Les Métamorphoses - Ovide

Les Métamorphoses - Ovide ©
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Un dialogue exubérant !

Arpenter les musées n’est guère plus d’actualité en 2021 qu’en 2020 ! Nous espérions rencontrer Hyacinthe Rigaud (1659-1743) que le château de Versailles met à l’honneur. Incarnation du Grand Siècle, il a représenté toutes les figures des règnes de Louis XIV (1638-1715) et Louis XV (1710-1774). De même, nous pensions explorer le thème de l’Amour dans sa forme la plus licencieuse, grâce à François Boucher (1703-1770) et ses contemporains, au travers de l’exposition programmée par le Musée Cognacq-Jay. Nous comptons bien déambuler dans les salles de ces musées dès que possible ! Certes nous avons la possibilité de feuilleter leur catalogue respectif. Mais celui-ci n’est-il pas simplement le complément d’une visite physique ? Commenter une exposition, c’est la visiter « pour de vrai » : arpenter les salles… découvrir un accrochage, un décor destiné à mettre en valeur les œuvres… saisir, sentir l’atmosphère qui s’en dégage… s’arrêter devant telle ou telle œuvre qui nous interpelle plus qu’une autre… Cette disette (et osons même parler de famine !) nous conduit vers d’autres options.

Une récente chronique, publiée dans ces colonnes, proposait de visiter la Chapelle Royale de Versailles sans bouger de son fauteuil ! Plus exactement, en s’installant devant son ordinateur ! Pourquoi pas ?

En 2017, France Culture avec Les chemins de la philosophie sous la direction d’Adèle Van Reeth (une série de podcasts d’une cinquantaine de minutes) évoquait Ovide racontant l’actualité dans un monde en perpétuel mouvement, chantant les métamorphoses des personnages mythiques ou parlant du destin de ces mortels croisant le chemin des dieux.

Au long des siècles, la littérature s’est appropriée l’œuvre d’Ovide. Dante Alighieri (1265-1321), dans sa Divine Comédie le fait apparaître aux côtés d’Homère ou d’Horace… Boccace (1313-1375) revisite le mythe de Pyrame et Thsibé (jeunes Babyloniens qui habitent des maisons contiguës et s'aiment malgré l'interdiction de leurs pères…) dans son Décaméron. Mythe dont William Shakespeare (1564-1616) reprendra librement l’intrigue dans son célébrissime, Roméo et Juliette (1595). Montaigne (1533-1592) n’écrit-il pas dans ses Essais : « Le premier goust que j’eus aux livres, il me vint du plaisir de la Metamorphose d’Ovide ». Plus proche de nous, Charles Baudelaire (1821-1867) y puisera son inspiration (tel Midas qui change en or tout ce qu’il touche dans Alchimie de la douleur).

La musique n’est pas en reste ! A partir du XVIIème siècle, compositeurs et librettistes s’inspirent à leur tour des Métamorphoses. Nos colonnes rendent régulièrement compte de ces œuvres : Sémélé de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), La storia di Orfeo ou Le retour d’Ulysse de Claudio Monteverdi (1567-1643), Didon et Enée de Henry Purcell (1658/59-1695)… sans oublier les opéras de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) tels Cadmus et Hermione ou Phaéton. Plus près de nous, l’histoire de Phaéton, celle de Pan ou de Narcisse dans une suite pour hautbois composée par Benjamin Britten (1913-1976).

Autre domaine artistique, celui de la peinture. A la Renaissance, nombres d’artistes redécouvrent les textes antiques. Ainsi des éditions illustrées des Métamorphoses sont publiées en 1471 en Italie puis en 1553 en France. Néanmoins il faudra attendre le XVIIème siècle pour voir les peintres puiser leur inspiration dans ce texte ; nous y reviendrons. Le XIXème siècle y trouve également un regain d’intérêt avec Dominique Ingres (1780-1867). Plus tard, Salvator Dali (1904-1989) lui-même y cherche son inspiration, entre 1963 et 1965.

Les éditions Diane de Selliers offrent une belle opportunité de découverte en faisant converser les Métamorphoses d’Ovide (43 av. JC- 18 ap. JC) avec la peinture baroque. Pourquoi ce choix ? Simplement parce qu’Ovide multiplie les effets, emboîte les histoires les unes dans les autres. L’exubérance, le mouvement, le sens du grandiose, un certain effet de masse concourent à ce style de peinture. Sans oublier la qualité picturale. Et n’oublions pas que l’Eglise romaine post tridentine (Concile de Trente, 1545-1563) souhaite opposer les représentations grandioses à l’austérité protestante. Dans une société profondément chrétienne, elle encourage la diffusion des textes antiques et offre ainsi une place d’importance à la peinture mythologique. « Tout ici évoque l’art d’une époque qui a particulièrement aimé Ovide, en qui elle reconnaissait un de ses maîtres, l’époque baroque. » (Jean-Pierre Néraudeau, in préface de l‘édition Folio classique des Métamorphoses).

