également des tons de la dentelle avec le gris poudré des cheveux portés en chignon ou le nœud qui ferme le tour de cou en perle.

Une paire de jarretières dont le décor se compose, pour l’une, d’un putti enlaçant un arbre « Je meurs où je m’attache » pour l’autre, d’un putti regardant à la longue vue « Ah ! Ah ! Qu’est-ce que je vois là-haut ? ». Une paire de barbes (coiffe) : il s’agit de deux longues bandes (soit bordées soit entièrement constituées de dentelle) qui ornent certaines coiffures féminines. Elles sont posées au sommet de la coiffe formant deux pans garnissant le devant et enroulées sur le bord de celle-ci jusqu'en arrière. Une curiosité : un ruban « dit de Madame Adélaïde » (1789), façonné en soie rayée. A la suite de l’adoption de la cocarde tricolore par Louis XVI (1754-1793), Madame Adélaïde (1732-1800 ; troisième fille de Louis XV) porte, le 21 juillet 1789, un ruban dit « à l’ordre du jour » en guise de ceinture.

En 1740, Jean-Marc Nattier (1685-1766) devient le peintre attitré de la Cour. En 1748, Louis XV lui commande le portrait de ses filles cadettes -les « petites dames »- qu’il avait envoyées (en 1738) vivre à l’abbaye royale de Fontevraud. C’est celui de Madame Sophie de France (sa sixième fille) que nous découvrons. Le peintre la représente en grand habit généralement réservé aux cérémonies officielles. Dentelles précieuses… Etoffes somptueuses dont les broderies d’or et d’argent étincellent… Transparence délicate du voile, piqué dans sa chevelure, que la princesse soulève gracieusement de sa main… Le buste est ceint d’une guirlande de fleurs. Une harmonie de coloris qui rehausse sa carnation délicate, vrai teint de porcelaine ! L’année suivante, la reine charmée par le portrait de ses filles, lui commande le sien. Elle exige qu’il la représente sans les « regalia » (ensemble des objets symboliques de la royauté) donc en habit de ville. Suivant en cela la mode, Marie Leszczynska (1703-1768) est vêtue d’une robe de velours rouge rehaussée de fourrure brune et d’engageantes de dentelle. Sa tête est couverte d’un bonnet également en dentelle sur lequel est noué un fichu (une marmotte). (voir notre chronique consacrée à cette reine de France). Autre Portrait de Madame Sophie dit La Petite Reine, peint en 1776, par Lié-Louis Périn-Salbreux (1753-1817). Elle est assise dans sa bibliothèque, lisant une lettre. Admirons l’excellence de la représentation de la robe : en brocart gris décoré de motifs de fleurs stylisées bleues, dont la bordure est enrichie d’hermine blanche. Raffinement encore accentué par les rubans de soie bleue, noués autour du cou et dans la chevelure poudrée de gris. Elle arbore les dentelles de cou des femmes mûres toujours célibataires !


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Jean-Marc Nattier Paris, 1685-Paris, 1766 Madame Sophie de France 1748. Huile sur toile, H.79 ; L.60 cm. Signé en bas à droite « Nattier/Pinxit 1748 » Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon, inv.MV 4458 © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) Gérard Blot

Plusieurs toiles du peintre suédois Alexandre Roslin (1718-1793). Il est, au milieu de ce siècle, le portraitiste attitré de l’aristocratie européenne. Il excelle dans la représentation des étoffes, de la brillance des matières, de la finesse des dentelles, du soyeux des fourrures, voire du velouté dans le rendu des chairs ! Nous aurions presque envie de les toucher ! Parisien depuis 1752, il devient portraitiste de la famille royale française dont le roi de Suède et son frère sont proches. Ce qui nous permet d’admirer Le Duc Fredrik Adolf (1750-1803), prince de Suède, frère de Gustav III (1770) de belle prestance. Yeux expressifs et mine réjouie. Précision des détails de la broderie de fils d’or et d’argent… Rendu de la moire bleue du grand cordon. (A proximité, un cartel explicatif permet au jeune public de se familiariser avec ce type de vêtement tout en stimulant l’imagination grâce à diverses questions. Nous retrouverons ce type de cartel à plusieurs reprises au cours de notre visite). Encore le Portrait de Madame de Flandre de Brunville (1761), née Jeanne-Marie Dumont, qui est un hommage à celui de Marie Leszczynska, accroché en pendant. Rouge profond de la robe… bordure de fourrures foncées… manches en pagode laissant entrevoir les engageantes… mitaines de satin blanc… barbes en dentelle de la coiffe… Douceur du visage… léger sourire un peu las… Roslin a su traduire, non sans subtilité, le calme et la sérénité de son modèle.

