Organ Landscapes, vol. 2 - Bach

Organ Landscapes, vol. 2 - Bach © Steffen Geldner, Johannes Schaugg
Afficher les détails
Seconde étape de l’intégrale Bach de Jörg Halubek : Chorals de Leipzig et Variations Canoniques, sous des soins humbles et bienveillants

Après une première étape constituée par la Clavierübung III à Waltershausen (voir l’article publié le 26 juillet dernier dans lequel nous présentions le projet de cette courante intégrale de l’œuvre d’orgue de Johann Sebastian Bach), le second volume posait ses valises à Ansbach, à quelque 140 km au nord de Munich. Située en Bavière et plus précisément en Moyenne Franconie, cette localité accueille depuis 1947 un festival en l’honneur du compositeur, même si ce dernier n’est pas directement lié à la ville – malgré l’allitération et hormis quelques pistes adjacentes que Hans-Joachim Schulze a explorées dans son ouvrage Bach in Ansbach (‎éd. Evangelische Verlagsanstalt, 2013).

Dans l’église St Gumbertus se trouve un orgue admiré dès son érection (1736-1739), par l’artisan Johann Christoph Wiegleb (1690-1749), connu comme précurseur de l’introduction de la boîte expressive dans la facture germanique. L’instrument fut hélas dénaturé au début des années 1960, évinçant sa substance d’origine qui servit toutefois de base à une fidèle reconstruction en 2007 par les ateliers Reil de Heerde (Pays-Bas). La console compte 47 tirants sur trois claviers et pédalier. L’année de cette réfection, Rainer Goede y enregistra d’ailleurs pour le label Mitra les chorals de Leipzig, au programme du présent double-album. Cet organiste y grava ensuite, pour Querstand, la Clavierübung III (juillet 2010) puis une lecture très décantée des six Sonates en trio (mai 2012). À cette même tribune, dont la discographie compte une dizaine de titres, on mentionnera aussi le volume 7 de l’intégrale Bach d’Helga Schauerte, sous étiquette Syrius.

D’emblée, la monumentale Fantasia super ‘’Komm, Heiliger Geist, Herre Gott’’ s’inscrit dans une veine sobre, lisible, modeste, pas trop pesante malgré le Plenum qui enrôle ici la discrète Soubasse 32’. Le BWV 652 poursuit sur la même fluidité de souffle. L’interprétation de ces deux premiers jalons forme quasiment une matrice pour l’ensemble du cycle : chaleur du coloris, clarté de la projection, légèreté et transparence de la palette sont des ingrédients qui vaudront recette pour la plupart des registrations. L’humilité de Jörg Halubek, ciselant par exemple la pulsation du Von Gott will ich nicht lassen sur des lumineuses textures en 4’, est un autre marqueur stylistique de cette exploration du corpus. Autre preuve dans l’emblématique Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659, qui se voit ici nimbé d’une radiation éthérée, presque surnaturelle, articulée sur l’escorte sans poids du Violon 16’. Le Trio consécutif, que d’autres organistes claironnent parfois sur les Trompettes, courtise ici une ferveur dénuée de pompe. Similairement, le déclamatoire BWV 661 privilégie l’impetus et la tonicité sur l’emphase.

Pour autant, malgré ces frugalités franciscaines, et même si elle ne domine pas les enjeux de cette interprétation, la suggestivité n’est pas en reste. Outre la célèbre mouture BWV 653, An Wasserflüssen Babylon est délivré sous son matériau antérieur BWV 653b, présenté ici en pâmoison, dans le chevrotement de la Vox Humana. Tremblant également pour le suave drapé du premier Allein Gott in der Höh sei Ehr. Tout aussi enjôleur, le Schmücke dich, o liebe Seele chanté sur le « cornet expressif » à cinq rangs répondant au nom d’Echo. Autre adéquate suggestivité, délicatement bêlante, avec le O Lamm Gottes unschuldig incluant encore les anches douces de la Voix Humaine en dialogue avec un mélange assis sur Quintaten 8’, avant une amplification sur les anches fortes du pédalier (Posaune 16’). Le génie se niche parfois dans les détails, fertilisant une intelligente science des contrastes : ainsi le paquet de noirceur qui conclut la pâle litanie du Jesus Christus BWV 666.

Les vingt-six mesures du Vor deinen Thron tret’ ich hiermit BWV 668 sont remplacées par la mouture complétée Wenn wir in höchsten Nöten sein BWV 668a, publiée par CPE Bach après la mort de son père, en appendice de L’Art de la Fugue. Ajouré comme une prière à claire-voie, ce testamentaire choral se trouve rejeté à la fin du CD 2, après les Variations canoniques. Sous des aspects savamment tamisés et adroitement texturés, Jörg Halubek y prolonge sa leçon de polyphonie au gré de ces pages hautement contrapuntiques ; lesquelles sous ses doigts se concentrent, se raffinent, autant qu’elles respirent sainement, comme émerveillées par le contexte de la Nativité qui féconde ces exercices. Et toujours sous un bienveillant augure, tellement empathique dans l’écheveau flûté du Canon alla Settima, agrémenté du Oboe d’amour qui signe les euphoniques sonorités pré-galantes de ces tuyaux bavarois. Pour l’auditeur, une telle convivialité facilite l’accès à des pages aussi touffues que le Canto Fermo in Canone alla Sesta.

Cette proposition de Jörg Halubek prend une digne place parmi les innombrables enregistrements de cet éminent cycle de chorals. Quant à l’esthétique, si l’on devait situer face à quelques anciennes références, on penserait au verbe roide et évocateur d’un Helmut Walcha (Archiv Produktion), à la foi luminescente d’un André Isoir (Calliope), ce qui n’est pas un mince compliment. On a rarement entendu une approche aussi limpide et décomplexée, où la simplicité et l’exactitude du geste se doublent d’une imagination narrative qui rend aux textes liturgiques une rayonnante force de conviction. Sans les raideurs de certains aînés : décadenassé, efflorescent, ascensionnel, l’Allein Gott BWV 663 est peut-être le meilleur avocat de cette capacité d’épiphanie.

Cette générosité confraternelle, qui cherche moins à intimider qu’à rapprocher des semblables, et qui rend accessible le génie de l’œuvre, serait celle du dernier Wilhelm Kempff tutoyant les Sonates de Beethoven, d’Alfred Cortot décryptant la poésie des Kinderszenen de Schumann, ou d’Edwin Fischer resituant à hauteur d’homme les Moments Musicaux de Schubert. Modérateur ou transigeant ?. En tout cas, voici un baume exfoliant et régénérant. Un témoignage particulièrement aisé, hospitalier, éclairant, et peut-être la plus homogène, patente et constante réussite au sein des six volumes actuellement engrangés par cette intégrale chez Berlin Classics. Et pourtant, Dieu sait qu’on a savouré l’Orgelbüchlein à la Johanniskirche de Lüneburg (voir notre commentaire).



Publié le 14 août 2023 par Christophe Steyne