Reprenons le mot de Jacky Bornet (France info culture, 2 novembre 2020) : « On a tous en nous quelque chose d’Ovide » ! Parodie de la célèbre chanson de Johnny, certes. Mais ces poèmes, composés au premier siècle de notre ère, se révèlent d’une humanité étonnamment actuelle traduisant des passions humaines qui ont traversé les temps : l’amour, la beauté, le pouvoir mais aussi la souffrance, la cruauté voire la vengeance. Les hommes y sont les jouets de dieux. La nature en perpétuelle transformation. De cette mythologie d’où rayonnent les noms de Jupiter, de Narcisse, d’Orphée et Eurydice, de Phaéton, de Cadmus ou de Sémélé,… naît une rencontre avec les peintres du XVIIème siècle. Nous croisons les plus connus : Pierre Paul Rubens (1577-1640), Nicolas Poussin (1594-1665), Jean Baptiste Tiepolo (1696-1770), Charles Le Brun (1619-1690), Mathieu Le Nain (1607-1677) voire Eustache Le Sueur (1617-1655). D’autres, dont les noms résonnent moins à nos oreilles : Joachim Wtewael (1566-1638), Jan Cossiers (1600-1671), Antonio Balestra (1666-1740) ou Marco Liberi (vers 1640-après 1687).

Par métamorphose, nous entendons le changement complet d’une personne ou d’une chose dans son état, ses caractères. Ce mot signifie « au-delà de la forme ». Ovide l’utilise pour « parler des transformations, des mutations d’une forme à une autre, que subiront hommes et femmes, le plus souvent sous l’emprise de l’amour. » (in introduction, page 12) « Poète du passage, il peint non deux états, mais le passage d’un état à un autre. Il décrit les métamorphoses avec quantité de détails d’une précision scénique étonnante. (…) Le poète (…) multiplie les tableaux et les sujets, décuple les rythmes, les tons, les angles de vue, grâce à une écriture éminemment figurative et une émotion sans faille. Ovide innove également par une utilisation très riche de la couleur » (ibidem, pages 15/16). A cela correspond la façon dont les peintres ont représenté les formes opulentes, les drapés généreux, le chatoiement ou la violence des couleurs, le rendu de l’action ou les scènes d’une grande sensualité… Pour plus de lisibilité, mais aussi pour « accompagner le lecteur de la façon la plus vivante et la plus sensible au cœur de chaque métamorphose, nous avons, en regard de chaque tableau, reproduit un court extrait du texte d’Ovide, pour offrir une lecture immédiate de l’œuvre. » (ibidem, page 18).

Alors oui, installons-nous confortablement. Plongeons dans cet ouvrage qui est le digest des trois volumes de l’intégrale publiée, par le même éditeur, en 2003. Plaisir d’une lecture qui éveille l’imagination en accompagnant ces amours passionnées : Jupiter qui se transforme en taureau pour enlever Europe… la belle Daphnée qui se change en laurier pour échapper à Apollon… Dédale qui enseigne l’art de voler à Icare… Orphée qui pleure son Eurydice… Plaisir de découvrir la richesse infinie des tableaux qui sont proposés à notre regard : quel éblouissement ! Plongeons dans la peinture si sensuelle des peintres italiens, dans celle, plus tourmentée, des peintres flamands ou dans l’art plus raisonné des Français !

Petit rappel ! Les Métamorphoses sont composés de 11 996 vers réunis en quinze livres. Elles ont pour sujet 231 histoires mythologiques. Seules 84 d’entre elles sont publiées dans l’ouvrage que nous avons en main. Point de départ : la création du monde. Point d’arrivée : le règne de l’empereur Auguste. Durant ce laps de temps, l’univers sort du chaos et réalise son unité. Un dieu sort le monde du chaos, crée la terre et le ciel puis les êtres vivants. L’âge d’or dure peu… un déluge détruit tout sur la terre… un couple survit afin de donner vie à une humanité nouvelle… Cette légende n’est pas sans rappeler nombre de croyances à l’origine de la création du monde. Le récit biblique de la Genèse en est lui-même proche ! Puis Ovide narre les amours de Jupiter (avec Io, Callisto, Europe ou encore Sémélé), ceux d’Apollon, de Mercure et de la belle Vénus. Amours souvent contrariés qui sont à l’origine de transformations, de métamorphoses : Io en génisse… Daphné en laurier… Leucothoé en héliotrope… Cénée en flamant… Actéon en cerf ou Adonis en anémone.

