Promenades de papiers. Les collections de dessins du 18e siècle de la Bibliothèque nationale de France

Promenades de papiers. Les collections de dessins du 18e siècle de la Bibliothèque nationale de France © BnF : François-Joseph Bélanger, Intérieur du jardin Beaumarchais, 1788. Aquarelle, plume et encre de Chine - BnF, dép. Estampes et photographie
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Flânerie dans la France du XVIIIème siècle

Cette exposition est une adaptation d’un projet originellement mené par la BnF et le Clark Art Institute (Massachusetts, Etats-Unis, 17 décembre 2022-12 mars 2023), « Promenades on paper. Eighteen-century French drawings from the Bibliothèque nationale de France ».

L’exposition réunit autour de la BnF, deux musées du réseau FRAME (FRench American Museum Exchange) : le Clark Art Intitute de Williamstown et le MBA de Tours. FRAME est un réseau de trente-deux musées en France et en Amérique du Nord encourageant les échanges culturels dans le cadre de coopérations entre institutions.

Dans ce qu’il est coutume d’appeler « l’Orangerie », le musée des Beaux-Arts de Tours expose, pour la première fois, une sélection d’œuvres issues du fonds du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Des œuvres inédites allant du dessin préparatoire au dessin définitif. Un ensemble qui « invite à découvrir la diversité de la pratique du dessin à l’époque des Lumières. Du croquis à la composition finement travaillée, les feuilles présentées constituent une riche documentation et témoignent des centres d’intérêt du XVIIIème siècle français, telles que la botanique ou encore la découverte des vestiges de l’Egypte antique. Elles recréent également sous nos yeux tout un monde disparu, à travers les lieux, les paysages, les figures et les événements qui ont marqué la période » (quatrième de couverture du catalogue). Œuvres dues aux crayons d’artistes renommés tels les peintres François Boucher (1703-1770) ou Jean Baptiste Greuze (1725-1805), le graveur Gabriel de Saint-Aubin (1724-1780) ou l’architecte Etienne Louis Boullée (1728-1799). Mais également d’artistes moins connus, voire oubliés, comme Emilie Bounieu (1785-1830). Plus surprenants, des dessins d’amateurs comme ceux de membres de la famille royale ! Nous découvrons ainsi que la pratique du dessin, longtemps réservée à des professionnels, sort peu à peu, des ateliers pour s’ouvrir à un public plus large, plus diversifié. Le dessin ne se limitant plus à l’atelier du peintre, il s’impose petit à petit comme un mode de création autonome.

Présentée au Sterling and Francine Clark Art Institute (Williamstowm, Massachusetts, USA), l’exposition est accueillie à Tours dans une version revisitée. Une sélection de dessins du Cabinet des Arts graphiques du MBA de Tours enrichit le prêt de la BnF. Elle offre l’opportunité d’une flânerie à la découverte de la pratique du dessin, puis de l’estampe et de l’architecture réelle ou rêvée. Nous promènerons notre regard sur le monde. Avec un focus sur la description de l’Egypte. La visite s’achève à l’heure de la Révolution française. Une soixantaine d’œuvres ainsi que divers dispositifs optiques.

Dans l’entrée, une Allégorie à la gloire des Arts (1791). Un crayon graphite et sanguine sur papier vergé de Charles Antoine Rougeot (1740-1797). Cette figure locale n’est pas seulement un dessinateur et un peintre paysagiste. Il est archiviste à la bibliothèque et au scriptorium (atelier d'une abbaye où se confectionnent des manuscrits, depuis la préparation du support, l'écriture par les moines scribes et copistes, la décoration par les enlumineurs, et la reliure) de la cathédrale Saint-Gatien de Tours. Il crée, à son domicile, une école gratuite de dessin. Une école étroitement liée aux manufactures de soierie tourangelles. Elle offre des cours spécialement destinés aux futurs dessinateurs pour les « etoffes de soye ». Une école érigée (1781) par le comte d’Angiviller (1730-1809, dernier directeur général des Bâtiments du roi) en « École royale académique de peinture et des arts dépendants du dessin ». Lors de la création du musée de Tours (1792), il en devient le premier conservateur. Et joue durant la période révolutionnaire un rôle important dans la préservation des œuvres et archives de la région. Le dessin exposé commémore le transfert de l’école de dessin de Tours (mars 1791) sous l’autorité du Département. Il présente l’allégorie de l’école à genoux devant la figure du Département (voir photo). A l’entour, des putti tenant les symboles de l’enseignement. En arrière-plan, un panorama de la ville de Tours depuis la cathédrale jusqu’à l’église Saint-Saturnin.


