Sous le regard de Méduse. De la Grèce archaïque aux arts numériques.

Sous le regard de Méduse. De la Grèce archaïque aux arts numériques. ©Exposition Sous le regard de Meduse. De la Grèce archaïque aux arts numériques - Musée des Beaux-Arts de Caen
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Méduse, objet de fascination !

Inséparable, inéluctable figure de la mythologie grecque, voire icône romantique, Méduse a fasciné, de tout temps, nombre d’artistes (poètes, musiciens, peintres et dessinateurs, sculpteurs mais aussi photographes, cinéastes voire producteurs de jeux vidéo). Une fascination qui induit de multiples représentations. C’est la richesse de ces images que l’exposition du Musée des Beaux-Arts de Caen retrace au travers de l’évolution de ces représentations, de l’Antiquité aux récentes productions artistiques. Un parcours qui réunit plus d’une soixantaine d’œuvres conservées dans les collections françaises et internationales.

Nous avons tous en mémoire sa chevelure grouillante de serpents. Ses yeux écarquillés, révulsés. Le sang qui gicle. Sa bouche ouverte. Celle que représente Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage (1571-1610 / voir notre chronique). Fille de Phorcys et de Céto (deux divinités marines, frère et sœur, qui engendrèrent un grand nombre de monstres). Petite-fille de Gaïa (la Terre) et de Pontos (personnification mâle de la Mer). Créature fantastique. Au contraire de ses deux sœurs, Méduse, la plus célèbre, est la seule à être mortelle. Méduse est une belle jeune fille dont Poséidon s'éprend. « Avec elle seule a couché Celui-qui-a-les-cheveux-bleus » (Hésiode, Théogonie, VIIIème siècle avant J-C). Violée par ce dieu dans un temple dédié à Athéna. Cette dernière, irritée par ce forfait, la punit. Pourquoi la déesse punit-elle la victime plutôt que l’agresseur ? Simplement parce que la déesse ne peut punir un autre dieu, ne peut pas punir Poséidon ! Athéna reporte sa vengeance sur une mortelle et châtie Méduse. Cette posture ouvre la voie au retournement auquel procèdent certains féministes dans le courant du XXIème siècle. Nous y reviendrons.

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Athéna change en serpents hideux les beaux cheveux dont Méduse se glorifie et donne à ses yeux la force de pétrifier tous ceux qu'elle regarde. Athéna transforme Méduse en Gorgone ! « Célèbre par sa beauté, Méduse fut recherchée par un grand nombre de prétendants (…) il n’y avait dans toute sa personne rien de si admirable que ses cheveux (…) Le souverain des mers la déshonora, dit-on, dans un temple de Minerve ; la fille de Jupiter se détourna, couvrit de son égide son chaste visage et, pour ne pas laisser impuni un tel attentat, elle changea les cheveux de la Gorgone en serpents affreux. Aujourd’hui encore, pour frapper d’épouvante et d’horreur, elle porte devant sa poitrine les serpents qu’elle a fait naître » (Ovide, Les Métamorphoses, IV, 800-803, 1-18 après JC). Persée, voulant rendre hommage à la déesse Athéna, parvient au repaire de Méduse. En se servant du reflet du monstre renvoyé par le miroir, il tranche, avec une serpe, le cou de Méduse. « Athéna avait mis son bouclier devant lui (…). Dans ce bouclier resplendissant la déesse lui faisait voir, ainsi qu’en un miroir, l’image de Méduse » (Lucien, Dialogues marins, chapitre XIV, 120-180 après JC). Figure ambigüe voire paradoxale : son regard pétrifie ceux qui la croisent (elle est instrument de mort) mais de sa tête coupée naissent Pégase, le cheval ailé et son frère Chrysaor, le guerrier à l’épée d’or (symbole de vie).

Nous venons d’évoquer brièvement le mythe de Méduse. Sources écrites, certes. Mais ce serait réducteur ! Car le mythe se fonde par contamination entre écrits et images. « Dans le cas de la Gorgone plus que tout autre figure mythologique, l’imagerie constitue un facteur essentiel à son succès » (Adrien Delahaye et Christian Mazet, De Gorgô à Méduse, Mythes et images de la Gorgone dans l’antiquité gréco-latine, catalogue). Au cours du temps, la lecture de ce mythe évolue. Si sa représentation se métamorphose, elle reste en phase avec la période de sa création. Ainsi le parcours de l’exposition nous mènera de l’Antiquité, du « masque » originel à la représentation du mythe. Pour ensuite nous poser la question d’une Méduse perdue, au Moyen-Age. Avec la Renaissance, puis les XVIIème et XVIIIème siècles, Méduse retrouvée. Les XIXème et XXème siècles auront pour thème une traversée changeante. Notre parcours s’achèvera par la découverte des Méduses contemporaines.

