L’Etoffe des Flamands. Mode et peinture au XVIIème siècle

L’Etoffe des Flamands. Mode et peinture au XVIIème siècle ©Portrait d'Isabelle-Claire-Eugenie, archiduchesse d'Autriche (détail)
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Dialogue entre mode et peinture dans les Pays-Bas du XVIIème siècle

Visiteurs du soir, nous le fûmes ce jeudi 8 juin. Conviés, à 19 heures, au musée des Beaux-Arts de Tours. Accueillis par le cèdre du Liban (classé Arbre Remarquable de France) qui orne la cour de celui-ci. La soirée débute par une conférence : De fil en aiguille, les Flamands à la mode. Carole Hirardot, Alexandra Bosc et Sébastien Passot en sont les protagonistes. Ils proposent à leur auditoire de découvrir la face cachée de l’exposition : sa conception, son montage. Le choix des œuvres. La réalisation des costumes modernes. Car ceux montés au XVIIème siècle sont peu nombreux à nous être parvenus. Ou trop fragiles pour être transportés. L’occasion également de parler du partenariat des trois musées impliqués : le musée de Tessé du Mans, les musées des Beaux-Arts de Tours et d’Angers.

Point d’origine : leurs collections respectives de peintures des écoles du Nord (Flandres et Pays-Bas). Le tout dans une « approche transversale et pluridisciplinaire (qui) décloisonne les traditionnelles spécificités techniques des collections », selon Christophe Béchu, maire d’Angers (catalogue). Une collaboration « autour d’un thème fédérateur, d’œuvres mises en commun complétés par des prêts pour trois expositions au contour différent », ajoute Stéphane Le Foll, maire du Mans (ibidem). « (…) Une politique muséale (à laquelle s’ajoute) une dimension partenariale interrégionale (…). Quant au thème de la mode, il offre au public un éclairage historique, sociétal et technique nouveau sur l’art d’une époque riche en transformations sociales et politiques » précisent le maire de Tours, Emmanuel Denis et Christophe Dupin, maire adjoint délégué à la culture et à l’éducation populaire (ibidem).

Carole Hirardot prend le temps d’expliquer la naissance d’un tel projet. A savoir, le travail d’un élève conservateur qui réalise, pour son stage de spécialité, des recherches sur le fonds nordique du musée de Tessé. Un travail d’inventaire, de documentation et de description considérable ! Avec, pour résultat, un descriptif détaillé de l’état matériel de la collection sous forme de notices. Notices ensuite informatisées sur la base nationale. Une campagne de restauration, plus ou moins poussée, s’ensuit. Une idée germe : comment valoriser la qualité de ce travail ? D’où ce projet d’exposition sur une thématique originale. En valorisant et exposant un fonds peu familier du public. Notons que les trois lieux ont bénéficié de prêts de musées français (musée du Louvre et Fondation Custodia à Paris, musée Bertrand de Châteauroux ou encore MBA de Valenciennes) et étrangers (musées d’Amsterdam, Utrecht et Leyde).

Nous avons eu l’occasion de présenter le musée des Beaux-Arts de Tours (voir notre chronique consacrée à Antoine Coypel). Le MBA d’Angers est, lui aussi, une création de la Révolution. 1795. Le Directoire fonde les Ecoles centrales (établissements d'enseignement public, en remplacement des collèges des facultés des arts des anciennes universités. Elles seront supprimées en 1802). Dont celle de Maine-et-Loire qui est transférée, en 1797, dans un ancien hôtel particulier : le logis Barrault. Devenu propriété du clergé, en 1673, il abritait alors les locaux du grand séminaire. Quant au musée de Tessé, sis au Mans, il est l’un des plus anciens de France. Il doit son nom à René de Froulay de Tessé (1648-1725) fait maréchal de France en 1703. Sa collection constitue la base des premières collections picturales de la ville.

Ces musées détiennent chacun un fonds issu de diverses écoles du XVIIème siècle. Bien évidemment, pour ce qui nous concerne, un fonds « Ecoles du Nord ». Angers possède un Rembrandt (Rembrandt Harmenszoon van Rijn, 1606/07-1669), un Rubens (Pierre Paul, 1577-1640). Sont présents dans son cabinet des arts graphiques : Antoine van Dyck (1599-1641), Isaac van Ostade (1621-1649) ou encore la famille van de Velde, peintres et graveurs actifs dans les Provinces-Unies au Siècle d’Or, dont Adriaen, aquafortiste (1636-1672). Le musée de Tessé s’ouvre aux écoles françaises, italiennes et bien sûr, nordiques. Dont Théodore Rombouts (1597-1637), l’un des peintres renommés du baroque flamand des Pays-Bas espagnols… Willem Kalf (1619-1693), peintre néerlandais spécialiste des natures mortes… David Ternier le Jeune (1610-1690), le très prolifique artiste flamand polyvalent (peintre, graveur, dessinateur, miniaturiste et copiste). Lors de sa création, le musée de Tours « ne possède quasiment aucun tableau nordique. (…) Le premier tableau véritablement flamand (y) parvient à la suite d’une erreur d’attribution (…) Il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour qu’enfin, au hasard de legs puis de dons de personnalités locales, se constitue un fonds disparate des écoles du Nord. » (Vincent Lamouraux, catalogue).