Charles Antoine Rougeot : Allégorie à la gloire des Arts - Tours musée des Beaux-Arts, dépôt de la Société Archéologique de Touraine (détail)

En face, sur une table, un pantographe destiné au jeune (et moins jeune !) public. Il s’agit d’un instrument de dessin, formé de tiges articulées, permettant de reproduire un motif à l'échelle exacte, agrandie ou réduite, pour conserver les proportions entre le dessin original et la copie. Mathieu Chiniac de la Bastide (1739-1802) souhaitant une copie de son portrait, propose de suivre les contours du dessin posé à côté puis, éventuellement, de le mettre en couleur ! Avis aux amateurs !


Pantographe mis à la disposition du public

Notre découverte débute par une Académie (vers 1751) de Jean-Baptiste Greuze. Il s’agit de dessiner un corps. Un corps considéré du point de vue de ses qualités esthétiques (anatomie et morphologie). Le dessin anatomique « de nus masculins d’après le modèle prenant la pose était jugé essentiel pour la formation des peintres d’histoire, rang auquel Jean-Baptiste Greuze aspirait mais qu’il n’atteignit pas «  (catalogue). Sanguine et pierre noire sont utilisées. Elles rendent avec précision les carnations du corps, le velouté de la peau, la luminosité du modèle.


Jean-Baptiste Greuze - Académie, vers 1751. Sanguine et pierre noire, estompe, 38 x 42 cm - BnF Paris, Réserve B-6 (E-13)-Boîte Fol

Dans la France des Lumières, la pratique du dessin est au cœur de la formation artistique. C’est précisément le sujet des Putti apprenant à dessiner. Graphite, plume et levis d’encre brune avec correction à la gouache d’un auteur anonyme. Les trois étapes de son apprentissage y sont illustrées : la copie des maîtres, le dessin d’après la sculpture en ronde-bosse (technique de sculpture en trois dimensions), le dessin d’après un modèle vivant. L’enseignement du dessin commence dès l’âge de sept ou huit ans au sein d’écoles de dessin gratuites ouvertes dans de nombreuses villes. Ici les artistes en herbe sont remplacés par des putti (un putto est une figure d'enfant joufflu, potelé et ailé inspiré de l'Antiquité ; on parle aussi de chérubins, d'angelots ou d'amours), le XVIIIème siècle étant « leur âge d’or » dans les arts décoratifs. Ces figures enfantines imitent souvent des activités des adultes, mais de manière fantaisiste.

Les enfants de la famille royale reçoivent des cours de dessin. « Je me souviens que mon très bon précepteur m’a exhorté dès ma plus tendre enfance à cultiver mon naturel royal pour les beaux-arts » écrit Louis XV (1710-1774) dans ses mémoires. C’est sous la férule de son professeur de dessin, Nicolas Charles de Silvestre (1699-1767) qu’il suit des cours trois fois par semaine. Le roi a environ sept ans lorsqu’il exécute les cinq croquis (1717) exposés. Plume et encre brune avec, pour deux d’entre eux, ajout de gouache. Maisonnettes, petite bâtisse ou maison à colombages et Le Renard et le Chien, d’après la fable d’Esope, d’après les planches gravées par l’aquafortiste lorrain Sébastien Le Clerc (1637-1714). Détails architecturaux dessinés avec habileté, hormis les taches d’aquarelle (verte sur le toit de la maisonnette à colombage, bleu des pattes du chien). Louis Stanislas Xavier, comte de Provence (1755-1824, futur Louis XVIII) travaille à partir de planches fournies par son instructeur. Ici une Jeune femme trayant une vache (1769). Une figure isolée (jeune femme agenouillée) dans un paysage (rochers et feuillages) : « des motifs adaptés à l’apprentissage du dessin » (cartel explicatif). De sa sœur, Marie-Clotilde de France (1759-1802), une plume et encre noire avec aquarelle ainsi qu’une dédicace. Lors d’une visite, en 1773, elle avait découvert avec émerveillement le cabinet des Estampes de la Bibliothèque royale (actuelle BnF) à qui elle offrit ce Paysage. Une vue pittoresque de bâtiments en arrière-plan. Deux personnages, au premier plan, sur la berge d’une rivière.


