L’Amour en scène ! François Boucher, du théâtre à l’opéra

L’Amour en scène ! François Boucher, du théâtre à l’opéra © Musée des Beaux Arts de Tours
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François Boucher, peintre de décors d’opéra

On connaît évidemment François Boucher (1703 – 1770) comme portraitiste et peintre de scènes galantes. Il fut un représentant emblématique du courant rocaille dans la peinture, dans le sillage d’Antoine Watteau (1684 – 1721). Ses fonctions officielles lui permirent d’encourager les débuts d’un autre peintre qui illustra ce même courant, Jean-Honoré Fragonard (1732 – 1806). Fils unique d’un peintre et dessinateur, il se forme notamment dans l’atelier de François Lemoyne (1688 – 1737), qui l’initie aux grandes scènes mythologiques. N’ayant pu obtenir une place de pensionnaire à l’Académie française de Rome, il s’y rend en 1727 comme élève libre, en compagnie de Carle Van Loo. Son talent lui permet d’être admis fin 1731 à l’Académie royale de peinture et de sculpture comme peintre d’histoire. Il rentre à Paris, et ses premiers tableaux obtiennent aussitôt la faveur du public. Parallèlement, son talent lui ouvre les commandes des institutions officielles : à partir de 1735 la Manufacture de tapisserie de Beauvais lui demande des cartons ; il est également nommé professeur-adjoint à l’Académie. Il s’oriente vers la production de toiles destinées aux demeures aristocratiques en bourgeoises, souvent conçues par paire ou par séries, pour décorer dessus de portes et lambris. Vers 1745, il obtient la faveur de madame de Pompadour (dont il peindra plusieurs portraits). Celle-ci lui commande de nombreuses toiles pour rehausser les demeures qu’elle décore à grands frais, notamment le château de Bellevue et celui de Crécy. On sait aussi que la marquise se fit aménager à Versailles en 1747 le Théâtre des petits cabinets (ou Théâtre des petits appartements), dans lequel elle donna des représentations lyriques jusqu’en 1751. Elle en confia la décoration au peintre, qui était déjà familier des décors et costumes d’opéra, collaborant depuis 1737 à ceux de l’Académie royale de Musique de Paris (ARM), sous la direction du titulaire, Giovanni Niccoló Servandoni. Au cours de sa carrière, Boucher a contribué à une centaine de spectacles lyriques ou de théâtre, dont soixante-quatre pour la seule scène de l’ARM. C’est cette facette que le Musée des Beaux-Arts de Tours (MBAT) – qui abrite plusieurs toiles marquantes du peintre – a tenu à présenter dans une exposition qui s’est tenue du 5 novembre 2022 au 30 janvier 2023.

La première salle, intitulée La passion de la scène, nous rappelle l’engouement des Parisiens pour les spectacles après l’austérité de la fin du règne de Louis XIV. Une grande carte de la capitale nous situe les différentes salles actives à cette période, y compris les lieux temporaires, comme ceux des foires (la foire Saint-Germain en hiver, la foire Saint-Laurent en été).

Une grande affiche nous remémore les dates marquantes de la collaboration de Boucher avec la scène : création de l’Académie royale de musique (1672), du Théâtre-Français et du Théâtre-Italien en 1680 ; réception de Boucher à l’Académie avec Renaud et Armide (1734), tableau inspiré de l’opéra Armide de Lully (1686) ; en 1737 début de sa collaboration avec l’ARM, puis en 1743 avec l’Opéra-Comique de Charles Favart. En 1744 il succède à Servandoni à l’ARM, poste qu’il occupera jusqu’en 1749, date à laquelle il exécute les décors du Théâtre des petits cabinets. Il reprendra la direction des décors de l’ARM de 1761 à 1767. En 1765 il est nommé Premier peintre du roi et Directeur de l’Académie de peinture et de sculpture. Il s’éteint en 1770, à l’âge de soixante-sept ans.

