Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris

Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris ©Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris - Galerie des Gobelins - PARIS
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Regard inédit sur les Mays de Notre-Dame.

15 avril 2019. Nos regards restent figés sur cette cathédrale millénaire en proie aux flammes. Que nous soyons sur place ou devant notre télévision. Nous avons peine à croire ce que nous voyons ! La flèche s’écroule ! Mais que se passe-t-il à l’intérieur ? La voûte tiendra-t-elle ? Que deviennent le mobilier, les tableaux et autres œuvres d’art ? Durant les jours qui suivent, dans la cathédrale encore fumante, nombreux sont ceux qui s’affairent à évacuer ces chefs d’œuvre patrimoniaux. Grâce divine : aucun des tableaux n’a été détruit ni abîmé ! La reconstruction de la cathédrale démarre parallèlement à la restauration de ces grands tableaux. Rayons infrarouges et ultraviolets, loupes et pinceaux, mains expertes sont convoqués ! Avant de retrouver les murs de la cathédrale, fin de l’année 2024, ces tableaux sont offerts à notre regard à la Galerie des Gobelins.

Un mot sur cette galerie située dans l’enclos des Gobelins. Les bâtiments de la Manufacture (celle-ci créée en avril 1601 sous l'impulsion du roi Henri IV, 1553-1610) sont répartis autour de plusieurs cours. Ils datent, pour la majeure partie d’entre eux, du XVIIème siècle. Au centre, l’ancien logement de Charles Le Brun (1619-1690), premier directeur de la manufacture. Dans la cour Colbert, l’ancienne chapelle dédiée à St Louis, édifiée, en 1723, pour les lissiers. En 1908, Jean-Camille Formigé (1845-1926), architecte en chef des monuments historiques, est sollicité pour la reconstruction de la galerie des Gobelins. L'inauguration prévue pour l'été 1914 n'a pas eu lieu. L'espace d'exposition n'ouvre ses portes qu'en 1922. 1937 : les manufactures des Gobelins, de Beauvais (créée en 1664) et de la Savonnerie (créée en 1627), ainsi que les ateliers conservatoires de dentelle d’Alençon et du Puy-en-Velay (depuis 1976), sont rattachés à l’administration du Mobilier national. Déconsacrée dans les années 1960, l’ancienne chapelle accueille depuis tapisseries patrimoniales et œuvres d’artistes contemporains autour du sacré. Après une fermeture d’une trentaine d’années, la Galerie des Gobelins rouvre ses portes en 2007.

Dans la perspective de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, le 8 décembre prochain, le Mobilier national et les Affaires culturelles d’Ile de France s’associent pour présenter au public les chefs-d’œuvre de son décor intérieur. Vingt-et-un tableaux de très grand format. Dont treize Mays réalisés, entre 1630 et 1707, par des peintres renommés. Tableaux auxquels les restaurateurs ont redonné vie et couleur pour notre plus grand bonheur ! Sont également exposées quatorze pièces de la tenture de la vie de la Vierge (venues de Strasbourg) et une partie du tapis de chœur offert par le roi Charles X (1757-1836). Ainsi que le futur mobilier liturgique (maquettes) issu d’un concours lancé en 2003. Nous y reviendrons.

Que se cache-t-il sous le vocable de « May » ? A l’origine, une tradition des confréries médiévales. « Associations pieuses, elles réunissent leurs membres sur des thèmes relevant de la pratique religieuse et pour l’observance d’une vie plus édifiante. Vouées à la célébration d’un saint, à la pratique de la charité ou de l’entraide, elles sont confréries de dévotion » (Patrick Laharie, in Les Mays de Notre-Dame de Paris, ouvrage publié sous la direction d’Annick Notter, 1999). « La confrérie Sainte-Anne-Saint-Marcel des orfèvres parisiens attestée dès 1482 (…) réunit une partie des orfèvres de Paris dans l’objectif de rendre à la Vierge Marie des dévotions particulières. Ils disposent pour cela d’une chapelle propre, domiciliée à Notre-Dame et consacrée à sainte Anne (première chapelle en entrant dans la nef du côté sud) et font chaque année une offrande particulière à la Vierge, au mois de mai, le mois de Marie selon le calendrier liturgique » (Delphine Bastet, Les Mays de Notre-Dame de Paris, premier musée de peinture française, L’objet d’art n° 575 février 2021). Deux maîtres nouvellement élus (tous les deux ans), sur les quatre qui dirigent la confrérie, sont chargés de la commande et parallèlement, en assument la charge financière. Leur nom ou leur blason apparait sur certaines toiles.

XVème siècle. Le premier may, représente un arbre vert, décoré de rubans. Il est planté, de nuit, devant le portail de Notre-Dame. Quelques décennies plus tard, sera ajouté un tabernacle contenant des poèmes de louange à Marie. « Une boîte appelée « tabernacle » sans doute hexaédrique, creusée de niches sur différentes faces. Ces niches étaient ornées de peinture sur soie représentant des personnages bibliques ; des écriteaux suspendus portaient la légende, en vers, des scènes représentées. L’ensemble était dressé le 30 avril à minuit, devant le portail de la cathédrale puis, le lendemain, suspendu devant la statue de la Vierge qui ornait le jubé gothique. Au bout d’un mois, le may regagnait la chapelle de la confrérie, où il restait jusqu’à l’année suivante » (catalogue). Ecrits en corrélation avec le petit tableautin, illustrant la scène biblique. Ecrits ne se comprenant qu’en relation avec la scène figurée. Ce sont les « petits Mays ».

1620. Un « poème supplémentaire présente un Vœu à la Vierge pour le roi ou la reine. Les tableaux de taille relativement modeste (leur hauteur ne dépasse pas 1 mètre) forment au fur et à mesure des années un cycle sur la vie de la Vierge » (ibidem). A partir de 1634, seuls deux poèmes subsistent : le sonnet explicatif et le vœu (10 février 1638) à la Vierge par le roi. De 1630 à 1707, les représentations picturales prennent des dimensions colossales : généralement 3,50 m de haut pour 2,75 m de large ! Leur sujet, au moins jusqu’à 1672 : les Actes des Apôtres. Relatant ainsi la mission des premiers disciples de Jésus. Toujours commentés par un poème. D’abord placés devant l’autel de la Vierge, ces « grands Mays » vont changer de localisation, se retrouvant accrochés aux piliers de la nef centrale. Au fur et à mesure, ils seront accrochés dans les chapelles latérales, les arcades du chœur et du déambulatoire.


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Anonyme, La vue de l’intérieur de Notre-Dame avec le tabernacle de may, vers 1650, huile sur toile, 90,8 x 82,8 cm © Société des Amis de Notre-Dame, en dépôt à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine - Photo JMB


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Pierre Brébiette, Les tabernacles du may, 1626-1630, gravure, 0,30 x 0,40 cm © Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie, inv.Qb.1 (1619)- Photo JMB


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Explication du tableau présenté à la Vierge par MM. Les marchands orphèvres de Paris le 1er jour de mai 1688 ; Paris Thomas Guillain, 1688 ; imprimé © Paris, Bibliothèque nationale de France, 4-LK7-6958 - Photo JMB

Le rôle du chapitre (collège de clercs, appelés chanoines, attaché à une église cathédrale) de Notre-Dame est essentiel bien qu’il ne soit pas à l’origine directe de la commande. Celle-ci est payée par la confrérie. Il en va de même pour le choix des peintres. Cependant, le chapitre garde le contrôle de l’iconographie (lisibilité de l’action peinte, équilibre des formes voire des couleurs) tout comme celui de leur accrochage et leur devenir. Il veille à ce que « les sujets abordés par les Mays aient une intention pastorale particulièrement importante » (ibidem). Quels sont ces thèmes ? Ceux de la Contre-Réforme (suite au Concile de Trente, 1545-1563) : les sacrements (dont le baptême ou la pénitence). L’importance du prêche auprès des fidèles et l’illustration de l’enseignement du Christ. Troisième thème : la célébration du martyre des apôtres et des diacres. Bien évidemment, l’éloge de l’Eglise catholique et plus particulièrement de l’Eglise gallicane de France. Quant à la célébration du monarque, elle apparait plus volontiers dans les poèmes accompagnant les tableaux. Avec des rappels récurrents à la protection mariale sur la France, ceci depuis le Vœu de Louis XIII (1601-1643).