Comte de Provence, (futur Louis XVIII) : Jeune femme trayant une vache, 1769. Plume et encre noire, 19 x 12,5 - BnF Paris, Réserve Ad-13-Fol

Deux dessins de François Boucher : Caprice, vue d’une partie du Campo Vaccino (vers 1731, pierre noire et craie blanche sur papier bleu) où le réel se mêle à l’imaginaire. Plutôt que de dessiner les sites d’après nature, il préfère laisser libre cours à son imagination ! Assez précis dans la représentation des bâtiments et des ruines, les deux souches du premier plan « proviennent de gravures de Boucher d’après les dessins de Watteau plutôt que du paysage lui-même » (catalogue). D’où le nom de « caprice » attribué à cette esquisse du Campo Vaccino. Une sanguine (vers 1730), Gardien de troupeau fuyant avec ses bêtes. Un berger gesticulant au milieu d’un groupe mêlant vaches et moutons. Des arbres dont la frondaison est secouée par un vent tempétueux.

Une aquarelle sur parchemin (1769) de Gabriel de Saint-Aubin : L’Exposition de mai. Chroniqueur de la vie parisienne, l’artiste s’intéresse à l’Exposition annuelle de mai qui, après une procession dans les rues, se tenait sur l’île de la Cité. Réjouissances en plein air où les peintres pouvaient montrer leurs œuvres au public. Ici nous devinons la mise en place de l’exposition (un homme grimpe sur une échelle pour accrocher les tapisseries aux façades des bâtiments) dans une cour proche du pont Neuf. Sur la gauche, un personnage en habit bleu s’appuie sur sa canne pour examiner une peinture. Hommes et femmes élégamment vêtus se saluent. Sur la droite, un groupe d’hommes d’où se détache un personnage en habit rouge. Il tourne son visage et nous regarde.

De nouveaux outils au service du dessin ! Pour en favoriser la reproduction et la diffusion. Ainsi en est-il du Physionotrace. Une invention (1785) du musicien, graveur et portraitiste Gilles-Louis Chrétien (1754-1811). Cette machine permettait de dessiner « mécaniquement » des portraits au pastel grandeur nature. Ces portraits, appelés « grand trait », étaient ensuite réduits grâce à un pantographe, puis gravés à l'eau-forte sur une plaque de cuivre ou de fer blanc. Pour les réaliser, on tendait derrière le sujet qui prenait la pose une toile noire afin d’en détacher le profil. Ce physionotrace connut un succès considérable en son temps. Car le goût pour le dessin, « l’appétence grandissante du public » (cartel explicatif) va rapidement créer un marché attitré. Notables et bourgeois défilent devant le physionotrace. Entre autres, Edme Quenedey (1756-1830) dont est exposé un dessin à la plume et encre noire, graphite. Puis le Portrait de Mathieu Chiniac de La Bastide (1789/90), homme de loi et politicien que nous avons croisé à l’entrée de l’exposition. Au début du XXème siècle, l’historien de la photographie, Gabriel Cromer (1873-1934) assemble le modèle réduit (bois et métal) exposé ici (voir les explications détaillées concernant cet instrument dans le catalogue, pages 84 à 87).


Edme Quenedey : Dessin du physionotrace, vers 1780. Plume et encre noir, graphite, 34,4 x 23,4 cm - BnF Paris, Réserve B-6(A, 22)-Boite Ecu


Gabriel Cromer : Physionotrace, début du XXème siècle. Bois et métal, 56 x 30,5 x 31 cm - Objet du musée, n°218-Pt Ft

Le dessin peut préparer la publication d’une estampe. La reproduction de son œuvre s’avère essentielle afin que l’artiste acquière la notoriété et reçoive des commandes. A ce titre, l’estampe est incontournable dans la diffusion des images. Elle est confiée à un graveur professionnel, grâce à la méthode de la taille-douce. La collaboration entre dessinateurs et graveurs est alors étroite. En témoignent L’Histoire retenant le Temps, dessin (graphite, plume et encre noire, sanguine, pinceau et lavis gris, rehauts de blanc ; vers 1725/26) de Charles Antoine Coypel (1694-1752). Clio, muse de l’Histoire, empêche le Temps de s’enfuir avec les médailles royales. Interrompue dans son écriture, furieuse, le regard courroucé, elle le fixe. Coypel fournit le dessin à Charles Nicolas Cochin (le père, 1688-1754) qui grave l’image sur une plaque de cuivre. Une feuille de papier est ensuite pressée sur la planche encrée. L’image produite est inversée par rapport au dessin. Elle est dite « en contrepartie ». Remarquons la double signature sous la gravure : à gauche « Car. Coypel delineavit », à droite « C.N. Cochin sculp. ». Cette gravure servit de frontispice à l’Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France (ouvrage en neuf volumes paru en 1726).