L’histoire de ces trois collections a donc pour origine l’héritage révolutionnaire. Trois histoires parallèles qui se rejoignent au moment où ces trois musées décident de s’associer. Dans une présentation chaque fois renouvelée. À partir de leurs collections respectives de peintures nordiques, ils proposent cette exposition consacrée au dialogue entre mode et peinture dans les Pays-Bas au XVIIème siècle.

Mais que recouvre la notion de Pays-Bas au XVIIème siècle ? Avant de désigner une entité politique, le nom « Pays-Bas » couvrait essentiellement une réalité géomorphologique. Le terme fait référence à la partie basse de la vallée rhénane constituant l’estuaire de trois grands fleuves du nord-ouest de l’Europe : le Rhin, la Meuse et l’Escaut. Après avoir été sous domination bourguignonne et par le jeu des successions européennes, les Pays-Bas passent aux mains des Habsbourg avant de faire partie des dix-sept provinces des Pays-Bas espagnols sous Charles Quint (1500-1558), puis Philippe II (1527-1598). Au terme de la guerre dite des Quatre-Vingt Ans, le 23 janvier 1579, l'indépendance des Provinces-Unies est déclarée (Union d’Utrecht). Il s’agit d’une république constituée de sept provinces indépendantes disposant chacune d’un parlement et d’un gouverneur (stathouder). La séparation d’avec les Pays-Bas espagnols est actée tant pour des raisons politiques que religieuses. Le stathouder Guillaume d’Orange-Nassau (1626-1650), est l’un des artisans de la grande prospérité économique et culturelle qui s’en suivra… au détriment des Flandres (Pays-Bas espagnols) ! C’est la période du « Siècle d'Or » (Gouden Eeuw ; voir nos chroniques Dessiner le quotidien - La Hollande au Siècle d’or et Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt). Au début du XVIIème siècle, des sociétés par action voient le jour (Compagnie des Indes orientales en 1602 et Compagnie des Indes occidentales en 1621). Celles-ci se lancent dans le commerce des épices avec l’Inde et l’Insulinde. Prospérité militaire également qui vaudra aux Pays-Bas d’être attaqués par divers Etats voisins, dont la France.

Hollande protestante au nord et Flandres catholiques au sud rivalisent et s’affrontent dans de nombreux domaines. Néanmoins, pour les uns et pour les autres, le vêtement définit ce qu’il est coutume d’appeler « la bonne société ». Il permet à celui qui le porte d’affirmer son statut social. Le costume devient « signe extérieur de richesse » ! Et l’industrie textile est, de ce fait, d’une importance capitale. Le tout dans un contexte de guerres incessantes en Europe.

Entrons dans l’exposition ! L’huile sur toile d’Abraham Willaerts (vers 1603/1613-1669) Un armateur et sa famille (1650) nous accueille. Peintre de marine, il s’ouvre également à l’art du portrait comme c’est le cas ici. Douceur atmosphérique malgré un ciel gris et des nuages aux reflets roses. Peut-être une scène portuaire esquissée au loin. Un paysage côtier, des pêcheurs qui tirent un filet, une barge avec des bovins et un homme à cheval. L’ensemble forme l’arrière-plan d’un portrait familial. Un couple et ses deux jeunes enfants, en compagnie d’un chien. Ils se promènent sur la berge. Un armateur (reder) nous regarde avec ostentation, affirmant par ce regard son importance sociale. Jambes écartées, solidement campé sur celles-ci. Main droite sur sa taille, main gauche ouverte vers nous dans un geste d’affirmation de soi ! L’épouse porte son regard plus bas, symbole de la modestie attendue de la femme de cette époque ! Elle tient, par un cordon, un jeune enfant vêtu de blanc, des plumes roses sur son bonnet, seules taches claires du tableau. A la gauche du père, un autre enfant manifestement plus grand, néanmoins âgé de moins de sept ans puisqu’il porte encore la robe (voir notre chronique Enfants de la Renaissance). Le tissu moiré de celle-ci rappelle celui de la jupe maternelle. Sur sa tête est « posé » un chapeau qui semble trop grand pour lui ! Costumes noirs agrémentés de quelques détails blancs : revers de manches, cols.


