Chefs d’œuvres de la chambre du Roi. L’écho du Caravage à Versailles.

Chefs d’œuvres de la chambre du Roi. L’écho du Caravage à Versailles. ©Exposition Chefs d’œuvres de la chambre du Roi. L’écho du Caravage à Versailles - Château de Versailles (78000)
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Tableaux de l’attique à portée du regard !

Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de visiteurs qui parcourent les Grands et les Petits Appartements du château de Versailles. Sans oublier l’imposante Galerie des Glaces. Mais également, au cœur du château, l’une des pièces les plus symboliques donnant sur la Cour de Marbre : la chambre du Roi. Elle devient, au fil du temps, la pierre angulaire de l’étiquette royale imposée à la Cour. L’épicentre de la vie de Cour. De ce fait, son décor est l’objet de toute l’attention royale.

Rapide retour sur cette « chambre du Roi » qui change à plusieurs reprises de lieu au sein du château. 1653. Située au premier étage, Louis XIV (1638-1715) y dort pour la toute première fois. 1665. Elle est déplacée au rez-de-chaussée dans l’appartement de sa mère, la reine Anne d’Autriche (1601-1666). La chambre commande alors salon et cabinets. Nouveau déplacement en 1673 : elle devient une chambre de parade et prend place, au premier étage, au sein du grand Appartement du Roi, dans le salon d’Apollon. Par la suite, elle rejoint le salon de Mercure adjacent. 1684. La reine Marie-Thérèse (1638-1683) étant décédée, la chambre du Roi est déplacée dans le petit appartement de celle-ci. Une chambre qui manque d’ampleur. Aussi le roi se prépare dans une pièce connexe, le « salon où le Roi s’habille ». 1701. Afin de pallier au problème de l’étroitesse de cette chambre, le « salon où le Roi s’habille » devient sa chambre à coucher. Egalement sa chambre de parade, fusionnant ainsi les deux fonctions en un même lieu : l’intime et l’apparat. Chambre d’un roi et chambre d’un homme ! Qui plus est, celle-ci est parfaitement située dans l’axe est-ouest. Celui du soleil levant. Notons cependant que, durant tout le règne, la chambre de parade officielle demeure le salon de Mercure.

Qui dit « chambre royale », pense à un décor somptueux ! Richesse du décor, préciosité du mobilier et des étoffes en font « un lieu de pouvoir par excellence où s’exprime la majesté royale » (catalogue). Au centre, un lit à baldaquin monumental fermé par d’épaisses tentures (qui isolent du froid). A son sommet, quatre bouquets de plumes d’autruche blanches. Une balustrade dorée empêche l’accès au lit. Objet infranchissable, occupant les deux tiers de l’espace, elle délimite une sorte de sanctuaire, sacralisant ainsi l’espace réservé au souverain.

Lieu de sommeil en soi, la chambre du roi est un lieu de parade dans lequel se déroulent les moments importants de la vie du palais. C’est ici que les courtisans assistent au Lever et au Coucher du roi. Louis XIV y prend également un repas, le Petit Couvert. Assister à ces moments de la vie du monarque, être présent dans cette chambre est un privilège que les puissants et les pairs du royaume se disputent ! Par tradition monarchique, elle est également l’espace privilégié pour les réceptions des ambassadeurs étrangers ainsi que les prestations de serment. Les chevaliers de l’ordre de Saint-Louis y sont adoubés par le roi comme en témoigne le tableau L’institution de l’ordre militaire de Saint-Louis, le 10 mai 1695, peint par François Marot (1666-1719). Pour la petite histoire, notons que l’étiquette interdit à la Reine de pénétrer dans la chambre du Roi ! C’est ce dernier qui lui rend visite dans son appartement voisin.

Louis XIV suit de près les modifications apportées à la pièce. Les décors (boiseries, pilastres, chambranle des portes,…) sont conservés. L’implication du roi est totale. Préoccupé par la richesse du décor, il commande de « l’orner de sculpture très richement ». Le roi maintient les cinq peintures de Valentin de Boulogne (1591-1632) déjà présentes. D’autres sont retirées du fait de la création d’un relief en stuc doré au-dessus du lit : La France veillant sur le sommeil du Roi (Nicolas Coustou, 1658-1733). Une allégorie du royaume de France assise sur un manteau d’hermine, accompagnée, aux angles, de deux renommées veillant sur le sommeil royal. Les toiles retirées sont dues au pinceau de Giovanni Lanfranco (1582-1647), Alessandro Turchi (1578-1649) ainsi qu’un autre tableau de Valentin de Boulogne.