Charles Antoine Coypel : L’Histoire retenant le Temps, vers 1725-1726. Graphite, plume et encre noire, sanguine, pinceau et lavis gris, rehauts de blanc, 41,5 x 29,5 cm - BnF Paris, Réserve B-6 (E,7)-Boite Fol


Charles Nicolas Cochin (père), d’après Charles Antoine Coypel : L’Histoire retenant le Temps. Eau-forte et burin, 33,7 x 22,1 cm - BnF Paris, réserve AA-3 (Coypel)

Le même parallèle peut être fait entre le dessin (plume et encre noire, lavis brun sur mise en place à la sanguine et à la pierre noire, 1759) d’Hubert Robert (1733-1808) : Vue de l’écurie du pape Jules II (le peintre est alors pensionnaire de l’Académie de France à Rome) et la gravure (1766) de Jean Claude Richard, abbé de Saint-Nom (1727-1791). Ce dernier reproduit l’image en supprimant quelques éléments du dessin original : le chien et la seconde tête de cheval au centre. Sans doute des ajouts postérieurs sur le dessin original si nous en jugeons par l’épaisseur des traits de plume. Le graveur utilise un nouveau procédé, l’aquatinte. Un procédé qui permet de réaliser des aplats de couleur sur une plaque de cuivre grâce à un grainage à la poudre de résine. La couche protectrice, plus ou moins dense, retient l’encre et permet de créer différentes nuances de couleur, en fonction du temps de morsure de l’acide sur la plaque. Ici aussi figurent les noms du dessinateur et du graveur.

« Durant le seconde moitié du XVIIIème siècle, se développe la mode des vues d’optique. Il s’agit d’estampes, figurant le plus souvent des paysages typographiques (places, palais, jardins, ports, églises), gravées à l’eau-forte et coloriées au pinceau ou au pochoir. Elles sont visionnées à travers un instrument d’optique, appelé zograscope » (catalogue). Un spécimen est exposé (artisan inconnu et non daté). Composé d’une lentille et d’un miroir sur pied, l’instrument permet d’observer une image, à plat sur une table. Ceci sans la regarder directement. Mais en observant son reflet déformé sous l’effet de la lentille. Un paysage qui apparaît, de fait, plus lointain !


Artisan inconnu : Zogaroscope, non daté. Bois, métal, papier, miroir, lentille optique, 50 x 26 cm - Musée obj 222-pt Ft

Du même ordre, est exposée une Boîte d’optique à trois fonctions (camera obscura, visualisation de vues d’optique et de théâtre d’optique). En bois peint (coloris bleu turquoise et roses peintes) et métal. Elle date de la fin du XVIIIème siècle. Sa fonction est double. Soit l’observation de vues d’optiques. Le spectateur regarde alors l’image reflétée à travers la lentille comme si elle se trouvait face à lui. Soit utilisée comme chambre noire (camera obscura) permettant de dessiner une image projetée à l’intérieur de la boîte grâce au miroir. Dans les deux cas, l’image obtenue, en deux dimensions, est proche de celle que procure la vision humaine.

Notre flânerie se poursuit entre architecture réelle et architecture rêvée. Le dessin permet à l’architecte de coucher sur le papier des projets, des modèles, voire les décors qu’il conçoit. Sur les feuilles exposées, leur dimension imaginaire, voire onirique, est particulièrement présente. Arrêt sur image ! Etienne Louis Boullée propose une Vue de la nouvelle salle projetée pour l’agrandissement de la bibliothèque du roi (1787, encre noire et lavis d’encre noire). Un projet pour une nouvelle salle de lecture. Projet grandiose s’il en est ! Une grande salle (sorte d’amphithéâtre) vide de mobilier. Livres rangés sur quatre gradins. Une voûte à caissons et ouverture zénithale. Une curiosité du dessin : les lecteurs campés sont vêtus… à l’antique ! Le projet ne réussit pas à convaincre et la salle ne fut jamais construite. Egalement un projet de Cénotaphe dont la pyramide est ronde, élévation géométrale (1784). Ce monument est destiné à rendre hommage, à honorer la mémoire d’un savant… inconnu ! Reprise de la pyramide égyptienne dans un format gigantesque, plus ronde et tronquée en son sommet. Une Vue intérieure d’un muséum prise au niveau du temple de la Renommée (1783). A nouveau une architecture monumentale inspirée, cette fois-ci, de la Rome antique. Temple de forme circulaire baigné d’une lumière vive provenant d’un oculus. Colonnade, en plein air, surmontée de statues d’hommes illustres. Escalier, tout aussi monumental, où des hommes (toujours vêtus à l’antique) se livrent à diverses activités. Des dessins de monuments qui se veulent, à la fois, solennels et grandioses. Mais qui ne seront jamais finalisés. Faisant de Boullée un architecte visionnaire, un théoricien influent auprès des architectes actifs pendant la Révolution française.

