Pastels, entre ligne et couleur

Pastels, entre ligne et couleur ©Pastels, entre ligne et couleur - Musée Cognacq-Jay (PARIS)
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Le goût du portrait intime.


Au XVIIIème siècle, le pastel permet toutes les audaces dans le domaine du portrait. Il connait son âge d’or ! Autour de Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788) et de son rival Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783), le musée Cognacq-Jay propose le « nec plus ultra » des pastellistes, qu’ils soient français ou anglais. Il révèle leurs échanges mais également le goût de l’époque pour l’intime.

Il ne s’agit pas, à proprement parler d’une exposition, mais d’un accrochage ponctuel de pastels (une quinzaine) prélevés dans la collection du musée. A côté des chefs-d’œuvre des artistes précités, le musée présente une sélection d’œuvres signées par d’autres artistes. C’est aussi l’occasion de faire découvrir au public ses deux dernières acquisitions. Nous y reviendrons.

Un mot sur le musée. Les fondateurs des Grands magasins de la Samaritaine, Théodore-Ernest Cognacq (1839-1929) et Marie-Louise Jay (1838-1925), sont férus d’art du XVIIIème siècle. Ils réunissent une imposante collection d’œuvres (peintures, sculptures, porcelaine de Saxe, meubles estampillés et objets d’orfèvrerie) au sein d’un musée situé dans un bâtiment contigu à leur magasin, la « Samaritaine de Luxe ». Cette collection est léguée à la Ville de Paris en 1928. Ville de Paris qui la transfère dans l’Hôtel de Donon (un vieil hôtel du Marais, entièrement restauré pour l'installation du musée), situé rue Elzévir. Le musée ouvrira ses portes en 1990. Pour de plus amples informations, nous renvoyons notre lecteur au chapitre introductif du petit ouvrage Musée Cognacq-Jay. Le goût du XVIIIème siècle (Rose-Marie Herda-Mousseaux, 2018).

Le pastel. Nous avons eu l’occasion de le découvrir lors de l’exposition que le Louvre lui a consacré de juin à septembre 2018 : En Société. Pastels du Louvre des XVIIème et XVIIIème siècles (voir notre chronique). Le pastel, une poudre de couleur aux nuances variant à l’infini. Le pastel, un médium qui offre à l’artiste une rapidité d’écriture que la peinture ne possède pas. En effet, cette dernière nécessite de longues heures de pose. Le pastel, une transcription de l’expressivité des visages offrant au spectateur un tableau réaliste et captivant.

Emprunté à l’italien « pastello » qui signifie « bâtonnet coloré». Ces « bâtonnets sont fabriqués à partir de pigments minéraux, organiques ou végétaux additionnés d’un liant (gomme arabique pour les pastels secs; huile ou cire pour les pastels gras) et d’une charge (craie ou plâtre), destinée à donner de la consistance et à nuancer les teintes. Cette technique offre en effet de multiples possibilités d’écriture : traits, hachures, estompage, gommage, écrasement pour un effet flou, tracés vigoureux, surfaces en aplat simples de couleurs pures ou superposées pour un mélange optique des couleurs… Riches en pigments purs, le pastel se superpose en couches poudreuses extrêmement volatiles, mais dont les couleurs perdurent dans le temps, gardant toute leur fraîcheur… » (dossier de presse). Une précision toute mathématique (alliance entre pigment, charge et liant) pour la production du matériau utilisé, matériau d’une grande fragilité n’autorisant aucune d’erreur.


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Vitrine avec botte cylindrique de pastels, boîte de fusains ; pigments, gomme arabique et craies © CC0 Paris Musées - Photo JMB

L’artiste travaille sans la palette de peinture mais utilise ses doigts. Connu dès la fin du Moyen-Age, servant pour les croquis préparatoires à la peinture, il change de fonction au XVIIème siècle, devenant une œuvre en soi. 1665, le pastel devient l’égal de la peinture et intègre les épreuves d’admission à l’Académie de peinture. Invitée en France (1720/21), l’artiste vénitienne Rosalba Carriera (1675-1757), première miniaturiste européenne, introduit l’art du pastel dans les milieux artistiques parisiens. Ainsi, le XVIIIème siècle confère, à cet art, ses lettres de noblesse.

Nous l’avons dit, son extrême fragilité fait que ces œuvres ne peuvent être exposées de manière pérenne. La volatilité de la poudre nécessite qu’elles soient protégées de la lente détérioration qu’induit la lumière. L’accrochage proposé par le musée Cognacq-Jay nous donne à voir, au plus près, des compositions de grands maîtres pastellistes. Une sphère intime s’ouvre à notre regard. Nous la saisissons au travers des traits et expressions des visages.