Abraham Willaerts : Un armateur et sa famille, 1650, huile sur toile, 87 x130 cm, Valenciennes musée des Beaux-Arts, inv.P.46.1.137

Pourquoi ces vêtements noirs ? De quoi sont-ils l’expression ? Durant de nombreuses décennies, nous avons voulu y voir la manifestation de la sobriété protestante. Or, c’est tout le contraire ! « Le noir, comble du chic » indique le panneau explicatif à l’entrée de la salle. Un stéréotype qu’il convient de battre en brèche. « Non le noir n’est pas la recherche de la sobriété » explique Alexandra Bosc. Bien au contraire « faire du noir, faire du bon noir » revient cher. Une teinture excessivement coûteuse, la plus chère à obtenir puisqu’à base d’un mélange de diverses teintures. Une combinaison entre autres, de la garance (pour le rouge) et de l’indigo (pour le bleu, fort onéreux et venu de loin). Le drap de laine de la ville de Leyde est mondialement connu pour sa qualité. La guilde des marchands-drapiers en contrôle toute la production : finition des tissus, solidité des draps dont des échantillons sont consignés dans des albums. Sont présentés un Album d’échantillons (Stalenboek) pour l’année 1730, un Emporte-pièce pour marquer les draps de qualité de teinture intermédiaire (ici trois triangles ; il existe des marquages pour cinq catégories) ainsi qu’un Timbre servant à marquer les plombs certifiant le niveau de qualité des tissus (Groot Doubel) de 1655. Il est à noter que « des morceaux de tissu découpés dans les draps soumis à l’inspection sont mis à bouillir, pour vérifier s’ils sont parfaitement teints de part en part et s’ils ne changent pas de couleur » (Jori Zijlmans, catalogue). Pourquoi parle-t-on de « drap » et non de tissu ? « Drap » est un terme générique qui, pendant des siècles, a désigné de nombreux tissus en laine utilisés pour confectionner les vêtements. Ce drap est un tissu de laine amélioré par le foulage puis par d’autres opérations dont le lainage (voir, dans le catalogue, le chapitre consacré au Drap de laine de Leyde et son rayonnement). Deux estampes de Jan Gillisz. Van Vliet (vers 1600/1610-1668), datées de 1635 : Tisserands et Tondeurs de drap. Travail à domicile de ces ouvriers supervisé par de riches marchands qui fournissent la matière première. Quant au syndic des drapiers, il appose les plombs de contrôle à la lisière des tissus. De Richard Houston (vers 1721/22-1775) : Les Syndics de la guilde des drapiers (staalmeesters) d’Amsterdam (1774). Une taille-douce (ensemble des procédés de gravure en creux sur une plaque de métal) d’après un tableau de Rembrandt daté de 1662.

Quant au blanc éclatant des fraises ou des dentelles, son entretien est tout aussi coûteux car il doit rester immaculé. Si ces manchettes, collerettes et fraises peuvent sembler sobres, Alexandra Bosc ajoute qu’« elles constituent de ‘’ coûteuses simplicités ‘’(Daniel Roche, in La culture des apparences. Une histoire du vêtement. XVIIe-XVIIIe siècles) véritables étendards de l’inégalité vestimentaire des sociétés d’Ancien Régime. Ces superfluités exigent en effet un entretien fort onéreux (lavage, empesage, mise en forme) et on se doit d’en posséder beaucoup pour permettre la rotation au moment de leur lavage » (catalogue). N’oublions pas que la fibre de lin (vlas) est à l’origine grise ! Il s’avère donc nécessaire de lui faire subir plusieurs opérations de blanchiment afin de la transformer en lin immaculé (linnen) tel que nous l’admirons sur les tableaux exposés. Comment le blanchir ? C’est presque l’apanage de la région de Haarlem qui se couvre de grands champs de blanchiment (grâce à la photosynthèse). Les toiles sont posées à plat sur les prairies et régulièrement retournées. Mais aussi grâce au lait des vaches car… les laizes (largeur d'un tissu, d'une lisière à l'autre) à blanchir y sont trempées régulièrement. Illustration donnée par l’eau-forte de Claes Jansz. Visscher (vers 1586/87-1652) : Laverie et Champs de blanchiment pour toiles de lin (1608).

