Le carnaval du Parnasse - Mondonville

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Les jeux de l’Amour et du Hasard

Créé à l’Académie royale de musique le 23 septembre 1749, Le carnaval du Parnasse est la seconde œuvre lyrique de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711 – 1772). Violoniste de formation, le compositeur est alors largement reconnu dans la capitale, où il se produit régulièrement au Concert Spirituel. Depuis 1739, il est également reconnu à la Cour, officiant à la Chapelle et à la Chambre du Roi. Il y bénéficie notamment de l’appui de la marquise de Pompadour, favorite royale, ainsi que de la Dauphine, Marie-Josèphe de Saxe, toutes deux grandes amatrices de musique française. Outre ses nombreuses pièces pour violon (publiées dès 1733), il compose de nombreux motets, qui concourent à renforcer sa réputation. Sa première composition lyrique, Isbé (voir le compte-rendudans ces colonnes), n’avait toutefois obtenu en avril 1742 qu’un succès relatif à l’Académie. Pour sa seconde tentative, Mondonville fait appel à un librettiste reconnu : Louis Fuzelier (1674 – 1752), dont ce sera d’ailleurs le dernier livret. L’œuvre est dédiée à la marquise de Pompadour, qui disposait à l’époque du Théâtre des Petits-Appartements, qu’elle avait fait aménager à Versailles (voir notre chronique) et dans lequel elle se produisait assez régulièrement. Il ne semble toutefois pas que Le carnaval du Parnasse ait été représenté sur la scène de ce petit théâtre. Tout au moins aucun témoignage ne l’atteste, même si le format et le thème galant de l’œuvre paraissent tout à fait adaptés pour une telle production.

L’intrigue ténue bâtie par Fuzelier apparaît comme un archétype parfait de l’esprit rocaille et galant qui triomphe en ce milieu du XVIIème siècle, avant le retour d’un néo-classicisme plus austère. Clin d’œil à la rivalité entre opéra français et opéra italien (dont le genre seria semble alors avoir conquis l’Europe entière), le prologue voit s’affronter Clarice (dont les airs tendres et mélodiques incarnent le style français) et Florine (qui lui répond par des arias aux vertigineuses ornementations, caricaturant le style italien). Ce prologue apparaît étonnamment prémonitoire de la Querelle des Bouffons, qui éclatera quelques années plus tard (en 1752), et dans laquelle Mondonville jouera un rôle essentiel (voir notre chronique). Dorante prétend les mettre d’accord à travers un ouvrage qui conciliera les deux styles – allusion à cette recherche des « goûts réunis », qui préoccupa les compositeurs français depuis Lully et Campra. A l’acte I, Momus, dieu de la raillerie, se moque d’Apollon, déguisé en berger, qui vient d’ordonner une fête des Muses. Momus y confesse également son penchant pour Thalie, tout en évoquant celui d’Apollon pour Lycoris. Mais Thalie, informée des intentions de Momus, tente de le dissuader et le convie à la fête. A l’acte II, Lycoris prétend à son tour résister aux avances du berger. Toujours incognito, Apollon tente de la charmer par des chants. Lycoris le quitte ; Momus apparaît, précédant Euterpe et sa suite qui portent en triomphe le dieu de l’Amour et livrent une grande fête en son honneur. A l’acte III, Momus et Thalie, tous deux déguisés en bergers et masqués, se déclarent spontanément leur flamme. Lorsqu’ils enlèvent leurs masques, ils se reconnaissent en riant ! Les apercevant, Lycoris exprime alors son dépit, assimilant toujours Apollon à un berger. Le retour de Momus lève la méprise : Lycoris et Apollon chantent leur amour mutuel. Les deux couples sont entourés par Terpsichore, escortée du Temps, des Saisons et des quatre Ages, dans une grande fête finale.

La partition nous rappelle, s’il en était besoin, que Mondonville était violoniste de formation. Les parties dévolues aux violons sont particulièrement brillantes, avec des passages d’une époustouflante virtuosité. On note aussi l’importance des vents - traversos, hautbois et bassons - présents en nombre au sein de l’orchestre. Autre originalité, le nombre élevé des violoncelles (trois) dans le continuo, qui lui confèrent une densité et un moelleux proprement exceptionnel. L’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie, dans une formation visiblement très étudiée au regard de la partition, fait admirablement sonner ces pages brillantes (tout particulièrement dans les nombreuses dances), sous la conduite inspirée et toujours très attentive du maestro Alexis Kossenko. Malgré son importance numérique (une quarantaine d’instrumentistes), il nous restitue en permanence un sentiment de grâce et de légèreté virtuose, quintessence de l’esprit de ce divertissement rocaille. Si la ligne mélodique imaginée par Mondonville ne possède pas la complexité contrapuntique chère à Rameau, elle se signale par des pages résolument modernes (en particulier au début du troisième acte), aux effets particulièrement réussis.