Nous sommes accueillis par une sculpture où Persée brandit la tête coupée de Méduse. Une image typique ! Persée avec la tête de Méduse (Benvenuto Cellini, 1500-1571). Un modello (étude préparatoire), petit bronze (85 cm de haut) avec traces de dorure, sur un socle de marbre (vers 1545/55). Une ligne sinueuse que nous retrouverons, au cours de notre visite, dans d’autres représentations du mythe. Nudité héroïque de Persée qui brandit sa tête sanglante et foule son corps désarticulé qui gît sous ses pieds. Elle est la « réduction » de la statue (plus de cinq mètres de haut que nous voyons en photo en arrière-plan) commandée par Côme Ier de Médicis (1519-1574), œuvre destinée à orner la Loggia dei Lanzi (Florence). Le socle étant étroit, le sculpteur dispose le corps de Méduse sur un bouclier et sur un coussin. Double évocation : le coussin, celle du lit où Méduse fut surprise par Persée dans son sommeil. Le bouclier évoque celui confié, par Athéna, à Persée afin qu’il approche Méduse sans être pétrifié. Le corps a les jambes repliées. Son bras droit retombe inerte le long du socle, le gauche tenant sa cheville. Du cou décapité s’échappe un torrent de sang, vision frappante pour l’époque. Muscles, veines et traits du visage (yeux baissés) de Persée sont visibles. Apparente fragilité de certains éléments (ailes des sandales et du casque, sabre à la lame recourbée, bras tendu tenant la tête de Méduse). A ses côtés, une Copie réduite du Persée de Cellini (bronze haut de 161 cm) du fondeur-sculpteur Clemente Papi (1803-1875). Le socle, de forme rectangulaire, comporte quatre niches où sont installées les statues de Mercure, Minerve, Jupiter et Danaé avec son fils Persée. Il est sculpté de motifs en forme de guirlandes, de bustes de déesses. Ce socle reprend l’iconographie adoptée par Cellini.

Entrons. Sont exposés amphores, coupes et skyphos (gobelet, sorte de vase à boire ou à libation, haut de 5 à 15 cm, il se caractérise par une coupe large et profonde, un petit pied et deux anses insérées à mi-hauteur du corps ou sous le bord). On y servait un vin très tanique, généralement coupé d’eau. La coupe remplie, le vin doit arriver au niveau des bateaux peints sur l’intérieur. Une fois bu, la tête de Méduse apparaît. Et, sur l’extérieur, de grands yeux qui… couvraient le visage du buveur lorsque celui-ci vidait sa coupe !


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Coupe à figures noires, Céramiques attique, Groupe Léagros, Vers 520/10 av. J-C, céramique, 16,2 x 47,4 cm © Paris, BnF, inv. de ridder.322

Une Amphore à figures noires (vers 530/520 av. JC) présente une scène guerrière : sur une face, deux hoplites (soldat d'infanterie de la Grèce antique, pesamment armé), sur l’autre huit personnages s’affrontent. Dans ce cas de figure, de part et d’autre d’un bouclier recouvert d’une face gorgonéenne. « Le gorgonéion reprend le type canonique fixé par les imagiers de l’Athènes archaïque : la frontalité, la tête circulaire qui s’adapte au pourtour de l’arme, les yeux grands ouverts plantés dans ceux du spectateur, le nez léonin, la bouche béante à la langue tirée et au rictus toutes dents dehors qui défigure le visage » (Adrien Delahaye et Christian Mazet, catalogue). Une Hydrie à figures rouges (vers 460 av. JC, vase à verser principalement de l’eau), peinte sur une seule face, représente la décapitation de Méduse par Persée.

Une petite statue de marbre (IIème siècle av. JC), Pallas. Dans la mythologie grecque, c’est le nom rattaché à Athéna. De la déesse ne subsiste que le tronc. Elle est vêtue d’un péplos (tunique faite d’une grande pièce de tissu rectangulaire pliée en deux, drapé sur l’épaule gauche) dont nous pouvons admirer la fluidité. Autour du cou, « l’égide (bouclier) est reconnaissable aux écailles reptiliennes qui recouvrent sa surface, aux têtes de serpents qui semblent s’échapper de ses bords et au visage de Méduse placé au centre de la poitrine » (ibidem).


