Luxe de poche - Petits objets précieux au siècle des Lumières.

Luxe de poche - Petits objets précieux au siècle des Lumières. ©Luxe de poche. Petits objets précieux au siècle des Lumières - Musée Cognacq-Jay (PARIS)
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Le quotidien raffiné au siècle des Lumières.

Nous ne présentons plus le musée Cognacq-Jay qui nous a accueillis à maintes reprises. En ce printemps, il nous convie à fouiller nos poches ! Enfin, pas exactement les nôtres. Celles de nos aïeux. Plus précisément ceux du XVIIIème siècle. Ces poches sont remplies de petits objets dont l’aristocratie et la bourgeoisie raffolent. Petits objets décoratifs ou fonctionnels. Petits objets dont la préciosité participe du culte de l’apparence. Petits objets créés par des artisans rivalisant d’inventivité, d’ingéniosité, de créativité. Petits objets que les marchands-merciers parisiens (voir notre chronique La Fabrique du luxe, décembre 2018) proposent à une clientèle riche et raffinée. Hommes et femmes disposent de « poches qui, malgré leurs formes et leurs nombres différents, leur permettent de glisser quantité d’objets précieux à présenter selon l’occasion, pour briller en société » (catalogue).

« Assis sur un tabouret, je contemplais dans le ravissement toute l’élégance de sa personne. (…) Je visite ses poches : j’y trouve tabatière d’or, bonbonnière enrichie de perles fines, étui d’or, lorgnette superbe, mouchoirs de baptiste de la plus grande finesse, imbibés plutôt que parfumés des plus précieuses essences. Je considère avec attention la richesse et le travail de ses deux montres, de ses chaînes, de ses breloques étincelantes de petits diamants : enfin je trouve un pistolet : c’était un briquet anglais d’un acier pur et du plus beau fini. » Giacomo Girolamo Casanova (1725-1798), Histoire de ma vie (1822) tome III.

A l’origine de cette exposition, l’impressionnante collection d’Ernest Cognacq (1839-1928). Mais également des prêts consentis par de prestigieuses institutions françaises (Musées du Louvre et des Arts décoratifs, Château de Versailles ou Palais Galliera-Musée de la Mode, …) et anglaises (collections royales ou Victoria and Albert Museum). Notons qu’au printemps 2012, le musée avait, déjà, présenté une exposition intitulée « Boîtes en or et objets de vertu au XVIIIème siècle ».

Ces petits objets précieux (or, pierres dures ou précieuses, nacre, porcelaine ou émaux) ou sophistiqués suscitent l’engouement. Ils sont l’image, nous l’avons dit, de l’excellence des artisans du luxe et de la mode. Nous le découvrirons au fil de notre visite. Les premières salles s’intéressent à la typologie et à la variété de ces objets. Egalement aux techniques utilisées pour leur confection. Nous explorons ensuite leurs usages, les rituels qui les accompagnent. Objets à la fois intimes, dont l’utilisation se décline tout au long de la journée, et intégrés à différents pratiques de sociabilité. Par exemple, lors du rituel dédié à la toilette chez les élégantes, dans un salon où l’usage veut que l’on sorte une tabatière ou un nécessaire à couture, au théâtre ou au bal. Est ensuite envisagée la fabrique de ces objets par grands noms de l’orfèvrerie parisienne. Puis l’influence des œuvres de peintres renommés dont les compositions sont représentées sur ces boîtes. Boîtes qui deviennent des cadeaux diplomatiques mais également des objets de collection. Ne dit-on pas que « le Régent en possédait autant qu’il y a de jours dans l’année » (catalogue)? La dernière salle a pour thème « Exotisme et innovation du luxe miniature ». Elle évoque l’influence des objets venus d’Extrême-Orient puis se conclue sur l’héritage revendiqué, au XXème siècle, par les grandes maisons de joaillerie (Fabergé, Van Cleef & Arpels).