Entre 1630 et 1640, la validation par le chapitre se fait en avril, la peinture étant en passe d’être achevée ! A partir des années 1660, elle intervient juste après le choix du peintre soit à l’automne de l’année précédente. Les artistes pressentis proposent alors plusieurs esquisses d’un sujet, souvent dans le cadre d’un concours. « Les liens de famille entre orfèvres commanditaires et peintres de Mays sont bien connus (… et) sont renforcés par de nombreuses alliances dont témoignent les parrainages d’enfants (…). Ces alliances sont favorisées par les voisinages dans les palais du roi » (Delphine Bastet, Les Mays de Notre-Dame de Paris, 1630-1707, édition Arthena, 2021). Les peintres sont également souvent issus des mêmes familles. Une façon de ne prendre aucun risque et de garantir la réalisation de la commande. Certains interviennent à plusieurs reprises. Ils sont généralement membres de l’Académie royale de peinture et sculpture (fondée en 1648) : peindre un May est un honneur convoité et permet à de jeunes peintres d’acquérir une réputation ! Nous trouvons des personnages marquant de la peinture du Grand Siècle. Des noms connus comme Charles Le Brun, Eustache Lesueur (1617-1655), Louis Boullogne le Père (1609-1674) et son fils. Louis Chéron (1655-1725), Laurent de la Hyre (1644-1717) ou Noël Coypel (1628-1707) et son fils, Jean Jouvenet (1644-1717). Plusieurs le sont moins : Aubin Vouet (1595-1641), Charles-François Poerson (1609-1667) et bien d’autres !

1679. L’existence de la confrérie est sur le point d’être remise en cause. Cependant celle-ci est confirmée, en 1683, grâce à la bienveillance des chanoines. Problème qui empêche la présentation d’un tableau cette année-là. Un administrateur n’ayant pas été élu et faute de financement en 1693, il n’y a pas de tableau présenté en 1694. La fin du siècle voit une période de crise et des difficultés financières : aucun tableau n’est présenté de 1708 à 1711. La confrérie étant sommée de reprendre la présentation des Mays, elle décide de se saborder. Elle est dissoute le 1er septembre 1712.

Lors de la Révolution et la saisie des biens ecclésiastiques, une vingtaine de Mays sont dispersés. Cinq toiles disparaissent. D’autres sont entreposés au musée des Petits-Augustins (chapelle qui abrite dès 1795 le musée des Monuments français) et au Louvre. A partir du Concordat (1801) s’opère un retour progressif des Mays à Notre-Dame. Ils sont accrochés dans les chapelles latérales et sont au nombre de vingt-et-un. Puis le Second Empire donne la plupart d’entre eux au Louvre. Eugène Viollet-Leduc (1814-1879) estime le décor désuet (il faut préserver l’architecture médiévale) voire encombrant ! Il ne retient que quelques œuvres pour décorer les chapelles. Et répartit les autres entre diverses églises ou musées des Beaux-arts en région ainsi qu’au Louvre. Deux tableaux sont détruits en 1870/71 et en 1944.

1938. Quatorze Mays quittent le Louvre pour les cimaises du musée d’Arras. En raison de la quasi destruction du musée de la ville durant le premier conflit mondial. Mais aussi du fait que le conservateur en chef du département des peintures du Louvre, Pierre-Marie Auzas, est natif d’Arras ! Une salle, dite « salle des Mays » leur est consacrée en 1995. L’après-guerre en voit revenir plusieurs d’entre eux. Lors du huitième centenaire de la dédicace de Notre-Dame, la cathédrale en accueille huit : quatre lui appartenant, quatre en provenance du Louvre puis laissés en dépôt, deux provenant de l’église Saint-Thomas d’Aquin. Le May de Noël Coypel est cédé à la cathédrale par le Louvre en 1993. A plusieurs reprises, il est envisagé de les suspendre, côte à côte, dans la nef comme avant la Révolution. Sans succès ! Au moment de l’incendie, treize Mays ornaient les chapelles et le croisillon nord du transept.

Aujourd’hui, la mise en scène de l’exposition offre la possibilité de découvrir, au plus près, cet ensemble prestigieux. En effet, les Mays sont exposés au niveau du sol, sur une petite estrade. Nous sommes de plain-pied face à l’œuvre ! Le tout dans un décor rappelant l’intérieur de Notre-Dame tel que celui-ci figure sur La vue de l’intérieur de Notre-Dame avec le tabernacle de may (voir photo). Sur cette toile, les Mays sont accrochés au-dessus des chapiteaux des piliers. Après la fin des travaux du chœur, en 1731, le chapitre décide de les suspendre entre les arcades de la nef « dans une logique de mise en ordre, les scènes de l’Evangile furent rangées sur la gauche et celles des Actes sur la droite » (catalogue).


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Anonyme, Vue de la croisée du transept, vers 1780, huile sur toile, 0,47 x 0,58 cm © Société des Amis de Notre-Dame de Paris - Photo JMB

« Cette exposition est une occasion unique de voir en un seul lieu et de façon extrêmement rapprochée l'ensemble des chefs-d’œuvre décoratifs de la cathédrale. Toutes ces peintures retourneront dans la cathédrale, mais elles seront réparties dans les chapelles et placées en hauteur, donc on ne les verra plus comme on peut les voir dans cette exposition côte à côte. C'est vraiment une réunion de chefs-d’œuvre », explique Emmanuel Penicaut, l’un des commissaires de l'exposition. Une scénographie fondée sur une alliance de gris clair et de bleu roi. Cette dernière couleur permet de mettre en valeur les toiles restaurées. Nettoyés afin de leur donner un nouvel éclat Un dispositif multimédia (dispositif ludique s’il en est !) permet de constater les progrès réalisés en passant d’un état à l’autre, de l’avant à l’après. Les doigts experts des artisans ont également mis à jour des éléments cachés par le temps.

Entrons ! Deux vues intérieures de la cathédrale nous accueillent. Point de parcours fléchés. Nous allons et venons à notre guise entre ces grandes toiles. Nous arrêtant devant plusieurs écrans où nous est expliqué le cheminement de la restauration.


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entrée de l’exposition © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre -Dame - Photo JMB

Par exemple, devant une vue en réflectographie infrarouge (2022) du tableau, Le Martyre de saint Barthélémy (vers 1645/55) de Lubin Baugin (1612-1663) avant sa restauration. Rappel. Cette technique d’imagerie scientifique permet d’obtenir des informations sur le dessin préparatoire que le peintre effectue avant d’appliquer les couches de peinture, voire les modifications qu’il apporte dans la composition du tableau. Egalement devant des vues numériques où il nous est permis de naviguer sur l’écran. Poussant le curseur vers le bas pour voir le tableau tel qu’il était ou vers le haut, tel qu’il apparait actuellement. Ainsi La Descente du Saint-Esprit de Jacques Blanchard (1600-1638), Le Crucifiement de saint Pierre de Sébastien Bourdon (1616-1671) et d’autres.