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Pallas, IIème siècle av. J-C, Marbre, 61 x 23 cm © Toulouse, musée Saint-Raymond, inv. Ra 113

Un Heurtoir d’origine romaine (bronze moulé, Ier/IIème siècle ap. JC). Ici point de traits monstrueux ! Méduse penche légèrement la tête sur la gauche, la bouche fermée. Elle regarde au loin, d’un air mélancolique ! Chevelure aux mèches ondulées. Une figure qui, pourrait-on dire, « s’humanise » ! Au sommet du crâne, deux serpents entrelacés au niveau du cou. Ils supportent l’anneau mobile qui sert de heurtoir.


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Heurtoir, Ier-IIème siècle apr. J-C, bronze, 29,3 x 14 cm (sans socle) © Paris BnF, inv. Bronze 710 (collection de Luynes)

Si Méduse représente pour les Grecs, l’incarnation de la mort, lors de la période médiévale elle est assimilée à une beauté séductrice. La morale chrétienne associant sexualité et péché. Néanmoins, elle se fait discrète. Damien Kempf (catalogue) s’accorde avec la remarque de Jean Clair (conservateur général du patrimoine, membre de l'Académie française) pour s’étonner « qu’elle n’ait pas trouvé sa place dans le répertoire iconographique pourtant riche des monstres du Moyen-Age, ceux qui saturent les chapiteaux romans et les marges des manuscrits gothiques (…). Du mythe à l’allégorie, la Méduse médiévale devient une figure du péché et son combat contre Persée symbolise la lutte du bien contre le mal » (catalogue). Cette mise à mort signifie la victoire du Christ contre le diable puisque de son sang jaillit la vie.

L’art de la copie s’accompagne souvent d’ajouts voire de modifications du texte recopié. Ainsi en est-il des dernières pages du Roman de la Rose (œuvre poétique écrite par Guillaume de Lorris entre 1230 et 1235, puis repris et complété par Jean de Meung entre 1275 et 1280) dont est exposée une enluminure retraçant le combat de Méduse et Persée. Représentation inédite s’il en est puisque Méduse n’est pas tuée dans son sommeil : l’enlumineur peint un duel chevaleresque ! Néanmoins, Persée se cache le visage derrière son bouclier afin de ne pas être atteint par le regard mortel. De son épée, il s’apprête à porter le coup fatal à la Gorgone représentée sous l’apparence d’une guerrière. Une chevelure abondante, d’allure serpentine, s’échappe de son casque.

Une tapisserie (soie et laine, manufacture flamande ou française, vers 1491/1531)), Minerve pacifique d’après un carton d’Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli (1445-1531). Minerve est représentée comme « protectrice des œuvres de l’esprit et de la paix » (cartel explicatif). Elle porte un rameau d’olivier, a déposé son armure et tient son casque dans la main droite. Son bouclier est accroché sur un tronc. Bouclier orné de la tête décapitée de Méduse. Fort contraste entre cette tête expressive (elle hurle) et la grâce de la déesse.


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Minerve pacifique, d’après Allessandro di Mariano di Vanni Filipepi dit Sandro Botticelli, manufacture flamande ou française, vers 1491-1531, laine et soie, 257 x 156 cm (privée d’une partie de ses bordures) © Collection particulière

A la Renaissance, le mythe connait un nouvel essor. Les artistes trouvent leur inspiration dans les Métamorphoses d’Ovide. Nous l’avons évoqué plus haut. Un bouclier d’apparat de forme circulaire : Rondache à la Méduse (acier, or, argent et laiton, 1570/80). Figure antiquisante de la tête encadrée d’ailes. Contour presque solaire. Sur le cercle externe, de petites scènes mythologiques finement ciselées. « La Gorgone est devenue un motif très apprécié sur les armures de parade et les boucliers. (…) La tête tranchée de Méduse devient un symbole magique mais son histoire n’est évoquée, dans le meilleur des cas, que très allusivement » (Gerlinde Gruber, Méduse renaissante et baroque, catalogue).