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attribué à Noël Hardivilliers étui-nécessaire vers 17770-1780 ; or, émail, nacre burgau, velours rose ; H 10,4 cm L 6 cm P 3,2 cm © Paris, musée Cognaqc-Jay, inv.J.627 - Photo JMB

Approche plurielle que celle de cette exposition. Découverte, également, d’usages oubliés de nos jours au travers de la tabatière (tabac à priser), de la boîte à mouches (pour ce qui est du domaine cosmétique) ou de l’étui à jetons (jeux de sociétés). Histoire de la mode. Ces petits accessoires étant destinés à être transportés, les vêtements sont dotés de poches. L’habit masculin peut en compter de nombreuses, la poche structurant alors la silhouette. Les poches féminines sont détachables et dissimulées sous la jupe. Elles constituent un accessoire indispensable, adapté à divers usages et ouvertes à toutes les catégories sociales. Histoire de l’art. Sont présentés tableaux, dessins, gravures qui les mettent en scène. Sans oublier le mobilier où ils sont rangés.

Entrons dans le vif de l’exposition ! Une toile attribuée à Alexis Simon Belle (1674-1734) nous accueille : Gentilhomme prisant du tabac. Non identifié, l’homme est assis, représenté de trois quarts, le coude droit posé sur une table. Son visage, incliné sur la droite, nous sollicite. Il tient dans sa main gauche une tabatière ronde ouverte s’apprêtant à l’utiliser pour priser. Le pouce et l’index de sa main droite invitant le spectateur à faire de même. Il porte une perruque bouclée de style « louis-quatorzième », une veste de velours rouge ornée de boutons dorés. Veste ouverte sur une chemise blanche surmontée d’une cravate noire dénouée.


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Alexis Simon Belle, Gentilhomme prisant du tabac entre 1674 et 1734 ; huile sur toile, H 105,5 cm, L 80,5 cm © Paris Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, inv.PPP2558 - Photo JMB

Deux sanguines, aquarelles sur traits de crayon de Louis Carrogis de Carmontelle (1717-1806) : Madame de Bréget et Madame d’Alençon conversant assises sur un canapé dans un paysage suggérant un jardin. Puis Mademoiselle Melin et Mademoiselle Lafleur faisant de la tapisserie. De Pierre- Thomas Le Clerc (vers 1740 ?-vers 1796/18.. ?) : Petit Maitre en chenille, habit du matin (1781). Vêtu de couleurs à la mode (bleu de différentes teintes et violine), il porte une fraque (habit de ville, consistant en une veste à collet, s'arrêtant à la taille et pourvu à l'arrière de longues basques s’écartant en lignes courbes) qui s’ouvre sur un gilet. Une veste à bordure en broderie de soie, boutons d’argent à jour. Il est coiffé d’un chapeau rond noir dit à la Pennsylvanie et s’appuie sur une canne. La mention « habit en chenille » fait appel à l’aspect duveteux du tissu qui permet de créer une différence visuelle, un jeu de couleurs qui devient, alors, plus profond.


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Pierre Thomas Le Clerc, Petit Maitre en chenille, habit du matin, 1781 ; Encre noire, plume, gouache sur papier vergé, H 25,4 cm L 18,4 cm © Paris Palais Galliera-musée de la Mode de la Ville de Paris, inv. K1451 - Photo JMB

Sur le mur du fond de la seconde salle, une huile sur toile de Jean Raoux (1677-1734) : Jeune femme lisant une lettre (1717/18). Elle est coquettement parée : son chignon est décoré de fleurs, elle porte un bracelet et un collier de perle ainsi qu’une élégante robe jaune et bleue. Elle est accoudée à une table. Sur celle-ci est posée une petite boîte. Sans doute une tabatière. Nous pouvons distinguer le portrait d’un homme représenté sur le couvercle ouvert… sans doute l’auteur de cette lettre lue avec attention, sourire aux lèvres.


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Jean Raoux, Jeune femme lisant une lettre (1717/18) ; huile sur toile, H 99 cm L81 cm © Paris, musée du Louvre, département des peintures, inv. M.I.1100 – Photo JMB


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vue de la seconde salle © exposition Le Luxe de poche - Photo JMB

Les vitrines de ces deux premières salles présentent nombre de petits objets. Des vitrines que nous retrouverons tout au long du parcours offrant à notre regard maints exemplaires de ceux-ci. Canne à pommeau d’or et cordon de soie ou avec une montre. Une autre plus tardive (argent, agate et turquoise, 1820), dont le pommeau s’ouvre sur une scène d’atelier d’orfèvrerie. Châtelaine : un accessoire-bijou porté à la taille, accroché à la ceinture. Elle est constituée d'un large crochet dont la face avant est décorée et prolongée de plusieurs chaînes terminées par des breloques, des ciseaux et/ou une montre. A la fin de l’Ancien Régime, elle est portée aussi bien par les hommes que par les femmes, parfois en double, symétriquement, de part et d’autre de la culotte ou de la jupe. Bonbonnières. Drageoirs dont l’un adopte la forme d’une nacelle. Un autre, celle du tatou (porcelaine et rubis, vers 1750), iconographie animalière inédite inspirée des voyageurs venus de Chine. Lorgnette de théâtre, ici télescopique.