Tout autre est le Portrait de madame Crozat, née Marguerite le Gendre d’Armeny (1670-1742) peint par Jacques-André Joseph Aved (1702-1766). Elle est « dans l’intimité de son intérieur à la lumière déclinante, (elle) délaisse un instant sa broderie, absorbée dans ses pensées. Son attitude humble, le réalisme sans concession de ses traits et le détail des bésicles, trahissant son âge, offrent un contraste saisissant avec la robe de satin blanc, d’un luxe digne des plus grands par ses dentelles d’argent doré. » (in catalogue). De Jean-Laurent Mosnier (1743-1808) le Portrait de la famille Bergeret de Grandcourt (vers 1785). Dans ce portrait d’apparat, la texture des vêtements est peinte de façon particulièrement raffinée au travers d’une débauche de satin lumineux (essentiellement blanc ponctué de rouge ou de rose). Nous retrouvons cette même qualité lumineuse du textile dans le Portrait de femme (vers 1787) peint par Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803). Blancheur du satin de la robe et des dentelles dont on admire la légèreté. Elle est assise à une table où elle écrit. Seules touches de couleur : le velours rose du fauteuil et le bleu du plateau de la table. De Joseph Ducreux (1735-1802) Marie-Thérèse Louise de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe (1778) : l’agencement de la robe à l’anglaise, les plis cassants permettent au peintre de saisir les propriétés lumineuses du taffetas changeant (gris mauve). Tout est raffinement dans ce portrait : les guirlandes de fleurs qui ornent la robe et même l’extravagante coiffure en pouf ! Est présentée une robe à la française et jupe (en cannetille lancé broché, toile de lin saumon) qui offre un bel exemple de décor tissé : une guirlande de fleurs grimpe le long d’un réseau vertical ; nous la retrouvons dans les plis couchés en bordure des éléments de la robe et dans le bas de la jupe.


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Robe à la française et jupe, vers 1755-1765 Cannetille lancé broché, fils de soie polychromes ; doublures, taffetas de soie bleu, toile de lin écru, toile de lin saumon ; passementerie de fils de soie polychromes, agrafes métalliques modernes. H.164 cm (avec la traine) Acquisition Ville de Paris © Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris, inv.1984.1.77ab – photo : JMB

La représentation du costume masculin n’est pas en reste ! Ainsi Antoine Vestier (1740-1824) « porte un soin extrême à peindre les étoffes comme l’extraordinaire taffetas changeant bronze et vert du Portrait d’un chevalier de Malte : il possédait un mannequin articulé sur lequel il pouvait disposer les vêtements et n’hésitait pas à conserver les costumes de longs mois dans son atelier pour rendre les modulations de lumière plus subtiles » (in catalogue). Nous pouvons parler de virtuosité ! Retrouvons celle-ci dans une huile sur toile peinte (vers 1791) par Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Le Portrait de Maximilien Robespierre (?) est celui d’un bourgeois aisé, un homme simple mais raffiné : préciosité des détails tant pour ce qui est du costume (dentelle qui dépasse au bas des manches… cravate élégamment nouée… double rangée des boutons du gilet… boucle décorative de la culotte blanche…) mais aussi du décor dans lequel cet homme froid et hautain est représenté. Et que dire de ce léger sourire que nous n’imaginons pas chez un tel homme ! Et du petit chien à ses côtés ! Est présenté, à proximité, un habit à col rabattu, ou frac, aux rayures proches de celui que porte Robespierre.

« La vie privé et quotidienne, et avec elle les vêtements qui la parent, tient une place de plus en plus importante dans les portraits qui se multiplient (…) » (in catalogue, Adeline Collange-Perugi). Ainsi en est-il du tableau (1768) de Jean-Baptiste Charpentier le Vieux (1728-1806) : Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793) et sa fille Louise-Adélaïde (1753-1821). Ils sont peints dans leurs activités aristocratiques : la lecture pour lui, la cueillette des fleurs pour elle. Notre attention se focalise sur la préciosité, le luxe de leur toilette (voire du décor !) au détriment de leurs traits. Antoine Watteau (1702-1760) fait la part belle à la représentation des vêtements tant masculins que féminins. « (…) le vêtement est pour Watteau un véritable mode d’expression, emblématique dans son usage des personnages de dos ou de profil perdu effaçant leur visage et donnant aux costumes une vie indépendante » (ibidem). En témoigne L’Enseigne de Gersaint que nous découvrons, ici, au travers d’une eau-forte et burin (1732) due à Pierre-Alexandre Aveline (1702-1762). S’y ajoutent une série de Figures de mode, dessinées et gravées à l’eau-forte par Watteau et terminées au burin par Thomassin le Fils (six estampes d’une série de huit, vers 1709/10). Nous pouvons, sans doute, les considérer comme prémices des gravures de mode…

Autre « image de mode », celle peinte par Jean-François de Troy (1679-1752) : Le Rendez-vous à la fontaine ou L’Alarme (1727 ?). Une scène galante. Dans un décor à l’antique (une balustrade… une sculpture féminine… une fontaine luxueuse…), sous des frondaisons, un couple d’amoureux est prévenu, par une servante (postée en sentinelle ?) d’une approche sans doute importune. La blancheur soyeuse de la toilette féminine égayée par des nœuds (et la chaussure !) roses contrebalance l’habit brun mordoré et gilet bleu brodé du galant.

François Boucher (1703-1770) « illustre un aspect de la vente des articles de modes au domicile de la cliente » (in catalogue, Marie Watier) : La marchande de modes (1746). Il s’agit du seul tableau réalisé pour la série « Les heures du jour » (ici, le matin). Série commandée par la future reine de Suède, Louise Ulrique. Petit rappel : les métiers de l’industrie et du commerce parisiens étaient organisés en corporation (voir notre chronique consacrée aux marchands-merciers). Les marchandes de modes étaient alors une spécialisation du métier de « marchand-mercier ». L’importance croissante de l’apparence permit la fondation, en 1776, de la corporation des « faiseuses de mode, plumassières, fleuristes de la ville et faubourgs de Paris » dont les statuts leur imposaient une liste d’outils et de matières premières qu’elles pouvaient utiliser. A noter également que le terme de « modes » recouvrait l’ensemble des marchandises dont elles faisaient commerce. Elles officiaient en boutique ou chez leurs clientes. Leur travail « consistait à garnir de différentes étoffes et matières les vêtements et accessoires des garde-robes féminines. Elles enjolivaient par exemple les chapeaux de plumes, les robes de fourrure, de passementerie ou de nœuds d’étoffe. » (ibidem) Ces nœuds que nous voyons sur le Portrait de la marquise de Pompadour en manchon (F-H Drouais, 1763). Portrait en buste quelque peu inhabituel de la marquise ou reprise, en partie, de celui dans lequel le peintre la représente à son métier à broder. La tenue est identique : robe à semi de grosses fleurs, nœuds rayés et dentelle de la coiffe.