Dirigeons-nous vers l’appartement de Madame de Maintenon (1635-1719) où se tient l’exposition. Pourquoi cette exposition ? Six tableaux qui ornent le niveau supérieur de la chambre du roi (à dix mètres du sol !) sont présentés, ici, à portée du regard. Six tableaux exposés, dans un premier temps, au musée des chefs-d’œuvre de Picardie, à Amiens (septembre 2022-février 2023). Un prêt exceptionnel, voire inédit en échange de celui de la série des chasses exotiques pour l’exposition consacrée, l’automne dernier, à Louis XV, goûts et passions d’un roi (voir notre chronique).

Petit rappel. Dans les années 1950, la chambre n’a plus ni lit, ni les textiles l’habillant. La maquette réalisée en 1958 permet, alors, de restituer aux visiteurs l’état de cette chambre telle qu’elle pouvait être dans les années 1715/1720. Cette maquette sert d’introduction à l’exposition. Il fallut une vingtaine d’années pour tisser ce fastueux brocart (d’or et d’argent sur fond cramoisi) qui correspond à la « tenture d’été ». Un lit dit « à la française » (le ciel de toit est de même dimension que la couche) et deux fauteuils sont installés. Les tableaux occupent leur emplacement actuel à l’attique (partie de l’entablement édifiée au-dessus de la corniche et servant à dissimuler la naissance des toitures. in Lexique des Termes d’Art par Julien Adeline, publication originale de 1885, réimpression en fac-similé de 2014). Une petite huile sur toile peinte en 1861 par Victor Navlet (1819-1886) représente cette chambre avec, parfois, un décor fantaisiste tel celui de la voussure (courbure d'une voûte ou d'une arcade; portion de voûte qui raccorde un plafond avec la corniche d'une pièce).


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Photo maquette : Charles Arquinet, maquette de la chambre de Louis XIV, 1958, H.0,85 ; L. 0,82 ; Pr.0,70 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, V 6059

Seconde salle. Une collection variée.

Quatre médaillons, de forme ovale. Des dessus-de-porte provenant de la collection du Everhard Jabach (1618-1695, banquier d’origine allemande naturalisé français, directeur de la Compagnie des Indes orientales). Ils sont acquis par le roi en 1662 puis en 1670. Deux sont considérés de la main d’Antoon van Dyck (1599-1641) : un Autoportrait et le Portrait de Moncade, marquis d’Ayton (dont on se demande pourquoi le roi voulait l’avoir sous ses yeux ?). Sans doute des répliques d’atelier. Le peintre est représenté de trois-quarts : regard en biais, cheveux ébouriffés, habit de velours vert, chemise blanche à col ouvert. Le marquis d’Ayton est peint de face : visage rougeaud regardant droit devant lui, chevelure et moustache grisonnantes, cuirasse aux reflets brillants, agrémentée d’un simple col blanc. Les deux portraits se font face dans la chambre royale.


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Photo Portrait de Moncade : d’après Antoon van Dyck, Portrait de Moncade, marquis d’Ayton, huile sur toile, ovale, H. 0,68 ; L. 0,58 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7315, dépôt du musée du Louvre, 1948

Deux saints. Saint Jean-Baptiste attribué à Battistelo Caracciolo (vers 1578-1635) : vu à mi-corps, dénudé, la tête penchée sur son épaule gauche, la main droite reposant sur le bras gauche. Une draperie rouge repose sur son avant-bras gauche. Il tient dans la main gauche un phylactère (sorte de banderole aux extrémités enroulées) sur lequel est écrit : AGNVS DEI. L’utilisation d’ombres profondes, d’un fond sombre ou la représentation d’un saint jeune ont longtemps contribué à l’attribution de cette huile sur toile à Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit le Caravage (1571-1610). Sainte Madeleine d’après Domenico Zampieri, dit le Dominiquin (1581-1641). Cette huile sur toile, anciennement rectangulaire, fut transformée pour sa mise en place dans la chambre du roi. La sainte, à mi-corps elle aussi, s’appuie sur un dossier, probablement d’une chaise, les mains croisées, le regard levé vers le ciel. Finesse des traits juvéniles. Longues boucles blondes encadrant son visage. Fond sombre sur lequel se détache la blancheur de la carnation, le bleu du manteau (ou étole ?) avec la petite touche rouge de la robe.