Autre projet qui ne se concrétisera pas : une place à la gloire de Louis XVI (1754-1793). L’auteur de cette plume et aquarelle (1782) est anonyme. Le commanditaire en est Charles François de Lubersac de Livron (1730-1804) qui publie, en 1775, un ouvrage intitulé : Discours sur les monuments publics de tous les âges et de tous les peuples connus. Un dessin d’imagination figurant l’Inauguration d’une place publique projetée à la gloire des rois de France et à celle des hommes illustres de la nation dédiée et consacrée à Louis XVI. Une place sise entre le Louvre et les Tuileries. Une place noire de monde, survolée par une montgolfière. « Un portique constitué de longues colonnades rectilignes relie un ensemble de trois édifices (un théâtre, un musée, une chapelle) et deux arcs de triomphe (l’arc de la guerre et l’arc de la paix) » (catalogue). Toujours commandé par Lubersac deux vues perspectives de l’intérieur d’un théâtre lyrique signées Debully (17.. ?-18.. ?) et datées de 1788. Un artiste dont rien encore n’est documenté. Cette Vue perspective à l’intérieur du théâtre lyrique projeté qui fait voir la partie amphithéâtrale et son pendant, Vue perspective à l’intérieur du théâtre lyrique projeté qui fait voir la partie de la scène théâtrale sont dédiées à Marie-Antoinette (1755-1793) dont on connaît l’amour de la musique. Les balcons sont dessinés noirs de monde et dépourvus de loges. Remarquons, sur la seconde, le décor de la scène qui reprend l’architecture de la place dont nous venons de voir l’inauguration.

Attribuée à Jacques Germain Soufflot (1713-1780), une Coupe sur un théâtre et ses machines (1740/50). Coupe longitudinale d’un édifice présentant les différents espaces d’un théâtre. Une salle des machines qui détaille conduits et poulies permettant de hisser les décors. Une salle de spectacle au décor foisonnant. Un vestibule ainsi qu’une colonnade couverte permettant de déambuler et de converser, avant et après le spectacle.


Attribuée à Jacques Germain Soufflot : Coupe sur un théâtre et ses machines, 1740-1750. Plume, encre noire, lavis d’encre et aquarelle, 33,8 x 105,3 cm - Bnf Paris, Est et Phot, réserve Aa-6 (Soufflot, Jacques)

Une dynastie tourangelle d’ingénieurs des Ponts et Chaussés est dignement représentée : Philippe Vallée (1710-1783), ses fils Pierre-Philippe (1745-1825) et Jacques (1747-1774). Des dessins d’architecture réelle. Mais il est bien souvent difficile de dire lequel des trois en est l’auteur ! Un Projet d’une fontaine pour la ville de Cluny (dernier quart du XVIIIème siècle) où l’influence de la Renaissance transparaît dans la coquille décorant la niche. Cette fontaine dite « des serpents » est toujours en place de nos jours. Les Plans et élévation d’une fontaine : de forme ronde surmontée d’un dôme à oculus. Au centre, des sculptures féminines en référence aux trois Grâces.

La section suivante porte notre regard sur le monde. A l’exemple des artistes qui portent leur regard, en spectateurs privilégiés, sur celui qui les entoure. Grands événements et faits anecdotiques se côtoient. D’abord, l’Entrée à Paris des ambassadeurs de Turquie en mars 1721 (pierre noire, sanguine, plume et encre brune, 1727) de Charles Parrocel (1688-1752), spécialiste des scènes militaires et diplomatiques (nous l’avions évoqué dans notre chronique Visiteurs de Versailles). Rencontre d’un jeune roi (Louis XV n’a que onze ans) et d’un diplomate expérimenté, l’ambassadeur ottoman Yirmisekiz Mehmed Celebi Efendi (1670-1732). Une foule compacte se presse aux pieds des Tuileries. Presqu’une scène de chaos pour un cérémonial qui se veut somptueux ! Au centre, plusieurs hommes coiffés de turbans. Parmi eux, Efendi se distingue par son vêtement au col de fourrure. Et son regard plein d’impétuosité. Sur la gauche, des chevaux se cabrent. Sur la droite des femmes au regard inquisiteur. Question : où se trouve le roi ? De Pierre Antoine Demachy (1723-1807), la Place Louis XV et terrasse des Tuileries (1784). Une « vue panoramique de la rive gauche de la Seine, (qui) coïncide avec un événement public remarquable : le premier vol habité d’un ballon gonflé à l’hydrogène » (catalogue). Le tout sous un ciel nuageux. Le ballon est absent alors que les spectateurs regardent tous vers un même point ! A noter : d’autres versions du dessin présentent ce ballon dans les airs.