Entrons. La première salle présente l’accrochage de plusieurs portraits appartenant au fond du musée. Ainsi qu’une vitrine dédiée au médium en lui-même. Suite à notre questionnement, l’agent d’accueil explique la suite de la visite : il convient de monter au troisième étage. Les pastels, à proprement parler, sont dispersés au sein des collections permanentes… Le visiteur doit alors, en quelque sorte, reconstituer ce qu’il conviendrait d’appeler un « puzzle ». Nous cherchons. Nous questionnons les autres visiteurs… tout aussi perdus que nous… De quoi regretter le manque de cohérence d’un accrochage uniquement consacré aux pastels ! En revanche, il permet de découvrir ou redécouvrir les collections du musée.

Revenons à la première salle. Elle est dédiée à deux artistes français qu’il est de coutume d’opposer. Assertion mise à bas, au XIXème siècle, par les frères Goncourt. Maurice-Quentin de La Tour qualifié de « prince des pastellistes », chéri par la cour, et Jean-Baptiste Perronneau ayant la faveur de la bourgeoisie.

Le portrait de Voltaire, de son vrai nom François-Marie Arouet, (1694-1178) que réalise Maurice-Quentin de La Tour en 1735, lui assure une grande renommée. En mai 1737, il intègre l’Académie royale de peinture. Le portrait (1739) de Gabriel Bernard, comte de Rieux, plus généralement appelé président des Rieux (1687-1745) accroit dès lors sa notoriété. Il réalise plusieurs portraits de Louis XV (1710-1774), de son entourage (notamment celui de la reine Marie Leszczynska, voir notre chronique) et de la cour. Ainsi que nombre d’autoportraits. Est exposé l’Autoportrait au jabot de dentelle (vers 1750) qui porte au verso, sur le carton, une inscription ancienne à l'encre : « Mr Maurice Quentin Delatour peint par lui-même » (Delatour étant son patronyme originel). Coin des lèvres légèrement relevées esquissant un sourire. Regard franc. Yeux vifs voire pétillants. Délicatesse de la carnation rendue toute en nuance. Blancheur de la perruque retenue par un ruban noir et celle du jabot qui font ressortir le (velours ?) bleu de sa veste.


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Maurice Quentin de La Tour, Autoportrait au jabot de dentelle, Paris, musée Cognacq-Jay © CC0 Paris Musées

De la même période, le Portrait d’homme au gilet bleu et le Portrait du maréchal de Saxe (1748). Un portait à mi-corps, de trois-quarts face d’où se dégage à la fois « une personnalité autoritaire et séduisante (… Il est fait ici) un usage virtuose du pastel dans le rendu de l’armure rutilante qui contraste avec le satiné du cordon bleu des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit et l’écharpe blanche du commandement » (cartel explicatif).


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Maurice Quentin de La Tour, Portrait du Maréchal de Saxe © Paris, musée Carnavalet, en dépôt au musée de la Vie romantique

Un portrait féminin, copie anonyme : celui de Marie-Camille, dite Casimire, comtesse de Sassenage, dite marquise de Sassenage (vers 1765/70). Une dame tout sourire qui nous regarde avec, à la fois, franchise et douceur. Elle est assise sur un fauteuil rouge, porte un costume austère, sans doute celui de veuve.

Sans oublier un chef-d’œuvre aux dimensions monumentales, le Portrait de la présidente de Rieux en habit de bal, tenant un masque (1742). Le portrait de son mari, président de la Chambre des comptes, avait fait l’admiration de tous (il est de nos jours conservé au J. Paul Getty Museum de Los Angeles). Gabriel-Bernard, comte de Rieux commande alors au peintre le portrait de son épouse. Compte tenu de sa dimension, ce pastel est réalisé à partir d’un assemblage de feuilles de papier contrecollées sur toile. Un portrait en buste de trois-quarts. La présidente pose dans un intérieur, probablement celui d’un hôtel particulier. Assise sur un fauteuil, à côté d’un miroir, sur sa droite. Elle est en costume de bal tenant dans sa main droite un loup dont elle s’apprête à masquer son visage. Remarquons les moires de sa robe, le plissé des rubans bleus qui ornent celle-ci. Carnation flattée par la lumière. Vivacité du regard. Demi-sourire que l’on devine aux coins des lèvres. Un portrait conservé dans son cadre originel de style Rococo en bois doré et sculpté.


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Maurice Quentin de La Tour, Portrait de la présidente de Rieux en habit de bal tenant un masque, 1742 © CC0 Paris Musées / Musée Cognacq-Jay

Grand voyageur, tant à travers la France (Orléans, Toulouse, Bordeaux,…) qu’à l’étranger, (Rome, Londres, Hambourg… Amsterdam, Moscou ou Varsovie) Jean-Baptiste Perronneau multiplie les portraits de ses contemporains. Personnalités de province ou lettrés. Il est reconnu et consacré par ses pairs lors du Salon de 1753. Notamment grâce à son morceau de réception à l’Académie, le portrait du peintre Jean-Baptiste Oudry (1685-1755), dans les tons de vert et de bleu. S’il est moins minutieux que son confrère, il a tout autant le génie du portrait. Ainsi en est-il du Portrait de Charles Lenormant du Coudray (1766), conseiller procureur du roi. Bibliophile, collectionneur d’estampes et de tableaux, il est représenté en tenue de couleur bleue, un foulard de madras autour du cou. Il tient dans sa main droite un ouvrage intitulé « Recueil d’estampes ». Port de tête hautain. Regard franc qui accroche celui du visiteur. Demi-sourire à peine esquissé. Perronneau fait preuve de moins de raffinement dans la finition de son portrait. Même si les touches claires (blanc ou association de couleurs complémentaires pour le foulard) contribuent à la luminosité de la composition.