Notre promenade aura plusieurs « arrêts sur image », arrêts subjectifs s’il en est ! Et le premier sera, presque naturellement, sur la couverture de l’ouvrage : Jupiter et Io, une huile sur toile peinte vers 1532/33 par Antonio Allegri, dit le Corrège (vers 1489-1534). Io est assise sur un linge blanc déployé sur un tronc d’arbre. Elle est de dos, tête renversée, bouche entre-ouverte comme surprise, chavirée par ce qui lui arrive. Une brume, un nuage noir se glisse sous son aisselle, un visage à peine esquissé se penche sur elle et l’embrasse : cette nuée ténébreuse, c’est Jupiter ! Le peintre maîtrise la technique du « sfumato » : les transitions sont subtiles entre le rendu de la sensualité du corps de la nymphe grâce à la blancheur nacrée de celui-ci, les tons chauds de la jarre sur laquelle elle s’appuie et la noirceur du nuage qui va l’engloutir. Les couleurs se fondent.

L’amour étant la trame des Métamorphoses, quoi de plus naturel de trouver, face au sommaire, L’Amour vainqueur (1602/03) de Michelangelo Merisi, dit le Caravage (1573-1610). Cupidon est représenté sous les traits d’un jeune garçon nu, portant de larges et sombres ailes d’aigle. Il joue les équilibristes : la jambe gauche repliée posée sur une table recouverte d’un drap blanc alors que la droite est avancée vers le spectateur. Son bras gauche caché derrière son dos, le droit tenant des flèches, symbole habituel de Cupidon. Il nous regarde d’un œil goguenard voire aguicheur. A l’entour, nombreux sont les attributs des passions humaines : une armure et une couronne de laurier… un compas et une équerre… une partition, un violon et un luth… on devine également un globe astral. La guerre, le savoir, la musique sont aux pieds du dieu de l’Amour ! Le caractère réaliste de cette représentation peut étonner : Caravage fait montre d’une grande maîtrise de la technique du clair-obscur dans une palette de tons offrant un puissant contraste d’ombre et de lumière. Celle-ci vient de la carnation claire du personnage et du tissu blanc, le tout sur un fond presqu’uniformément noir.

De l’huile sur cuivre de Joachim Wtewael, Les Noces de Pelée et Thétis (1602), nous retiendrons l’abondance et la profusion des formes, la composition toute en mouvement et la célébration des corps nus.

La Diane chasseresse (1630) d’Orazio Gentileschi (1563-1639) offre elle aussi une palette chromatique aux tons froids (gris-bleuté du paysage et vert intense du drapé lumineux du vêtement) seulement agrémentée par le couleur pourpre du carquois et du collier du chien. L’ensemble fait ressortir la nudité des bras d’albâtre de la déesse, de ses jambes. Le corps est en mouvement : elle se retourne vers nous en soufflant dans son cor, tenant son arc de sa main gauche ainsi que la laisse de son lévrier. Ses cheveux blonds, retenus par un ruban, flottent au vent. Le peintre mêle réalisme (formes généreuses voire sensuelles) et idéalisation (beauté raffinée, pureté). Cette huile sur toile de grand format clôt l’introduction. Entrons maintenant dans « le vif du texte » !


Orazio Gentilheschi, Diane chasseresse, huile sur toile, 224 x 157 cm, 1630, © Nantes Métropole - Musée des Beaux-Arts – C. Clos

« Il commença par agglomérer la terre pour en égaliser de tous côtés la surface sous la forme d’un globe immense » (Ovide I, 21).

La Richesse de la terre (1698) d’Antonio Balestra. La conjonction des quatre éléments donne forme à la terre. Quatre personnages manient des outils, façonnant ainsi cet univers. La forme galbée des seins de la femme (le lait qui en sort est source de vie) fait écho au globe terrestre. Nous retrouvons cet élément dans La Naissance de la Voie lactée (1636/38) de Rubens : le lait jaillit du sein de Junon mais elle le détourne des lèvres d’Hercule, inondant ainsi les cieux de son divin breuvage ! Blancheur du corps de la déesse mise en valeur par le rouge profond du voile dissimulant sa cuisse et par l’or du char de Jupiter (en arrière-plan) conduit par deux aigles noirs.

« Viens, mon Père, dit-elle, vient à mon secours… délivre-moi par une métamorphose de cette beauté trop séduisante » (Ovide I, 543).