Pommes de senteur ou pomander appelées aussi pomme d’ambre : une boule, en forme de pomme, intégrant des produits odoriférants tels que l'ambre gris, la civette ou le musc. Elles peuvent se convertir en bijou en métal précieux souvent ciselé comme celle à huit quartiers décorés de personnages (vers 1680/83). Etuis-nécessaires ou coffrets-nécessaires dont celui surmonté d’une montre et portant l’inscription « S’amuse jusqu’à moi je jure sur ma foi ». Il est monté à cage (art de fabriquer en métaux précieux des objets destinés à l’ornementation ou au service de la table). Les rinceaux sont peuplés d’animaux et d’enfants. Cette monture maintient de très fines plaques d’agate rouge. Des oiseaux miniatures en porcelaine coiffent les bouchons en or des flacons.

L’évolution de la notion d’hygiène et le développement de la parfumerie permettent l’essor de Flaconniers tel celui présenté en forme de livre, contenant deux flacons ou cet étui (porcelaine) à flacon en forme de bouquet d’œillets. Un autre, également en forme de bouquet avec son étui (1749-1760). Toujours dans le domaine des senteurs, un vaporisateur en forme de pistolet (or, émail et perles fines, vers 1800/20) : « le mécanisme de détente sous la crosse ouvre les pétales situés à l’extrémité du canon, dévoilant le cœur de la fleur percé de trous libérant ainsi la fragrance » (cartel explicatif). Ou cette vinaigrette (boîte à senteur nommée ainsi à cause du vinaigre aromatique qui imbibe une petite éponge cachée sous la grille) en forme de jambe de dame (porcelaine, agate, or et émail, vers 1760/80). La charnière porte une inscription « Son sort j’envie ».


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flaconnier en forme de livre contenant deux flacons, inscription sur le dos : « Recueil de poésie », France, entre 1740 et 1760 ; maroquin, papier, argent doré, cristal, or ; H 10,3 cm L 5,7 cm, P 2,1 cm © Paris, musée des Arts décoratifs, inv.58030 - Photo JMB


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Jean-François Bautte, pistolet à parfum, vers 1800-1820 ; or, émail, perles fines ; H 5,6 cm L 12,3 cm P 1,6 cm © Paris, musée Cognacq-Jay, inv. J.620 - Photo JMB

Un tableau (1804) dû au pinceau de Marguerite Gérard (1761-1837), La mauvaise nouvelle. Un cadre domestique (mobilier, tableau sur le mur, nappe colorée, tapis). Une mallette ouverte sur la table contenant probablement des lettres… secrètes ? Une femme assise vient d’en lire une. Elle se pâme. Que contenait la lettre ? Quel en est l’expéditeur ? Son amie lui tend des sels. Sels contenus dans un flacon rouge (cornaline et or) sans doute décoré d’une cigogne et d’un renard (d’après la fable éponyme de Jean de La Fontaine, 1621-1695). Remarquons la minutie du peintre à rendre les plis, les ombres, le moiré du tissu blanc et bleu clair de la robe.


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Marguerite Gérard, La mauvaise nouvelle, 1804 ; huile sur toile, H 64 cm L 51 cm © Paris, musée du Louvre, département des Peintures inv. MNR 140 - Photo JMB

Divers étuis et boîtes, toujours « aux formes inventives et ludiques » (cartel explicatif) : une jambe (agate blonde, or et brillant, vers 1740/60) ou une tête de femme masquée (porcelaine, diamant, or et verre, vers 1749/54). Etui à tablettes en forme de viole (ou violoncelle) avec flacon à sels dans la partie supérieure (émail, ivoire et or). Ou encore de bébé emmailloté ou de poisson articulé, d’asperge voire de cercueil ! Certaines de ces boîtes sont destinées à contenir un message.