Une maquette du Théâtre des petits cabinets nous fournit une idée assez précise de ce « théâtre de poche ». Celui-ci pouvait accueillir une centaine de spectateurs, triés sur le volet, et une trentaine de musiciens, ce qui peut paraître assez considérable mais était nécessaire pour le répertoire français, aux formations instrumentales étoffées. Les meilleurs musiciens du moment avaient été mobilisés au service de la marquise, qui se réservait en principe le rôle féminin principal pour y briller. En 1749 la marquise y chanta notamment Galatée, dans Acis et Galatée de Lully.

La salle accueille également un portrait de Boucher par Alexandre Roslin (1718 – 1793) et un portrait de madame de Pompadour d’après Nattier (1685 – 1786).

La seconde salle, Se divertir à Paris au XVIIIème siècle, s’attache aux spectacles lyriques de la période. La pastorale Issé, composée en 1697 par André-Cardinal Destouches (1672 – 1749), sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte (1672 – 1731) tiré des Métamorphoses d’Ovide, était toujours en vogue près d’un demi-siècle après sa création. Boucher participa sans doute à la reprise de 1741 à l’Académie royale de Musique, et de façon certaine à celle de 1749 dans le Théâtre des Petits Cabinets avec la Pompadour. Le grand tableau de Boucher Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé (collections permanentes du MBAT) constitue également une allégorie de l’aventure de la Pompadour, séduite par Louis XV au cours d’un bal masqué. Nous sommes frappés par la délicatesse des nuances de rose qui entourent la bergère, en opposition avec les verts froids de l’arrière-plan ; par l’expressivité des visages (en particulier la surprise qui se lit sur celui de la bergère), contrastant avec les inévitables guirlandes de fleurs et putti, attributs familiers du décor rocaille, qui imprègnent la scène de leur sensualité. Autre œuvre monumentale : une grande tapisserie de Beauvais, sur un carton de Boucher, représentant Le sommeil d’Issé (1762). Cette œuvre témoigne de la faveur de cette pastorale tout au long du XVIIIème siècle.


Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé – Musée des Beaux Arts de Tours

Une autre œuvre de grandes dimensions attire également notre regard, la toile Apollon couronnant les arts (collections permanentes du MBAT). Il s’agit très probablement d’une esquisse de rideau de scène pour un théâtre – peut-être pour la nouvelle salle envisagée suite à l’incendie en 1763 de la salle du Palais Royal de l’Académie de Musique, qui fut décorée par Boucher et inaugurée en 1770. Autre témoignage de l’engagement de Boucher dans les productions lyriques de son temps, une série de dessins colorés retracent les costumes imaginés pour des représentations de l’Académie de Musique : pour les chœurs (dans Armide, reprise de 1761) et pour l’Aurore (pour la reprise en 1763 deTiton et l’Aurore de Mondonville – voir notre chronique).


Apollon couronnant les arts – Musée des Beaux Arts de Tours

Une maquette du projet (jamais réalisé) de théâtre de poche souhaité par Louis XV à l’attique du château de Versailles nous permet également la manière dont on imaginait les théâtres à cette époque, et qui débouchera un peu plus tard (en 1770) sur la réalisation de l’actuel Opéra royal par l’architecte Ange-Jacques Gabriel.

La troisième salle est consacrée à L’opéra Silvie. A peu près complètement tombé dans l’oubli de nos jours, ce ballet héroïque de Pierre Montan Berton (1727 – 1780) et Jean-Claude Trial (1732 – 1771), sur un livret de Pierre Laujon (1727 – 1811) fut créé à Fontainebleau en 1765 et à l’Académie de Musique l’année suivante. Il s’agissait de la reprise, assez remaniée, d’une pastorale mise en musique en 1749 par Pierre Lagarde pour le Théâtre des petits cabinets, et dans laquelle la Pompadour chantait le rôle-titre. Le livret est inspiré de L’Aminte du Tasse. L’œuvre connut un grand succès, restant plus de deux ans à l’affiche ; elle fut même reprise à Stockholm en 1774. La partition, des dessins de costumes de scène des représentations sont rassemblés dans la salle.