Au plan vocal la distribution rassemble des interprètes familiers du répertoire baroque, dont ils affichent une excellente maîtrise. Gwendoline Blondeel brille de tous ses feux dans l’air virtuose, « à l’italienne »,de Florine, Augelleti voi annate (Que vous êtes heureux, oiseaux, sous ce feuillage), et dans sa réplique en français (Le papillon infidèle, avec basson et hautbois sur scène) ) lors du prologue. On la retrouve dans le corps de l’opéra dans le rôle de Thalie, bergère enjouée et distante (Il est temps de vous dire, que j’aime/ Que j’aimerais toujours… la liberté), jouant avec la flamme déclarée de Momus. C’est aussi avec une indéniable sensualité qu’elle entame les échanges masqués du début du troisième acte, qui aboutiront à la surprise très prévisible que réserve le livret. Le timbre est clair et cristallin, la diction irréprochable, tant en français qu’en italien. Retenons encore son brillant appel au finale, Liberté charmante.

La soprano québécoise Hélène Guilmette incarne la fière Lycoris, proclamant avec des intonations pleines de fraîcheur son indifférence à l’Amour au début de l’acte II (D’un trait flatteur). A l’acte III, nous avons particulièrement apprécié son ariette virtuose Ce berger dangereux, ainsi que son duo avec Apollon L’amour m’enflamme.

Clarice au prologue, Hasnaa Bennani soutient avec vaillance la tradition française dans ses ariettes Ruisseaux qui parcourez et Le printemps seul nous procure. Elle est aussi une Euterpe souveraine, lançant les danses au final de l’acte II (Chantez- dansez, amusez-vous) ainsi qu’à celui de l’acte III (cette fois en Suivante de Terpsichore : Jeunes cœurs, prenez vos armes, au son du cor). Son phrasé très soigné est animé par une expressivité de tous les instants.

Leurs partenaires masculins soutiennent sans faiblir la comparaison. Sans surprise, Mathias Vidal excelle en Apollon berger, poursuivant de sa fougue la dédaigneuse Lycoris (avec un sonore Les rebelles Titans et un entraînant Armons-nous, au second acte). En Berger, il conclut magistralement le prologue avec son Célébrons le Printemps. David Witczak est un Momus enjoué et gentiment dragueur, à la diction précise (tout particulièrement dans les récits), très à l’aise dans les scènes de séduction des actes II et III. Nous avons particulièrement apprécié son panache dans l’air final de l’acte I, Dans le choix d’un amant. Adrien Fournaison, que nous entendions pour la première fois, a été un Dorante posé dans le prologue (Les Plaisirs en ces lieux), un galant et brillant Suivant d’Euterpe au finale de l’acte II (Amour, les Cieux, la Terre et l’Onde) et un vaillant Suivant de Terpsichore à l’acte III (Jouez Enfants). Ses graves sonnent rondement et son phrasé résonne agréablement.

Ajoutons l’excellente prestation du Chœur de Chambre de Namur, aux attaques précises, et dont la disposition scénique nous permet d’apprécier pleinement la clarté des différentes parties.

La création du Carnaval du Parnasse rencontra un grand succès à l’Académie, dont la gestion, défaillante depuis de nombreuses années, venait d’être reprise par la ville de Paris. Pas moins de trente-cinq représentations sont données dans les deux mois qui suivent sa création ! Une reprise est proposée dès janvier 1750, qui se prolongera jusqu’en 1751. De nouvelles reprises eurent lieu en 1759 et 1767 à l’ARM ; une ultime reprise eu lieu en juin 1774, entre les créations d’Iphigénie en Aulide (avril) et d’Orphée et Eurydice (août) de Gluck. Autre signe de sa notoriété, elle inspira dès 1759 une parodie pour la Comédie-Italienne. Le succès du Carnaval attise même une rivalité du compositeur avec Rameau, dont la première version de Zoroastre, créée le 2 décembre 1749 (voir notre compte-rendu) est accueillie froidement.

Remercions Alexis Kossenko et son équipe pour cette production qui rend pleinement justice au génie et à l’originalité de Mondonville. Et précisons pour nos lecteurs qu’elle fera l’objet d’un enregistrement, dont la sortie mérite d’être surveillée !



Publié le 18 mars 2023 par Bruno Maury