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Rondache à la Méduse, Milan, 1570-1580, acier, or, argent et laiton, diam.55,6 cm © Paris, musée de l’Armée, inv.I.75

Giorgio Vasari (1511-1574) décrit, dans Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, (première édition en 1550, seconde en 1568), l'œuvre du très jeune Léonard de Vinci (1452-1519) représentant Méduse de face sur un bouclier en bois. Sa véracité est peu crédible d’autant que cette œuvre n’existe plus. Néanmoins elle a inspiré de nombreux peintres du début du XVIIème siècle. Ainsi en est-il d’une huile sur bois (49 x 74 cm), sobrement intitulée Méduse. Peinte dans le premier quart du XVIIème siècle, elle serait due au pinceau d’un artiste originaire des Pays-Bas espagnols. Une tête fraîchement coupée gît sur le sol. Sourcils froncés, bouche ouverte qui laisse échapper un dernier hurlement. Elle est peinte à la renverse. Au premier plan, des vipères grouillantes, mêlées de sang, forment sa coiffure. Remarquons l’étude précise des écailles, la gueule ouverte de certaines d’entre elles. Nous pourrions presqu’entendre leur sifflement ! Une vision qui fait froid dans le dos ! Présence de deux crapauds sur le côté droit, de salamandres ou tritons à gauche.

Cette puissance visuelle nous la retrouvons dans le tableau de Peter Paul Rubens (1577-1640) avec Frans Snyders (1579-1657) et atelier : Tête de Méduse (vers 1613). Fatale expression. Regard exorbité. Bouche ouverte d’une tête qui gît sur un sol aride. Une multitude de serpents grouillent alentours. Serpents venimeux nés des gouttes de sang de Méduse. Sur la droite, des vipères qui s’accouplent. Une mise bas (en partie cachée par un linge blanc). Détails saisissants destinés à provoquer la stupeur chez le spectateur. D’autres animaux : une salamandre, des araignées, un scorpion, un amphisbène (dans la mythologie grecque, un serpent légendaire possédant une tête à chaque extrémité du corps). Quelques éléments de végétation : lierre au premier plan, fougères à l’arrière.


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Tête de Méduse, Peter Paul Rubens avec Frans Snyders et atelier, vers 1613, huile sur toile, 68,5 x 118 cm © Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. 3834

Restons dans le domaine pictural. Une huile sur toile de Baldassare Franceschini dit Il Volterrano (1611-1690), Persée et la tête de Méduse (vers 1657/58). « La tête de Méduse semble reposer sur le bord du tableau (…) Le bouclier qui la sépare de Persée (…) rappelle l’essence du mythe tout en la renvoyant à la nuit d’une image fantomatique. Ce motif de la tête serpentine surmontée par son reflet emprisonné révèle une audace rare. Au-dessus, Persée coule un regard en biais, songeur, lointain, comme absent à l’évènement » (Emmanuelle Delapierre, catalogue). Il est revêtu d’un ample drapé rouge formant transition entre le visage blafard, terreux de la Gorgone et la douceur de son visage. A noter l’originalité du cadre entourant le tableau : de forme ovale, son dessin est dû à l’artiste lui-même.


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Persée et la tête de Méduse, Baldassare Franceschini dit Il Volterrano, vers 1657-1658, huile sur toile, 95 x 72,5 cm © Schleissheim, Neuen Schloss, Staatsgalerie Schleissheim, inv.15531

De Cosimo Ulivelli (1625-1705), un Portrait de Laurent de Médicis sous la protection d’Athéna (vers 1642/45). Cadrage serré et gamme chromatique dans les tonalités de bleu et de rose. Portrait du commanditaire arborant une armure (bien qu’il ne fût jamais soldat !), regardant la déesse. Elle est de profil. Sortant d’un casque au masque léonin rehaussé d’un panache, sa longue chevelure blonde coule sur les épaules. Elle tient dans sa main gauche, l’égide où figure le visage hideux de Méduse qui, elle, regarde à l’opposé.

Le sujet de la pétrification de Phinée, oncle d’Andromède occupe deux des tableaux présentés. Le premier, daté du milieu du XVIIème siècle, dû au pinceau d’un peintre resté anonyme dont on ignore l’origine (France, Flandres ou région de Liège ?) : Persée pétrifiant Phinée et ses compagnons avec la tête de Méduse. « Son mauvais état n’aide guère à voir les beautés de ce tableau ambitieux qui dépeint un épisode d’une violence extrême avec un style serré et une sorte de fébrilité au diapason d’une véritable scène de chaos » (Alexis Merle du Bourg, catalogue). Nous retrouvons Ovide et le début du livre V de ses Métamorphoses. Rappel. Andromède, victime de l’orgueil de sa mère Cassiopée, est exposée nue sur un rocher pour y être dévorée par un monstre marin. Elle est sauvée de justesse par Persée qui l'épouse. Lors du banquet des noces, Phinée (à qui elle avait été promise), fou de rage, cherche querelle aux invités. Durant la bataille qui s’en suit, Persée tue nombre de ses adversaires. Accourue, Athéna le protège de son égide. Près de succomber, il use d’une arme imparable en présentant la tête de la Gorgone. Tête qui pétrifie Phinée et ses sbires. C’est cet instant qui est représenté.