La confection de certaines pièces de vêtements était permise aux marchandes de modes. Ainsi en est-il du mantelet noir que porte, dans le tableau de Boucher, la marchande agenouillée auprès de sa cliente. Elle déballe ses boîtes à colifichets. L’intérieur est cossu… le fouillis règne sur la table de toilette… les tiroirs d’un meuble sont ouverts… un chat blanc dort sur un fauteuil…


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François Boucher Paris, 1703-Paris, 1770 La Marchande de modes 1746 Huile sur toile, H 64 ; L.53 cm Stockholm, Nationalmuseum, inv. NM 772 © Cecilia Heisser, Nationalmuseum

Sont exposés plusieurs gravures au sujet identique. Dont une gravure sur papier tirée de L’Encyclopédie de Diderot (1713-1784) et d’Alembert (1717-1783). Ici la scène se passe dans une boutique (sans doute dans le quartier du Palais-Royal) où règne une vive animation. Placards à tiroirs couvrant la hauteur du mur… ouvrières occupées à leur ouvrage… étoffes diverses suspendues ou dépliées sur un comptoir … clientes… Ces boutiques, très courues, permettent d’initier de nouvelles modes tout en apportant une touche finale d’élégance. Deux noms sont souvent associés à ces marchandes de modes : Catherine Louise Alexandre, dite Mlle Alexandre et Marie Jeanne Bertin dite Mlle Bertin (1741-1813) qui, pouvons-nous dire, inaugurent en quelque sorte l'ère des créatrices de mode. Rose Bertin est surtout connue comme « conseillère vestimentaire » (nous parlerions de nos jours « d’influenceuse ») de Marie-Antoinette (1755-1793). Elle fut même surnommée « Ministre de modes » ! Est exposé un portrait présumé de cette dernière peint par Elisabeth-Louise Vigée Le Brun (1755-1842). Vêtue avec simplicité mais non sans un certain luxe. A la fois élégante et naturelle !

Peinture iconique s’il en est (le détail du bras et de la main droite sont le fond des affiches et la jaquette du catalogue) : le Portrait d’un inconnu du règne de Louis XV (dit autrefois Jacques-Germain Soufflot (vers 1745/50) peint par Charles-André van Loo dit Carle van Loo (1705-1765). Virtuosité picturale dans la représentation des textiles ! « Le modèle, tourné vers le spectateur, est revêtu d’une veste à bordures fleuries et d’une robe de chambre en soie façonnée au motif floral exubérant, doublée de soie rose. Le décor relativement couvrant (…) se singularise par des tulipes hautes aux pétales écartés et épanouis, naissant de tiges épaisses. Des feuillages, polylobés et opulents, et des fleurs tantôt clairsemées, tantôt regroupées en motifs compacts courent sur le fond. (…) l’aspect naturaliste de ce décor renvoie, indéniablement aux recherches faites à Lyon dans les années 1730 par Jean Revel (1684-1751) (…). » (in catalogue, Pascale Gorguet Ballesteros).

Jean Rebel offre à Lyon la maîtrise du dessin textile. En témoigne la magnifique robe à la française exposée : l’étoffe est datée des années 1740/50 et sa réalisation vers 1750/60. Il s’agit de lampas fond satin (marron) qui est un tissu façonné dont le décor (palmiers, fleurs, personnages) est constitué de plusieurs fils de chaîne et de trame à effet de berclé (effet de dessin produit conjointement par deux trames de couleurs ou de tons différents et dans lequel elles alternent leurs flottés. Dit aussi « point rentré »).


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Robe à la française Etoffes, vers 1740-1750 ; Robe vers 1750-1760 Lampas fond satin de 8,2 lats, fils de soie polychromes ; effet de berclé, H.141 cm (avec traine) © Don de la comtesse Pierre Ripert d’Alauzier, 1962 Lyon, musée des Tissus, inv. MT 31936 - photo: JMB

D’autres vitrines présentent, à l’instar de ce que nous avons vu concernant le gilet masculin, des bas de jupe en taffetas broché et fils de soie polychromes… un devant de robe ou demi-traine en pièces en taffetas de soie crème… un échantillon de broderie pour une robe de cour en satin de soie crème… un dessin (crayon noir et rehauts aquarellés) pour jupe ou devant de robe… la couverture d’un recueil de dessins pour robes (vers 1780/1815) du « dessinateur de fabrique » Jean-François de Bony (1754-vers 1825). Le terme de « fabrique » désigne l’ensemble des activités liées à la production de la soie lyonnaise. Le dessinateur de textile crée les motifs complexes des soieries qui sont ensuite mis en carte pour monter les fils de trame et de chaine sur le métier à tisser. Sont aussi exposées diverses maquettes de broderies de gilet (motifs floraux, scènes pastorales ou exotiques, de chasse ou issues de scènes de théâtre ou d’opéra) que nous avons évoquées plus haut.