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Charles Gouyn, boîte en forme de tête de femme masquée, manufacture Girl-in-a-Swing (Londres) vers 1749-1754 ; porcelaine, diamants, or et verre, H 4,3 cm L 4,8 cm P 3,9 cm © Paris, musée Cognacq-Jay, inv.J.462 - Photo JMB


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vitrine © exposition Le luxe de poche - Photo JMB

Des boîtes à musique comme celle de l’orfèvre Georges Rémond et des frères Rochat, horlogers (entre 1800 et1815). Elle est entièrement émaillée de bleu roi translucide sur un fond guilloché en chevrons. Sur sa bâte (cercle du contour, élément soudé en dessous et juste au bord), une inscription en petits brillants : « écoutez ma voix et admirez moi ». Le couvercle est évidé en son milieu. Un médaillon, lui aussi ovale, peint en émail avec une scène inspirée de l’artiste peintre et dessinatrice Angelica Kaufmann (1741-1807) : un jeune homme prend la main d'une jeune femme assise devant une table chargée de fruits. Médaillon, actionné par un ressort, qui découvre un oiseau chanteur aux plumes très colorées. Il se dresse et bat des ailes en sifflant.

Un mot sur des boîtes, disons, plus « particulières », auxquelles nous associons volontiers les modes de vie du XVIIIème siècle. Les boîtes à mouches. Elles se reconnaissent aisément grâce à leur miroir et leurs compartiments intérieurs. Celui du centre peut accueillir un petit pinceau. Les mouches se rangent alors de part et d’autre. Rappel. Les mouches sont de petites pièces de velours noir rondes, ovales, parfois en croissant. Appliquées sur le visage ou le décolleté, elles permettent de mettre en valeur l’éclat du teint, faisant ressortir la blancheur du visage mais aussi de cacher une imperfection. Elles deviennent un attribut de la féminité au XVIIIème siècle, un instrument de séduction dont le galant doit déchiffrer le code ! Chaque emplacement de la mouche est savamment défini et a sa propre signification. La « galante » au milieu de la joue, l’ « effrontée » sur le nez, la « baiseuse » au coin de la bouche, la « généreuse » sur la poitrine. Les « mouches de bal » sont visibles de loin. Les « coquettes à merveille » ou les « mouches de ruelle » sont plus petites, destinées aux fêtes voire aux collations de jour.


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Nicolas Prévot, boîte à mouches, 1763 ; bois, vernis Martin, or ; H 14 cm L 15 cm P 18 cm © Paris, musée des Arts décoratifs, inv.31152.A-E - Photo JMB

Une huile sur toile attribuée à Jean-Baptiste Henri Deshays dit le Romain (1729-1765) : Portrait présumé de Jeanne-Elisabeth-Victoire Deshays, épouse de l’artiste (nota : elle est parfois présentée comme sa fille aînée). La jeune femme est vêtue d’un déshabillé de toile légère lui-même noué autour du cou par un ruban de satin bleu. Elle nous regarde d’un air mélancolique. Sur sa main gauche est posée une boite à mouches ouverte. L’index de la main droite vient d’y en prendre une. Où va-t-elle la poser ?

Les tabatières. Nombre d’entre elles constituent le fond de la collection d’Ernest Cognacq ainsi que de la collection Rosalinde (1913/1995) et Arthur (1913-2001) Gilbert, actuellement en dépôt au Victoria and Albert Museum de Londres. Tabatière : petite boîte pour y déposer le tabac à priser. Rappel. Le tabac fut longtemps utilisé comme plante d’ornement à la cour espagnole et portugaise. Au milieu du XVIème siècle, le médecin personnel du roi Philippe II (1527-1598) commence à l’utiliser comme médicament afin de soigner les rhumes ou les troubles circulatoires. Jean Nicot (1530-1600), ambassadeur de France au Portugal, l’introduit à la cour de France et conseille ce remède à Catherine de Médicis (1519-1589) pour soulager ses migraines. Par la suite, afin d’en affiner le goût, il lui est adjoint des herbes ou des huiles fines. Notons que le tabac à priser est réservé aux narines des aristocrates puis des bourgeois tandis que le reste de la population se contente de chiquer. Deux lithographies humoristiques de Louis-Léopold Boilly (1761-1845) : Les Fumeurs et les Priseurs ainsi que son pendant féminin intitulé Ah qu’il est bon ! Une meilleure conservation du tabac permet des innovations techniques : « ainsi certaines boîtes se ferment soit « à miracle » (d’une précision rigoureuse), soit de manière hermétique » (catalogue) afin de ne pas oxyder le produit. La fabrication de charnière prend alors toute son importance.