Ce même moment est peint par Jean-Marc Nattier (1685-1766), pour son tableau de réception à l’Académie royale de peinture (octobre 1718) : Persée, assisté par Minerve, pétrifie Phinée et ses compagnons en leur présentant la tête de Méduse. Composition théâtrale dans un cadre palatial. Cadre conventionnel avec ses colonnades, ses statues dont celle de Zeus sur la gauche. Œuvre colorée : bleu du ciel en arrière-plan, du manteau de la déesse et du drap qui recouvre partiellement le cadavre à la renverse au premier-plan. Déclinaison de rose pour les chairs et le manteau de Persée. Quelques taches blanches : nappe qui recouvrait la table… vêtement d’Athéna sous sa cuirasse. Au centre, Persée et Athéna dominent la scène. Il émane d’eux une sorte d’assurance, de calme. En réponse au chaos qui règne au premier plan. Remarquons le dédoublement de la tête de Méduse : sur le bouclier de la déesse qui pointe son doigt vers Persée, tout en regardant au loin. Dans la main gauche de Persée, tête qu’il empoigne par le cheveux/serpents, tout en regardant la déesse en quête de son acquiescement. Une tête blafarde, aux yeux vides, brandie pour semer la mort ! Cuirasses étincelantes, casques empanachés, pièces d’orfèvrerie, fourrure et velours mais aussi rendu des corps qui dénotent de la maitrise, le talent de Nattier. Un tableau « dans le genre le plus prestigieux (…) celui de la peinture d’histoire, qu’il ne pratiqua guère » (ibidem).


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Persée, assisté par Minerve, pétrifie Phinée et ses compagnons en leur présentant la tête de Méduse, Jean-Marc Nattier, 1718, huile sur toile, 113,5 x 146 cm © Tours, musée des Beaux-Arts, inv. 803.1.17

Un questionnement quant à la présence de l’huile sur bois de Jacques Linard (1597-1645), Nature morte aux coquillages et au corail (entre 1620 et 1640). Un ensemble de coquillages dont deux spécimens de coraux. Pourquoi ? Simplement parce qu’Ovide attribue l’origine du corail à la puissance pétrifiante de Méduse. Il se forme « par le contact de la tête décapitée avec les algues déposées sur la rivage » (cartel explicatif).

Un dessin de Lucas Vosterman l’Ancien (1595-1675), La Chute des anges rebelles (1621). Sans doute d’après une toile de Rubens. Bataille biblique (entre le Bien et le Mal) tirée de l’Apocalypse de Saint Jean. Les anges rebelles sont chassés par l’archange Michel. A l’instar de Méduse, les anges rebelles sont reconnaissables car mi-humains et mi-animaux.

La sculpture n’est pas en reste. Buste de Méduse (XVIIIème siècle ?) en marbre dont l’auteur est anonyme. Il a été sculpté d’après un original de Gian Lorenzo Bernini, dit Bernin (1598-1680). Une Méduse humanisée, dans le moment de sa transformation. Bouche entrouverte, yeux mi-clos et cheveux mêlés de serpents. Une expression presqu’horrifiée. Invidia (L’Envie), marbre attribué à Heinrich Meyring, dit Enrico Merengo (1638/39-1679). Le Mal étant opposé au Bien, les personnages personnifiant les vices se doivent d’être aussi laids, aussi repoussants que possible… jusqu’à rendre leur vue insoutenable ! Ainsi en est-il de cette vieille femme. Chevelure serpentine, rides nombreuses, mamelles tombantes. Un serpent lui mord l’oreille, un autre l’un de ses seins. On se dévore soi-même lorsqu’on est envieux ! Tout son visage n’est que l’expression de la passion qui la tourmente.