Le XVIIème siècle voit apparaître des estampes de mode. Dans les numéros du Mercure galant (dernier tiers du XVIIème et début du XVIIIème siècle), on découvre, de façon épisodique, la description, accompagnée de planches de costumes, de ce qui se porte à la cour. Au milieu du XVIIIème siècle, les gravures de mode, qu’elles soient isolées ou en série, deviennent célèbres. Une éclosion de petites revues de mode mais la Galerie des Modes (parution de 1778 à 1787) ressemble plus à une série d’estampes dessinées par des artistes comme Pierre-Thomas Le Clerc (1740 ?-1796) et ses divers dessins préparatoires pour un homme vêtu d’un habit en surtout à brandebourg,… ou une robe dite à la Turques (… vue) ici dans toute son étendue la queue traînante… comme Augustin de Saint-Aubin (1736-1807) et l’un de ses dessins (crayon graphite, aquarelle, papier vergé) la Grande robe à la française garnie d’entrelacs de gaze… ou encore Claude-Louis Desrais (1746-1816). Penchons-nous sur une série des dessins (signé Watteau fils. Duhamel sculp.) accompagnés de textes décrivant les tenues mais aussi les caractères, les mœurs des jeunes femmes représentées : Jeune femme désœuvrée en apparence, faisant d’un air tendre, dans une promenade publique des signaux qui… ou La belle Arsène méditant au Luxembourg : elle est en petite robe du matin…ou La jeune Sophie montrant à son favori le rendez-vous des plaisir au Théâtre des variétés amusantes…


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Watteau Fils del. Dupin sculp dans Gallerie des Modes et des Costumes Français, 46ème Cahier des Costumes Français, 41ème suite d’Habillemens à la mode en 1785, bbb.292, 1785 Esnauts et Rapilly Eau-forte, H.29, L.21 cm © Nantes, Bibliothèque municipale

La cour s’installe à Paris au début du règne de Louis XV. Paris est alors la capitale de la mode. L’industrie du luxe y devient florissante. Les petits accessoires « de poche » y trouvent place. Matteo Gianeselli (in catalogue) parle de « galanterie de poche » ! Car on ne peut guère parler d’accessoires (au sens actuel du terme) en regardant les objets exposés. Ce sont de vrais « bijoux », presque des musées en miniature où le savoir-faire artisanal excelle. Les décors sont somptueux et n’ont d’égal que la finesse de leur exécution. Quelle exubérance dans les détails de ces saynètes bucoliques et champêtres. Nous avons eu l’occasion de parler des boutons. Mais que dire des tabatières ? L’une (porcelaine et argent doré) est en forme de coquillage avec un décor floral… une autre (or et émail) reproduit une scène de kermesse dans l’esprit de la peinture du Siècle d’or hollandais. Des flacons. Une Femme à sa toilette (recto), Femme caressant un agneau (verso) : une mondaine affairée à sa toilette (recto) en vantant les vertus de tendresse et de fidélité qui sont les siennes (verso). Un flacon à sel anglais : un couple en conversation galante dans un paysage. Des étuis parfois plats permettant l’échange discret de billets doux. Décors dus à une main anonyme et s’inspirant des Enfants Boucher (petites toiles rectangulaires représentant des allégories insérées dans des panneaux décoratifs) alors très en vogue. Etuis à tablettes, contenant parfois un nécessaire de toilette, dans une gamme chromatique plus sombre. Des montres. L’une d’elle reprend la composition des Charmes de la vie champêtre (F.Boucher, 1737). La seconde, également en or et émail, présente une allégorie de la Justice. Ici une élégante assise dans un paysage accompagné d’un angelot. Là, les codes de la pastorale magnifient la représentation traditionnelle de la Justice !

Une montre ronde assortie d’une châtelaine qui se portait à la ceinture. Elle témoigne de la vogue du portrait en médaillon qui représente une femme vêtue de rouge, avec un ample décolleté. Il est entouré d'un rang de roses de diamants et d'une guirlande en ors de plusieurs couleurs. La châtelaine est composée, entre autres, de quatre plaques ornées de médaillons en émail peint représentant des portraits féminins, d’un flacon de parfum. Diverses inscriptions (je suis votre captif… je pense à vous…) sur la base des breloques en porcelaine.


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Daniel Wauchez (avant 1767-après 1786) Montre ronde assortie d’une châtelaine. Troisième tiers du XVIIIème siècle Ors de couleus, laiton doré, émail, brillants, porcelaine, verre H.20, L.10, E.2 cm Legs de la baronne Salomon de Rothschild, Ecouen, musée national de la Renaissance, inv.ECI.20902 © 2018 Musée du Louvre / Objets d'art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes

Ce goût pour les portraits en médaillon, nous le retrouvons avec l’éventail ! Indicateur de la richesse de sa propriétaire, il sert aussi à faire passer des messages de manière plus ou moins discrète. Il est couramment plissé (une seule feuille plié de matières diverses) mais peut être brisé (composé d’une suite de brins de corne, d’écaille, de nacre). Ils peuvent être garnis de broderie métallique, de fil d’or ou d’argent, d’incrustations d’ivoire ou de dentelles. Scènes galantes ou pastorales y sont représentées. L’un d’eux représente Vertumne et Pomone (recto), Frère Luce (verso) pour les feuilles de parchemin gouaché et des chinoiseries pour les brins. (Rappel : la France cherche alors à concurrencer les importations d’éventails en provenance de Canton ou Pékin). Un autre : si une scène galante figure sur le recto, le verso montre L’Achat de paniers, le panier étant bien sûr celui qui se porte sous la robe ! Sans oublier cet éventail (1794/98) où figurent les costumes des membres des Conseils du Directoire.