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Photo Ste Madeleine : d’après Domenico Zampieri, dit le Dominiquin, huile sur toile, ovale, H. 0,76 ; L. 0,66 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 8377, dépôt du musée du Louvre, 1950

Dans le couloir qui mène à la pièce suivante, une vidéo. Elle retrace le déplacement de la chambre du roi dans l’espace, l’installation de 1701 en présentant plusieurs plans (voir la capture d’écran), l’aménagement des décors (explication détaillée de l’emplacement des tableaux) et de l’ameublement.


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Photo capture d’écran © JMB

Troisième salle. Du salon à la chambre : trois chefs-d’œuvre exilés.

Trois tableaux du « salon où le roi s’habille ». Trois tableaux dont nous ignorons la disposition exacte. Sans doute accrochés sur le mur ouest, une cloison avec trois ouvertures assurant la liaison avec la Galerie des Glaces. Il semble que la scène tirée de l’Ancien Testament - Agar secourue par l’ange de Giovanni Lanfranco (1582-1647) peinte vers 1616 – était au centre entourée de deux scènes dites de genre : La Diseuse de bonne aventure de Valentin de Boulogne et la Réunion de buveurs attribué à Nicolas Tournier (1590-1639). Ces tableaux reflètent parfaitement la typologie caravagesque chère au roi. Les figures occupent l’espace sur un fond indifférencié. Elles émergent de l’ombre grâce à une lumière directe qui se focalise sur elles. Jeux de mains et regards narrent l’action.

L’épisode d’Agar (Genèse, 21,9) est souvent traité au XVIIème siècle. Rappel : Abraham donne satisfaction à son épouse Sara en chassant la servante égyptienne, Agar, et son fils Ismaël dont il est le père. Dans le désert, l’eau vient à manquer. Agar abandonne son fils dans un buisson et s’en écarte. Les cris de l’enfant et les pleurs de la mère interpellent Dieu qui envoie un ange. C’est cet instant que fige le peintre. « (…) l’ange adolescent touche d’une main l’épaule d’Agar et, de l’autre, désigne la source salvatrice. (…) le peintre s’écarte (cependant) du texte lorsqu’il représente l’enfant auprès de sa mère. D’une exécution sommaire, Ismaël s’intercale maladroitement entre Agar et l’ange » (Béatrice Sarazin, catalogue). Une composition en diagonale avec effet de clair-obscur. Une partie gauche plutôt sombre. Couleurs vives des vêtements d’Agar (manteau aux reflets de bleu moiré, robe rouge). Sur la droite, en arrière-plan, un paysage verdoyant et lumineux (nous sommes loin du désert dont parle la Bible !). Carnation claire aux ombres marquées des personnages.


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Photo Agar et l’ange : Giovanini Lanfranco, Agar secourue par l’ange, s.d., huile sur toile, H. 1,21 ; L. 1,59 m © Montbrisons-sur le Lez, église Saint Blaise

La réunion de buveurs est un thème de prédilection chez les peintres caravagesques. Profondeur de la composition. Galerie de personnages assis et debout autour d’une table de marbre (autel romain antique ?). Sur celle-ci, un couteau posé en équilibre. Il a sans doute servi à couper les morceaux de pain abandonnés à proximité. Sur la gauche, un joueur de luth observe ses compères. L’un tient un verre de vin pendant qu’un autre, qui nous regarde, fait remplir le sien par un serviteur debout derrière lui. Deux personnages à l’arrière-plan : l’un, tête penchée en arrière, se gave de nourriture prise dans le plat qu’il tient de sa main droite. Le second boit à la fiasque (bouteille à col long et à large panse garnie de paille). Harmonie des tons cuivrés dans une gamme de brun, agrémentée de taches orange, rose ou vert foncé.