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vue en réflectographie infrarouge du tableau de Lubin Baugin avant restauration, 2022 © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB


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vues numériques du may de Jacques Blanchard avant et après restauration, 2023© - Photo JMB


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vues numériques du may de Sébastien Bourdon avant et après restauration, 2023 © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB

1634. Le plus ancien May conservé dans la cathédrale : La Descente du Saint-Esprit de Jacques Blanchard. Né dans le lyonnais, dans une famille de peintres. C’est au retour d’un séjour en Italie (Rome et Venise) que lui est commandé ce May. Excellent coloriste, il prend son inspiration chez les grands peintres vénitiens de la Renaissance. Il s’agit d’une des premières scènes des Actes des Apôtres (2, 1-4). Autrement dit la Pentecôte. Une scène d’intérieur (alors que la plupart des mays se déroulent en extérieur). Le moment où les langues de feu descendent sur les apôtres réunis dans un édifice soutenu par des pilastres. Assise à droite, de profil, toute vêtue de blanc, la Vierge. Regard tourné vers le ciel, les mains jointes. Pierre, personnage central, et plusieurs figures l’entourant, sont peints de dos, la tête également levée vers le ciel. Vers le haut du tableau où apparaissent les langues de feu dans un rai de lumière à peine esquissé. Tonalité froide rehaussée de touches de couleur : ocre pour le manteau drapé de Pierre, rouge framboise pour celui du personnage au premier plan à droite, lie de vin et vert pour les vêtements des personnages sur la gauche.


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Jacques Blanchard, La Descente du Saint-Esprit, 1634, huile sur toile, H 3,40 x L 2,45 m, (détail coin gauche haut) © Etat : DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

1635. Saint Pierre guérissant les malades de son ombre de Laurent de La Hyre (1606-1637). Figure isolée dans l’art au temps de Louis XIII (1601-1643), il est le seul peintre d’histoire de l’art parisien qui ne soit pas allé étudier en Italie. Est évoqué ici le pouvoir thaumaturge du saint. Une composition sobre. Pierre passe parmi des malades allongés au sol, devant des portiques en marbre. Il les guérit simplement par son ombre. Au premier plan, une femme partiellement dévêtue, son enfant endormi sur sa cuisse. Tonalité claire. Couleurs qui accrochent le regard : robe bleue et manteau ocre du saint, rouge et jaune du vêtement de la femme. Tons plus doux pour les personnages en arrière-plan. A noter : la signature du peintre sur une marche à l’arrière de Pierre. Mais également deux blasons, en bas à gauche : ceux des orfèvres donateurs. « L’installation du personnage principal au-devant de colonnes en perspective partant vers un fond de ciel est une formule que l’on retrouve (par la suite) » (Delphine Bastet).


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Laurent de La Hyre, Saint Pierre guérissant les malades de son ombre, 1635 ; inscription : L. DE LA HIRE / in. & f. 1635 ; blason des deux donateurs, Antoine Crochet et Claude de Rosnel ; huile sur toile, H 3,19 x L 2,31 m © Paris, musée du Louvre, Inv.5357, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB

1637. La Conversion de Saint Paul également de Laurent de La Hyre. Composition richement colorée où la lumière se « focalise » sur la scène du premier plan : l’instant où Saul (futur Paul), soldat romain sur la route de Damas, persécuteur des chrétiens, chute de cheval en entendant le Christ l’interpeller. Le Christ, source de sa conversion, apparaît dans le coin gauche de la composition. Sa gestuelle renforce cet appel. Tout comme la position renversée de Paul au premier plan. Il a encore le pied droit à l’étrier ! Richesse des tonalités chromatiques nous l’avons dit : le rouge (vêtements du légionnaire au premier plan et celui de Paul) et le rose (drapé entourant de Christ ou le cavalier s’enfuyant) dominent. Et la tache sombre de la robe du cheval dont le regard marque la surprise !


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Laurent de La Hyre, La Conversion de Saint Paul, 1637 ; inscription : L de La Hire / In & F 1637 ; huile sur toile, H 3,23 x L 2,25 m © Paris, église Saint-Thomas- d’Aquin, COARC, COA-TAQ-Y0001, dépôt de la Ville de Paris à la cathédrale Notre-Dame de Paris, classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

1639. Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre d’Aubin Vouet. Moins connu que son frère Simon Vouet (1590-1649). Nota. Ce May était placé à l’entrée de la cathédrale (comme une invitation à se convertir lorsque nous y entrons) ainsi que nous le voyons sur le tableau Vue intérieure de Notre-Dame de Paris, cité plus haut. Les Actes des Apôtres (10, 23-26) sont à nouveau convoqués. Le centurion se prosterne pour accueillir Pierre dans sa maison. Ce dernier le relève. Deux groupes de personnages sur un fond d’architecture : une colonnade et, en arrière-plan, un temple. Au centre, le centurion en pleine lumière, vêtu de blanc et de beige. Eclairage puissant qui est une façon, pour le peintre, d’évoquer la grâce divine entourant cette rencontre. Jeu de couleurs primaires. Sur la gauche, une femme, penchée en avant, tient un enfant et pointe son doigt vers Pierre. Une robe blanche sous un ample drapé bleu. En contraste avec le drapé rouge de l’homme en bottes, assis devant elle. Il tient un bâton et est accompagné de son chien. Drapé qui attire notre œil. Sur la droite, Pierre vêtu de bleu et d’ocre. Derrière, deux hommes l’accompagnent. Les touches d’une palette aux coloris vifs entrent en résonnance. Les grands drapés rythment la scène. Lignes verticales et horizontales qui s’opposent aux lignes courbes.


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Aubin Vouet, Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre, 1639 ; inscription : A. VOUET 1639 ; huile sur toile, H 3,24 x L 2,38 m © Paris, église Saint-Thomas- d’Aquin, COARC, COA-TAQ-Y0002, dépôt de la Ville de Paris à la cathédrale Notre-Dame de Paris, classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB


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détail coin gauche en bas, Aubin Vouet, Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre, 1639 ; inscription : A. VOUET 1639 ; huile sur toile, H 3,24 x L 2,38 m © Paris, église Saint-Thomas- d’Aquin, COARC, COA-TAQ-Y0002, dépôt de la Ville de Paris à la cathédrale Notre-Dame de Paris, classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB


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détail milieu gauche, Aubin Vouet, Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre, 1639 ; inscription : A. VOUET 1639 ; huile sur toile, H 3,24 x L 2,38 m © Paris, église Saint-Thomas- d’Aquin, COARC, COA-TAQ-Y0002, dépôt de la Ville de Paris à la cathédrale Notre-Dame de Paris, classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

1642. La Prédication de saint Pierre à Jérusalem de Charles Poerson (1609-1667). Ce dernier est un élève de Simon Vouet. Il s’agit de la première prédication de Pierre après la Pentecôte. Il interpelle son auditoire : « Détournez-vous de cette génération tortueuse et vous serez sauvés » (Actes 2, 37-40). Cette génération tortueuse est évoquée, de façon subtile, par les colonnes torses. Egalement par l’homme, torse nu, de dos qui s’y accroche et se contorsionne. Pierre se tient, campé, au milieu de celles-ci, sa main droite pointant le ciel, la gauche semblant bénir la foule. Visage concentré et ampleur du geste. Tunique bleu pâle et drapé ocre de son manteau. Réalisme des visages, surtout ceux des vieillards, de la tête du chien sur la droite. Au premier plan, une femme en partie étendue sur le sol retient son nourrisson. La lumière (divine ?) éclaire son visage. Elle est vêtue de bleu, couleur mariale s’il en est. Sur la gauche, un soldat, de dos, casque empanaché et tunique jaune doré à lambrequins (bande d'étoffe festonnée par le bas). Au centre, légèrement en retrait, un jeune homme au pied des marches. Mains ouvertes, vers qui son regard se tourne-t-il ? Reflets verts et rose pâles du drapé de son vêtement.

