Trio Sonatas Op. 4 - Jean-marie Leclair - Johannes Pramsohler

Trio Sonatas Op. 4 - Jean-marie Leclair - Johannes Pramsohler ©Encyclopédie, Diderot / d'Alembert © Bibliothèque Nationale de France
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Elégance et raffinement …


Ces deux noms propres reflètent l’esthétique musicale et la stylique visuelle qui s’exhalent du nouvel opus de l’Ensemble Diderot dédié aux Sonates en trio Op. 4 (publié vers 1731) de Jean-Marie Leclair (1697-1764).
Nos confrères, Pierre Benveniste et Michel Boesch, dans leurs chroniques respectives Concertos pour violon et Scylla & Glaucus, ont porté un regard éclairé sur la virtuosité du compositeur. Grâce à leurs témoignages, ils ont éveillé notre curiosité restée, par manque de temps, inassouvie. Ce second confinement pallie à cette carence…

Malgré des aptitudes, voire des dons en passementerie et en danse, le nom de Leclair reste indéniablement lié à la musique instrumentale, notamment celle du violon. Instrument pour lequel il développe une profonde connaissance et une parfaite maîtrise tant à Turin, Londres, Amsterdam, La Haye et Paris ceci en tant qu’ordinaire de la musique du roi, en l’occurrence Louis XV (1710-1774). Ses voyages le nourrissent des diverses influences européennes qui s’appréhendent aisément à l’écoute du disque.
Il acquiert, en particulier, une science érudite dans l’écriture instrumentale : invention mélodique et/ou contrapuntique, fertilité des phrasés, aisance des jeux du violon, … L’Histoire musicale le considère comme le chef de file de l’école française de violon du XVIIIème siècle.
Une phrase de Jean Cocteau (1889-1963), in Portraits-Souvenir (1900-1914), pourrait résumer le génie de Leclair : « Le virtuose ne sert pas la musique, il s’en sert ».

Johannes Pramsohler et son Ensemble exposent, derechef (comme à chaque fois, devrions-nous dire !), leur virtuosité technique et instrumentale. De manière sûre et sereine, ils brillent tant par l’étude approfondie des partitions recherchant les intentions du compositeur que par l’harmonisation « absolue » de l’environnement sonore instillé par la musique de chambre française au XVIIIème siècle. Les couleurs, ainsi obtenues, chatoient par la variété infinie des images. Rarement nous avons, à ce point, atteint la possibilité de toucher la musique, de la percevoir.

Les Six sonates en trio pour deux violons et basse continue de Leclair constituent un ouvrage capital non seulement par l’hésitation constante à classer ces pièces en musique dite de chambre ou d’église, mais également par la compénétration des influences du style français et italien. Creuset du matériel musical du compositeur qui concrétise un parfait équilibre entre les voix de dessus et le continuo.
De manière lente mais tout en crescendo, nous pénétrons et refermons le recueil par une procession instrumentale : entrée individuelle lors des premières sonates, tutti instrumental pour la dernière.

La Sonate n°1 en ré mineur (pistes 1 à 4) sonne sous l’archet de la violoncelliste Gulrim Choï. Ecoutons la teneur de son discours dans l’adagio (p. 1). Les phrases musicales s’énoncent de manière suave, ronde. D’une double caresse (archet et main gauche), elle cajole la musique sans en frôler le rubato (grande liberté rythmique) qui pourrait desservir son exposé. Dans son rôle de basse continue, le claveciniste Philippe Grisvard modèle le phrasé du violoncelle par un soutien dynamique des effets harmoniques de celui-ci. En somme, tout l’art de rendre intelligible le discours musical ! Appui qu’il offre également aux deux violons, tenus par Johannes Pramsohler et Roldán Bernabé, lors de leur prise de parole. Prêtons attention à l’effet de style qui ajoute mouvement et fluidité au largo (p. 3). A la 26ème seconde et ce à plusieurs reprises, un délicat vibrato d’archet (violon) se fait entendre. Nous ne pouvons qu’en approuver l’exécution. Inspirons-nous également de la « valse tourbillonnante» de notes dans l’allegro final (p. 04).

