Rencontre avec Clément Debieuvre

BaroquiadeS : Bonjour Clément. Et merci de nous accorder cet entretien. Comment êtes-vous venu à la musique ?

Clément Debieuvre : La musique, j’ai le sentiment de l’avoir toujours connue… Je suis né à Charleville, où j’ai tout d’abord suivi le parcours classique d’un enfant en éveil musical. Quand j’étais en CM1 on m’a proposé de chanter Gavroche avec une chorale dans une comédie musicale, Les Misérables, inspirée de l’œuvre de Victor Hugo. Nous avons donné une trentaine de représentations. C’est là que j’ai fait mes premiers pas de chanteur...Ensuite, au collège j’étais en horaires aménagés pour suivre les cours de musique : j’ai découvert les percussions, le chant choral… En seconde je suis entré en cours de chant du conservatoire de Charleville, tenu par Thierry Grégoire

BaroquiadeS : C’est là que vous avez décidé de votre vocation ?

Clément Debieuvre : Pas vraiment. Mon projet professionnel, c’était de faire du design, de créer des meubles ! Je suis entré dans une filière spécialisée, qui m’a permis de déployer ma créativité. En parallèle, je suis entré au Conservatoire de Lille, mais en amateur : je ne pesais pas en faire mon métier. Ma professeure, Françoise Semelle, m’a suggéré de chanter dans le registre de haute-contre ; elle m’a fait découvrir le répertoire baroque. A la fin de mon BTS, je souhaitais continuer en master : j’ai alors postulé dans les différents masters de design proposés en France, et aussi au Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV). Et j’ai été retenu au CMBV ! Ce sont finalement les circonstances qui ont décidé. Car pour moi, choisir entre les deux était impossible...

BaroquiadeS : Comment s’est passée cette formation au CMBV ?

Clément Debieuvre : Pour moi qui venait de province, ce fut une expérience étonnante ! Cela m’a mis en contact avec d’autres chanteurs, qui avaient un des parcours musicaux différents du mien. Et j’y ai vécu des moments extraordinaires : chanter à la chapelle royale, donner des productions au château… J’ai participé à des projets incroyables, aux côtés de collègues que je retrouve maintenant dans d’autres productions. Surtout, dès ma première année, j’ai eu la chance d’être pris en charge par Chantal Santon, qui m’a appris à chanter, et qui me suit toujours depuis maintenant plus de dix ans.

BaroquiadeS : Vous continuez donc de prendre des cours de chant ?

Clément Debieuvre : Oui, car rien n’est acquis, et j’ai envie de découvrir toutes les possibilités de l’éventail de ma voix ; cela nécessite de passer des auditions. Je me suis épanoui dans le chœur, et de ce point de vue la formation du CMBV était idéale. Mais devenir soliste impose de redoubler de vigilance...

BaroquiadeS : Surtout dans le répertoire de haute-contre, toujours mis en valeur dans le baroque français à travers des airs virtuoses...

Clément Debieuvre : Oui, cela ne pardonne pas ! Dès que j’ai terminé ma formation au CMBV, j’ai eu très rapidement des engagements. J’ai participé à la production des Amants magnifiques dirigée par Hervé Niquet, et à partir de là j’ai enchaîné les engagements. J’étais entré dans le chœur des Arts Florissants, et très vite Paul Agnew m’a confié de petits rôles solistes. William Christie aussi a aimé ce que je faisais. J’ai participé à la tournée avec Paul et l’Académie d’Ambronay. En 2019 j’ai chanté le rôle-titre dans Pygmalion de Rameau à Osaka, et j’ai aussi fait la tournée du Te Deum de Charpentier avec Hervé Niquet. Et puis il y a eu la période covid...

BaroquiadeS : Une période difficile pour la musique et pour les artistes, je crois ?

Clément Debieuvre : Oui, il y a eu de nombreux reports, des annulations… Et la reprise a aussi été très compliquée pour tout le monde. Pourtant en 2020 j’ai rencontré Louis-Noël Bestion de Camboulas et Les Surprises, un ensemble simple et humain privilégiant la redécouverte du répertoire. J’ai alors participé à plusieurs de ses programmes, comme Rameau chez la Pompadour, les Te Deum de Charpentier et Desmarest, ou encore Nuit à Venise.