Nota. Charles Poerson reçut commande pour le May de 1653 mais également pour la plupart des cartons des tapisseries de la tenture de la Vie de la Vierge conservée à la cathédrale de Strasbourg. Nous y reviendrons.


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Charles Poerson, La Prédication de saint Pierre à Jérusalem, 1642 ; inscription : C. POERSON.IN.PIN. /1642 ; monogrammes PLB et FLQ (Pierre le Bastier et François Le Quint, donateurs) ; huile sur toile, H 3,27 x L 2,51 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB


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détail coin gauche en bas, Charles Poerson, La Prédication de saint Pierre à Jérusalem, 1642 ; inscription : C. POERSON.IN.PIN. /1642 ; monogrammes PLB et FLQ (Pierre le Bastier et François Le Quint, donateurs) ; huile sur toile, H 3,27 x L 2,51 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

1643. Le Crucifiement de saint Pierre de Sébastien Bourdon. Protestant né à Montpellier, il est un des membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et sculpture. Il est connu pour la complexité de ses compositions et sa palette colorée. « Le sujet ne figure pas dans les Actes des Apôtres mais, en dérogation à la délibération d’avril 1630, trouve sa source dans La légende dorée de Jacques de Voragine (vers 1228-1298), de même que la plupart des Mays de martyres » (Delphine Bastet). La scène du crucifiement de Pierre occupe le centre du tableau. Bien que la croix soit en diagonale et non dressée à la verticale. Selon son souhait, par humilité, il est crucifié la tête en bas. Il n’est pas entravé par des cordes mais a les pieds et les mains cloués. Un bourreau tire vers lui le périzonium (étoffe, sorte de pagne servant à cacher la nudité) qu’il porte autour des hanches. Un autre tire les cordes servant à redresser la croix. Un troisième retient la croix par l’arrière. La confusion, l’agitation règnent ! Au premier plan, une femme, de dos, et son enfant ainsi qu’un chien assistent à la scène. En bas à gauche, drapé de jaune, probablement un disciple de Pierre, vêtu comme un chanoine, lui parle. Sans doute pour le conforter, le soutenir dans son supplice. En arrière-plan, une statue semble vaciller. Un espace de ciel ouvre le tableau. Des anges tiennent les attributs du martyre : l’un une couronne de fleurs (elle est alignée sur le visage de Pierre), le second, une palme. Quelques taches de couleurs vives semblent vouloir compenser l’absence de volume de la composition. En même temps, l’éclairage centré sur Pierre et les bourreaux à sa droite accentue l’effet dramatique de la scène. La vue numérique (voir plus haut) permet de voir les fragilités de la toile, fragilités qui ont conduit les restaurateurs à un rentoilage en « confectionnant une toile sur mesure en cousant deux morceaux » (catalogue).


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Sébastien Bourdon Le Crucifiement de saint Pierre, 1643 ; huile sur toile, H 3,59 x L 2,59 m © Paris, musée du Louvre, inv.2809, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB

1647. Le Martyre de saint André de Charles Le Brun. La scène se situe à Patras, Péloponnèse. André refuse de sacrifier aux idoles comme le lui demande le proconsul Egéas. Il entend célébrer le mystère de la croix. Egéas le condamne à être flagellé puis crucifié. Il assiste à la scène, assis entre une colonne et un piédestal, sur une tribune qui surplombe, comme en retrait. Ses conseillers l’entourent. La foule proteste de son innocence. Des soldats interviennent pour la contenir. L’un d’eux, à cheval, désigne la croix (en forme de X) que l’on devine, en arrière-plan, à gauche. Au premier-plan, violence d’un des bourreaux qui attache l’apôtre avec des cordes sur des pieux. Derrière lui, un soldat arrache son grand manteau jaune. Au centre, attitude exaltée d’André : bras et jambes écartés annonçant la croix de son martyre. Un ange lui montre le ciel et la couronne de palmes dont les cieux l’honorent déjà. Lumière franche posée sur le martyre et l’ange : ils sont comme entrés en dialogue ! Nombreuses sont les émotions qui saisissent le visiteur contemplant cette œuvre. A proximité est exposée une étude du proconsul. Il est vêtu d’un ample manteau drapé dont un pan recouvre le bras du siège. Les jambes croisées. Son visage à peine esquissé.


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Vue numérique Le Martyre de saint André de Charles Le Brun, 1647 ; inscription : C. Le Brun ; huile sur toile, H 4,10 x L 3,10 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB


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Charles Le Brun, Le Martyre de saint André- Le proconsul, 1647 ; dessin, sanguine avec rehauts de craie blanche sur papier beige ; 0,41 x 0,27 © Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inv. 29123 - Photo JMB

1650. Saint Paul rendant aveugle le faux prophète Barjésu de Nicolas Loir (1623-1679). Membre d’une famille d’orfèvres parisiens, il peint ce May au retour de son séjour romain. Avec comme sujet, l’hérésie (Actes 13, 6-13). Et « l’abandon des fausses croyances pour la vérité de la doctrine chrétienne sous l’effet d’un signe extraordinaire (ici la cécité qui frappe Barjésu) » (Delphine Bastet). Sur l’ile de Chypre, devant le proconsul Sergius Paulus, Paul prêche la parole de Dieu. Il est interrompu et contredit par un magicien ou faux prophète appelé Barjésu. Il fait appel à l’Esprit Saint et le rend temporairement aveugle. Un miracle à la suite duquel le proconsul se convertit au christianisme. Ce dernier tient une position centrale bien qu’au second plan. Paul et Barejésu l’encadrent de façon symétrique. Il est assis légèrement en retrait sur sa droite. Son regard, tout d’autorité, est fixé sur l’apôtre. Derrière lui un licteur de son escorte se tient debout, tenant un faisceau (objet, de nature symbolique, porté par les licteurs devant certains magistrats romains, regroupant deux instruments de punition : des verges et une hache). Les deux protagonistes esquissent un mouvement plutôt retenu. Barjésu, les deux talons au sol, adopte une attitude de repli sur soi : il perd la vue ! Face à lui, posture majestueuse de Paul qui tient un livre ouvert dans sa main gauche et tend la droite vers le faux prophète. Derrière eux, des spectateurs surpris. Composition dans un paysage architecturé très élaboré : un portique à colonne ouvre l’espace sur un ciel au soleil couchant. Sans oublier le dallage évocateur des peintures de Nicolas Poussin (1594-1665). Une palette chromatique diversifiée. Teinte rose éclatante de la tunique de Barjésu. Rouge du drapé qui vêt Paul. Rouge qui ressort grâce au bleu du vêtement du personnage derrière lui. Jaune lumineux du drapé de Sergius. Nota. « Lors de la restauration, un numéro « 22 » est apparu dans le bas de la toile. Cette numérotation découverte sur d’autres mays (…) correspond à l’ordre de commande du may : il s’agit du 22ème tableau commandé depuis le début de la série en 1630. Système, qui permettait l’identification des œuvres quelle que soit leur place dans la cathédrale » (catalogue)