Apollon et Daphné (1758/60). Tiepolo peint, dans une composition décentrée, la fin de la course d’Apollon et le moment de la métamorphose de la nymphe. Ses mains se transforment en branches, sa jambe droite devient un tronc, son cou une écorce. Poursuivie par Apollon, la nymphe supplie son père, le dieu de la rivière Peneus (symbolisé par une jarre d’où coule de l’eau, une rame et une cascade que l’on devine à sa gauche), de l’aider. Cupidon se met, semble-t-il, à l’abri du vêtement blanc de Daphné craignant sans doute l’ire d’Apollon. Ce dernier atteint l’arbre et pleure sa belle : «… au moins tu seras mon arbre. Avec vos feuilles, mes vainqueurs se froncent les sourcils. Vous aurez votre part dans tous mes triomphes. » (Ovide I, 556). C’est ainsi que le laurier devient son symbole et que les gagnants des concours de poésie, de musique ou de sport sont couronnés de feuilles de laurier. La nudité des corps est comme contrebalancée par le rouge lumineux du drapé de Peneus et le jaune du vêtement d’Apollon. Le tout sur un arrière-plan où des touches de bleu trouent un paysage idyllique.

« Là, arrêtée dans sa course par les ondes, elle avait supplié ses fluides sœurs de la métamorphoser ; à l’instant où Pan croyait déjà saisir Syrinx, au lieu du corps de la nymphe, il n’avait tenu dans ses bras que des roseaux des marais » (Ovide I, 707).

L’huile sur bois, Pan et Syrinx (vers 1620) de Rubens montre cet instant précis. Le dieu-berger lubrique aux jambes de chèvre poursuit la nymphe. Contraste dans le rendu corporel des protagonistes : il est tout en muscles, peint dans des tons de brun ocre. Blancheur virginale du corps de Syrinx qu’elle couvre en partie d’une main (d’un voile aux tons de rouge rosé). Elle repousse le dieu de l’autre. Le paysage s’impose par sa luxuriance et la vie qui s’en dégage : il est de la main de Jan Brueghel l’Ancien (1568-1625), peintre réputé pour ses représentations de plantes (ici roseaux, nénuphars du premier plan) et d’animaux (grenouilles et canards).

« Elle en couvre le plumage de l’oiseau qui lui est cher et le répand comme des pierres précieuses sur sa queue étoilée » (Ovide I, 720)

Argus est un géant, un géant aux cent yeux, celui qui voit tout car une moitié dort tandis que l’autre veille. Junon est jalouse d’Io et oblige Jupiter à la transformer en génisse. Génisse qu’elle confie à la garde d’Argus. Jupiter demande à Mercure de tuer le géant. Il réussit à l’endormir au son de sa flûte et lui tranche la tête. Junon récupère ses yeux qu’elle répand comme des pierres précieuses sur la queue de son animal favori qui conduit son char. C’est cet instant que fixe Antonio Balestra : Junon place les yeux d’Argus sur les plumes de son paon (vers 1714). Le corps du géant gît à terre, peint à la renverse, quelques globes oculaires à ses côtés. Trois putti sont alentours. L’un tend des yeux à la déesse. Junon semble sereine, se tourne vers lui : elle le regarde tout en disposant un œil sur la queue du paon. Le camaïeu de couleur utilisé n’a rien d’agressif, au contraire ! Les drapés enveloppent délicatement les personnages : roses et jaunes pour les putti, bleu profond pour Junon, bleu que l’on retrouve sur les yeux du paon. Aspect cotonneux des nuages blancs.


Antonio Balestra, Junon place les yeux d’Argus sur les plumes de son paon, huile sur toile, 170 x 125 cm, vers 1714 - Chrysler Museum of Art, Norfolk, Virginie

« Tandis qu’il boit, épris de son image qu’il aperçoit dans l’onde, il se passionne pour une illusion sans corps ; il prend pour un corps ce qui n’est que de l’eau ; il s’extasie devant lui-même » (Ovide III, 420)

Nous retrouvons le Caravage dans le tableau, Narcisse, peint vers 1594. Un jeune garçon, plongé dans l’obscurité, est agenouillé s’appuyant de ses deux mains sur le bord d’une étendue d’eau immobile. Il contemple son visage miroité par cette eau où il se désaltère. Dans le reflet, nous devinons son double inversé. Le peintre accentue le côté dramatique de la scène en utilisant la technique du clair-obscur grâce aux contrastes d’ombres et de lumières. Il place Narcisse au centre du tableau accentuant ainsi le côté « démesuré » du personnage. Son genou marque le centre de cette composition quasi circulaire. La lumière éclaire la partie droite de la scène en mettant le focus sur la blancheur de la chemise aux manches bouffantes et retroussées. La palette chromatique offre peu de tons : un dégradé de noir, des bruns, la tache verte du pantalon et les quelques touches rouges de la carnation. Cette toile évoque simplement un moment, mais ne raconte rien de l’histoire de Narcisse. A contrario de La Mort de Narcisse (1627/28) de Nicolas Poussin qui contextualise le mythe. Un paysage idyllique… trois personnages. Au premier plan, Narcisse est étendu au bord de l’eau. Autour de ses cheveux s’épanouissent les fleurs auxquelles il va donner son nom. Derrière lui un putto grassouillet tient un flambeau. En arrière-plan, accoudée sur un rocher, la nymphe Echo dont le visage exprime la douleur d’être rejetée par celui qu’elle aime !