Etre ainsi vêtu revient, en quelque sorte, à afficher son aisance financière ! Apanage des élites urbaines, ces costumes ne sont pas ceux des paysans, ni des ouvriers qui portent, souvent, des guenilles raccommodées. Une réalité que nous découvrons sur la toile de Joost Cornelisz. Droochsloot (1586-1666), Rixe de paysans devant un cabaret (1653). La photo ci-dessous pointe les détails que sont les expressions fatiguées des visages (hommes et vieilles femmes), les vêtements usés, troués et rapiécés (pièces sur les genoux). Alexandra Bosc de rappeler qu’un vêtement parcourt plusieurs vies, entre rapiéçage et friperies. Ces vêtements se doivent d’être robustes afin d’être utilisés le plus longtemps possible. Etoffes résistantes (chanvre, laine et parfois lin grossier) et teintes dans des couleurs les moins salissantes possible. Dans La Fuite en Egypte (1627), œuvre de jeunesse de Rembrandt, Joseph incarne « la figure classique de l’homme pauvre errant : pieds nus, il avance vêtu d’une modeste tunique sans âge, muni d’un simple chapeau de paille et d’une besace de voyageur » (cartel explicatif). Marie, enveloppée dans une grande houppelande grise, porte une sorte de foulard drapé à la manière d’un turban.


Joost Cornelisz Droochsloot : Rixe de paysans devant un cabaret (détail), 1653, huile sur bois, 59,5 x 83 cm, Le Mans, musée de Tessé, inv.10.212

Une formidable croissance démographique et économique traverse le XVIIème siècle, en particulier dans les provinces côtières, de la Zélande à la Frise. Un réseau commercial se met en place permettant aux modes étrangères de se diffuser. Débarquées dans un port, « les marchandises sont distribuées dans tout le pays grâce à un service régulier de livraison par barges (beurtveren) naviguant sur le dense réseau national de canaux » (ibidem). Si les tissus sont vendus par les marchands-drapiers, les accessoires sont proposés dans des boutiques plus spécialisées. Les propriétaires de celles-ci sont membres de la grande guilde des merciers. Il convient bien évidemment de se faire connaître (voir notre chronique La Fabrique du luxe). De Christiaan Hagen (actif de 1663 à 1695) une Carte-adresse de la boutique d’accessoires de mode située à Amsterdam, « Au voile couronné » (De Gecroonde Sluyyer), boutique qui propose des articles de mercerie d’origine française et anglaise. De Caspar Luyken (1672-1708), une Carte-adresse du marchand-fabricant de soieries établi à Amsterdam « Jacob & George Roeters en Compagnie » (1697). Une eau-forte où figurent, à la fois, la boutique et un atelier en arrière-plan.

Cela nous conduit vers les textiles précieux. Arrêtons-nous sur le cycle des Sibylles qui évoque l’Orient grâce la préciosité des tissus peints par Jan van den Hoecke (1611-1651). Il s’agit d’une série de onze huiles sur toile peintes dans les années 1630-1640. Plusieurs sont présentes à Tours : La Sibylle de Cumes, La Sibylle de Perse ainsi que La Sibylle cimmérienne. Dans l’Antiquité, la sibylle est une femme inspirée qui prédit l’avenir, une devineresse. Prêtresse d’Apollon, elle s’exprime dans un langage énigmatique permettant, ainsi, de nombreuses interprétations. Le Moyen-Age les intègre à la geste chrétienne. Les auteurs chrétiens veulent voir, dans leurs oracles, des marques de l’attente du Messie sauveur. Ainsi en est-il de la Sibylle de Cumes et de ses prophéties relatives à la naissance d’un enfant annonçant le retour de l’Age d’or sur terre. Nos sibylles sont vêtues de riches brocarts aux coloris chatoyants, « réminiscences du XVIème siècle vénitien de Véronèse (1528-1588). L’Italie (étant) devenue le principal centre producteur de ces coûteuses étoffes à l’oriental. Un Orient qui n’était d’ailleurs pas inconnu du commanditaire, probablement anversois, de ces œuvres » (ibidem). De corpulence plutôt plantureuse, deux d’entre elles sont blondes, les cheveux en partie lâchés sur les épaules et ornés de pierreries. Deux d’entre elles lèvent les yeux vers le ciel dans un regard extatique. Seule la sibylle de Perse regarde le spectateur. Elle tient sur ses genoux un livre ouvert comme la sibylle de Cumes. La cimmérienne lève la plume au-dessus d’un phylactère (sorte de petite banderole, sur laquelle se déploient les paroles prononcées par le personnage peint) « dont l’inscription révèle la pureté de la Vierge » (cartel explicatif). Comme ses consœurs, elle porte une robe faite de riches soieries, la sibylle persane ayant son manteau bordé de fourrure. Quant à la Sibylle Agrippina dite Sybille égyptienne (considéré, jusqu’en 2008, comme le Portrait d’une femme africaine peint par Abraham Janssens, 1575-1632), elle tient dans sa main un fouet symbolisant la flagellation du Christ. Une couronne d’épine (la Passion) est posée sur sa robe rouge. Sur le phylactère, l’inscription « siccabitur ut folium » (il sèchera comme une feuille).