L’espace suivant convoque les fantaisies d’artistes. Nous entrons dans le domaine de la fête galante ! Avec le portrait, c’est un des genres qui a sublimé le costume, en particulier le déguisement. Ainsi le personnage d’Arlequin est présent chez Watteau dans son Arlequin empereur dans la lune (vers 1707). Dans les Comédiens italiens dans un parc (vers 171) dû à l’atelier de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) ou sur une toile anonyme, Isabelle enlevée par Arlequin pour le paradis alors destinée aux enfers par Pierrot (1771). Sans oublier un costume de scène à triangles de draps multicolores (bleu foncé, rouge, vert, jaune). Le masque, aux petits yeux et une verrue, est en cuir brun et la barbe en crin brun. Dans la même vitrine, un Costume de travestissement dit à la « Van Dyck » qui présente une cape de soie damassée bleu, une veste et une culotte de soie damassée rose ainsi qu’une paire de nœuds de chaussures dans les deux tons. Costume d’un autre temps ! Deux toiles de Louis-Roland Trinquesse (1745-1800) : L’Offrande à Vénus et le Serment à l’amour (tous deux datés de 1786). Arrêtons-nous sur ce dernier. La scène se passe dans un paysage ombragé au cœur de ruines antiques. Au centre de la composition, une jeune femme porte une robe à l’anglaise (en soie beige crème aux reflets chatoyants) avec un chapeau de paille. Derrière elle, sa compagne est vêtue d’une robe chemise (de tons gris) ceinturée à la taille porte un bonnet de gaze. Elle presse le bras de son amie dont l’autre main est retenue par un soupirant à ses genoux. Ce dernier, curieusement, ne porte pas l’habit français mais une collerette de dentelle sur un pourpoint tailladé, une culotte mi longue sur des bas blancs et des souliers surmontés d’un nœud. Une cape d’un rouge éclatant, une écharpe de soie blanche et un couvre-chef à plumes complètent son vêtement. Une allure qui n’est pas sans rappeler les costumes du XVIIème siècle ! Il participe ainsi à l’imaginaire que le XVIIIème siècle se fait du galant.


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Louis-Roland Tinquesse Paris, 1745- Paris,1800 Le Serment à l’amour 1786 Huile sur toile H.131, L.98 cm Signé et daté, en bas au milieu : « L.Tinquesse f.1786 » Legs Alexandrine Dècle,1896 Dijon, musée des Beaux-Arts, inv.DE 23 © Musée des Beaux-Arts de Dijon, François Jay

Autre phénomène de mode : le portrait « en jardinière ». Les divinités ou muses d’autrefois sont « progressivement remplacées par les figures de bergères, jardinières, paysannes issues du goût pour la pastorale que François Boucher initia avec bonheur. » (in catalogue, Isabelle Trey). Ainsi en est-il du portrait de La marquise de Pompadour peint par Carle van Loo vers 1755. Elle est habillée de manière simple, avec un chapeau de paille doublé de satin bleu et même un tablier ! Et d’un corset aux nœuds bouillonnants. Néanmoins ses manches sont ornées de volants de fine dentelle, d’engageantes ainsi que de nœuds bleus comme celui du ruban noué sous son menton. A son poignet, des bracelets de perles. Les fleurs, qu’elle vient de cueillir, débordent d’un panier accroché à son bras. Dans les arts en général, le corps comme le corset sont souvent associés à la galanterie, à un monde pastoral plus fantasmé que réel ! Ainsi dans La Pêche (1767) Boucher peint ses paysannes en corset, dans une envolée de robes aux plis savamment agencés ! Remarquons le corps baleiné qui est à rapprocher de celui porté par la Jeune Femme au bouquet de fleurs, huile sur toile du peintre allemand Johann Anton Peters (1725-1795). Il est ici orné d’un fin laçage. Harmonie des tons de bleu de sa toilette… chenilles et broderies argentés.

Il nous offre l’occasion de dire un mot sur les corps à baleines et les corsets. Parfois vêtement de dessus, parfois vêtement de dessous, ils s’imposent comme une pièce majeure de la garde-robe féminine, voire enfantine. A la fois pour les filles et les garçons ! Les deux sont présentés. 47 cm de hauteur pour le corps baleiné féminin… 34 cm pour le corps d’enfant. Ils sont en toile de lin beige, passementeries de soie bleue, baleines et cuir mégissé blanc. Est aussi exposé un carnet d’échantillons de rubans lacets en toiles et sergés (motif de tissage caractérisé par des lignes obliques) soit unis soit rayés.


