Richard Cœur de Lion - Grétry

Richard Cœur de Lion - Grétry ©Agathe Poupeney
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La délicieuse aventure de Blondel

Pour fêter son 250e anniversaire, l’Opéra Royal de Versailles recrée Richard Cœur de Lion d’André Grétry, jamais représenté sur cette scène depuis 1789. Le compositeur connaît un regain d’intérêt depuis quelques années (Grandes Journées Grétry du Centre de musique baroque de Versailles en 2009 ; colloque international organisé conjointement par le Groupe d’étude du 18e siècle de l’Université de Liège et le CMBV en 2012…) et à l’occasion des Grandes Journées Grétry de 2009, plusieurs de ses œuvres ont été remontées sur scène, suscitant la curiosité et d’admiration des musiciens et des mélomanes : Zémire et Azor à Royaumont et à l’Opéra Comique ; L’Amant jaloux en coproduction Opéra Comique / Opéra Royal du château de Versailles ; Andromaque au Théâtre des Champs-Elysées, Céphale et Procris à la Salle Philharmonique de Liège et Opéra Royal du château de Versailles

Richard Cœur de Lion est l’un des grands succès de Grétry, qui totalisait plus de 1000 représentations depuis sa création et tout au long du XIXe siècle. Ses débuts mouvementés et son intrigue étant relatés dans ces colonnes, nous ne reviendrons pas ici sur ces aspects. L’air Ô Richard, Ô Mon Roy de Blondel devient un hymne royaliste pendant la Révolution et est cité dans Le Père Goriot de Balzac ; Je sens mon cœur qui bat qui bat chanté par Laurette est repris dans La Dame de pique de Tchaïkovsky), ce qui montre la popularité de l’œuvre.

Dans cet opéra-comique — qui est aussi l’un des premiers opéras historiques — dont le sujet concerne la captivité de Richard Ier au retour d’une croisade et sa délivrance par Blondel, fidèle du roi, le véritable protagoniste est ce dernier, si bien qu’il conviendrait mieux qu’on l’intitule L’aventure de Blondel ou Le troubadour aveugle, en référence à sa stratégie de sauver son maître, d’autant plus que l’apparition de Richard est limitée. Rémy Mathieu, qui tient le rôle de Blondel, fait preuve d’une excellente qualité d’acteur et c’est surtout dans les dialogues qu’il sait projeter la voix avec une belle diction ; dans le chant, les aigus sont parfois incertains et sa voix devient moins consistante. Reinoud Van Mechelen est un brave roi Richard qui domine la scène par son ampleur vocale et son timbre à la fois colorée et transparente, notamment dans l’air Si l’univers entier m’oublie du deuxième acte. La jeune soprano Marie Perbost assume deux rôles, Antonio en travesti et la Comtesse. Sa joie de camper ces deux personnages transparaît dans son chant et ses gestes, même si, dans les dialogues, ses paroles ne percent pas toujours clairement. Melody Louledjian incarne une très belle Laurette pétillante qui illumine la scène tant pour la clarté de sa voix que pour sa présence ; Jean-Gabriel Saint-Martin en pleine forme dans ses trois rôles (Urbain, Florestin et Mathurin) alors que François Pardailhé donne des répliques à deux personnages (Guillot et Charles). Des rôles principaux jusqu’aux nombreux « petits » rôles, une horde de jeunes chanteurs font des merveilles sur le plateau par leur vitalité et fraîcheur, un grand atout pour revaloriser à juste titre le répertoire et le compositeur, en ajoutant ainsi une touche juvénile.

Dans la fosse, l’absence du clavecin due au genre de l’opéra-comique remplace les récitatifs par les dialogues. Cette spécificité française (contrairement, par exemple, à son contemporain Die Entführung aus dem Serail de Mozart, créé en 1782, qui est un singspiel, un équivalent de l’opéra-comique) entraîne la disparition de la basse continue dans partie orchestrale (NDLR : le clavecin a disparu de l’orchestre de l’opéra français depuis Gluck) En tout cas, cela donne une nouvelle couleur à l’œuvre et ouvre une perspective vers l’opéra romantique, permettant par la suite à l’orchestre de se charger d’un rôle de plus en plus autonome. La direction d’Hervé Niquet est avenante, attentive à l’équilibre entre les chanteurs et l’orchestre. Il se place au milieu des musiciens, certaines cordes se trouvant derrière lui, le dos tourné aux spectateurs. Cette disposition crée un ensemble de sons plus compact, tout en valorisant des vents et des percussions qui font face à la salle. Ce plan sonore est probablement meilleur que la configuration actuelle habituelle et semble plus adapté à l’acoustique de l’Opéra Royal.

Sur le plan visuel, le metteur en scène Marshall Pynkoski, habitué du lieu (lire les chroniques Actéon – Pygmalion et Armide ), a choisi de situer l’action non pas au Moyen Âge mais à la fin du XVIIIe siècle, entre les styles classique et pré-romantique, c’est-à-dire au moment de la création de l’opéra. Une cohérence esthétique est donc de mise pour les oreilles et pour les yeux, ce qui est fort agréable. Le sentiment d’harmonie esthétique est renforcé par les décors d’Antoine Fontaine (dans une pure tradition théâtrale du XIXe siècle en se servant d’une perspective accentuée, comme on peut l’observer dans des maquettes construites visibles à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra à Paris) ainsi que par les costumes de Camille Assaf, qui sont eux aussi classiques de style mais absolument pas poussiéreux, au contraire, frais en couleur et ravissants en forme. Une passerelle installée entre la fosse et la salle rend l’action animée, et l’intention du metteur en scène, de faire entrer les spectateurs plus activement dans l’œuvre, est entièrement réussie. La chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg est complètement intégrée dans le spectacle ; sa création élégante et dynamique, tirée de la danse baroque et du ballet pré-romantique, respecte leurs codes et malgré ce mélange de styles, elle ne suscite aucun sentiment ni d’anachronisme ni de pastiche.

Tous ces éléments réunis composent un spectacle réjouissant et vivifiant, et les mélomanes seront d’autant plus heureux qu’outre l’enregistrement d’un CD dont les séances se déroulent en ce moment même, ils peuvent visionner le spectacle chez eux depuis le site France.TV en cliquant sur ce lien.



Publié le 18 oct. 2019 par Victoria Okada