Jan van den Hoecke et atelier : La Sibylle cimmérienne, années 1630-1640, huile sur toile, environ 85 x 65 cm, Le Mans, musée de Tessé, inv.10.644

Plus loin, dans une vitrine, deux fragments d’étoffe : un Broché fond crème Louis XIII (soie, fil d’or filé et frisé) ainsi qu’un Velours relevé fond rouge Louis XIII (velours de soie). Tous deux provenant de la manufacture tourangelle Croué (seconde moitié du XIXème siècle). Une huile sur bois dont l’auteur est anonyme, intitulée Sacrifice (scène d’Electre de Sophocle ?). Personnages exclusivement féminins richement vêtus de soieries, d’organdi ou de gaze. Le peintre les différencie grâce à leurs coiffures faites de plumes et de perles.

Salle suivante. Une série de toiles (France XVIIème siècle) d’après le célèbre graveur tourangeau Abraham Bosse (vers 1602/1604- 1676). La série gravée des Cinq sens remporte un grand succès à sa création aussi est-elle copiée par nombre de peintres. Devenant l’une des séries les plus connues d’Abraham Bosse. Elle illustre parfaitement la maîtrise de son art, le souci du réalisme et le goût du raffinement dans les attitudes. Ce que nous retrouvons dans ces toiles. Le Toucher : une courtisane sur les genoux d’un gentilhomme assis sur une chaise, devant une cheminée que réchauffe un feu : un couple dans une posture quelque peu grivoise. L’Ouïe : réunion autour d’une table, où sont posées des partitions, de trois chanteurs dont celui de droite les dirige et deux musiciens jouant du luth et de la viole de gambe.


D’après Abraham Bosse, Les cinq sens, AVDITVS/ L’OVYE (L’ouïe)

Le Portrait d’un jeune garçon (vers 1658/75) dont le peintre est anonyme. Portrait à mi-corps derrière une table sur laquelle sont disposés des fruits. Le jeune garçon est vêtu d’une rhingrave (sorte de jupe-culotte qui se portait assez bas sur les hanches et s'évasait vers le bas ; sa doublure était serrée au-dessus du genou par une coulisse) « agrémentée de bouclettes de rubans disposées en paquets (« la petite oie ») (… s’accompagnant) d’un pourpoint raccourci, la brassière » (cartel explicatif). Sur une chemise blanche. Le tout dans des tons de gris et de roses. En effet, à partir des années 1630, la couleur devient plus présente, ce que nous observons également dans le Portrait d’un homme (Ecole hollandaise, vers 1670) : une garniture de rubans (tons de rouge rosé) attachant le bas de manches de la chemise ou décorant le pourpoint (différents tons de marron). Plusieurs eaux-fortes (1667) de Romeyn Hooghe (1645-1708) présentent une élégante à la robe garnie de rubans et un homme habillé d’une rhingrave, à la mode française.


Anonyme flamand : Portrait d’un jeune garçon, vers 1658-1675, huile sur toile, Legs Hersent-Luzarche, 1952, Château d’Azay-le-Ferron

Intervention des moralistes dans la mode. Ils en fustigent les excès, estiment qu’elle est la traduction de la vanité et de l’orgueil. Attribué à Jan van Kessel (1626-1679), Singeries : Scènes bouffonnes entre animaux vêtus moquant les Espagnols (?), vers 1660. Egalement d’un graveur anonyme d’après un dessin de Maerten de Vos (1532-1603), une Caricature de la mode des fraises « L’orgueil est l’enfant du diable » , vers 1590-1610. Ici une élégante et un élégant se confrontent à des faiseurs de fraises représentés sous une forme diabolique.

Une vitrine propose la Reconstitution d’un supportasse et d’une fraise (réalisation Le socle (Paris) et Sébastien Passot-Le Tailleur Sincère-2022). Le supportasse ou porte-fraise est destiné à soutenir les fraises et les collets de lingerie. Il peut être constitué de deux façons : un tissu raidi par des surpiqûres, un amidonnage et/ou un cartonnage, ou, comme ici, une structure invisible de fil métallique. « Sa structure rigide comme ses dimensions imposantes dictent au corps un maintien altier et une raideur qui rendent, aux yeux de tous, la position sociale de son propriétaire » (ibidem). Imaginons l’inconfort (imposé à son porteur) que ce devait être ! Une eau-forte d’après un dessin de Dirck Hals (1591-1656) attribuée à Adriaen Matham (1599-1660) montre une Elégante vue de dos, avec son porte-fraise visible, dite Elégante au lézard (vers 1619/23).