Contempler sa beauté, c’est également ce que Tiziano Vecellio dit le Titien (vers 1490-1576) représente dans sa Vénus au miroir. Le miroir, tenu par Cupidon, offre un reflet légèrement déformé du visage de la déesse : un œil vif qui semble nous regarder ! Couronnée de fleurs par un putto, sa main gauche protège sa poitrine alors qu’elle retient, de l’autre, son manteau doublé de fourrure. Ton chaleureux des chairs… couleur profonde, presque voluptueuse, du velours pourpre du manteau… bijoux étincelants… broderie aux reflets métalliques… blondeur des cheveux.

« Aujourd’hui encore, pour frapper ses ennemis d’épouvante et d’horreur, elle porte devant sa poitrine les serpents qu’elle a fait naître » (Ovide IV, 802)

Du Caravage, Méduse (vers 1597/99) la seconde version d’une peinture à l’huile sur toile montée sur un bouclier de parade en bois. Rappelons le mythe : Méduse est une créature monstrueuse, une gorgone qui pétrifie celui qui la regarde dans les yeux. Persée la décapite en usant d’un stratagème : un bouclier poli comme miroir évitant ainsi son regard. Elle vient d’être décapitée. Le sang gicle encore… la bouche est ouverte… les yeux révulsés… les sourcils froncés. Grimace réaliste. Regard des plus expressifs. Les serpents (des vipères) dressés semblent s’agiter dans un dernier sursaut. La tête est inclinée vers la droite : une orientation due au positionnement des poignées permettant de saisir le bouclier.

« Calliope se lève, rassemble avec un rameau de lierre ses cheveux épars ; puis, après avoir essayé du pouce les cordes sonores, elle se met à les frapper et accompagne de leurs accords sa voix » (Ovide V, 340)

Les Piérides, ou Muses, filles de Jupiter et de Mnémosyne (la mémoire) sont au nombre de neuf. Elles évoquent les différents thèmes de la création artistique. Nous devons à Eustache Le Sueur cinq tableaux (deux avec un groupe de trois muses, les autres étant peintes isolément) destinés à l’hôtel Lambert de Thorigny, président de la Cour des comptes. L’ensemble date des années 1652-1655. Clio, Euterpe et Thalie sont assises, groupées au centre dans un ravissant paysage sous des frondaisons. Chacune est coiffée d’une guirlande qui permet de la reconnaître tout comme les attributs qui lui sont dédiés. Clio, Muse de l’Histoire, couronnée de laurier, tient la trompette de la Renommée ainsi que le Volumen (sorte de papyrus pour l’écriture) destiné à enregistrer les grands faits. A ses côtés, Euterpe, Muse de la Musique, couronnée de fleurs, joue de la flûte traversière. Devant elles, Thalie, Muse de la Comédie, couronnée de lierre, tient un masque qu’elle regarde. Une vision que le peintre veut intime, à laquelle concoure le raffinement des couleurs : au vert du feuillage et au gris-bleuté du ciel répondent le jaune soutenu, le bleu et les reflets roses de leur robe. Même composition, même palette de couleurs mais dans des tons plus soutenus pour Melpomène, Erato et Polymnie respectivement Muses de la Tragédie, de l’Elégie et de la Rhétorique. Uranie, Muse de l’Astronomie et de l’Astrologie, est couronnée d’étoiles. Le rouge du drapé qui l’enveloppe atténue la blancheur de sa robe. Même contraste de couleurs pour Calliope, Muse de l’Eloquence. Toutes deux sont assises sur un rocher dans un paysage reproduit à l’identique. Terpsichore, Muse de la Poésie lyrique (parfois de la danse) est peinte en buste, assise, jouant du triangle alors qu’elle est généralement représentée avec un instrument à cordes. Les tons de bleu et de rose de ses vêtements mettent en valeur la fraîcheur de son teint. Nous retrouvons la même palette de rose dans L’Enlèvement de Ganymède (vers 1644). Elle est alors déclinée dans des tons plus ou moins soutenus et mise en valeur par la couleur sombre de l’aigle.