Claude Louis Desrais (1746-1816) est un dessinateur prolifique, célèbre pour ses estampes de la Galerie des modes et des costumes français (1778). Est exposé un dessin à caractère humoristique (plume, encre bistre et aquarelle sur papier vergé blanc). Une scène montrant des élégantes coiffées d’imposantes perruques obligeant le cocher à découper et ouvrir le toit  du carrosse ! Dessin intitulé : Dames montant en carrosse. Le cartel explicatif d’ajouter : « les excentricités de modes parisiennes de cette époque lui inspirent un recueil intitulé Les Héroïnes d’aujourd’hui paru en 1799 ».


Claude Louis Desrais : Dames montant en carrosse, 4ème quart du XVIIIème siècle. Plume, encre bistre et aquarelle sur papier vergé blanc - Tours musée des Beaux-arts

Dans un registre différent, une exploration de l’histoire naturelle. De Jean Jacques Lequeu (1757-1826), Têtes de petits chats-huants de Cayenne (entre 1806 et 1825). Il s’agit de têtes de chouettes dont le nom est emprunté à l’Histoire naturelle des oiseaux de Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788). L’un de face, l’autre de profil. L’expression et la patte levée de l’animal au premier plan lui confère un aspect presqu’humain ! Les touffes de plumes semblables à des oreilles de chat (qui ont donné son nom à ce rapace) ne sont guère lisibles. Quant aux rayures verticales (et non transversales), elles correspondent au chat-huant européen et non guyanais.

Deux planches d’Emilie Bounieu, deux gouaches. L’une sur vélin, Poire. La seconde sur parchemin, Coquillages (années 1792/95). Du fait de sa condition de femme, elle est exclue de l’Académie mais participe à plusieurs salons ouverts aux non-académiciens. Il est probable que son père, Michel Honoré Bounieu (1740-1814), nommé directeur du cabinet des Estampes en 1792, soit à l’origine de cette commande. Rappelons que « produire des illustrations de spécimens naturels était une occupation lucrative pour les femmes du XVIIIème siècle et l’une des rares professions artistiques qui leur était ouverte » (catalogue). Un mot sur la gouache concernant les coquillages : ils sont rangés verticalement, les plus gros au milieu. Admirons leur aspect nacré. Les traits fins et méticuleux, voire parallèles qui les composent. Les tons de rose, de bleu et de jaune qu’emploie l’artiste. Quant aux poires charnues, nul doute qu’elles donnent envie d’y croquer !

Les dessins donnent à voir des lieux aujourd’hui disparus. Tel Le jardin Beaumarchais (1788, aquarelle, plume et encre sur tracé préparatoire au crayon) de François Joseph Bélanger (1744-1818). L’artiste s’est initié à l’art des jardins lors d’un voyage d’étude en Angleterre. Au service de Charles-Philippe, comte d’Artois (1757-1836, futur Charles X), il s’occupe du chantier du parc de Bagatelle. Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) lui commande un jardin pour l’hôtel particulier qu’il vient d’acheter boulevard Saint-Antoine, à proximité de la Bastille. Sur une parcelle longue et étroite figurent nombre de fabriques. Une fabrique est construction ornementale au sein d’une composition paysagère. Elle sert à ponctuer le parcours du promeneur, comme le couple au premier plan. Prenant des formes les plus diverses, parfois extravagantes, les fabriques évoquent en général des éléments architecturaux inspirés de l'Antiquité, de l'Histoire, de contrées exotiques. Ici, le temple sur la gauche, le pavillon en forme de sphère céleste au fond à droite, ou le pont de bois à la chinoise qui occupe toute la partie centrale du dessin. En fin botaniste, Bélanger plante, dans ce jardin, des essences végétales et florales rares. Notons que ce dessin sert d’affiche à l’exposition.