Reconstitution d’un supportasse et d’une fraise, Le socle (Paris) et Sébastien Passot-Le Tailleur Sincère-2022 (photo JMB)

Dans la salle suivante : deux « œuvres » qui ne sont pas d’époque ! Mais la reconstitution de deux costumes, l’un masculin, l’autre féminin, tels que les hommes et les femmes de la bourgeoisie urbaine en portaient vers 1625. Réplique moderne de costumes historiques permettant au visiteur de se faire une idée de ceux-ci. C’est ici l’occasion de revenir sur le travail effectué par Sébastien Passot et les explications donnée lors de la conférence introductive (lire également L’art du délicat du costumier : la question de la fidélité historique dans la reconstitution, catalogue). Passionné par les costumes anciens (particulièrement ceux de la Renaissance au XVIIIe siècle), il pratique la reconstitution historique en partant de l’observation du réel et en émettant des hypothèses lorsque les tours de main professionnels de l’époque ne sont plus connus. En 2013, il intègre l’équipe de la School of Historical Dress. En ce qui nous concerne, le point de départ est le costume bourgeois du milieu du XVIIème siècle. A partir de portraits de Frans Hals (1582-1666) et de Jan Van Ravesteyn (1572-1657). Et de la production picturale d’Adriaen van de Venne (1589-1662) pour le raffinement, la finesse réaliste de certains détails parfaitement observés.

Sébastien Passot explique qu’il y a quatre niveaux d’authenticité présidant à son travail : la restitution ou reconstruction la plus fidèle possible, la transposition, l’évocation (hypothèse) et la dramatisation (pour des prises de vues cinématographiques). Le tout à partir de l’iconographie bien que celle-ci ait ses limites : quid du dos des vêtements ? Ces vêtements sont structurés, rigidifiés par l’entoilage et manquent de souplesse… Ressemblant plus volontiers à une cuirasse, ajoute-t-il ! Reconstitution poussée jusqu’à l’utilisation des points spécifiques des tailleurs et des lingères. Et le taillage fait avec un ciseau à bois et un maillet ! « Pour la coupe, j’ai pu conforter certaines hypothèses grâces aux livres de tailleurs de l’époque », précise-t-il. Lors de la visite, il propose aux visiteurs de toucher les échantillons de tissus, de scruter les vêtements… tissus épais que certains ont estimé difficiles à supporter vu la chaleur tourangelle qui régnait ce jour-là ! Pour la commissaire, introduire cette reconstitution dans le parcours, permet de « contourner le fait qu’il y ait très peu de tenues féminines du XVIIe siècle dans les collections muséales ». En effet, si certains accessoires de mode ont été conservés (l’exposition mancelle présentait une paire de gants de mariée, une paire de mules) rares sont les ensembles complets de cette époque à avoir survécu aux outrages du temps. Et surtout, à pouvoir être montrés au public. Mais pourquoi ne reste-t-il rien des tenues de cette époque ? Tout simplement en raison d’un circuit, que nous appelons de nos jours « de recyclage », des habits qui circulent à l’infini du haut en bas de l’échelle sociale… jusqu’à la transformation finale des chiffons en pâte à papier !




Reconstitutions d’un costume féminin vue de face ; explicatif de la composition de celui-ci ; vue de dos ; Sébastien Passot, Le Tailleur Sincère, 2022 (photos JMB)




Reconstitutions d’un costume masculin vue de face ; explicatif de la composition de celui-ci ; vue de dos ; Sébastien Passot, Le Tailleur Sincère, 2022 (photos JMB)