Eustache Le Sueur, Clio, Euterpe et Thalie, huile sur toile, 130 x 130 cm, vers 1652-1655 - Musée du Louvre, Paris

« Vis, lui dit-elle ; mais reste suspendue (…) Devenue araignée, elle s’applique, comme autrefois à ses tissus » (Ovide VI, 145)

La légende d’Arachné raconte l’histoire d’une jeune femme très habile en tissage qui a voulu rivaliser dans cet art avec les divinités et surtout avec Minerve (ici sous le nom de Pallas), la patronne des tisserandes. Elle estimait que nulle, parmi les déesses et les mortelles, ne pouvait rivaliser avec elle dans l’art du tissage… ce qui agaçait au plus haut point la déesse ! Curieuse de savoir ce qu’il en était, transformée en vielle femme, elle aborde Arachné. Pallas déchire la toile de celle-ci qui, de désespoir, se pend. Emue, la déesse lui rend la vie et la métamorphose en araignée. Vers 1563, Jacopo Robusti, dit le Tintoret (1518-1594), puis vers 1575 Paolo Calgari, dit Véronèse (1528-1588) et vers 1695, Luca Giordano (1632-1705) s’attachèrent à peindre ce mythe. Le Tintoret choisit le moment où les deux femmes s’installent devant leur métier, la déesse toute de rouge vêtue et coiffée de son casque face à Arachné vêtue d’un corsage blanc en partie défait et d’une longue jupe vert foncé, tenant une navette. La scène est représentée en contre-plongée. Dans un décor à l’Antique, richement vêtue, l’Arachné de Véronèse lève les yeux et regarde la toile d’araignée qui emprisonne ses mains. Giordano, quant à lui, montre l’instant cruel du châtiment divin (voir notre chronique publiée en mai 2020).

« Puis il attache ces plumes au milieu avec du lin, en bas avec de la cire et, après les avoir ainsi assemblées, il leur imprime une légère courbure » (Ovide VIII, 185)

Icare persuade son père, Dédale, de lui fabriquer une paire d’ailes. C’est ce moment que choisit de peindre (vers 1642) Charles Le Brun. La technique du clair-obscur est ici magnifiée. Le peintre monumentalise les corps donnant à Icare une silhouette serpentine et mettant toute la lumière sur sa nudité. Dédale se confond presque avec le paysage sombre de l’arrière-plan. La palette chromatique est quasi uniforme avec quelques touches de rose (visage de Dédale et lèvres d’Icare). Les deux pages suivantes présentent le mythe au travers de trois toiles de Carlo Saraceni (1579-1620) : chaque tableau correspond à un moment de celui-ci. Ils sont peints dans un style plus poétique qui se manifeste également par le choix et les tons des couleurs.

« Un songe n’a pas de témoin et il n’est pas exempt d’une certaine volupté qui ressemble à la véritable » (Ovide IX, 475)

Simon Vouet (1590-1649, ou peut-être un des élèves de son atelier, offre à notre regard une Vénus sommeillant sur des nuages (années 1630). Pose recherchée et alanguie de la déesse… composition ample… à la fois beauté et fragilité de son corps… blancheur évanescente de celui-ci à peine voilé d’un tissu jaune soyeux… Vénus vient sans doute de s’endormir la tête délicatement appuyée dans sa main droite… nuages cotonneux… quelques branchages en dégradé de vert… Un tableau lumineux figurant la beauté dans tout son éclat !


Elève de Simon Vouet, Vénus sommeillant sur des nuages, huile sur toile, 100,5 x 84 cm - Musée des Beaux-Arts, Budapest

« Il réussit à sculpter dans l’ivoire blanc comme la neige un corps de femme d’une telle beauté que la nature n’en peut créer de semblable et il devint amoureux de son œuvre » (Ovide, X, 244)

Jean Raoux (1677-1734) présente comme morceau de réception à l’Académie Pygmalion amoureux de sa statue (1717). Pour cette grande toile, il choisit le moment où Galatée prend chair évoquant ainsi la création artistique : les tonalités diffèrent selon que les extrémités des membres sont encore inertes et le reste du corps baigné de lumière, comme celui de Cupidon. Ailé et portant le flambeau, il symbolise la passion amoureuse. Autre allégorie dans le haut du tableau : les deux oiseaux se tenant par le bec. Vénus veille avec bienveillance. Au pied de la statue, un putti devant un coffre ouvert et des bijoux, des coquillages et des fleurs éparpillés… mais aussi, le couteau du sculpteur. Ce dernier esquisse un geste de recul qui le déstabilise. La touche de rouge de son manteau répond à celle du coffre. Une élégance raffinée se dégage de l’ensemble, encore accentuée par la préciosité des fleurs et la complexité des coiffures. Sur la gauche, une échappée, comme un tableau dans le tableau, montre l’atelier du sculpteur : des élèves y dessinent d’après un plâtre.

