
Propos recueillis à Paris par Jean-Luc Izard - Janvier 2025
Propos recueillis à Paris par Jean-Luc Izard - Janvier 2025
BaroquiadeS a eu le grand plaisir d’un entretien avec Rémy Brès-Feuillet. Nous sommes heureux de publier ci-dessous les réponses de ce jeune contre-ténor aussi prometteur que sympathique (voir les chroniques Amazzone corsara, Berenice, Sosarme et Adonis).
BaroquiadeS : Bonjour Rémy. En regardant votre parcours, nous n’avons pu nous empêcher de nous demander comment on passe d’une licence en droit et de l’apprentissage de l’accordéon au chant lyrique et à la musique baroque…
Rémy Brès-Feuillet : Au conservatoire, j’ai découvert, au-delà de l’accordéon le solfège et le chant. Ça m’a permis de découvrir aussi ma voix. Au début je chantais plutôt du jazz et de la pop. Et puis un jour, j’ai entendu un air de Purcell. C’était When I’m laid in Earth de Didon, chanté, je crois, par Jessye Norman et ça m’a subjugué. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à la musique baroque et à la voix de contre-ténor. J’avais 16-17 ans, j’étais déjà très attiré par le falsetto tel que le pratiquaient Queen ou Prince mais la voix de contre-ténor a intrigué le musicien que j’étais. Et puis il y a eu la découverte de Philippe Jaroussky qui a renforcé encore mon intérêt.
Après avoir échoué au concours de l’ENS, j’ai réorienté mes priorités vers la musique et le chant. J’ai fait la rencontre de Magali Damonte qui est devenue mon professeur et qui m’a beaucoup apporté. C’est la rencontre la plus importante dans mon parcours de formation, avec, sur un autre plan, celle de Serge Noyelle. Ce dernier m’a fait découvrir le monde de la scène, en m’emmenant avec lui dès 2017 faire une tournée en Russie pour la création d’un ouvrage contemporain. C’est cette rencontre de deux univers qui m’a façonné. D’un côté, avec Magali Damonte, le grand opéra, la voix, les coloratures, la mise en scène, les contraintes de la scène… De l’autre, avec Serge Noyelle, homme de théâtre, le langage, l’importance du texte, l’écriture contemporaine, l’incarnation corporelle, le jeu avec la lumière, les objets…
BaroquiadeS : Comment qualifieriez-vous votre voix ? Votre voix naturelle semble être celle d’un baryton ?
Rémy Brès-Feuillet : Baryton-basse plutôt. Ma voix de contre-ténor est une voix de mezzo alto. Je n’ai pas une voix très longue et je ne cherche pas spécialement à la développer dans l’aigu. Je me souviens avoir interprété Le chant d’un compagnon errant de Mahler et je n’étais pas à l’aise avec ces notes hautes. J’ai alors compris que j’étais bien dans la tessiture de contre-ténor grave et que je prenais beaucoup de plaisir dans les rôles correspondants. D’une façon générale, je préfère ne pas aller au-delà de sol.
BaroquiadeS : Contre-ténor, c’est quand même une drôle de voix, non ?
Rémy Brès-Feuillet : (Rire) Oh oui ! C’est une voix ambiguë, et c’est précisément ce que j’aime, cette ambiguïté. Ça questionne nos représentations de genre. Cette voix, elle sert merveilleusement la musique baroque et la théâtralité baroque. Quand on est face à des gens qui ne connaissent pas cette voix, la première réaction, c’est souvent le rire. C’est une forme de défense parce qu’un homme qui chante dans un registre qu’ils identifient comme féminin, ça les surprend, voire ça les dérange. Et puis très vite, c’est la curiosité qui l’emporte et on fait des rencontres merveilleuses.
Aujourd’hui on a plus de recul sur cette voix qui était fort peu documentée. Je suis très admiratif des pionniers, comme Alfred Deller ou James Bowman par exemple, qui sont partis de presque rien, de quelques partitions, souvent partielles, à une époque où l’on s’intéressait peu à la musique baroque. Les professeurs aujourd’hui connaissent mieux cette voix, sont donc davantage capables d’accompagner leurs élèves, de les faire progresser. On tâtonne beaucoup moins que nos grands prédécesseurs !
Mais la voix de contre-ténor c’est aussi une voix très moderne, très adaptée à notre époque. Elle est très utilisée dans la musique contemporaine car elle ouvre de très nombreuses possibilités aux compositeurs et elle se prête très bien à une forme de recherche fondamentale sur la voix.
BaroquiadeS : Que cherchez-vous à faire de votre instrument vocal ? Comment progresser ? Vers quel but ?