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Buste de Méduse Anonyme (français ?) d’après Gian Lorenzo Bernini, dit Bernin, XVIIIème siècle (?), marbre, 51 x 38 x 38 cm,(h. 70 cm avec piédouche de marbre) © Paris, musée du Louvre, inv. 2126


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Invidia (L’Envie), Heinrich Meyring, dit Enrico Merengo (att.), antérieurement donné à Josse Le Court dit Guisto Le Court, dernier tiers du XVIIIème siècle (?), marbre, 56 x 43 x 30 cm © Venise Ca’Rezzionico, Museo del Settecento Veneziano, inv. CI. XXV n. 2104

Au XIXème siècle, la figure de Méduse se renouvelle. Il lui arrive de perdre son aspect monstrueux jusqu’à devenir une belle jeune femme, parfois rêveuse. Gorgone, marbre avec rehauts d’or (1864/65) d’Adèle D’Affry, duchesse de Castiglione Colonna, dite Marcello (1836-1879), buste au port altier, à l’expression grave. Regard sombre et front soucieux. Elle porte un gilet en écailles de serpent. Une tête de lion domine la couronne de serpents au sommet de son crâne. Deux petites ailes l’entourent. Une certaine élégance se dégage : nous sommes loin des représentations effrayantes habituelles. L’huile sur toile, Finis (La fin de toute chose) de Maximilian Pirner (1854-1924) propose « une vision fantastique des forces de la vie menacées par celles de la mort » (cartel explicatif). Cette toile évoque un imaginaire presque fantastique, à la limite du macabre. Telles les trois femmes au premier plan de la composition, sans doute les Parques, incarnation du destin dans la Mythologie. « L’adversaire de la Poésie, incarnée par une femme-muse ailée, inondée de lumière et dotée d’une harpe, est ici la Faucheuse qui présente sa forme la plus commune (un squelette élevant son outil fatal), associée à une remarquable figure méduséenne verdâtre, à la fois mauvaise et accablée » (A. Merle du Bourg, catalogue). Remarquons les pattes griffues de sphinx de cette dernière. Ainsi que l’échange de regard entre la Méduse et la Poésie.

Retrouvons Persée comme thème de plusieurs huiles sur toile. De Joseph-Paul (dit Joseph) Blanc (1846-1904), un Persée (1869) chevauchant Pégase, armé d’un glaive (et non de sa harpè). Un Persée dont l’imposante musculature évoque sa puissance virile. Curieuse représentation du casque donné par Hadès. Pégase déploie ses ailes dans un envol multicolore tant celles-ci sont à l’image d’un arc-en-ciel ! La tête de Méduse apparaît de profil, bouche ouverte dans un dernier cri. Point de caractère monstrueux. Mais une jeune femme à la chevelure blonde. Cette abondante chevelure que Persée brandit. Les serpents ne sont présents qu’au travers d’une sorte de diadème qui ceint son front. Les visages des deux protagonistes sont tournés en sens opposés. Le paysage (bord de mer) laisse à penser que Persée s’apprête à secourir Andromède. Tonalité chromatique de bleu et de rose.


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Persée, Joseph-Paul (dit Joseph) Blanc, 1889, huile sur toile, 302 x 174 cm © Paris, musée d’Orsay, inv. RF 343

Une aquarelle gouachée (préfigurant peut-être une tapisserie ?), Persée délivrant Andromède (1875) du peintre alsacien François-Emile (dit François) Ehrmann (1833-1910). Postures curieuses, au parallélisme certain, du monstre marin et d’Andromède. Lame du héros, plantée jusqu’à la garde, dans le cou du monstre. Geste pudique d’Andromède qui cache du bras son visage. Tête de Méduse au visage verdâtre et yeux exorbités. De Sir Edward Coley Burne-Jones (1833-1898), une gouache sur papier (vers 1882), La Mort de Méduse I (The Perseus Series). En 1875, Arthur Balfour (1848-1930), commande à Burne-Jones une série de tableaux pour décorer le salon de musique de sa résidence londonienne. Le peintre choisit d’illustrer le mythe de Persée d'après une version narrative de William Morris (1834-1896) extraite du Paradis terrestre. Une « nouveauté » : la mise en scène de la naissance simultanée de Pégase et Chrysaor s’échappant du cou tranché de leur mère. Le peintre s’inspire de la sculpture grecque, à la fois pour le vêtement drapé de Méduse et pour l’anatomie du cheval. De même, pour l’utilisation de la couleur terracotta (teinte chaude qui mélange les nuances de rouge, orange et marron). Persée, quant à lui, porte une armure « inventée » qui offre quelques réminiscences avec les armures moyenâgeuses.