« Il lance obliquement avec toute la force de sa jeunesse, l’or étincelant. La jeune fille sembla se demander si elle irait la prendre. » (Ovide X, 685)

Atalante, célèbre pour son agilité et sa rapidité, défie à la course tous ses prétendants. Celui qui l’emportera pourra l’épouser ! Hippomène relève le défi. Vénus lui fait cadeau de trois pommes d’or qu’il laisse tomber pendant la course. Elle les ramasse, lui permettant ainsi de gagner la course. Hippomène et Atalante (vers 1612) de Guido Reni (1575-1642) peint l’instant où l’issue de la course et le sort des deux protagonistes sont jetés. Une grande composition de style caravagiste : les jeunes gens sont nus mais un voile pudique couvre juste leur sexe, voile dans lequel le vent s’engouffre ! Les corps sont tendus par l’action. Un bras et une jambe d’Hippomène se déploient vers Atalante : il vient de jeter les pommes. Elle, toute en courbes, se penche pour en ramasser une. Le paysage est quasi absent : un fond sombre qui s’efface au profit des protagonistes. Les couleurs sont froides à l’exception du rose du voile du jeune homme.


Guido Reni, Hippomène et Atalante, huile sur toile, 206 x 297 cm, vers 1612 © Musée du Prado, Madrid

« Le cortège ordinaire du dieu, les Satyres et les Bacchantes, l’accompagnent ; mais Silène est absent ; il titubait sous le poids de l’âge et du vin » (Ovide XI, 86)

Nous retrouvons Rubens qui peint, vers 1618, Silène ivre. Grande composition où les personnages occupent toute la toile, ne laissant pas de place au paysage ! Silène en est « l’axe central ». Titubant manifestement, il est soutenu, sur sa droite, par un faune et un homme noir qui lui pince la cuisse. Parmi les autres spectateurs de la scène un enfant, la main sur la tête d’une chèvre noire, au regard rempli de curiosité. Silène trébuche sur une satyresse repue, hébétée. Des enfants allongés près d’elle, dont l’un tète son sein. Sur sa gauche, un satyre cornu, au rire paillard, dissimule ses jambes velues sous des grappes de raisin mûr, si mûr que nous sommes tentés de les cueillir et les déguster ! Un tigre en mord le pampre. Les personnages, à l’arrière de Silène, forment une bande horizontale relativement homogène dans sa composition. Ainsi qu’une alternance entre féminité (une vieille femme tenant une cruche et une bacchante au joli visage) et masculinité (musculature du joueur de flûte, satyre cornu ainsi qu’un buveur caché par l’homme de couleur). Nous retrouvons l’habituelle palette chromatique du peintre : tons chauds dans un camaïeu de blancs et de jaunes… couleurs plus sombres de l’arrière-plan qui se foncent et se fondent délicatement… une tache rouge : la manche du poignet qui retient Silène.

« Souviens-toi cependant que mon amour n’a fini qu’avec mon existence » (Ovide XIV, 718)

Ces vers d’Ovide racontent le mythe d’Anaxarète. La jeune fille refuse son amour à Iphis qui finit par se pendre à la porte de celle-ci. Curieuse, Anaxarète regarde, de sa fenêtre, passer le cortège funèbre. Aphrodite la change alors en statue de pierre. Ici ce n’est point un tableau évoquant cette métamorphose mais une toile de Pierre Subleyras (1699-1749) : Caron passant les Ombres (1735/40). Caron (ou Charon) est le batelier qui fait traverser aux morts le fleuve Styx pour conduire les âmes jusqu’aux enfers. De ce sujet rarement abordé dans la peinture, Subleyras donne une interprétation particulière. Plutôt que le vieillard habituel, c’est un jeune homme nu, vu de dos. Il est debout, un genou sur le rebord de la barque. La torsion de son corps indique l’effort qu’il fait pour manier sa perche afin d’avancer. Ses passagers, assis ou accroupis, sont dissimulés sous de magnifiques drapés blancs. Nous ne distinguons rien de leur corps, rien de leur visage ! Point de teintes sombres pour peindre ce passage de la vie à la mort. Au contraire, une lumière presque douce, une beauté quasi fantomatique.