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Photo Réunion de buveurs : attribué à Nicolas Tournier, Réunion de buveurs, huile sur toile, H. 1,29 ; L. ,92 m © Le Mans, musée de Tessé, INV 365, dépôt du musée du Louvre, 1958

La Diseuse de bonne aventure. Nous retrouvons une réunion de personnages, dans une auberge, à l’entoure d’une table. Celle-ci recouverte d’un épais tissu damassé de tons orangés. Tous les âges de la vie sont représentés. « L’air détaché, ils paraissent indifférent les uns aux autres » (catalogue de l’exposition Les Bas-fonds du Baroque. La Rome, du vice et de la misère, printemps 2015). Personnages principaux : la chiromancienne qui lit l’avenir dans la main d’un homme assis sur un tabouret de bois. Ces mains captent notre regard. Elle se tient dans l’ombre. Son client scrute les gestes de la bohémienne. Craint-il quelque chose ? Derrière elle, un inconnu plongé dans la pénombre. On ne voit que ses mains qui la détroussent de sa bourse (de sa poule ?). Personne ne se rend compte du forfait, chacun étant absorbé par ce qu’il fait ! Anecdote du trompeur trompé, souvent reprise. Gravité du jeune homme perdu dans ses rêves, au second plan. Visage incliné appuyé sur la main, dans l’attitude traditionnelle de la mélancolie. Dans la partie opposée, à droite, le peintre met en scène deux musiciens : une joueuse de guitare (instrument habituel des bas-fonds de Rome au début du XVIIe siècle) et un joueur de harpe (instrument plus inattendu). Le regard fixe de ce dernier indique qu’il est, peut-être, aveugle. Vêtements clairs (à l’exception des touches de rouge et de bleu de la robe de la bohémienne) et carnations blanches contrastent avec le fond presque noir. Deux tableaux qui traduisent l’atmosphère d’une taverne en soirée.

Nous voyons ici « Valentin (et) ses acteurs préférés : fille au menton lourd (… un) gentilhomme coiffé d’une toque à plumes (…) ou un vieux joueur de harpe dans une taverne louche » (Les écrits de Jacques Thuillier, La peinture française au XVIIème siècle, 2014). Nicolas Tournier est présent à Rome en même temps que Valentin de Boulogne. « (Tous deux démontrent ici) leur habileté à varier les attitudes et à rendre les effets de matières. La profondeur de la composition est augmentée par les objets vu en raccourci » (communiqué de presse).

Quatrième salle. L’attique de la chambre : le clair-obscur selon Valentin de Boulogne.

« On a placé dans differens endroits de ce magnifique sallon plusieurs tableaux, dont il y en a six du Valentin ; sçavoir : les quatre évangelistes qui ont chacun trois pieds et demi de haut, sur quatre pieds sept pouces de large, les Pharisiens qui montrent à Jésus-Christ la pièce d’argent qu’on donnoit pour le tribut » (Piganiol de La Force, Nouvelle description des châteaux et parcs de Versailles et de Marly, 1701).

Louis XIV choisit de conserver six peintures déjà présentes dans le salon. Elles participeront au décor de l’attique de la chambre. Il réserve à Valentin de Boulogne une place prépondérante avec cinq de ses tableaux. Sont également exposés les deux autres tableaux de l’attique. Le Mariage mystique de sainte Catherine d’Alessandro Turchi peint vers 1635. L’enfant Jésus, assis sur les genoux de Marie, passe l’anneau à la main droite de sainte Catherine d’Alexandrie. Cette dernière, un genou fléchi, porte une couronne dorée et appuie sa main gauche sur la roue de son supplice. Gestes solennels s’il en est ! Sobriété de la composition centrée sur les mains et les visages. Fond sombre sur lequel se détachent les coloris du vêtement des deux femmes : drapés lourds dans les tons de rouge et bleu pour Marie, délicatesse presqu’aérienne des tons ocrés et jaune pour la sainte. Finesse des visages, chevelures arrangées sous une sorte de bonnet pour Marie, sous la couronne pour la sainte. Blondeur bouclée et nudité de l’enfant Jésus.