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Louis-Léopold Boilly, Ah qu’il est bon ! , vers 1823, lithographie, H 38 cm L 27,50 cm © Paris, collection Etienne Bréton - Photo JMB

Priser devient très répandu au point qu’éternuer, donc d’interrompre une conversation, est considéré comme distingué ! Femmes et hommes prisent. Il est de bon ton de changer chaque jour de tabatière. Extraite de la poche, il est d’usage, dans les salons, de passer la tabatière de main en main. Ceci permettant de déterminer le rang social et la richesse de son propriétaire. Elles peuvent être le reflet de l’état de son âme. Grâce à l’ingéniosité des artisans, elles acquièrent parfois le « statut » de bijou. Deviennent un présent. En gage d’amour pour l’être aimé, en signe d’amitié, voire comme cadeau diplomatique.

Partons à la découverte de quelques-unes de ces tabatières ! Témoignage d’amour ou d’amitié, « elles restent la preuve que ces objets étaient destinés à être échangés, chéris et emportés au cours des divers moments de la journée et de la vie » (catalogue). Elles peuvent être ornées d’un portrait ou revêtues d’un message personnel destiné à l’être aimé. En témoigne cette tabatière (or, émail et porcelaine, vers 1755) de la manufacture de Meissen portant la mention « A la plus Fidelle. Partout où Elle se trouve » (sic). Convoquons à nouveau la peinture et observons l’huile sur toile de Donatien Nonnotte (1708-1785). Le Portrait de Madame Marie-Elisabeth Nonnotte (1758). Il s’agit de son épouse, âgée de la soixantaine. Nous sommes loin des portraits officiels (voir notre chronique Cent portraits pour un siècle, décembre 2019) ! Entrons dans son intimité. Madame est calée dans un fauteuil, le coude droit appuyé sur une table. Dans sa main un éventail fermé. Sur cette table une tabatière fermée, elle aussi. Absorbée par la lecture d’un livre aux pages cornées, elle est vêtue d’une robe de soie bleue, d’une mantille blanche garnie de dentelles, d’un bonnet à rubans bleus.

Les vitrines de la sixième salle proposent diverses tabatières d’une exceptionnelle facture. Et d’abord celle de l’orfèvre Daniel Baudesson (1716-1785), un des principaux orfèvres travaillant à Berlin. Montée à cage, en or, de dix plaques de calcédoine supportant « un décor de nature morte de fruits en néphrite, cornaline ou améthyste (… l’orfèvre travaille) la pierre dure, joue des couleurs minérales pour donner un effet naturaliste à la composition» (catalogue). Une véritable mosaïque de cabochons de pierres dures où nous pouvons reconnaître oranges, pommes, raisins, … du feuillage. La bordure du couvercle est découpée et incrustée de nombreux diamants taillés en « brillant » (taille qui vise à donner à une pierre une forme ronde et des facettes qui réfléchissent la lumière de la manière la plus optimale), dont certains à paillons roses (feuille de métal qui, placée sous une pierre, en augmente l'éclat). Tabatières en pierres dures, comme celle (vers 1765) que chérissait Frédéric II de Prusse (1712-1786) : en chrysoprase (pierre verte translucide, une variété de calcédoine), or, cornaline et diamants. Une superbe facture : finesse de « chaque élément du décor en or et diamants, volute, tige ou tête de fleur (qui) n’est pas simplement accolé à la pierre mais se trouve inséré de quelques millimètres » (catalogue). Taille parfaite des pierres qui permet de jouer de leur transparence.