François Joseph Bélanger : Le jardin Beaumarchais, 1788. Aquarelle, plume et encre sur tracé préparatoire au crayon, 20,5 x 32,8 cm - BnF Paris, Réserve VE-53©-fol, Destailleur Paris, t. I , 152

De l’architecte Jean-Baptiste Huvé (1742-1808), une Vue d’une des grottes du jardin de Me Elisabeth à Montreuil près Versailles (vers 1789, graphite plume et encre noire, pinceau et aquarelle, lavis brun sur papier vergé). Un aménagement pittoresque de rochers artificiels, conçu en 1764, qu’Huvé est chargé de remanier. Un rocher spectaculaire créé par l’empilement de pierres brutes (dont on peut se demander comment elles tiennent ensemble !) forme une grotte. Diversités des arbres. Allée de tilleuls à l’arrière-plan. Des personnages conversent sous la grotte. Un jardinier bêche au premier plan. Egalement une dessinatrice au travail. Sans doute Madame Elisabeth (1764-1794), sœur de Louis XVI.

Deux des dix vues du Jardin des plantes exécutées par Jean-Baptiste Hilair (1753-1822) : L’Orangerie du Jardin des Plantes et Le Potager du Jardin des Plantes (plume encre noire, aquarelle et rehauts blancs, 1794). La création du Jardin des plantes parisien remonte au XVIIème siècle, créé sous l’impulsion de Louis XIII (1601-1643). Ce « Jardin royal des plantes médicinales » était destiné à la formation des médecins et apothicaires. Sous l’impulsion de divers scientifiques dont Buffon, il devient un site d’observation de la nature. Il abrite alors des espèces animales et végétales rares, voire exotiques. En 1793, il devient le Muséum national d’histoire naturelle de la République. Est dessiné ici, un havre de paix, un endroit épargné par la Terreur qui règne au dehors ! Dans l’orangerie, un jardinier a cueilli des fruits. Il les offre aux visiteuses qui lui tendent les mains. Sur la gauche, à l’arrière d’un bassin, un dessinateur, vêtu de rose, s’est installé. Ses feuilles de dessin sur les genoux. Dans le potager, les jardiniers vaquent à leurs occupations. L’un d’eux offre un bouquet de fleurs à des visiteuses. Au loin, nous devinons la forteresse de la Bastille.

Au centre de la salle, des vitrines. Des carnets de dessins. Dont un Carnet de croquis dessinés en Italie (entre 1790-1795) par le peintre Anne Louis Girodet (1757-1826), ouvert à la page d’un portrait pris sur le vif d’une femme dessinant. Le visage concentré sur son dessin, les feuilles posées sur ses genoux. Que dessine-t-elle ? Un tableau posé en face d’elle ? Son autoportrait face à un miroir ? De Joseph-Marie Vien (1716-1809), une sanguine : Anatomie masculine. Le modèle pose de dos. Représentation d’un corps masculin à la musculature bien campée où nous sentons les chairs presque vivantes !

Le regard sur le monde s’arrête en Orient, au moment de l’expédition en Egypte (1798-1801). L’objectif militaire « s’accompagne d’une entreprise encyclopédique de milliers de dessins des habitants et des antiques qui illustreront la Description de l’Egypte publiée en vingt-trois volumes entre 1802 et 1822 » (dossier de presse). Le Mamelouk (pastel et pierre noire) d’André Dutertre (1753-1842) : un jeune soldat français vêtu, tout de rouge, à la manière d’un égyptien. Il se tient debout dans un riche décor oriental finement détaillé.

Du dessinateur et orientaliste Louis François Cassas (1756-1827), diverses vues et études. Il parcourt les provinces de l’empire ottoman pour le compte de l’ambassadeur de France à Constantinople. Il exécute des relevés, avec une grande précision, de divers monuments (Karnak, sphinx, colosse de Ramsès II,…). Il observe également les coutumes et costumes locaux. Etudes de Kurdes à Alexandrie (plume et encre noire, aquarelle gouachée sur papier vergé). Précision des détails des vêtements colorés : caftans (tunique longue, droite ou croisée, parfois ample) rayés et brodés. Keffieh (pièce de coton, sorte de foulard traditionnel) ici enroulé autour d’un chapeau conique. Yatagans (sabre à lame recourbée dont le tranchant forme, vers la pointe, une courbe rentrante) passées dans l’écharpe qui tient lieu de ceinture. Sans oublier la chibouque, longue pipe turque au tuyau en bois et fourneau en terre. Les personnages, au centre de la composition, tiennent des instruments de musique. Dont un bouzouki (luth à long manche originaire de Grèce. Le son est produit en faisant vibrer les cordes en métal avec un plectre).