Pierre Subleyras, Caron passant les Ombres, huile sur toile, 135 x 83 cm, 1735-1740 - Musée du Louvre, Paris

« Après avoir, par la puissance de son génie et par un travail infatigable, pénétré tous les secrets de l’univers, il les communiquait aux autres » (Ovide, XV, 63)

Jacob Jordaens (1593-1678) peint, non sans éclat, une Allégorie de la Science (1617). Pythagore en est le centre. Il se penche au-dessus d’un globe. Il y désigne, à une élève attentive, de la pointe de son compas, un point. Tous deux sont indifférents au tohu-bohu à l’entour. Minerve, casquée, armée et cuirassée le protège. N’est-elle pas la déesse de la sagesse, de l’intelligence mais également de la stratégie, des arts et protectrice des métiers ? Chronos, à ses pieds, assis sur son char en or, lui accorde le temps nécessaire à son enseignement. Mais l’envie et l’ignorance le guettent ! Sur la gauche, l’envie, la tentation : une jeune femme nue, couverte d’un voile rouge, lance à poignées des pièces d’or ! A droite, presque « hors cadre », l’ignorance personnifiée par une gorgone couronnée des serpents de Méduse, visage aux traits masculins. Ni l’une ni l’autre n’arrivent à le distraire ! D’ailleurs, le coq à ses pieds n’est-il pas là pour proclamer sa gloire tout comme l’ange, au-dessus de son épaule, qui souffle dans la trompette de la renommée ! Nous retrouvons ici la palette de tons riches et colorés chère à Rubens.

« (…) ainsi les heures fuient et d’un cours toujours égal en suivent d’autres, elles se renouvellent sans cesse. Ce qui était ne compte plus » (Ovide XV, 185)

L’Allégorie de la Vie humaine (1650) de Carlo Cagnacci (1601-1663) montre une jeune femme, en partie dénudée, à l’expression songeuse. Elle tient dans sa main droite une rose et un pissenlit, dans la gauche, un sablier… évocations du temps qui s’écoule. Au-dessus de sa tête, à la coiffure soignée, un serpent qui se mord la queue… rappel de l’âge qui passe, de l’immortalité. Elle semble appuyer son bras gauche sur un crâne à côté duquel se consument des bougies. Le fond sombre accentue la préciosité de son corps à l’aspect nacré.

« Les peuples me liront et, désormais fameux, pendant toute la durée des siècles, s’il y a quelques vérités dans les pressentiments des poètes, je vivrai » » (Ovide XV, 879)

L’Inspiration du poète (1627) de Nicolas Poussin tient lieu, en quelque sorte, d’épilogue à notre « promenade ». Au centre du tableau, Apollon reconnaissable à sa lyre sans corde et à sa couronne de lauriers. Il est assis, adossé aux arbres, un pied appuyé sur une pierre. De son bras droit, il désigne le livre que le poète tient de sa main gauche. Un stylet dans la droite, ce dernier est prêt à écrire. Son regard est levé vers le ciel. Calliope, Muse de la poésie et de l’éloquence, légèrement dénudée, couronnée d’or, se tient derrière le dieu ; elle porte la flûte. Deux putti tiennent des couronnes de lauriers identiques à celle d’Apollon. Celui qui est à ses pieds tient également un livre : nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une œuvre déjà écrite par le poète. Une impression de sérénité se dégage de cette scène à la composition harmonieuse. Les vêtements clairs de la muse captent l’essentiel d’une lumière diffuse et dorée qui vient de sa gauche. Le dieu est en partie dans son ombre. L’éclat rouge vif d’un pan de son manteau attire notre œil. Une luminosité de fin d’après-midi dans un ciel plus dégagé au-dessus du poète. Poète qui est représenté dans l’ombre ce que renforcent les tons froids (bleu et marron) de ses vêtements.

Ovide nous a conté les aventures de dieux, nymphes et autres héros de l’Antiquité. De leurs métamorphoses en plantes, en pierres, en animaux voire en constellations. C’est d’ailleurs sur la fresque Zodiaque et constellations (1574) des frères Federico et Taddeo Zuccaro que se clôt « notre » livre.

Ovide explore toutes les facettes de l’amour dans un style très visuel. Parfois la lecture peut s’en avérer complexe du fait de la multiplicité des personnages. Les notes et l’index permettent, alors, au lecteur de mieux les appréhender, ainsi que leurs filiations, d’identifier les noms cités. Et par voie de conséquence d’en éclairer la lecture. L’art baroque privilégie exubérance, ampleur du mouvement, puissance et sensualité et provoque bien souvent un choc émotionnel chez le spectateur. Il entre en résonance de façon magistrale avec les vers du poète. Ainsi texte et peinture dialoguent dans un livre qui nous ravit ! Une œuvre d’art en soi !



Publié le 15 févr. 2021 par Jeanne-Marie Boesch