Aminte revenant à la vie dans les bras de Sylvie – Musée des Beaux-Arts de Tours

Surtout, on peut admirer sur les murs la série complète des quatre tableaux ovales peints par Boucher vers 1755-1756, probablement pour des dessus de porte du château de Crécy : Sylvie guérit Philis de la piqûre d’une abeille et Sylvie délivrée par Aminte (tous deux conservés habituellement à Paris, dans l’Hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France, qui les a prêtés pour l’exposition) ; Sylvie fuyant le loup qu’elle a blessé et Aminte revenant à la vie dans les bras de Sylvie (conservés au musée de Tours). Cette réunion de la série complète est exceptionnelle : c’est la première depuis qu’ils furent séparés, dès le XVIIIème siècle. Un grand cartel nous retrace leur histoire. En 1757 le duc de Penthièvre achète le château de Crécy, qu’il revend en 1775 mais en conservant les tableaux qu’il envoie probablement à l’hôtel de Toulouse. En 1784 le duc achète le château de Chateauneuf-sur-Loire, dans lequel il envoie deux tableaux de la série (Sylvie fuyant le loup et Aminte revenant à la vie) ; en 1786 le duc achète à la veuve de Choiseul le château de Chanteloup (aux environs d’Amboise, aujourd’hui disparu) et y transfère les deux tableaux. Après la mort du duc en 1793, ceux-ci y furent saisis et transférés au musée de Tours. De son côté l’hôtel de Toulouse, qui abrite les deux autres tableaux, devient en 1808 la propriété de la Banque de France, récemment créée.

De nombreuses gravures et estampes témoignent de la grande popularité de cette thématique à son époque. Nous sommes ainsi émerveillés par la fraîcheur des coloris d’une splendide tapisserie des Gobelins, en laine et soie, Sylvie délivrée par Aminte, tissée vers 1796, qui atteste d’un engouement durable pour les aventures de cette héroïne.

La quatrième et dernière salle est intitulée Opéra Comique et postérité de François Boucher. Elle nous rappelle qu’en 1762 les théâtres de la Foire parisienne fusionnent avec la Comédie Italienne pour donner naissance à l’Opéra Comique, institution qui perdurera jusqu’à nos jours. Y sont présentés des cartons de Boucher pour Les Vendanges de Tempé (opéra-comique créé en 1745, repris en 1752 sous un titre modifié), avec leurs personnages de prédilection : joueurs de flûte, jaloux, mangeurs de raisin... Cette dernière salle accueille également un certain nombre d’objets précieux de l’époque rocaille : porcelaines de Meissen ou de Vincennes et Sèvres, émaux (montres, bonbonnières),…ainsi que quelques insolites œuvres contemporaines, comme cette robe d’un styliste imaginée pour la Pompadour !


Les coulisses de l’Amour – Musée des Beaux-Arts de Tours

Cette exposition Boucher est complétée par une autre, visible jusqu’au 13 mars prochain, et consacrée aux Coulisses de l’Amour, préparée par les étudiants de mastère 2 du département Histoire de l’art de l’Université de Tours. Elle expose les moyens utilisés par les artistes du siècle des Lumières pour représenter l’amour : du simple sentiment amoureux (comme dans cette reproduction de La Cascade, d’après Watteau) à l’affirmation d’un érotisme assumé. Elle rassemble tableaux, gravures et tapisseries mais aussi des objets, comme cette surprenante soucoupe en porcelaine montrant à l’avers une femme relevant sa robe… et dévoilant son fessier au revers ! Le siècle devait en effet composer entre la pudeur exigée par la religion et un libertinage assez présent.

Cette présentation nous dévoile également à quel point la mythologie constituait un prétexte répandu et généralement accepté pour montrer des nus, aux côtés d’autres thèmes spécifiques développés au cours de la période, comme celui de la balançoire (magnifiquement illustrée dans la célèbre toile de Fragonard : Les hasard heureux de l’escarpolette).



Publié le 15 févr. 2023 par Bruno Maury