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Jean-Baptiste Perronneau, Portrait de Charles Lenormant du Coudray, 1766 © CC0 Paris Musées / Musée Cognacq-Jay

Nous quittons cette salle pour nous aventurer à la recherche de la suite des œuvres participant à cet accrochage. Le musée présente une sélection d’œuvres signées par des artistes dont nous connaissons la virtuosité pour les avoir découverts à l’occasion de diverses visites muséales. Œuvres issues d’institutions de Paris Musées (établissement public, à caractère administratif, qui assure la gestion des bâtiments et des collections de quatorze des dix-sept musées de la ville de Paris). Mentionnons Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) et le portrait de la Princesse Radzivill (1801), François Boucher (1703-1770) ou Simon-Bernard Lenoir (1729-1798).


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Elisabeth Vigée Le Brun, La Princesse Radziwill, vers 1800-1801© CC0 Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Il est également question de pastel anglais. Celui-ci diffère sensiblement de son équivalent français. Aux portraits aristocratiques, les artistes anglais privilégient des représentations plus naturelles. Face aux portraits français dessinés sur un fond neutre, voire éventuellement dans un décor rappelant un boudoir, le portrait anglais est savamment mis en scène. Souvent dans un décor extérieur. Parfois en compagnie d’un animal. Tel le chien sur le Portrait de Miss Power, plus tard Mrs O’Shea, portrait dû à John Russell (1745-1806). Attitude plus « figée » de Miss Power. Regard fixe, dans le lointain. Son petit chien, qu’elle protège de ses mains, blotti contre elle. Peu de tonalités chromatiques : gris de l’impressionnante perruque, blancheur du teint et du corsage à peine éclairée d’un ruban bleu à l’emmanchure et dans les cheveux voire du ciel en arrière-plan. Jaune ocré d’un châle (?). Deux tonalités qui se retrouvent sur le pelage du chien.


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John Russel, Portrait de Miss Power, plus tard Madame Shea, 1789 © CC0 Paris Musées / Musée Cognacq-Jay

De Hugh Douglas Hamilton, Portrait présumé de Lady Carhampton, née La Touche, en Emma (vers 1775). Mise en scène savante. Portrait d’une jeune femme dans un écrin paysager. Avec une note sentimentale : deux guirlandes de fleurs, l’une à ses pieds l’autre sur une branche cassée de l’arbre. Et le nom « Emma » (héroïne de la poésie anglaise du XVIIIème siècle) gravé dans l’écorce de l’arbre. Elle tient de la main droite un pan de sa robe de satin rose pâle. Des perles ornent son cou ainsi que le voile aérien qu’elle tient de sa main gauche, en s’appuyant sur un rocher moussu.


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Hugh Douglas Hamilton, Portrait présumé de Lady Carhampton, née La Touche, en Emma © CC0 Paris Musées / Musée Cognacq-Jay

Un dernier mot. L’accrochage Pastel entre ligne et couleur offre au musée l’occasion de présenter au public ses deux dernières acquisitions. La première fin novembre 2022 : une gouache sur vélin, de petites dimensions (20 x28 cm) de Jacques Charlier (1706-1790) intitulée Odalisque d’après François Boucher. La seconde : une scène galante. Le Baiser dû à André Pujos (1738-1788). Raffinement d’une miniature (tondo).


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Jacques Charlier (1706-1790); Odalisque d’après François Boucher, Paris, musée Cognacq-Jay © DR

Les artistes que nous venons de côtoyer parviennent à donner une forte impression de vie à partir d’un matériau fragile et délicat. Ressemblance, sincérité de la touche, vérité du coloris. Quelle magie ! Quel émerveillement ! « La facture moelleuse, l'éclatante fraîcheur des coloris et l'expressivité des modèles de ces portraits témoignent du talent des artistes à manier le pastel, cette poudre de couleur aux nuances et aux dégradés variant à l'infini. À la fois ligne et couleur, le pastel offre une rapidité d'écriture, une transcription sensible de l'émotion et une intensité qui reste intacte au fil du temps » (dossier de presse).

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(Nous convions notre lecteur à plonger dans la lecture du Dossier de l’Art n° 245 (2017) intitulé « Le Pastel. Histoire, technique, artistes, chefs-d’œuvre ». Il permet une découverte approfondie de cet art (et la présentation de la Maison du Pastel sise rue Rambuteau à Paris) et offre un voyage qui mène du XVIIIème au XXème siècle.)



Publié le 02 févr. 2024 par Jeanne-Marie Boesch