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(en haut) Daniel Baudesson, tabatière, entre 1760 et 1770 ; or, agate, jaspe, néphrite, cornaline, améthyste, H 4,4 cm L 9 cm P 7,5 cm - (en dessous) Johann Christian Neuber, tabatière, entre 1763 et 1770, agate, or ; H 3,9 cm L 8 cm P 5,8 cm © Tabatière Baudesson: Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art inv. OA 2142 et Tabatière neuber : Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art inv. OA 63 - Photo JMB

D’autres tabatières de l’orfèvre allemand Johann Christian Neuber (1736-1808). De véritables mosaïques de pierres dures. Un véritable cabinet de minéralogie ! Association de fines lamelles de pierres et décor cloisonné. Soit enchâssées dans une monture à cage dorée sous la forme de cartouches numérotés. Soit répertoriées dans un petit carnet qui l’accompagne avec la mention introductive : « Carnet de pierres contenant toutes les sortes de pierres les plus belles et le mieux choisies (…) très exactement marquées de lettres et de chiffres pour apprendre leurs noms. Composé par Jean Chretien Neuber à Dresde » (sic). Le propriétaire de cette tabatière peut ainsi « retrouver le nom du minéral sur le livret bilingue français-allemand (…) les pierres étant listées suivant la classification du géologue allemand Abraham Gootlob Werner (1750-1817) » (Rose-Marie Herda-Mousseaux, Le goût du XVIIIème siècle).

Nous l’avons dit, si ces tabatières sont collectionnées, elles font aussi office de présents, de cadeaux diplomatiques stratégiques. « La richesse des matériaux, la rareté des techniques, les choix iconographiques sont autant d’habiles messages adressés aux destinataires. Si tous les souverains y eurent recours pour récompenser des courtisans, savants ou artistes, la « tabatière diplomatique » ornée du portrait royal est un cadeau officiel, offert par les ambassadeurs ou donnée aux visiteurs étrangers à Versailles » (cartel explicatif). En témoigne cette tabatière avec le portrait de la famille royale (vers 1776/77). Seize portraits peints sur porcelaine. Sur le couvercle Louis XVI (probablement le commanditaire) et Marie-Antoinette, entourés d’une guirlande de fleurs. Au-dessus du portrait du roi, une couronne de laurier. Entre les époux, des branches de fleurs de lys maintenues par un ruban violet. Sur l’entour, les princes et princesses de la maison de France ainsi que les aïeux du roi.

Ainsi s’offre, à une riche clientèle, une grande diversité de boîtes. Assurant au possesseur de celles-ci la fierté de posséder une pièce jamais vue !

Petit retour dans la troisième salle qui convoque l’habillement. Un mannequin moderne (2023) portant une robe « à la française » (voir notre chronique A la mode. L’art de paraître au XVIIème siècle, janvier 2022) et poches. Il permet de comprendre comment les poches féminines sont indépendantes du vêtement et s’intègrent dans celui-ci. Nouées autour de la taille, elles sont dissimulées sous la jupe, voire sous le panier. Elles sont détachables et accessibles, discrètement, grâce à une fente sur le côté de la jupe. Et permettent de porter les objets précieux au plus près de soi ! La vitrine, en face en expose deux paires (voir photos) : elles sont oblongues, ouvertes d’une fente verticale et d’une grande contenance. Le tissu utilisé est parfois assorti à certaines pièces du vêtement, souvent brodés de motifs floraux ou d’initiales. L’habit masculin (ici en taffetas et soie) comporte également de nombreuses poches : la culotte peut en compter jusqu’à cinq, masquées par les basques du gilet. Ce dernier en est aussi muni comme le montre le mannequin. Elles sont souvent ornées de broderies (rinceaux de fleurs, chinoiseries) que l’on peut retrouver sur les objets qu’elles contiennent. Est exposé un patron de broderie (gouache sur papier vergé) aux motifs floraux portant la mention « Le Printemps ».