Différents portraits sont également présentés dans cette dernière salle. A commencer par deux portraits, en pieds, des souverains Habsbourg des Pays-Bas espagnols : Albert, archiduc d’Autriche, fils de l’empereur Maximilien II, et son épouse et cousine, Isabelle, fille du roi d’Espagne, Philippe II. Deux tableaux qui ne sont, cependant pas, des pendants puisque ni réalisés à la même date ni par le même peintre. L’archiduchesse Isabelle d’Autriche (copie d’après Frans (II) Pourbus, 1569-1622) et de L’archiduc Albert d’Autriche (copie d’après Otto Van Veen ( ?), 1556-1597). Fille de Philippe II d’Espagne, Isabelle (1566-1633) reçoit en dot les Pays-Bas espagnols lors de son mariage (1598) avec l’archiduc Albert (1559-1621). Cela avec mission d’y raviver la foi catholique. Elle s’installe à Bruxelles et continue à s’habiller « à l’espagnole ». Elle est représentée en habit de cour, en compagnie de sa naine. Costume richement brodé. Corsage baleiné et jupe montée sur un vertugadin (élément du costume féminin, d’origine espagnole, qui se présente sous la forme d'un bourrelet placé autour des hanches pour donner de l'ampleur à une robe). D’où l’aspect austère et longiligne. Notons que la main droite tient un grand mouchoir : le cadrage sur celle-ci constitue l’affiche de l’exposition ainsi que la première de couverture du catalogue. Armure damassée pour l’archiduc. Elle laisse apparaitre un pourpoint or et rouge. Néanmoins, il est encore vêtu à la mode du XVIème siècle : hauts-de-chausses (vêtement masculin qui vêtement qui couvre le corps de la ceinture au genou) avec une braguette proéminente constituée d’un rembourrage. Il porte le collier de l’ordre de la Toison d’or et tient un bâton de commandement. Le couple porte une fraise en dentelles à l’italienne.


Copie d’après Otto van Veen ( ?) : Portrait de l’archiduc Albert d’Autriche, gouverneur (1595-1598) puis souverain des Pays-Bas espagnols (1598-1621), vers 1596-1597, huile sur toile, 194,7 x 112 cm, Le Mans - musée de Tessé, inv. 10.16

Nous retrouvons plusieurs portraits issus de la bourgeoisie. Et ce drap noir de Leyde devenu un bien de prestige dont les bourgeois néerlandais se revêtent volontiers. De Werner van den Valckert (1580-1627 ou 1644), une huile sur bois : Portrait d’un homme âgé de 32 ans, tenant son bonnet de docteur (1620). Gamme subtile de noirs. Satin brillant du pourpoint. Velouté du drap de laine du manteau (sorte de cape circulaire) porté drapé autour du corps et retenu de la main droite. Noir du bonnet qui se confond presque avec le fond du tableau. Magnifique fraise d’une blancheur éclatante dont nous distinguons tous les entrelacs ! Visage expressif qui nous regarde. Reflets brillants dans la chevelure. Fine moustache.


Werner van den Valckert : Portrait d’un homme âgé de 32 ans tenant son bonnet de docteur, 1620, huile sur bois, 65,5 x 52,7 cm, Châteauroux, musée Bertrand, inv.291

De Jan Jansz.(I) Westerbaen (vers 1600/1602-1686) : Portrait d’un homme de 27 ans (1649). Rigueur totale du costume noir juste agrémenté du blanc du col à glands et d’une taillade de la manche. Visage moins expressif que précédemment. Portrait de jeune femme (vers 1630/40) attribué au portraitiste Bartholomeus van der Helst (1613-1670). Elle est portraiturée à mi-corps sur un fond neutre qui fait ressortir son vêtement en mettant l’accent sur les ornements de celui-ci. Dentelle de la coiffe. Fraise somptueuse, fraise qui encadre son visage faisant ainsi ressortir la pâleur de son teint. Pâleur très appréciée alors. Broderie de la robe et notamment du corps baleiné (borst) rebrodé d’or. Il est à supposer que ce portrait faisait pendant à celui de son époux, comme c’était souvent le cas. Un mot sur cette fraise imposante mais pas monumentale : les proportions de cet accessoire pouvaient être si colossales (parfois des bandes de lin de dix-sept mètres de long !) que celles-ci étaient, alors, désignées sous le nom de « meules de moulins » (molensteenkraag). De Ludolf de Jongh (1616-1679) un Portrait de femme (1655) peint sur un fond sombre. Elle arbore avec fierté de nombreuses dentelles : celles ornant la bordure de sa chemise qui dépasse de la robe au niveau du décolleté… une autre disposée à l’horizontale sur son buste… et enfin une gorgerette (pièce de lingerie en fine batiste couvrant le décolleté) presque transparente. Sa tenue est agrémentée de bijoux : broches (sur la gorgerette pour la maintenir fermée ainsi que sur son bonnet) et boucles d’oreille.


Ludolf de Jongh : Portrait de femme, 1655, huile sur toile, 71,1 x 60 cm, Angers, musée des beaux-Arts, inv. MBA J242 (1881)P

De l’atelier de Cornelis van der Voort (1576-1624) le Portrait de Magdalena van Erp réalisé à l’occasion de son mariage (vers 1623). La jeune femme porte un rebato, large col plat empesé et garni de dentelles. Dentelles qui forment, tout autour, des languettes à motifs de rouelle (entrelacement de fils formant un fond de réseau sur lequel se détachent des motifs décoratifs).