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Corps à baleines Milieu du XVIIIème siècle, Toile de lin beige ; doublure, toile de lin beige ; maille de soir bleue, taffetas de soie bleue ; taffetas de soie bleue ; baleines ; cuir mégissé blanc, H.47 cm © Don Darvant, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, inv.1920.1.202 – photo : JMB


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Corps à baleines d’enfant Milieu du XVIIIème siècle, Toile de lin beige ; doublure, toile de lin beige ; maille de soir bleue, taffetas de soie bleue ; taffetas de soie bleue ; baleines ; cuir mégissé blanc, H.34 cm © Don Société de l’Histoire du Costume, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, inv.1920.1.1866 – photo : JMB

La visite se termine dans un espace dédié au « négligé-déshabillé ». Et d’abord, la robe de chambre masculine qui connait un grand essor. Comment ne pas penser au célèbre texte de Denis Diderot ? « (…) j’étais le maitre absolu de ma vieille robe de chambre, je suis devenu l’esclave de la nouvelle. » Avec lui, elle devient l’habit symbolique du lettré et de l’homme de science ! Tenue d’intérieur réservée à l’intimité, elle est aussi en vogue au point d’être arborée dans les portraits ! De nombreux hommes se font représenter, dans leur cabinet, portant ce vêtement. Est exposée une robe de chambre et son gilet, tous deux en gros de Tours, liseré broché et fils de soie polychrome pour le rinceau (motif ornemental constitué d'une tige se développant en volutes, ornée le plus souvent de feuillages, de fleurs,…) qui court tout au long de ceux-ci. Un bonnet d’homme, (hauteur de 25 cm) en toile de lin écru et ruban de taffetas vert, complète la tenue.


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Robe de chambre et gilet plat Vers 1755-1765 Gros de Tours liseré broché, fils de soie polychrome ; doublure robe de chambre et devant du gilet, toile de coton écru ; dos du gilet, sergé de coton écru ; boutons de bois recouverts d’étoffe, H.100 (robe de chambre) H.70 cm (gilet) © Don Georges Castries Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, inv.17482ab ou 1947.1.6ab & Bonnet d’homme, vers 1730-1780, Toile de lin écru, broderie dite « de Marseille » ou « boutis », mèches de coton blanc, point de nœud, point de sable, fil de lin écru ; ruban, taffetas de soie vert ; broderies à disposition H.25 cm Tour de tête (circonférence) à la base : 54,5 cm © Ecouen, Musée national de la Renaissance, inv.ECI.10824 – photo : JMB

Jacques-Louis David (1748-1825) peint (vers 1783) le Portrait d’Alphonse Leroy, célèbre médecin accoucheur dans son cabinet de travail. Il regarde le spectateur, la plume à la main. Il va se mettre au travail. Il est entouré des attributs de sa profession. Assis à sa table, il est vêtu d’une robe d’intérieur en soie rouge aux reflets changeants, d’une chemise blanche au jabot noué. Et coiffé d’un bonnet drapé dans les tons de gris foncé et rouge.

Dans la seconde moitié du siècle, le linge de corps devient à la mode comme vêtement du dessus. Petit rappel. La complexité, la fragilité de certaines pièces des garde-robes, tant féminines que masculines, en font des objets parfois difficiles à laver. La chemise, pratiquement identique pour les deux sexes, a comme fonction celle de sous-vêtement. Elle est aussi plus simple à entretenir. Peu à peu, elle va quitter son rôle de sous-vêtement pour devenir une robe droite chez la femme. Tout de confort et de simplicité ! Et désormais, elle se donne à voir dans les portraits masculins. Néanmoins, le raffinement reste d’actualité : dentelles à profusion… manchettes… broderies délicates… transparence de la mousseline… mais refus des conventions d’apparat !

Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802) fait le Portrait d’Abraham Fontanel (vers1779). Il est vêtu d’une simple chemise blanche, avec un empiècement ou « pièce d’épaule », au col bordé de fine dentelle ainsi que les poignets. Et d’un gilet de satin blanc lui aussi. « Les deux extrémités du col entrouvert sont saisies entre le pouce et l’index de la main gauche remontante, une main superbe bombée puis fuselée (…) pleine du frémissement de la vie. » (Jean Claparède, La vie du musée Fabre de Montpellier, 1944). Une gestuelle sensuelle. Et quel regard charmeur, aguicheur ! Le Portrait d’homme (1786 ou 1789 ?) de Philippe Chéry (1759-1838) est parfois considéré comme son autoportrait. Il nous offre une posture inhabituelle du personnage, posture presque cavalière : vu de trois-quarts dos, le bras négligemment posé sur le dossier d’un fauteuil. Même chemise ouverte. Regard plus sombre. Sont exposées deux chemises à jabot, en toile de lin blanc dont la hauteur varie de 91,4 cm pour l’une et de 106 cm pour l’autre.


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Joseph-Siffred Duplessis Carpentras 1725-Paris 1802 Portrait d’Abraham Fontanel vers 1779 Huile sur toile H.72,6 , L. 60 cm donné par Fontanel à la confrérie des Pénitants bleus, 1779 Montpellier église des Pénitents bleus © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole Frédéric Jaulmes