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La Mort de Méduse I (The Perseus Series), Sir Edward Coley Burne-Jones, vers 1882, gouache sur papier, 124,5 x 116,9 cm © Southampton City Art Gallery, inv.109

D’Anthony Frederick Augustus Sandys, dit Frederick Sandys (1829-1904), un dessin (pierre noire et sanguine sur papier teinté vert, vers 1875), Méduse. Le peintre imagine une série d’héroïnes tragiques, dont cette tête. Terrible visage. Celui placé au centre de l’égide. Impossible pour le spectateur d’échapper à ce regard ! Notre œil est inexorablement attiré par cette tête ailée entourée de cheveux bouclé. Mèches nouées sous le menton. Des serpents se tordant (légèrement esquissés) émergent du haut de sa tête.


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Méduse, Anthony Frederick Augustus Sandys, dit Frederick Sandys, vers 1875, pierre noire et sanguine sur papier teinté vert, 94,6 x 73,8 cm © Londres, Victoria and Albert Museum, inv. P.18-1909

De Franz von Stuck (1863-1928) : Medusa. Une peinture sur carton (vers 1892) qui n’est autre que l’affiche de l’exposition et la couverture du catalogue. Fixité du regard. Hypnotisme du regard concentré droit devant lui. Cadrage resserré imposant un tête-à-tête risqué. Pourrions-nous hasarder « nocif » car il provoque la mort brutale de celui qui y succombe ? La tonalité chromatique (noir et vert) accentue cette impression.

Du même peintre, une huile sur panneau portant le même intitulé bien qu’il s’agisse d’une scène de pétrification où Persée brandit la tête, fraîchement décapitée, à l’un de ses adversaires. Pas de paysage. Atmosphère d’orage nocturne (bleu intense du fond). Nudité et absence des accessoires habituels caractérisant les personnages. Le glaive de Persée est dans son fourreau. Le guerrier a, lui, déjà laissé échapper le sien. Tête blafarde captant la lumière au centre du tableau.

Un bronze réalisé d’après une cire originale (perdue) d’Auguste Rodin (1840-1917), Persée et Méduse (1887). Les têtes sont esquissées. Le torse de Persée est rendu avec précision bien qu’il semble au bord de la chute. Un corps propulsé vers l’avant. Un corps qui « jaillit comme une forme en train de naître, prise dans l’élan de son apparition » (ibidem). Un autre bronze : Tête de Méduse (1934) d’Alberto Giacometti (1901-1966). Il s’agit d’une « applique destinée à être fixée sur une base amovible ou accrochée au mur, au-devant d’une ampoule dont la lumière vient découper la tête à contre-jour » (E.Delapierre, catalogue). Relief que nous pouvons paradoxalement qualifier de « plat » pour cette tête d’apparence « muette ».

Plusieurs œuvres dues à Antoine Bourdelle (1861-1929). Dessins, plume et lavis, encre brune ou aquarelle, généralement sur papier vélin. Des études préparatoires pour un marteau de porte à tête de Méduse (de profil et de face) : un masque sculpté, yeux clos. « Des mèches serpentines que la main de Persée empoigne séparées en deux, s’enroulant à la manière d’une couronne de tresses » (ibidem). Version définitive en bronze, daté de 1925, le heurtoir Tête de Méduse. A contrario, la chevelure de la Gorgone se hérisse. Ce qui permet à Persée de l’empoigner. Le marteau, une tresse pendante qui, en retombant, heurte le bouclier du héros. « La chevelure vibrante, aux contours à la fois fermes et flexibles, jouant des creux et des saillies, s’oppose à la sérénité du visage finement modelé, aux yeux clos, comme pour nous prémunir de son regard pétrifiant » (ibidem).


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Tête de Méduse, Antoine Bourdelle, marteau de porte, 1925 bronze, 57,5 x 21,4 x 21,1 cm © Paris, musée Bourdelle, inv. MBBR 1447

Que devient la Méduse contemporaine ? Deux bronzes d’Ivan Theimer, Bouclier avec la tête de Méduse (2005) et un buste, Méduse (2008). Une sorte de théâtralité propre à l’artiste. Deux têtes figées dans la brutalité de la mort. Bouche ouverte dans un cri désespéré, exprimant l’agonie prochaine. Le buste mêle tête de Méduse et sujet biblique. Nous retrouvons le thème des anges déchus issu de l’Apocalypse. Serpents contorsionnés et corps des damnés forment la chevelure de la Gorgone.