Valentin de Boulogne réduit à trois personnages la scène de l’épisode du Denier de César (vers 1622/23). Les Pharisiens demandent au Christ s’il est permis ou non de payer l’impôt à César et lui tendent un denier où figurent l’effigie et le nom de César. Jésus leur répond : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Evangiles de Matthieu, 12, de Marc 12 et de Luc, 20). Composition centrée sur le jeu des mains et la pièce de monnaie. Expression forte des personnages résultant de l’intensité des regards. A nouveau aucun décor. Jeu subtil du clair-obscur. « Le groupe est savamment disposé, les draperies sont bien jetées et étudiées à la manière de Poussin ; la lumière porte avec raison sur le personnage principal – Mais ce que l’on doit surtout considérer, c’est le beau ton de la couleur et le maniement large et hardi du pinceau de Valentin. L’on n’a véritablement à blâmer dans ce tableau que l’anachronisme des lunettes » (Charles Blanc, « Le Valentin », Histoire des peintures de toutes les écoles. Ecole française. Tome premier, 1862, cité par Béatrice Sarrazin, catalogue).

Les quatre évangélistes forment une série permettant un accrochage deux par deux. Datant des années 1624-1626, ils appartiennent à la même commande dont nous ne connaissons pas le destinataire. Ces toiles entrent dans les collections du roi en 1670. Quatre huiles sur toile de format horizontal. Quatre figures, cadrées aux trois-quarts du corps, qui se détachent sur un fond uni et sombre. Visages, mains, drapés, coloris des vêtements donnent à chacun son identité. Nonobstant la présence de l’animal emblématique de trois d’entre eux et d’un personnage mystique pour le quatrième.

Quatre évangélistes. Quatre amples figures à mi-corps qui se détachent sur un fond uni, plutôt sombre. « Associant monumentalité et finesse d’exécution dans un langage réaliste chargé d’intériorité, Valentin traduit magistralement l’inspiration divine. Il sait tirer parti des traits du visage, des mains et des drapés, mais aussi des coloris – notamment ceux des vêtements, pour donner à chacun son identité propre » (dossier de presse).

Ces quatre saints représentent l’allégorie du temps qui passe : de saint Jean à la poitrine découverte, au visage charnu à saint Matthieu, vieillard chenu couvert d’étoffes épaisses. Saint Marc, un homme âgé, a la même attitude que Jean (bras ouverts). Avec saint Luc, c’est la puissance de la maturité qui est représentée. Ils sont accompagnés de leurs attributs : l’aigle (l’ascension vers le ciel) pour Jean et l’ange (Dieu fait homme par sa naissance) pour Matthieu. Le lion (la force) pour Marc et le taureau (l’animal du sacrifice) pour Luc. Ces représentations sont à rapprocher de la vision du prophète Ezéchiel (1, 4-13) reprise dans l’Apocalypse de St Jean (4, 7-8).

Nous faisons le choix de présenter chacun des tableaux dans l’ordre habituel du Nouveau Testament à la différence de leur accrochage dans l’exposition.

Saint Matthieu. Portant un vêtement bleu, enveloppé d’un manteau rouge éblouissant, il semble assoupi, prêt à laisser tomber le livre ouvert que retient à peine sa main gauche. Appuyé sur une table, il tient, de sa main droite, une plume. Détail naturaliste s’il en est : il a les cheveux gras ! A ses côtés, un ange à la blancheur presque surnaturelle, aux ailes délicates (somptueuses plumes naturalistes que nous aimerions toucher !). Saisissant contraste entre l’enfant ébouriffé, regard levé vers le ciel et le vieillard aux yeux mi-clos ! L’ange pointe de son doigt le livre, attendant que l’évangéliste en poursuive l’écriture. Harmonie des tons de beige et brun pour la table, les livres et le parchemin.


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Photo St Matthieu : Valentin de Boulogne, Saint Matthieu, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7274


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Photo St Mathieu (visage) : Valentin de Boulogne, Saint Matthieu, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7274 ((détail du visage)

Saint Marc. Egalement un vêtement d’un bleu moins soutenu, drapé d’un manteau brun ocre, les bras ouverts et paumes des mains tournées vers le haut. Il a abandonné sa plume dans l’encrier. Il scrute l’infini. Son visage capte la lumière dans une sorte de halo. Visage aux traits marqués, aux yeux cernés. Visage dégarni, cheveux bouclés et barbe aux nuances de gris, blanc et roux. A ses côtés, comme tapi dans l’ombre, la tête d’un lion. Allusion à la voix qui crie dans le désert au début du second évangile, évangile (sur la table) que Marc cesse, l’espace d’un instant, d’écrire.