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détail du coin droit en bas, Nicolas Loir Saint Paul rendant aveugle le faux prophète Barjésu, 1650 ; Inscription : N. LOIR.IN.F. ; 1650 ; 22 ; huile sur toile, H 4 m x L 3,45 m © Paris, musée du Louvre, MI 318, dépôt à la cathédrale de Paris - Photo JMB

1651. La Lapidation de saint Etienne de Charles Le Brun. Martyr qui a lieu, à Jérusalem, aux premiers temps de l’Eglise (Actes 6, 8-15). Ville que nous apercevons en arrière-plan. Pas d’architecture mais un paysage. Au centre duquel et au premier plan, Etienne les bras en croix, vêtu d’une tunique blanche. Echo au Christ dans le ciel au-dessus de lui. Christ qui tient sa croix et lui tend la main. Il apparait à côté de son Père. Tous deux portés par des anges dont l’un tient la palme du martyre. Deux ensembles symétriques de part et d’autre du diacre : à gauche, trois bourreaux ; à droite, un homme qui le frappe d’une pierre devant des spectateurs en arrière-plan. Au sol et dans les mains, les pierres du sacrifice. Violence de la scène accentuée par les visages crispés voire haineux des tortionnaires. Précisions dans le dessin des visages de ces derniers au contraire de ceux du groupe des témoins à droite. Couleurs en demi-teinte pour le fond du tableau et le groupe susnommé. Couleurs vives pour les autres : notre œil se focalise sur le bleu roi du vêtement du bourreau que contrebalance la blancheur de la tunique d’Etienne. Vêtement jaune d’or du jeune garçon à gauche dont est également exposé un dessin préparatoire. Il s’approche des bourreaux tenant dans ses bras un panier rempli de pierres. Panier dont la lourdeur semble le déséquilibrer.


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Charles Le Brun La Lapidation de saint Etienne, 1651 ; inscription : Car. Le Brun, 1651 ; huile sur toile, H 4 m x 3,12 m © Paris, musée du Louvre, inv.2889, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB


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Charles Le Brun, La Lapidation de saint Etienne – Jeune garçon de profil, 1651 ; dessin, sanguine avec rehauts de craie blanche, sur papier beige ; 0,43 m x 0,28 m © Paris, musée du Louvre, inv. 28418 - Photo JMB

1655. La Flagellation de saint Paul et saint Silas de Louis Testelin (1615-1655). Elève de Simon Vouet, ami de Charles Le Brun. Sa famille s’étant convertie au protestantisme, il le resta jusqu'à la fin de sa vie, sans que son engagement protestant ne nuise à sa carrière. Un épisode (Actes 16, 17-23) de la vie de saint Paul et de son compagnon. Tous deux sont de passage dans la ville de Philippes, en Macédoine. Leurs propos déplaisent aux autorités. Ils sont arrêtés, fouettés et emprisonnés. Mais miraculeusement libérés. Scène violente qui évoque leur martyre. Le tout dans un cadre architecturé. Personnages répartis sur trois plans : Paul et son bourreau, Silas, ses bourreaux et le magistrat, puis la foule que l’on devine esquissée à l’arrière-plan. Le peintre met l’accent sur la violence physique. Flagellation de Silas alors qu’un autre tortionnaire lui tire les cheveux afin qu’il baisse la tête. Bourreau qui arrache avec vigueur le vêtement rouge de Paul. Rouge de ce vêtement qui accentue cette brutalité. Le tout souligné par leur impressionnante musculature. Le stratège, vêtu de bleu pâle, assis sur une tribune, regarde le supplice. Nous retrouvons la présence d’un chien au premier-plan à gauche. La restauration fait apparaître à nouveau, un numéro de série, « 27 » ainsi que « les monogrammes en miroir des orfèvres mécènes » (catalogue).


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détail, Louis Testelin La Flagellation de saint Paul et saint Silas, 1655 ; inscription : monogramme FP et LP (François Roberday et Louis Pluviers) ; ACTES CH. XVI ; 27 ; huile sur toile, H 3,59 x L 2,93 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

Le peintre avignonnais, Jean-Pierre Raspay (1748-1825) dessine, vers 1770, pour son usage personnel plusieurs des Mays de la cathédrale, dont celui présenté ici. « Ces copies montrent la valeur pédagogique acquise par la collection des Mays au fil du temps » (catalogue).


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Jean-Pierre Raspay, Saint Paul et saint Silas fouettés à Philippes en Macédoine (vers 1770) ; dessin, plume et lavis d’encre ; 0,28 x 0,18 m © Paris, Bibliothèque nationale de France. Topographie Va 254c - Photo JMB

1670. Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice de Gabriel Blanchard (1630-1704). Il est le fils de Jacques Blanchard peintre du May de 1634. Partisan de la couleur, il est le premier peintre académicien à mettre en cause la primauté du dessin. Nous retrouvons l’apôtre André peu avant son supplice. Gestuelle quasi identique à celle du tableau de Le Brun. Il occupe le centre de la composition, agenouillé, les bras levés. Son regard est dirigé vers la croix de son martyre. Ses bourreaux l’entourent. Le proconsul est présent au milieu d’une foule agitée mais son regard se tourne vers la femme, de dos, au premier-plan. Scène qui se situe cette fois-ci dans un paysage arboré. Répartition des couleurs en masses claires (torse du saint, robe blanche du cheval sur la droite, cape dans des tons rosés du cavalier) et masses plus sombres (la croix sur la gauche, la foule, le palmier). L’ensemble ponctué par le bleu de la draperie qui ceint André ou celui de la tenue du proconsul. Le rouge du vêtement de la femme ou celui du soldat, tous deux de dos. La restauration de ce tableau a montré l’emploi d’une toile d’un seul tenant, chose rare voire exceptionnelle pour l’époque.


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vues numériques, Gabriel Blanchard Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice, 1670 ; inscription : G. Blanchard pinx. 1670 ; ex dono Fran. Garnier/ et Joannis Le Noble ; huile sur toile, H 4,45 x L 3,61 m © Paris, musée du Louvre, inv. MI 299, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB

1687. Les Prédictions du prophète Agabus à Saint Paul de Louis Chéron (1660-1725). Nous avons cheminé avec ce peintre dans la chronique (mars 2022) que nous lui avions consacrée. En regrettant, à l’époque, la non confrontation entre le « petit May » de Caen et la toile exposée ici. Toile qui était alors en réfection. Bien que protestant, Chéron peint ce May ainsi que celui de 1687 (après la Révocation de l’Edit de Nantes, 22 octobre 1685). Un épisode des Actes des Apôtres (21, 8-14) rarement représenté dans l’iconographie. Au cours de son périple méditerranéen, Paul et ses compagnons se sont arrêtés à Césarée. « La figure agenouillée (peut-être saint Philippe) et ses compagnons en prière devaient susciter la compassion des fidèles. La figure de saint Paul a pourtant été décentrée, le prophète Agabus étant devenu l’acteur majeur de la scène. C’est lui, et non plus saint Paul, qui parlait au nom de l’Esprit Saint désigné du doigt : dominant la composition, celui-ci descendait des cieux, sa luminosité contrastant avec la colonne corinthienne vue à contre-jour » (François Marandet, Louis Chéron. L’ambition du dessin parfait. MBA Caen, 2021). Nota. Cette représentation de la colombe est unique dans la collection des Mays. Agabus a lié sa main gauche à son pied avec la ceinture de Paul signifiant par-là que les juifs de Jérusalem l’attacheront de cette manière avant de le livrer aux païens. Paul est entouré de quatre disciples en plein désarroi. Son attitude est paisible, les bras ouverts en signe d’acception de la prédiction. Sur la droite, un groupe de femmes exprime son émotion. Emotion qui se traduit dans leurs visages et par leurs gestes expressifs. Il est admis qu’elles seraient le portrait des sœurs de l’artiste. De même que le personnage pensif s’accoudant sur la colonne serait un autoportrait. Une composition claire et lisible aux couleurs franches. Chromatique éclatante. Paul est mis en valeur par le rouge et le vert de son vêtement. Tout comme le bleu et le jaune pour le personnage agenouillé devant lui. Tache claire au centre : Agabus est en blanc. Le groupe de droite est peint sur un fond clair, mais leurs vêtements sont, à l’inverse, dans des tonalités plutôt sombres. L’action est peinte sur le devant d’une sorte de muret servant de base à une colonnade. En arrière-plan, de petits personnages dans un fond urbain. Sous un ciel bleu et ennuagé.


