La Vestale - Spontini

La Vestale - Spontini ©
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« Périsse la vestale impie, objet de la haine des dieux »

La Vestale, tragédie lyrique dont la musique est de Gaspare Spontini (1774-1851) et le livret d’Etienne de Jouy (1764-1846), fut créée à l’Académie impériale de musique le 15 décembre 1807.

A Rome, le général Licinius est amoureux de Julia, une jeune vestale destinée par son père contre son gré, au culte de la déesse Vesta. La Grande Vestale alerte Julia sur les dangers de l’amour, alors que cette dernière est chargée de remettre à Licinius victorieux des Gaulois, la couronne de gloire lors d’une cérémonie solennelle. Cette dernière étant terminée, Licinius apprenant que Julia est dans le temple, la rejoint et là les deux amoureux se livrent à une étreinte si passionnée que Julia oublie de veiller sur le feu sacré qui s’éteint. Ayant avoué son forfait au Grand Pontife, elle est condamnée à être enterrée vive au champs d’exécration. Renonçant à dénoncer Licinius et résignée à mourir, elle implore Latone, déesse tutélaire d’avoir pitié d'elle. Lors de la cérémonie de mise à mort, la foudre tombe sur l’autel devant la foule ébahie et la flamme est rallumée. Ayant compris que la vestale a été pardonnée par les dieux, le Grand Pontife la libère de ses vœux. L’union de Julia et de Licinius est alors célébrée dans l’allégresse.

Ce livret d’Etienne de Jouy avait tout pour plaire : une histoire simple et linéaire, une intrigue amoureuse émouvante, un rôle titre en or, des foules, des défilés militaires, des Romains et des Gaulois, figures appartenant aux mythes fondateurs de la société française et une fin à grand spectacle. Ce scénario d’un peplum avant la lettre, n’était pas sorti du chapeau d’un prestidigitateur : le napolitain Domenico Cimarosa avait composé en 1796 Gli Orazi ed i Curiazi, un opéra seria qui avait obtenu un énorme succès et que Gaspare Spontini devait certainement connaître. L’exaltation des vertus romaines et des valeurs républicaines dans Les Horaces et les Curiaces et dans La Vestale servaient évidemment la politique expansionniste du temps justifiée, à l’instar de la Rome antique, par une mission civilisatrice. Trois ans après la création de Gli Orazi ed i Curiazi, l’avancée des troupes de Bonaparte allait entraîner la fuite des Bourbons et l’avènement de la République Parthénopéenne à Naples. Dans La Vestale, l’identification de Licinius, le vainqueur des Gaulois à Napoléon Ier et de Julia à Joséphine de Beauharnais, était dans tous les esprits.

Au plan musical, outre les opéras de Cimarosa, les tragédies lyriques de Christoph Willibald Gluck et Les Danaïdes d’Antonio Salieri furent une source d’inspiration pour Spontini. A cela il faut ajouter ses contemporains, compositeurs d’opéras vers 1807, comme Valentino Fioravanti (I virtuosi ambulanti), Ferdinando Paër (voir la chronique de Leonora), Giovanni Simone Mayr (voir la chronique de L’amore conjugale), Ludwig van Beethoven (version de 1806 de Fidelio). Au plan strictement musical il est évident que La Vestale ne soutient pas la comparaison avec le chef-d’œuvre absolu qu’est Gli Orazi ed i Curiazi, une merveille de beauté mélodique, de noblesse et d’élégance. Par contre Spontini surclasse ses concurrents italiens et allemands en innovations dramatiques en tous genres. Il utilise un énorme orchestre avec un copieux pupitre de cuivres dont quatre cors et trois trombones, une harpe, un tam-tam dont c’est une des premières utilisations à l’opéra. Il est frappant de constater la sagesse de l’orchestration des opéras de ses concurrents y compris Beethoven et leur usage timide voire inexistant des trombones. Les chœurs sont aussi utilisés de façon tout à fait nouvelle avec un rôle spécifique attribué à chaque pupitre: vestales, soldats, peuple,… Les chœurs ne commentent plus l’action mais participent en direct à cette dernière, ce qui permet d’obtenir des effets scéniques extraordinaires. La postérité de La Vestale sera fournie, avec Norma de Vincenzo Bellini vers 1830, les œuvres lyriques d’Hector Berlioz, le grand opéra de Giacomo Meyerbeer, Adolphe Adam et Daniel-François-Esprit Auber. A méditer la critique magnifique (1808) de Jean-Augustin Amar Du Rivier, dit Amar, reprise dans la notice du coffret.