Louis François Cassas : Etudes de Kurdes à Alexandrie, 4ème quart du XVIIIème siècle. Plume et encre noire, aquarelle gouachée sur papier vergé - Tours musée des Beaux-arts

Notre visite touche à sa fin. Elle présente, en guise d’épilogue, des dessins ayant trait à la Révolution française. Sont croquées à la fois des scènes de réjouissances et des scènes de violence. Scène de réjouissance, avec les fêtes publiques tels ces Feux d’artifice tirés à Paris en 1792 de Paul Grégoire (probablement 1755 ?-1842 ?). Un dessin à la fois descriptif et réaliste. Une scène de rue et de spectacle. Notre attention se porte sur la foule des spectateurs au premier plan : des enfants jouent… des adultes conversent par petits groupes,… le tout sous un ciel nocturne illuminé par un feu d’artifice. Le jaillissement de celui-ci est rendu par l’emploi de la gouache blanche qui en fait ressortir tout l’éclat. Et les panaches de fumée qui brouillent en même temps le ciel et se fondent dans le feuillage des arbres alentours.

Scènes de violence. Nous retrouvons Anne Louis Girodet. L’atelier, où il est élève, se situe faubourg Saint-Antoine, au pied de la prison de la Bastille. Autant dire qu’il est aux premières loges pour suivre les événements qui s’y déroulent entre le 14 et le 23 juillet 1789 ! D’où des croquis pris sur le vif. Néanmoins rétrospectifs même s’ils portent la mention «d’après nature ». Seul un témoin peut représenter ces Têtes décapitées de Launay, Foullon, Berthier de Sauvigny et cœur empalé de Berthier. Rappel. Bernard Jourdan, marquis de Launay (1740-1789) était le gouverneur de la Bastille. Joseph François Foullon (1715-1789), contrôleur des Finances et son gendre, Louis Bénigne Bertier de Sauvigny, intendant de la ville de Paris. Ces derniers, tenus pour responsables des problèmes d’approvisionnement de la ville, furent massacrés sur la place de l’Hôtel de ville. Les détails attestent de la présence du dessinateur sur les lieux : le foin dans la bouche Foullon (en relation avec le mépris dont il fit preuve face à la disette accablant les parisiens). La lame de fer, et non une pique en bois, portant le cœur de Berthier.


Anne Louis Girodet : Têtes décapitées de Launay, Foullon, Berthier de Sauvigny et cœur empalé de Berthier, 1789. Graphite, 22,2 x 32,5 cm - BnF Paris, Réserve Qb-201 (118)-Fol Hennin 10360

Autre scène violente. La Nuit du 9 au 10 thermidor de l’an II de Fulchran Jean Harriet (1776-1805). L’arrestation mouvementée, le 27 juillet 1794, de Maximilien de Robespierre (1758-1794). Caractère dramatique du coup de crayon accentué par des ombres puissantes projetées par les torches et les bougies. L’instant décrit, ou mieux, saisi : celui où des révolutionnaires font irruption dans la salle de l’Hôtel de Ville pour l’appréhender. Le moment précis où il s’effondre, touché par le tir de pistolet du citoyen Charles André Merda (1770-1812). Dans les bras de Louis Antoine de Saint-Just (1767-1794), reconnaissable à sa chevelure. Au premier plan, le fauteuil roulant renversé de Georges Couthon (1755-1794). Ce dernier, à terre, brandit un couteau en direction du garde national qui le tient par les cheveux. Ecrire une tragédie, c’est la mettre en scène grâce à trois éléments : unité d’action, unité de lieu. Nous les avons évoquées. Unité de temps aussi : elle est figurée par l’horloge, sur la gauche, qui indique l’heure où le drame a eu lieu, peu après minuit.

Un catalogue, richement documenté, met en valeur ce fonds exceptionnel de la BnF. Il est l’adaptation en français du catalogue de l’exposition présentée aux Etats-Unis. Un petit regret : si des œuvres présentées outre-Atlantique ne le sont pas à Tours, certains dessins du Cabinet des Arts graphique du MBA de Tours ne sont pas répertoriés dans celui-ci.

Les œuvres exposées, redisons-le, la plupart pour la première fois, rendent compte de la place du dessin au siècle des Lumières. Illustrant son intensité et sa diversité. Le dessin ne se limite plus à l’atelier du peintre. Il est désormais un mode de création à lui seul. « (Il) s’impose comme un mode de création autonome et s’étend à tous les domaines de la création artistique et de la vie quotidienne, atteignant une ampleur inédite dans sa production et sa collection » (dossier de presse). Un art difficile qui s’est, peu à peu, ouvert à un public plus large. Et cette exposition, une promenade agréable et captivante au travers de ces belles feuilles de papier !



Publié le 16 juil. 2023 par Jeanne-Marie Boesch