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vues numériques, Louis Chéron Les Prédictions du prophète Agabus à Saint Paul, 1687 ; inscription : L. Cheron Fecit ; N. de Laize (Nicolas Delaize, donateur) et fragments du nom de l’autre donateur ; huile sur toile, H 4,45 x L.3, 49 m © Paris, musée du Louvre, MI 308, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB

1702. Les Fils de Scéva battus par le possédé de Matthieu Elias ou Matthieu Elye (1658-1741). Originaire du Nord de la France, son activité est peu historiée. Il peint un épisode complexe et peu connu des Actes des Apôtres (19, 13-16). Nous sommes à Ephèse. Des exorcistes juifs, fils du grand prêtre Scéva, essayent d’imiter Paul en exorcisant en son nom. Mais un des possédés leur résiste. Il se jette sur eux avec violence, violence transcrite dans son geste, dans son visage rougeau et ses yeux exorbités. A l’arrière, un groupe épouvanté fuit. Parmi eux, une femme portant son enfant dans ses bras. Figures récurrentes des Mays (tout comme celles du chien ou du paysage urbain fait de colonnades). Au second plan, sur le haut du tableau, une « saynète » : Paul accomplit des miracles en chassant, avec succès, un démon du corps d’un possédé. Deux plans qui se renvoient l’un à l’autre. Un avant-plan sombre où une figure, drapée de rouge et de rose foncé, sort de l’ombre. Mais aussi la lumière qui se projette directement sur le groupe qui fuit, lumière qui offre de la profondeur à la scène. Des couleurs primaires fortes (rouge, bleu) adoucies par des touches de jaune. Blancheur des corps nus. Un arrière-plan plus apaisé. Même tonalité chromatique mais plus douce. Pour le groupe de saint Paul et de ses compagnons, Matthieu Elias reprend les couleurs utilisées par Louis Chéron dans son tableau.


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Matthieu Elias, Les Fils de Scéva battus par le possédé, 1702 ; inscription : Matt. Elye inv. et Pinx 1702 ; T. Garnier et J. Foyer ex zelo dederunt (Thomas Garnier et Jacques Foyer) ; huile sur toile, H 4,52 x L 3,26 m © Paris, musée du Louvre, MI 338, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris - Photo JMB

Le grand escalier des Gobelins invite à monter à l’étage. Et permet de découvrir des tapisseries monumentales. Elles sont au nombre de quatorze et sont exposées en deux parties, les sept premières, de la présentation au temple à l’adoration des mages visibles jusqu’au 9 juin. Puis les sept suivantes (de la purification au couronnement) jusqu’à la fin de l’exposition, le 21 juillet. Instant d’émotion ! Nous ne les avions jamais vues que suspendues, une fois l’an, en hauteur, sous les voûtes de la cathédrale de Strasbourg. Quelle joie de pouvoir les admirer de près ! Tissées (entre 1638 et 1657) de laine et de soie, elles sont remarquablement conservées. Elles représentent « les scènes de la vie de la Vierge selon les Evangiles canoniques et apocryphes » (catalogue). De sa naissance à son couronnement. Une série qui a été réalisée dans le contexte du vœu de Louis XIII de consacrer le royaume de France à la Vierge Marie s'il lui naissait un héritier.


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liste des quatorze tapisseries avec notice explicative © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB

Le cardinal de Richelieu (1585-1642) en est l’instigateur. Elles portent d’ailleurs ses armoiries. A l’origine, elles sont destinées à orner le nouveau maître-autel du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Et ne doivent être que quatre. Deux pièces sont livrées mais le chantier s’interrompt en 1640 pour reprendre dix ans plus tard. Trois peintres de grand renom dessinent les cartons servant de base à la réalisation du tissage : Philippe de Champaigne (1602-1674), Jacques Stella (1596-1657) et Charles Poerson. Deux cartouches en bordure : celui du haut pour le thème ; celui du bas, pour la mention (retissée) de la cathédrale de Strasbourg dont le chapitre en fit l’acquisition en 1739. Lors du réaménagement, en 1730, du chœur de Notre-Dame, Robert de Cotte (1656-1735) les avait reléguées dans les réserves. Elles sont classées au titre objets aux Monuments historiques en 1978. Puis restaurées, entre 1998 et 1999, par la Manufacture royale belge de tapisserie Gaspard de Wit. Complexité à la fois dans l’agencement des personnages et des motifs décoratifs. Scènes centrales qui illustrent un moment de la vie de la Vierge et bordures qui unifient l’ensemble. Ces bordures sont décorées de guirlandes de fruits et d’angelots.


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détail d’une bordure : visage d’un angelot et guirlande de fruit, La nativité, entre 1652 et 1654 ; Paris, atelier Pierre Damour (PAR.DAMOUR) d’après Charles Poerson ; laine et soie, H 4,85 x L 5,78 m © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB

Tapisserie no 3 : Mariage de Marie et de Joseph. Dans l'Évangile, Marie est simplement promise en mariage à Joseph. Mais dans La Légende dorée, plusieurs prétendants viennent munis d'une baguette. Seule celle de Joseph fleurit, ce qui le désigne pour épouser Marie. Sur la tapisserie, nous voyons, sur la gauche, un prétendant malheureux briser sa propre baguette de rage, tandis que Joseph et Marie échangent les anneaux devant le grand prêtre à la porte du Temple.


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Le Mariage de la Vierge, 1650 ; atelier de Bruxelles (B.B) d’après Jacques Stella ; laine et soie, H 4,85 x L 5,60m © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB

Tapisserie no 9 : La Fuite en Égypte. La tapisserie ne représente pas la fuite elle-même, mais un épisode de repos, souvent repris par les artistes. La végétation est plutôt celle de nos contrées. Des anges présentent à l'Enfant des fruits rafraîchissants.

Tapisserie no 10 : Jésus au milieu des docteurs de la Loi . Un décor anachronique : des colonnes de temple grec. Le texte de la Loi présenté dans des livres et non sous la forme des rouleaux traditionnels.

Autre pièce d’exception : le tapis de chœur. Commandé par Charles X (1757-1836) en 1825, il est offert à la cathédrale Notre-Dame, en 1841, par le roi Louis-Philippe (1773-1850). Seule la moitié supérieure déjà restaurée est présentée, explique le président du Mobilier National, Hervé Lemoine : « Ça a été un considérable travail de restauration, ce tapis est gigantesque, il fait plus de 25 mètres de long et 9 mètres de large ». Et d’ajouter : « Quand il est sorti de la cathédrale trempé, il pesait à mon avis près de 2,5 tonnes, il a fallu le faire sécher ! ». Il s’agit de l’unique exemplaire de la manufacture de la Savonnerie dont l’exécution a été retardée par la révolution de 1830. Ensemble gigantesque (peu ou prou 200 m2 !) réalisé en quatre pièces réunies en deux moitiés dès l’origine. Seule la moitié supérieure est exposée. Ce tapis n’est utilisé que lors de célébrations importantes, la dernière en date étant la visite du pape Jean-Paul II (1920-2005) en 1980. Lorsqu'il n'est pas utilisé, il est conservé enroulé, le long des murs du déambulatoire (galerie permettant de circuler autour du chœur), sous des bancs fermés par de petites portes. Des années de manipulation provoquant cassures, déchirures et l’infestation de mites nécessitent une restauration approfondie. Restauration qui s’achèvera fin 2024.