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Photo St Marc : Valentin de Boulogne, Saint Marc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7272 (détail du visage)


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Photo St Marc (lion) : Valentin de Boulogne, Saint Marc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7272 (détail du lion)

Saint Luc. Un homme dans la force de l’âge, tout entier absorbé par ce qu’il fait. Même teinte, néanmoins adoucie, comme estompée, de bleu et de brun pour ses vêtements. Les plis de la manche gauche retiennent la lumière. Tout comme son visage. Yeux baissés, il est concentré, absorbé par ce qu’il rédige. Son poing gauche, fermé sur l’encrier, retient une page déjà calligraphiée. A l’entoure, une icône de la Vierge (la tradition veut qu’il en fut le premier peintre) et une tête de taureau au premier plan. Allusion (début de son évangile) au sacrifice du bœuf par le prêtre Zacharie. Nous retrouvons les mêmes touches de blanc sur son museau et ses cornes que sur les vibrisses (moustaches) du lion.


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Photo St Luc : Valentin de Boulogne, Saint Luc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7273


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Photo st Luc (visage) : Valentin de Boulogne, Saint Luc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7273 (détail du visage)

Saint Jean. Le plus jeune des quatre. Le temps semble suspendu. Genou gauche dénudé, poitrine découverte, visage charnu, lèvres légèrement entrouvertes, yeux levés au ciel. Son regard se tourne vers cette force dont il tire son inspiration. Quasiment la même position que Saint Marc : bras ouverts, une plume à la main, l’autre retenant un texte hébreu. Vêtement vert foncé. Camaïeu de gris et de marron pour le drapé qui l’entoure. Dans l’ombre, en arrière-plan, ailes déployées, l’aigle qui l’a réconforté sur l’île de Patmos. Même tons bruns et touche blanche de son bec mais un œil aux aguets.


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Photo St Jean : Valentin de Boulogne, Saint Luc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7277


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Photo St Jean (visage) : Valentin de Boulogne, Saint Luc, huile sur toile, H.1,30 ; L.1,59 m © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, MV 7277 (détail du visage)

Valentin de Boulogne « sait tirer parti des traits du visage, des mains et des drapés, mais aussi des coloris - notamment ceux des vêtements – pour donner à chacun son identité propre » (cartouche explicatif à l’entrée de la salle). « Il a réussi à saisir le caractère intime de ces hommes » (Klaus Carl et Victoria Charles, L’Art baroque, 2009)… à traduire la force de gestes retenus, l’intensité de regard parfois inquiet. La composition en clair-obscur, la densité des ombres assurent le contraste avec le décor de la chambre du roi.

Cet ensemble d’œuvres a été restauré, entre 2015 et 2020, afin de leur redonner harmonie, stabilité et vivacité dans leurs coloris. Une « campagne de restauration (qui) a permis de redonner tout leur éclat à ces œuvres célèbres mais devenues peu lisibles, désormais en accord avec la magnificence du décor de la chambre du Roi. (…) les interventions de consolidation des supports devraient leur assurer désormais une meilleure conservation ». Le lecteur intéressé en trouvera les détails dans le chapitre du catalogue que lui consacre Claire Gerin-Pierre (conservateur en chef du Centre de recherche et de Restauration des Musées de France, C2RMF).

Le château de Versailles rassemble et présente, pour la première fois, l’intégralité des neuf toiles qui ornaient la chambre du roi ainsi que les médaillons, grâce aux prêts exceptionnels du musée du Louvre et du musée Tessé du Mans. Six d’entre elles s’y trouvent encore aujourd’hui. L'occasion de contempler au plus près, d’appréhender différemment les tableaux qui accompagnaient le roi dans sa plus grande intimité, mais aussi le témoignage de son goût pour les clairs obscurs du Caravage. Découvrir ces tableaux « à hauteur du regard » est une expérience particulière, un moment privilégié qui ne dure, hélas, que le temps d’une exposition !



Publié le 03 mai 2023 par Jeanne-Marie BOESCH