Gioco della Cieca - Concerto di Margherita

Gioco della Cieca - Concerto di Margherita ©
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Eternels feux de l’amour

Après le flamboyant Rodrigo de l’après-midi (lire notre compte-rendu), le Festival International Haendel de Göttingen se poursuit ce samedi soir par un concert nocturne du jeune ensemble Concerto di Margherita, membre du programme eemerging. Nous avons déjà croisé à plusieurs reprises (notamment à Ambronay : lire dans ces colonnes Arcadia et Festival eemerging 2017) ces cinq musiciens venus de différentes nations d’Europe, qui se sont rencontrés lors de leurs études à la Schola Cantorum de Bâle puis ont formé leur ensemble. Rappelons aussi que l’une des particularités du groupe est que chaque musicien est aussi chanteur, ce qui offre de multiples combinaisons possibles selon les morceaux interprétés. Cette polyvalence reflète à notre sens tout à fait l’esprit et la pratique de cette musique de la première partie du XVIIème siècle, qui préserve encore l’héritage plus ancien d’une pratique musicale accessible à de bons amateurs, avant que la recherche systématique de la virtuosité ne les écarte progressivement des représentations publiques du chant, des instruments comme de la danse, à la fin du siècle et dans le siècle suivant.

Le concert alterne pièces instrumentales et passages chantés, autour du thème de l’amour aveugle : le Gioco della Cieca est la version italienne du jeu de colin-maillard français, du Blindekuh (littéralement : « vache aveugle ») allemand, ou encore du Blind Man’s Bluff anglais. Ce court panorama international montre au passage à quel point ce thème possède une résonance universelle. Ce jeu de l’amour aveugle permet d’explorer l’ambiguïté du regard de l’amoureux pour l’être aimé : le regard est à la fois source de joie ou de désespoir, et l’amoureux regarde l’être aimé à travers sa propre passion : est-elle partagée ?

Le concert se tient à l’église Saint Alban, située sur un petit promontoire à l’une des extrémités de la vieille ville de Göttingen. Dans la petite église gothique plongée dans l’obscurité, une improvisation instrumentale sur La Gazella lance les premières notes. La harpe de Tanja Vogrin apporte ses riches et douces sonorités. Nous la retrouverons dans de nombreux morceaux, en particulier dans le Lumi miei de Monteverdi, dans la Sinfonia a 4 de Kapsberger, et surtout dans le Cara mia cetra de Sigismondo d’India, où la harpiste chante seule en s’accompagnant de son instrument.

La gambiste Giovanna Baviera affiche une jolie voix fruitée de soprano pour chanter le Queste lagrime amare de Caccini, tandis que ses deux consœurs se livrent à un numéro de mime, les yeux bandés, sur un côté de la scène : ce passage sera particulièrement applaudi. Toujours côté féminin on retiendra le duo frais et rythmé de Francesca Benetti, qui s’accompagne à la guitare, avec Ricardo Leitão Pedro, dans le Che fai tu de Kapsberger.

Ricardo Leitão Pedro s’illustre de son côté dans la longue plainte Amarilli, mia bella de Caccini, soutenue par son théorbe : sa voix claire de ténor, au medium assuré, est particulièrement expressive. Rui Stähelin enrichit les sonorités de l’ensemble avec les graves de sa voix de basse. Ceux-ci résonnent longuement dans la nef lors du Donna siam’rei di morte de Frescobaldi. Le chanteur sera tout particulièrement applaudi dans l’air du Pastor fido de Haendel, Occhi belli, dont il égrène également les notes au luth.

On retiendra aussi les polyphonies chantées a cappella, et la précision de leurs entrelacs, comme l’entraînant Occhi de’miei desiri de Sisgismondo d’India. Les pièces purement instrumentales sont exécutées de manière soignée, et avec une inspiration bien perceptible : nous avons déjà évoqué plus haut le Lumi miei, ou la Sinfonia a 4, tous deux particulièrement réussis.

Enfin, les pièces de Giaches de Weert (extraites du recueil O primavera giovantù dell’anno, et qui parsèment le programme) mettent joliment en exergue ce que l’ensemble produit à notre sens de meilleur et de plus original : les ensembles vocaux accompagnés. C’était aussi apparemment ce soir-là l’avis du public, car ces pièces furent toutes généreusement applaudies. De même le Cieco amor final (Gastoldi) fut enlevé prestement par un ensemble survolté par son succès. Le jeune ensemble fut longuement ovationné par le public, et offrit en rappel une pièce interprétée à la guitare et chantée par Ricardo Leitão Pedro. S nous avons bien compris ce programme devrait faire l’objet d’un prochain enregistrement.



Publié le 09 juin 2019 par Bruno Maury