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Tapis de chœur de Notre-Dame de Paris, 1825-1833 ; manufacture de la Savonnerie d’après Jacques-Louis de La Haymade de Saint-Ange ; laine et lin ; 1ère partie : L 12,2 x l 7,35 m ; 2ème partie : L 12,8 x l 7,35 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 8 janvier 1975 - Photo JMB

Est exposé un médaillon témoignant des changements apportés au carton original suite à la Révolution de Juillet. Un soleil d’or et de pierreries stylisées en motif central en lieu et place des armes des Bourbons entourés des regalia (couronne, sceptre, main de justice, colliers des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit). « Conservée pliée pendant près de deux siècles, l’œuvre a fait l’objet d’une restauration structurelle en 2024 » (cartel explicatif).


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Fragment du carton de tapis de chœur de Notre-Dame de Paris, Charles-Adrien Devertu d’après Jacques-Louis de La Haymade de Saint-Ange, 1832 - 1833 ; huile sur toile, L 2,19 x l 1,89 m © Mobilier national, GOB 1187 - Photo JMB

Dans une vitrine, sont exposées plusieurs maquettes du futur mobilier cultuel et des chaises qui accueilleront prochainement les fidèles et les visiteurs à Notre-Dame. Le designer Guillaume Bardet est le créateur du mobilier cultuel : autel, tabernacle, cathèdre, ambon et baptistère. Et Ionna Vautrin, celle des chaises. Dans le chapitre du catalogue consacré au redéploiement du mobilier - A la jonction du patrimonial et du cultuel -, le Père Maxime Deurbergue et Laurent Prades expliquent : « Le 16 avril 2019 au matin, la première inspection in situ constatait avec soulagement l’état préservé des œuvres de Notre-Dame – au maître-autel et à l’ambon près, écrasés par la chute de la voûte de la croisée et du tabouret de la flèche. (L’évacuation de ce patrimoine intact ouvrait) la possibilité de repenser l’agencement des éléments du mobilier. (…) ». De fait, les formes de ce mobilier, en bronze, sont épurées, les angles arrondis. La simplicité devient aérienne au milieu des formes pleines où elles prennent place. « Les pièces doivent embrasser le passé, vivre le présent et accueillir le futur (…) elles doivent exister pendant et hors de la liturgie ; sans crier, mais sans se cacher non plus » explique Guillaume Bardet le 3 septembre 2023 dans une interview accordée à Rédaction Paris. 1 500 chaises sont nécessaires pour accueillir les fidèles. « J’ai conçu ces chaises en dialogue avec cette architecture (…) d’une vertigineuse verticalité » dit Ionna Vautrin. Installée au cœur de la campagne normande, elle a choisi la chaleur du bois de chêne pour des chaises à l’assise rectangulaire et au dossier volontairement bas.


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Maquettes de Guillaume Bardet : l’autel, bronze patiné et pierre calcaire, 0,24 x 0,37 x 0,42 m, et la cathèdre, bronze patiné, 0,23 x 0,60 x 0,20 m ; 2023 © Paris, Association diocésaine - Photo JMB

Bien que non présenté ici, un nouveau châsse-reliquaire sera installé dans la chapelle axiale afin de recevoir les reliques que sont la couronne d’épines, un fragment du bois de la croix et un clou de la Passion du Christ.

Il convient également de parler des tableaux restaurés provenant des chapelles des XVIIème et XVIIIème siècles. Au total, 22 tableaux furent déposés dans les jours qui suivirent l’incendie. Dépose opportune qui permit leur restauration. Restauration, comme nous l’avons dit, qui offre un regard inédit sur ces chefs-d’œuvre dont certains sont entrés dans la cathédrale après la Révolution. Ecoles françaises, italiennes et flamandes s’y côtoient.

Deux toiles de Lubin Baugin. Toiles réalisées par l’artiste pour les retables d’autels des chapelles latérales. Toiles revenues dans la cathédrale dans les années 1960. La Vierge de pitié (vers 1645/55). Intitulé parfois Le Christ mort sur les genoux de la Vierge. Le Christ descendu de la croix repose sur les genoux maternels. Douleur et compassion se lisent dans le visage éploré de la Vierge. Une tension dramatique renforcée par « la disproportion et l’allongement des corps, l’improbable position de la Vierge, conjugués au cambrement du torse du Christ, accentué par sa tête rejetée en arrière » (cartel explicatif). Deux angelots, sur la gauche, dont l’un montre la plaie du Christ. Le rouge de la robe et le bleu du manteau de la Vierge concourent à faire ressortir la blancheur du corps du supplicié. Scène peinte dans ou devant une grotte (sépulture du Christ ?), avec un olivier et une ouverture sur la douceur d’un ciel bleu. Peint dans les mêmes années, Le Martyre de saint Barthélémy. Composition qui s’articule autour du corps du saint qui fut écorché vif. Belle académie (l’artiste tenait une académie et faisait poser ses modèles) ! Poignées et chevilles ligotées, Barthélémy, tête rejetée en arrière, regarde vers le ciel. Douceur de ce ciel où un angelot lui apporte la palme du martyre. Cruauté du bourreau qui découpe un lambeau de sa chair, sous le regard d’un groupe de soldats romains. Remarquons la précision des détails de leur équipement, enseignes des légions, armes et casques.

D’Etienne Jeaurat (1699-1789), La visitation (1754). Un tableau dont le parcours est mal documenté. Même si le peintre a eu une brillante carrière professionnelle. Il est localisé pour la première fois, en 1877, au premier étage de la sacristie. Marie visite sa cousine Elisabeth alors enceinte de Jean-Baptiste. Nous sommes sur le pas de porte. Dans l’évangile de Luc (1, 39-45), il n’est pas fait mention de la présence de Joseph et de l’âne, peints sur la droite. Présence de l’âne, du baluchon et de bâton de pèlerin pour figurer le voyage qui vient d’être entrepris. Signature du peintre visible dans le coin bas, à gauche. Couleurs franches : vêtement ocre d’Elisabeth qui remercie sa visiteuse. Bleu traditionnel de celui de la Vierge. Douceur du visage de la Vierge mais visages ridés pour Elisabeth et Joseph.

Des frères Louis (1593 ?-1648) et Mathieu (1607 ?-1677) Le Nain, La Naissance de la Vierge (vers 1642). Comme nous l’avions vu dans une de nos précédentes chroniques consacrée à la famille Le Nain (avril 2017), il est impossible de distinguer la main de chacun des deux frères. Un univers domestique. Au premier plan une nourrice s’apprête à allaiter la Vierge, sous l’œil attentif d’un vieillard chenu, Joachim son père. Sur le devant, le berceau en osier. Deux anges, plutôt ébouriffés, commentent la scène pendant qu’un troisième regarde le bébé. Un quatrième, réchauffe un lange devant la cheminée. En arrière-plan, sainte Anne est encore alitée, entourée par deux servantes. Scène céleste, dans le haut de la toile, faite de nuages et d’anges aux visages d’enfants répandant leur souffle sur le bébé. Fraicheur et raffinement des coloris où les tons froids dominent, éclairés par les touches rouges de la jupe de la nourrice et de la draperie du rideau en arrière-plan. Délicatesse des visages ou des plumes des ailes des anges.