Atelier de Cornelis van der Voort : Portrait de Magdalena van Erp réalisé à l’occasion de son mariage, vers 1623 (version d’atelier d’un original daté de 1623), huile sur toile, 69,5 x 52 cm, Château royal de Blois, inv.46.1.14

Rappelons que, si la fabrication des tissus est réservée au monde masculin, celle des dentelles est l’apanage des femmes « pour qui c’est une activité professionnelle très répandue. (…) Les dentellières flamandes vont d’abord imiter les productions à l’aiguille italienne à structure géométrique, mais à partir des années 1630, elles développent un vocabulaire nouveau avec des dentelles aux fuseaux » (Luce Pintore, catalogue). En effet, la réalisation de ces dentelles exige un savoir-faire combiné à un temps de réalisation particulièrement long.

Dernier « arrêt sur image » : l’Autoportrait de Jacob Jordaens (1593-1678) peint dans les années 1648/50. Théâtralité de la pose. Il se met en scène (en buste, à contre-jour dans l’embrasure d’une ouverture en pierre) vêtu d’un large manteau noir et coiffé d’un chapeau tout aussi sombre, tenant, à deux mains, une statuette. Pose qui semble figée. Visage au regard en partie oblique, à la fois grave et débonnaire. A mettre en relation avec la copie (encre et lavis) du Portrait de Peter Paul Rubens (1653 ? d’après un tableau daté de 1623). Aucun attribut faisant allusion à sa profession d’artiste bien que nous puissions entrevoir une chaine (cadeau traditionnel fait par les princes) probablement en or, si nous nous référons au tableau original (voir notre chronique Rubens - Portraits princiers).

Notre visite s’achève avec la possibilité de regarder vidéos et montages d’images répondant à diverses questions. Entre autres, un extrait d’une vidéo produite par le Nederlands Openluchtmuseum (Ecomusée des Pays-Bas) : « Comment lavait-on son linge autrefois ? ». Ou un montage d’images fixes dû au Rijksmuseum d’Amsterdam sur les « Métiers de la parure, du textile et du cuir ».

Un mot sur le catalogue. Ouvrage collectif sur la base « du trois en un » puisqu’il traverse les trois expositions. Une gageure si nous nous référons à la définition de ce mot : liste méthodique accompagnée de détails, d'explications généralement destinée à faciliter la recherche des documents. En fait, une passionnante étude de la société des Pays-Bas du XVIIème siècle au travers du costume et son évolution, de l’organisation des artisans et de leur savoir-faire. Bref, une façon d’explorer la florissante économie néerlandaise du textile. Etudes de fonds, textes explicatifs et iconographie s’y rapportant. Le problème du « tridimensionnel » de l’exposition se résout dans la partie « liste des œuvres exposées » par l’initiale des villes dans laquelle l’œuvre est exposée. Notons que celle-ci peut être montrée sous la forme d’un fac-similé, ce qui est également indiqué par un symbole.

Un regret quant à la disposition de l’exposition au sein du musée : divisée en deux parties éloignées l’une de l’autre. Pas évidentes à trouver ! Un bémol : peut-être aurait-il fallu commencer l’accrochage des toiles en présentant les portraits de l’archiduchesse Isabelle d’Autriche et de son mari avec un rapide explicatif historique ? Comme c’était le cas, lors de l’exposition mancelle… En fait, à Tours, il s’agit plus d’« une exposition sous le format dossier», selon le mot de Carole Hirardot. Une adaptation du projet du musée de Tessé.

Les trois industries « locales » que sont le drap de laine de Leyde, la dentelle et le lin avec les « toiles de Hollande » (en particulier à Haarlem) connurent un succès commercial considérable à l’international. Amsterdam devient rapidement la première place mondiale d’échanges. Les bourgeois enrichis aiment à se faire portraiturer dans leurs plus beaux atours. Pour ces peintures destinées à la postérité, les notables portent le plus souvent des costumes noir et blanc. Le comble du chic vu leur coût et non la manifestation de sobriété, voire d’austérité toute protestante selon un cliché très répandu ! Il est vrai que la rareté des objets conservés face aux nombreux tableaux peut expliquer cela… Prédilection pour le noir de la bourgeoisie distinguée de Hollande versus la prédominance colorée des modes françaises ? L’étoffe des Flamands met à mal nos stéréotypes au travers d’une approche, à la fois plaisante et instructive, des valeurs vestimentaires de la bourgeoisie néerlandaise du XVIIème siècle.



Publié le 06 juil. 2023 par Jeanne-Marie Boesch