Côté féminin, Pierre Subleyras (1699-1749) nous convie à « une scénographie » de l’intime avec son Portrait de la comtesse Mahony (vers 1740 ?). En tenue négligée, elle n’est cependant pas assise à sa table de toilette. A mi-corps, de face, la pose est convenue, voire raide. Des draperies de velours d’un bleu profond l’entourent faisant ressortir la blancheur vaporeuse de linge, le ton rosé de la carnation, son teint d’albâtre et l’éclat des perles de son bracelet. Elle presse sur son sein gauche un long ruban rose qui doit permettre de froncer le déshabillé garni de dentelles. Elle pose sa main droite sur un petit chien (certainement un Cavalier King Charles vu l’origine anglaise de la dame). Rappelons que la figure du chien, dans la peinture, est le symbole de la fidélité… Ambiguïté entre la représentation de la fidélité et celle quasi érotique du négligé ! Autre chemise impudiquement (lascivement ?) entrouverte, celle de la jeune femme du Baiser à la dérobée (anonyme d’après Fragonard, après 1787). En 1782, Elisabeth-Louise Vigée Le Brun fait le portrait de Yolande-Martine-Gabrielle de Polastron, duchesse de Polignac (1749-1793). Elle est vêtue d’une robe blanche dont la mode est en plein essor. Les cotonnades fleuries sont oubliées, du moins dans l’aristocratie. Robe souple en mousseline de coton, ceinturée sous la poitrine, une double collerette volantée (qui met en valeur le décolleté) et volants identiques au bas des manches. Touches sombres de l’étole noire et de la plume qui orne le chapeau « à la jardinière ». La coiffure n’est plus poudrée. La duchesse a quitté le boudoir habituel pour être portraiturée en plein air : bleu du ciel, carnation pâle du visage, fleurs des champs piquées dans le chapeau. Une nature champêtre évoquée, celle du Hameau de la Reine.


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Elisabeth-Louise Vigée Le Brun Paris 1755-Paris 1842 Yolande-Martine-Gabrielle de Polastron, duchesse de Polignac (1749-1793) 782 Huile sur toile, H. 92,2 L. 73,3 cm, Entré à Versailles par donation en paiement de droits de succession, 1998 Versailles, châteaux de versailles et de trianon, inv. MV 8971 © RMN Grand Palais (Château de Versailles) - Gérard Blot

La robe (vers 1785/90) exposée témoigne de la transition entre les modèles vus précédemment et la robe droite exposée plus loin qui, elle, préfigure la mode Empire. En toile de coton blanc, le volume de la jupe reste centré sur l’arrière… la poitrine est valorisée par le pissé qui descend jusqu’à la taille. Les broderies, ton sur ton, sont disséminées sur la jupe et courent sur le bas de celle-ci. Cette toile de coton blanche et la mousseline quadrillée qui l’orne s’affichent également avec un caraco de femme (vers 1780/85) exposé dans une autre vitrine. Aucun artifice, sauf peut-être la mousseline quadrillée ou falbalas (volant, bande d'étoffe plissée ou froncée, dont on garnissait les robes) que l’on retrouve aux manchettes.

C’est ici l’occasion de parler de cette éclosion du blanc dans la mode et, par voie de conséquence, dans la peinture. Son importance va croissant à partir de 1780. Marie-Antoinette juge qu’il sied bien aux tenues d’été. Mais rappelons que ces toiles de coton et ces mousselines étaient déjà importées depuis la fin du XVIIème siècle par la Compagnie des Indes orientales. Cette « couleur » est aussi le symbole de l’Antiquité. Plusieurs toiles à ce propos. Les Vierges antiques (1727) ou les Vierges modernes (1728) ou encore Le Portrait de madame Boucher, née Marie-Françoise Perdrigeon (1733), toutes signées par Jean Raoux (1677-1734). Mais ici « les atours tenaient bien plus de l’opéra ou de la mode du temps que du drapé grec : paniers soutenant les jupes, bustes corsetés, manches bouffantes, vestes aux longues basques, et, malgré les voiles de satin blanc ou crème, symboles de pureté, décolletés parfois trop profonds pour de chaste gardiennes du feu sacré, moins vêtues d’exactitude que du rêve d’un peintre. » (in catalogue, Gwenola Firmin). Mais la découverte des sites de Pompéi et d’Herculanum influence plus réellement la mode : coiffure à la grecque (boucles sur le front et les tempes)… tenues longilignes qui allongent et affinent la silhouette… fluidité de fins voiles en linon blanc… Bref, une recherche de simplicité, de lignes épurées moins ostentatoires. En témoigne la robe (1790/92) en mousseline parsemée de broderies de fils de coton bleus et de fils argentés dorés pour ce qui est du motif en frise qui borde les manches et le bas. Plus tard, Jacques-Louis David (1748-1825) portera « l’évocation du monde antique à un autre degré de perfection » (ibidem). Proximité avec le portrait de Madame Juliette Récamier présenté au Salon de 1799 par Eulalie Morin (1765-1837) : robe inspirée du peplos grec ouvert (dont elle retient un pan) et fixé aux épaules par deux fibules. Dans la même vitrine : un manteau de représentant du peuple (1798). Après la blancheur de précédentes pièces exposées, le rouge profond de celui nous interpelle ! En drap de laine, bordé de lotus et de palmettes, il s’agrafe sur l’épaule suivant le modèle de la toge romaine.