S’ensuit la Sonate n°2 en si bémol majeur (p. 05 – 08). Comme emportés par la délicatesse du toucher du clavecin, nous savourons l’adagio d’ouverture (p. 05). Le violoncelle entonne un motif mélodique descendant au sujet envoûtant, thème repris par les deux violons. Dialogue vivace dans l’allegro ma non tropo (p. 06). Moment de félicité : le largo au caractère cantabile (chantant). Imprégnons-nous de l’allure impavide où l’interprétation reste flexible et phrasée.
Le ton en ré mineur de la Sonate n°3 (p. 09 -13) lui confère une certaine mélancolie, si joliment exposée par la piste 09 (adagio). Le bref allegro (p. 10) chasse d’un revers la langueur ressentie. L’aria suivant (p. 11) confirme le propos soutenu par le tutti instrumental. Remarquons que le violoncelle sonne à la manière d’une « vielle à roue » débutant à la deuxième minute trente et à deux minutes cinquante (pendant un court laps de temps). Les violons scintillent en s’apostrophant tout en préservant la continuité du discours. Le clavecin est tout simplement merveilleux. Point d’orgue de la sonate, la sarabande (p. 12) au ton lent et grave dont le rythme trouve sa carrure sur deux mesures.

Ecrite dans la tonalité du fa majeur, la Sonate n°4 (p. 14 – 17) se pare d’une radieuse palette sonore. Ecoutons le discours « frénétique » de Philippe Grisvard (allegro ma non tropo, p. 15). La divine nature lui aurait-elle offert plus de dix doigts ? Ses condisciples sont tout autant éloquents notamment dans l’aria (p. 16), au trait affirmé d’andante ma non tropo. Une succession de doubles-croches nourrit abondamment notre oreille. La fresque musicale s’étire sur l’ensemble de la pièce, union des choix de Leclair et de l’Ensemble Diderot. Le contour mélodique lie chaque son l’un à l’autre dans un enchaînement expressif et vivant ! Quel bonheur !
Répondant à la pièce précédente, la Sonate n°5 (p. 18 – 21), en sol mineur, drape ses effets dramatiques de clair-obscur. Tantôt l’ombre, tantôt la lumière règnent successivement y compris même à l’intérieur d’un seul mouvement (andante, p. 18). Savourons le discours gracieux des instrumentistes dans l’aria gratioso. Nous assistons à une conversation galante. Bien que « galante », elle ne s’échoit pas dans la superficialité. Au demeurant simple, la musique de Leclair déjoue le préjugé général. Elle révèle de la profondeur, de l’esprit où redites et redondances n’ont pas tribune pour s’exprimer. Les entrelacs de doubles-cordes et d’arpèges des violons de la Sonate n°6 en la majeur (p. 22 – 25) en constituent le parfait exemple. La forme répond à un schéma complexe (harmonie, ornements, rythmes, timbres, …) de facture parfaite. Théâtre de la créativité de Jean-Marie Leclair !

Si certains éléments d’appréciation ont été distillés sur le fond, apportons quelques explications sur la forme. Nous relevions précédemment l’hésitation à laquelle nous étions confrontés : musique de chambre ou d’église, influences françaises ou italiennes. Les sonates n°1, 2, 4, 5 et 6 se structurent en quatre mouvements (lent / vif/ lent /vif) à la manière des sonates da chiesa (d’église). L’empreinte italienne est donc bien palpable. Seule la troisième sonate s’accomplit en cinq mouvements. Notre tâtonnement pourrait trouver son épilogue. Dénouement trop simpliste… Lorsque nous « plongeons » à l’intérieur même de la structure, le style français jaillit et s’impose en particulier dans les troisièmes mouvements (aria des sonates n°3 et 5). La richesse de l’ornementation a pour corollaire l’harmonie des pièces. Selon l’aveu même de notre confrère Pierre Benveniste, il s’inscrit dans le sillon musical de son contemporain, Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Nous acquiesçons. Nous n’émettons qu’un seul regret : l’œuvre de Jean-Marie Leclair ne reçoit pas tout l’intérêt qu’elle mérite !

Leclair ne cède nullement à l’effet ostentatoire de certaines « figures » italiennes. Il réunit les styles français et italien. Aucune extravagance et aucune lourdeur, il en va de soi superflues, ne viennent troubler l’esthétique musicale des six sonates. Seuls deux mots ont résonné au cours de l’écoute : élégance et raffinement.



Publié le 19 nov. 2020 par Jean-Stéphane Sourd Durand