Nous l’avons dit, presse, caricature (Trump en Medusa, 2015), cinéma (La Gorgone en 1964 ou Le choc des Titans en 2010) et jeux vidéo (Titan Quest en 2006 ou Assassin’s Creed : Odyssey en 2015) lui font bon accueil. Effet de sidération garanti ! Une beauté vénéneuse. Une femme fatale. Elle devient, de nos jours, une égérie du féminisme. « La réhabilitation de l’ancienne proscrite, du monstre dont la tête fut érigée en trophée (dans le même temps, Persée (…) symbole d’un patriarcat honni, se trouve désormais offert à la lapidation…) est un phénomène culturel aussi remarquable que révélateur des forces qui travaillent en profondeur nos sociétés » (A. Merle du Bourg, catalogue). Et Fabien Bièvre-Perrin d’ajouter : « le héros devient bourreau, la monstre, la victime (…) Cette inversion n’est pas anodine. Elle illustre de manière détournée une évolution majeure dans la réception du mythe» (Méduse(s) post-moderne(s), catalogue).

Sont exposés un dessin numérique (2020), Autoportrait en Meduse, de Jaye Lara Blunden. De rouge et de noir. Une chevelure reptilienne débordante. Une bouche fardée. Un texte envahissant (de diverses typologies). « Elle crée une image fragile, éphémère intervention sur les réseaux sociaux, qui claque comme un slogan. « Clothes are no consent. Maybe is not a yes, no means no » (Les vêtements ne sont pas consentis. Peut-être n'est-ce pas un oui, non signifie non), scande-t-elle ». (E. Delapierre, catalogue). Une photographie à impression digitale (2022), Medusa, de Laetitia Ky. Cette dernière se met en scène arborant une curieuse coiffure (sorte de dreadlocks), sculptant ses cheveux en mêlant laine, corde et tige de métal. Ceux-ci se déploient autour de sa tête. Son regard défie le spectateur. Lors de son entrée au collège, comme ses camarades, elle dut se raser la tête car « une fille à chevelure risquait de séduire les garçons et les professeurs » (catalogue).

Dernière œuvre présentée. Une Méduse renversant le scénario habituel : Méduse tenant la tête de Persée (bronze, 2023) de Luciano Garbati. Changement total : le mythe est vu à travers un prisme moderne ! Une version qui voit Méduse triomphante. Plus grande que de nature (2,15 m). Nue, elle est debout, résolue et fière. La tête décapitée de Persée dans la main droite, la gauche tenant une épée. Sa chevelure, des tresses, une masse de serpents. Elle a pris le dessus sur son agresseur ! Détermination du regard. Elle semble insensible. Victorieuse ! De nos jours, certains mouvements féministes se revendiquent de cette figure, à la fois tragique et violente. Elle est « devenue une figure militante, en tout cas récupérée par les milieux militants, notamment féministes, pour exprimer la puissance féminine » (Anne Bernardo, service communication du musée). Donc, peu ou prou, le symbole du matriarcat.


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Méduse tenant la tête de Persée, Luciano Garbati, mars 2023, bronze (fonderie d’art Art’u, Grassina, près de Florence, fonte à la cire perdue) 215 x 88 cm © Atelier de l’artiste

Notre visite s’achève. Cinq salles à la décoration épurée (comme de coutume au MBA caenais), aux murs teintés d’un bleu foncé, d’un bleu grisé ou d’un blanc immaculé. Un petit bémol quant à la présentation des céramiques grecques : certains visiteurs ont trouvé leur positionnement, sous vitrine, top bas pour en permettre la lecture. Un livret-jeu accompagne les jeunes visiteurs leur permettant de découvrir toutes les facettes de Méduse. D’entrée, un plan les aide à parcourir l’exposition pour trouver les tableaux et répondre aux questions.

Qualifié de « mythe inoxydable » (Beaux-Arts Magazine, janvier 2023), Méduse est à la fois l’expression d’une parfaite beauté et d’une repoussante laideur. Le gorgoneion est à l’origine d’une iconographie d’une richesse incroyable tant elle a fasciné les artistes de tous les temps. Regard pétrifiant, chevelure envahie de serpents, cris atroces glaçant le sang, elle nous a accompagnés tout au long de cette exposition. De par son exceptionnelle longévité dans le domaine artistique « Méduse constitue un objet inaltérable de fascination » (E. Delapierre et A. Merle du Bourg, introduction du catalogue).



Publié le 12 juin 2023 par Jeanne-Marie BOESCH