BaroquiadeS : Et c’est aussi cette période je crois qui a vu reconnaître vos talents de soliste dans la tragédie lyrique ?

Clément Debieuvre : Oui, en 2021, j’ai eu le plaisir d’être appelé par le CMBV pour chanter David dans David et Jonathas de Charpentier, pour le dernier concert d’Olivier Schneebeli. Cela m’a permis de côtoyer des chanteurs extraordinaires… Leurs exemples et leurs conseils m’ont servi de fondations pour la suite de mon parcours. Tassis Christoyannis m’a encouragé à persévérer. Thomas Dolié m’aide au quotidien à évoluer. Et ce premier rôle soliste m’a aussi appris sur mes capacités théâtrales.

BaroquiadeS : Et ensuite ?

Clément Debieuvre : En 2022 j’ai participé au Sicilien ou l’Amour peintre, un petit opéra mis en musique par Lully sur un texte de Molière, avec le Concert Spirituel. Dans le répertoire religieux, j’ai participé comme soliste à l’enregistrement du volume 3 des grands motets de Lully dirigés par Stéphane Fuget (voir le compte-rendu)

BaroquiadeS : L’année 2023 a été également assez riche pour vous je crois ?

Clément Debieuvre : Oui, notamment avec Les Arts Florissants, avec qui nous avons donné un Didon et Enée à Madrid, Versailles et Compiègne. Et le volume 4 des grands motets de Lully.

BaroquiadeS : Et puis il y a eu l’Orfeo de Sartorio !

Clément Debieuvre : Oui, j’étais dans l’enregistrement des grands motets quand j’ai auditionné pour le Sartorio… Et je me suis retrouvé face à Philippe Jaroussky ! Il m’a fait confiance pour le rôle d’Erinda. La complexité du personnage, sa modernité m’ont aussitôt fasciné : Erinda voit en Eurydice la jeune fille qu’elle a été. C’est aussi une vieille femme qui a amassé de l’argent et s’en sert comme d’un instrument de pouvoir, pour compenser l’attrait physique qu’elle a perdu... C’était aussi un défi de taille : la création à Montpellier s’était effectuée avec une autre équipe, c’était un gros rôle, et mon premier rôle féminin ! Mais j’aime les défis… Et surtout Benjamin Lazar a adapté sa mise en scène à cette nouvelle distribution, il a su capter nos personnalités à travers les personnages qu’il a dessinés. Il m’a permis de créer ce rôle à ma mesure...

BaroquiadeS : Une interprétation qui a parfaitement convaincu le public, comme j’ai pu le constater lors de la représentation à laquelle j’ai assistée (voir le compte-rendu) !

Clément Debieuvre : Faire de la scène est pour moi une jouissance incroyable. Ce qui m’a intéressé dans ce personnage c’est la transformation totale qu’il appelait : physique, sexuelle, et aussi disciplinaire – la danse et le théâtre se superposent au chant. Au-delà des effets comiques, je voulais transmettre le message d’Erinda au spectateur, car ce message est novateur dans le contexte de l’opéra du XVIIème siècle. Et il me semble très actuel. L’équilibre du sérieux et du rire n’est pas toujours aisé à trouver...

BaroquiadeS : Je crois que vous l’avez bien trouvé ! Sinon quels sont vos prochains projets ?

Clément Debieuvre : Certains sont encore en construction, tout se fait un peu tardivement en ce moment… Mais je chanterai plusieurs personnages dans le Médée de Charpentier qui sera donné en avril à l’Opéra de Paris, puis à Madrid en juin prochain, sous la direction de William Christie. Et le claveciniste Marouan Mankar-Bennis vient de s’installer à Angers, où j’habite également : nous espérons travailler ensemble dans la région…

BaroquiadeS : Merci Clément pour cet entretien, nous aurons grand plaisir à vous suivre dans votre prochaines activités !



Publié le 29 févr. 2024 par Bruno Maury