Rémy Brès-Feuillet : Je ne cherche pas la performance, la pyrotechnie ne m’intéresse pas, en tant que telle, plus que ça. J’en use avec parcimonie. Ce qu’on chante, c’est écrit pour le théâtre, pour la scène et l’auditeur doit le sentir. Je cherche toujours à trouver le lien entre le chant et le personnage. Pour moi c’est l’essentiel. J’aime bien les failles en général, et beaucoup aussi chez les chanteurs. La façon dont on surmonte nos difficultés, dont on « fait avec » c’est ce qui fait le caractère unique d’une voix. L’émotion vient des difficultés qu’on sublime. Mon travail avec des mezzos sopranos m’a aussi fait beaucoup travailler les passages de registre. D’une façon générale, j’essaie de préserver mes capacités vocales et de travailler la musicalité, les variations, l’émotion. La voix c’est un instrument mystérieux, fabuleux, en perpétuelle évolution.
BaroquiadeS : Comment travaillez-vous ?
Rémy Brès-Feuillet : Je travaille beaucoup « sur table ». J’apprends sur partition, j’écris les variations. Je chante assez peu chez moi mais j’y répète parfois en m’accompagnant à l’accordéon. Heureusement, mes voisins aiment l’art lyrique…
BaroquiadeS : Vous avez fait référence à plusieurs reprises à la musique contemporaine et à la création...
Rémy Brès-Feuillet : Oui, parce qu’il y a une forme de conservatisme muséal dans la façon dont sont gérées les saisons d’opéras aujourd’hui. Je suis passionné de théâtre et de danse qui sont des univers qui laissent une place importante, pour ne pas dire prépondérante à la création. L’opéra ne lui fait qu’une place très réduite, préférant le répertoire. C’est dommage à mon sens. C’est peut-être aussi pour ça qu’il peine à attirer des publics nouveaux. Et ce n’est pas une question de coût des places quand on voit le prix des places pour certains concerts ou pour des matches de foot…. Je pense que ce sont plutôt des questions de code et de représentations sociales et intellectuelles. Je suis souvent frappé par la différence d’âge entre les plateaux, remplis de jeunes, et le public, plus âgé. Pourtant, je suis persuadé que tout public peut se reconnaître dans l’opéra, ce n’est pas un art réservé aux plus vieux. J’aime bien les expériences qui réinterrogent le rapport du public à la scène, comme les mises en scène en bi frontal ou in situ. C’est très stimulant pour moi car ça change le rapport au public.
BaroquiadeS : Vous êtes jeune et vous avez déjà beaucoup de succès : comment gérez-vous ?
Rémy Brès-Feuillet : Je ne sais pas si j’ai beaucoup de succès (sourires). Mais je n’ai pas l’impression de gérer quoi que ce soit, je ne me rends pas compte. Je suis très apaisé dans ma relation avec le public, qui est toujours très bienveillant. Une audition ou un concours me stressent beaucoup plus qu’un concert ou une représentation. Le succès, si succès il y a, c’est la preuve qu’on apporte quelque chose au public, qu’on a quelque chose à dire, à partager, au plan artistique. C’est très gratifiant, très satisfaisant. En scène, je suis généralement heureux sauf si je dois me couler dans une mise en scène dans laquelle je ne trouve pas mon compte au plan artistique ; là, ça peut être très compliqué.
Après, la vie de chanteur, c’est aussi une vie difficile. On vit beaucoup solitaire, loin de sa famille, de son couple, de ses amis. D’ailleurs je deviens de plus en plus casanier, au fur et à mesure du temps… L’affection du public, c’est enivrant, mais c’est une situation un peu factice et le public peut être versatile, je le sais.
BaroquiadeS : Y a-t-il des personnalités que vous aimez particulièrement ou avec qui vous aimeriez travailler ? Des rôles qui vous enthousiasmeraient ?
Rémy Brès-Feuillet : La question est difficile et ma réponse est forcément très incomplète. Je n’ai pas vraiment de panthéon mais des chanteurs comme Philippe Jaroussky ou Nathalie Stutzmann sont très intéressants. J’aime beaucoup ce que font Emmanuelle Haïm ou Hervé Niquet avec qui j’aimerais travailler. Et je suis très séduit par les mises en scène de Damiano Michieletto ou de Laurent Pelly par exemple.
Pour ce qui est des personnages, chanter Haendel est toujours un plaisir, Tolomeo ou Orlando par exemple. Ou Ottone dans Agrippine. Mais Vivaldi me plaît beaucoup aussi. Ah, et l’Ottone du Couronnement de Poppée aussi. J’aime l’éclectisme, et j’aurais plaisir à chanter les rôles écrits pour castrats par le jeune Rossini ou par Mozart dans le rarissime Ascanio in Alba. Et puis bien sûr participer à des créations contemporaines restera un enjeu important pour moi.