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Robe vers 1790-1792 toile de coton fine (mousseline) ; doublure en toile de coton blanc ; broderies au point de chainette, fils de coton bleus, filé d’argent doré H.130 cm © Acquisition de la ville de paris, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de paris, inv. 1994.233.1 & Manteau de représentant du peuple 1798 Drap de laine ; broderies d’application en drap de laine, passementerie moderne D.293 cm Rayon 189 cm © Don de M André Tissot-Dupont Palais Galliera, musé de la Mode de la Ville de Paris, inv.1972.26.1 – photo : JMB

Nous venons d’évoquer le blanc. Parlons de celui qui concerne l’enfance. Sont présentés diverses brassières et une chemise de nouveau-né, une robe d’enfant en toile fine de coton aux broderies placées, un bonnet aux broderies dites « boutis ». Ici aussi recherche de la fluidité afin de favoriser l’épanouissement de l’enfant. Influence de l’Angleterre qui s’accorde avec les écrits de Jean-Jacques Rousseau (1772-1778) prônant une éducation de l’enfant tournée vers plus de liberté. Focus sur deux tableaux : le Portrait de mademoiselle de Vellefrey (1796) de Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) et Le Repos ou Jeune fille surprise par le sommeil (1759) de Jean-François Gilles dit Colson (1733-1803). La première toile montre le visage d’une enfant (en cadrage serré sur un fond sombre), visage saisissant de réalisme et de douceur ! Elle porte une robe blanche ceinturée à la taille par une haute ceinture bleue à pois blancs serrée par une boucle d’argent. Bleu également le nœud qui orne sa chevelure brune qui pend sur les épaules. La seconde : une jeune fille endormie dans un confortable fauteuil aux coussins de velours gris et orange. Elle est vêtue avec coquetterie d’une robe blanche sur un jupon bleu. Elle tient un serein par un ruban. Un chat guette… prêt à bondir sur l’oiseau pour le dévorer ! Ce qui induit une seconde lecture du tableau (voir notre chronique l’Empire des sens) : la pureté (robe blanche) et la perte de la virginité (le chat prédateur).

Petit retour en arrière ! En premier lieu, sur ce « manteau » ou « robe de chambre » dit aussi « robe volante ». La vitrine permet de voir cette magnifique robe sur 360° ! Le cartouche explicatif indique qu’elle est en « lampas lancé broché, fils de soie jaunes, vert foncé et vert clair, filés et ondés d’argent ; doublure de taffetas de soie jaune ». De par sa forme lâche, de par sa coupe ample, portée ouverte ou fermée, elle est en complète opposition avec la rigidité du corps baleiné. Elle se caractérise par un petit drapé au dos.

En second lieu, sur la « Boutique de mode » située au cœur de l’exposition. A gauche de l’entrée, un panneau d’échantillons de tissus. Certains de ces tissus ont servi à la confection de la robe à la française présentée ici. Une perruque « en pouf » identique à celle portée par la princesse de Lamballe. Une frise des différentes couches des vêtements donne à imaginer la complexité de l'habillement, des différents vêtements qu’il convient d’enfiler pour aboutir à la tenue dessinée à proximité. Pour les femmes : une chemise, un corps à baleine, un ou des jupons, un panier, une jupe et enfin un manteau de robe ! Pour le vestiaire masculin : une chemise, une culotte, un gilet et un habit. Sont proposés une série de passe-têtes permettant de voir à quoi nous pourrions ressembler vêtus à la mode du XVIIIème siècle !


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Echantillons de tissus © Exposition A la mode – Musée d’Arts de Nantes – photo : JMB

La scénographie. Que dire si ce n’est qu’elle est sobre, élégante voire, n’hésitons pas, spectaculaire ! Elle tient parfaitement compte des lieux. Les hautes arcades du Patio se transforment en niches accueillant des images extraites des œuvres présentées. Les vitrines à l’intérieur sombre, parfois noir, contrastent avec la blancheur légèrement gris clair de murs. Souvent transparentes des deux côtés, elles permettent une agréable lisibilité des pièces exposées. Et comme souvent nous avons le loisir d’aller et venir dans les salles.

Cette coproduction avec le musée des Beaux-Arts de Dijon a bénéficié d’une collaboration exceptionnelle avec le Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris. De Paris Musées, les Musées de la Ville de Paris ainsi que la contribution exceptionnelle (dix œuvres majeures) du Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon. D’estimables prêts, avec parfois des pièces inédites, du Musée d’Ecouen. Egalement de grands musées textiles, voire des musées internationaux (Stockholm, Amsterdam ou Londres).

Des tableaux emblématiques, d’autres moins connus côtoient des dessins inédits, des vêtements, des accessoires (dont certains ont été restaurés pour l’occasion). Grâce à un dialogue incessant entre mode et peinture, nous nous immergeons dans un XVIIIème siècle où l’art de paraître est intimement lié à la position sociale… où une nouvelle aristocratie financière cherche à se distinguer par la richesse de ses parures. Le parcours de l’exposition se déploie en quatre univers distincts mais finalement très proches ! Nous pouvons y voir la naissance de la mode telle que… nous la connaissons de nos jours !

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Divers rendez-vous à ne pas manquer autour de l’exposition:
- un « Cycle mode et cinéma » à partir de janvier 2022 (au Cinématographe),
- des visites en compagnie des commissaires,
- des visites du dimanche, d’autres en nocturne ou encore en langue des signes,
- les rendez-vous de midi (une pause déjeuner pour suivre une visite ou dessiner devant les œuvres).
Sans oublier les ateliers « Enfants-Familles ».
Pour plus d’information, se reporter sur Musée d’arts de Nantes



L’exposition sera présentée au Musée des Beaux-arts de Dijon (coproducteur de celle-ci) du 6 mai au 22 août 2022. Les œuvres exposées à Dijon ne seront pas identiques, dans leur totalité, à celles de Nantes. Le catalogue réunit l’ensemble des œuvres présentes dans les deux expositions.



Publié le 11 janv. 2022 par Jeanne-Marie BOESCH