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Louis et Matthieu Le Nain, La Naissance de la Vierge, vers 1642 ; Huile sur toile, H 2,20 x L 1,45 m © ville de Paris, église Saint-Etienne-du-Mont, COARC, COA-EMO-2385, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

Il est à nouveau question de sacrifice avec Le Martyre de sainte Catherine (1752) peint par Joseph-Marie Vien (1716-1809). Première œuvre qu’il peint pour une église parisienne après son retour de Rome. Daté et signé sur le coin inférieur gauche. Impression d’une photo prise sur le vif ! Forte musculature du bourreau. Ampleur du geste : bras droit tendu et levé, épée à la main ; main gauche crispée sur l’épaule de la sainte. Tension dramatique presqu’à son comble ! La soldatesque regarde cette future décapitation alors que d’autres, en arrière-plan, l’ignorent. Vêtue de blanc, un manteau bleu qui tombe de ses épaules, Catherine lève les yeux au ciel où un angelot tient la couronne de fleurs et la palme du martyre. Comme le veut l’iconographie officielle.


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Joseph-Marie Vien, Le Martyre de Sainte Catherine 1752 ; signé et daté : Vien / f / 1752 ; huile sur toile, H 2,45 x L 1,40 m © Etat, DRAC Ile de France, cathédrale Notre-Dame de Paris ; classé Monument historique le 20 février 1905 - Photo JMB

Sont également exposés des tableaux entrés dans la cathédrale après la Révolution. Celui de Ludovic Carrache (1555-1619), Saint Bernardin de Sienne délivrant la ville de Capri (1619). Saisi lors de la 1ère campagne d’Italie (1796/97), il entre à la cathédrale, par décret impérial (février 1811) et y reste après la chute de l’Empire. Franciscain connu pour ses prédications et sa défense de la foi, Bernardin est reconnaissable à son bâton marqué de son monogramme, « IHS », qui symbolise le nom de Jésus. Il est à la tête d’une troupe de soldats et désigne de sa main gauche la ville de Capri. Lors de sa restauration, en 1844, la toile est recoupée, perdant de sa hauteur. Plusieurs personnages, dont la Vierge entourées d’anges (dans le ciel sur le coin gauche), disparaissent eux aussi. Ils ne sont plus connus que grâce à un dessin préparatoire, une sanguine conservée au musée du Louvre. A noter que l’œuvre n’a jamais été rentoilée.

De Guido Reni (1575-1642), Le triomphe de Job rétabli dans sa prospérité (1636). Une œuvre aux touches de couleurs éclatantes. Assis, en haut à droite, Job accueille toutes sortes de présents : animaux (sublime toison du mouton au premier plan), coupes et plats en métal précieux, bijoux, parfums,… Ils lui sont offerts en récompense pour avoir conservé sa foi au milieu des épreuves infligées par Dieu. Une foule de personnages, plus expressifs les uns que les autres !

De Jérôme I Francken (1450-1610), L’Adoration des bergers (1585). Rare témoin de la peinture religieuse du XVIème siècle, le tableau a été commandé pour le maître-autel de l’église des Cordeliers. Traditionnellement, au premier plan, le donateur agenouillé : Christophe de Thou (1508-1582), premier président du Parlement de Paris (1562). Il porte le manteau rouge de sa charge et, à ses pieds, le mortier (toque de velours noir bordée d’or). Nombreux sont les personnages qui s’empressent autour de la crèche. L’enfant nouveau-né est dévoilé par sa mère sous l’œil protecteur de Joseph. Il est communément admis que le berger de gauche, vêtu de jaune, qui se tourne vers le spectateur est un autoportrait de l’artiste.

Notre ultime arrêt sera pour une curiosité : La gloire de tous les saints. Deux fragments, (1613) de Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin (1591-1666). « Parvenue en 1802 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, cette œuvre n’y était plus mentionnée après 1844. En 2021, le musée du Louvre a pu en récupérer deux fragments réapparus en 2015 sur le marché de l’art parisien. (…) Les deux fragments restitués au Louvre représentent un peu moins de 9% de la superficie de l’œuvre originale, dont d’autres parties sont susceptibles de réapparaître (…) Un dessin préparatoire et une copie permettent d’établir que (ces deux fragments) montrent des personnages du registre inférieur d’un grand tableau. Correspondants à des saints, dont deux ont le regard tourné vers le spectateur et peints dans une facture remarquable de spontanéité » (Stéphane Loire, in catalogue).


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Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin, La gloire de tous les saints. Deux fragments, 1613 ; huile sur toile ; chacun : H 0,495 x 0,66 m © Paris, musée du Louvre, inv. 20975 A-B - Photo JMB

Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Paris-Match (n° 3912 daté du 25 avril/1er mai 2024), la restauratrice Isabelle Chochod détaille les étapes de cette restauration. « Notre exercice se déroule en trois temps. D’abord un nettoyage complet. Cela signifie le dégagement des ajouts apportés lors des précédentes restaurations - vernis, repeints débordants, mastic de bouchage - car ils se sont déstabilisés au fil du temps. Ensuite, à l’horizontale cette fois-ci, la consolidation du support avec, notamment, la vérification du châssis. Viens enfin l’opération esthétique, c’est-à-dire le vernissage, le bouchage des lacunes et la réintégration picturale, mais toujours en s’employant à ce que notre apport soit le plus discret possible. Chaque décision est validée par le comité scientifique composé sous la direction de la Drac. Tout acte est réversible ».

De grands panneaux expliquent ce long cheminement, photos à l’appui. Une opération de rénovation inédite parce qu’à grande échelle.


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Photos restauration © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB


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Photos restauration © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB


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Photos restauration © Exposition Les Grands décors restaurés de Notre-Dame - Photo JMB

Minutie et savoir-faire… travail de fourmi… nous ne pouvons que rendre hommage à cette cinquantaine de restaurateurs qui ont travaillé pendant deux années, permettant, d’abord la présente exposition. Puis l’accrochage prochain de ces œuvres sur les murs d’une cathédrale rénovée. Utilisation de moyens scientifiques ultra-performants qui ont permis, non seulement cette rénovation mais aussi d’affiner notre connaissance des matériaux originels, telle cette toile à matelas semblable à celle de l’époque, utilisée par Jean-Marie Vien ! Et nous faire pénétrer dans l’histoire de chaque tableau. Apportant des indications sur la technique picturale ou les repentir de chaque artiste. Parfois en y découvrant des éléments cachés par le temps.

Notre-Dame de Paris fait « vibrer notre imaginaire. Lieu de culte éminent, symbole de notre pays, chef d’œuvre de l’architecture gothique au Moyen-Age, emblème du génie de Viollet-Le-Duc… L’incendie de 2019 n’a fait que raviver ces impressions (…) Réunis en un seul lieu, les tableaux de la cathédrale, les maquettes du mobilier liturgique et le tapis de chœur, auxquels s’ajoute la tenture de la vie de la Vierge (…) enrichissent notre regard sur la cathédrale et nous rappellent que celle-ci, à chaque époque de son histoire, a toujours abrité des objets d’art et de piété d’une qualité exceptionnelle ». (Hervé Lemoine, Président du Mobilier national et Laurent Roturier, Directeur régional des Affaires culturelles d’Ile-de-France, préface du catalogue)



Publié le 28 juin 2024 par Jeanne-Marie Boesch