La Vestale regorge de passages remarquables. L’acte I n’est pas très convaincant avec des chœurs assez banals comme l’interminable De lauriers couvrons le chemin ou encore La paix est en ce jour le prix de vos conquêtes. Par contre le récitatif dramatique de la Grande Vestale, Pour la dernière fois, et son air magnifique L’amour est un monstre barbare, constituent un temps fort de cet acte, qui permet de découvrir Aude Extremo, une interprète exceptionnelle dont la voix de contralto agile et profonde, ne craint pas d’affronter des trombones déchaînés et donne à ce personnage une importance bien supérieure à celle de son rôle.

L’acte II débute très fort avec le grand air de Julia avec cor obligé, Toi que j’implore avec effroi, un des sommets de la partition. C’est le triomphe du cantabile, un air très exigeant qui demande beaucoup de souffle, une ligne de chant harmonieuse et un legato parfait, qualités que Marina Rebeka possède au plus haut point, en plus d’un timbre de voix au grain fin tout à fait ensorcelant. Après un récitatif dramatique soutenu par un orchestre puissant, la soprano lettone récidive avec l’air bouleversant Impitoyables dieux, qui n’est pas sans rappeler l’air de fureur d’Elettra à l’acte III d’Idomeneo de Mozart - que Spontini n’a pas pu connaître, vu que cet opéra a été dès sa création en 1781 voué aux oubliettes. A noter à la fin de l’air un superbe contre ut très belcantiste. Stanislas de Barbeyrac (Licinius) est à son meilleur dans le trio avec Cinna (Tassis Christoyannis) et Julia (Ah! Si je te suis chère). Sa voix de ténor claire, incisive et d’une intonation impeccable donne à ce trio sa puissance dramatique. Sa déclamation du français est parfaite et il incarne à merveille le héros glorieux et l’amoureux passionné. Tassis Christoyannis lui donne la réplique avec fougue. Tout l’acte II se maintient au plus haut niveau ; il se termine par un chœur sensationnel, De son front que la honte accable, chanté par le Grand Pontife (Nicolas Courjal, absolument remarquable), la Grande Vestale (Aude Extremo), les prêtres et les vestales, dans lequel Le Chœur de la Radio Flamande brille de tous ses feux. Le contraste est grand entre la mélodie tournoyante des femmes et le piétinement sauvage des voix d’hommes. Ce chœur très novateur anticipe la grand opéra français et plus généralement l’opéra romantique jusqu’à Verdi.

Le sommet de l’acte III et peut-être de l’opéra entier est le chœur génial Périsse la vestale impie, accompagné par un orchestre impressionnant où dominent les quatre cors, les trois trombones et les timbales. C’est le prototype du chœur de désolation que le 18ème siècle prodigua : la déploration suite à la mort de Castor dans Castor et Pollux de Rameau, le magnifique chœur, Oh voto tremendo, au 3ème acte d’Idomeneo,… Du fait du contraste entre les jeunes filles et les vestales qui demandent le pardon de Julia et la foule déchaînée qui exige son supplice, ce chœur est un grand moment d’opéra. L’air de Julia qui suit, Toi que je laisse sur la terre, est du même niveau. Marina Rebeka s’y montre très émouvante et livre une prestation impeccable. C’est le triomphe du beau chant avec d’étonnantes incursions dans le registre grave de sa tessiture. Le vibrato important n’est jamais importun car il concourt à maintenir la stabilité et la densité de la ligne de chant.

L’orchestre Les Talens lyriques sonne admirablement, un pupitre de cordes relativement modeste (deux contrebasses) permet aux bois et notamment aux hautbois de ressortir avec clarté. Les violoncelles sont généreux et expressifs tandis que les violons emmené avec maestria par Gilone Gaubert sont d’une grande précision. Félicitations au premier cor qui avec un instrument naturel donne la réplique à Julia à l’acte II et procure un beau moment de musique historiquement informée. Notre seule réserve concerne les trois trombones un petit peu envahissants.

Grâce à Christophe Rousset, voici une version dépoussiérée, électrisante et inspirée de La Vestale. L’emploi d’instruments d’époque, le respect scrupuleux du texte donnent à cet enregistrement un label d’authenticité réconfortant à une époque souvent envahie par le goût du clinquant et du mélange des genres. Des solistes prestigieux, un orchestre et des chœurs magnifiques font de cet enregistrement une version de référence.



Publié le 30 mai 2023 par Pierre Benveniste