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mannequin moderne, « robe à la française » 2023, satin de coton, réalisation Sébastien Passot © exposition Le Luxe de poche - Photo JMB


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vitrine © exposition Le Luxe de poche - Photo JMB

La quatrième salle évoque la fabrication de ces œuvres. Œuvres collectives s’il en est ! La corporation des orfèvres-bijoutiers, régie par des règles très strictes, fabrique les petites boites. Une minorité d’orfèvres-joailliers maîtrise l’art de la tabatière. Les modèles naissent des crayons de dessinateurs, voire des marchands-merciers eux-mêmes. L’ornemaniste (spécialiste du dessin ou de l'exécution de motifs décoratifs) joue un rôle primordial dans la production de ces petits objets. « Installé au sein des ateliers, il compose des recueils de modèles et propose des déclinaisons de motifs et de décors, que le commanditaire peut choisir et associer. Des recueils de gravures d’ornements sont également publiés à destination des orfèvres, ciseleurs ou peintres-émailleurs » (catalogue). Sont exposés divers projets. Un dessin (plume, lavis d’encre et rehauts d’aquarelle) de la bâte et du couvercle d’une tabatière avec des indications manuscrites concernant, par exemple, les gemmes utilisées. Un autre présentant ces éléments dans trois coloris différents (bleus, gris et rouge) pour une tabatière de forme ovale en or et émail. Un projet pour une tabatière circulaire avec quatre variantes pour le dessus. Des projets de couvercles de tabatières, soit avec des enfants dans une cuisine, soit avec un grand vase de rocaille. Une eau-forte (planche I de l’Encyclopédie) : Piqueur et Incrusteur de Tabatière, ouvrages. Planche en trois parties : l’atelier, des propositions de motifs et les outils.

Les centres de production, quant à eux, se développent à travers toute l’Europe. Ces foyers se spécialisent : travail des pierres dures en Saxe ou micro-mosaïque à Rome. De ce fait, villes et régions acquièrent une réputation internationale « née de la maîtrise ou de l’exclusivité d’un matériau ou d’un savoir-faire » (cartel explicatif).

Une curiosité : le Modèle d’un atelier de tabletier-garnisseur (avant 1890). La mention sur le fronton « témoigne de l’existence d’un métier indispensable à la réalisation des nécessaires. Les tabletiers sont capables de travailler les matériaux les plus variés - ivoire, écaille, nacre. Ils assemblent les productions provenant des orfèvres, émailleurs, miroitiers comme des manufactures de porcelaine » (cartel explicatif).


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modèle d’un atelier de tablier-garnisseur, avant 1890 ; bois, acier, laiton, verre, écaille, cuir, alliage indéterminé, plomb, coquille, paille, fibre d’origine végétale, peau, plastique, H 55,5 cm L 69,5 cm P 44,2 cm © Paris, musée des Arts et Métiers-CNAM, inv.11966 - Photo JMB

Au second étage, la cinquième salle aborde les sources et modèles de ces petits objets. Références aux fables de La Fontaine. Aux tableaux d’Antoine Watteau (1684-1721), de François Boucher (1703-1770) ou encore de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), pour n’en citer que quelques-uns. « Répondant aux goûts personnels autant qu’aux effets de mode (… ils) déclinent un répertoire qui fait écho à de multiples références culturelles, où l’esprit des Lumières laisse la part belle à la littérature ou aux dernières innovations scientifiques » (catalogue). De Fragonard, l’aquarelle L’Heureuse famille (vers 1775/77). Sujet champêtre se mêlant au goût pour l’archéologie : l’intérieur du logis associe accessoires rustiques (cruche, panier d’osier, légumes) et éléments d’architecture classique (colonnes, autel antique) l’ensemble dans une envolée de drapés. Disposition élégante des personnages. Scène idyllique d’une famille heureuse ! Scène reprise, inversée, sur une tabatière (vers 1780) en or et émail.


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Jean-Honoré Fragonard L’Heureuse famille vers 1775-1777, Aquarelle, rehauts de gouache, pierre noire, lavis de bistre ; H 33,5 cm L 41,5 cm © Paris, musée Cognacq-Jay, inv. J.146 - Photo JMB

Autre thème d’une pastorale tout aussi idyllique, une eau-forte gravée d’après Boucher par Madame Jourdan (active entre 1780 et 1800) : Pensent-ils à ce mouton ? (1765). Au centre une bergère assise dans l’herbe, un mouton à ses côtés, un agneau sur ses genoux. Son berger la serre tendrement dans ses bras et la regarde avec passion. Un panier de fleurs sur la gauche. Au fond, une maison. Scène reprise sur une tabatière mais avec quelques variantes : le mouton pose sa tête sur les genoux de la bergère et l’agneau a disparu. Une miniature tout en délicatesse ! L’orfèvre souligne cette composition ovale par un émail guilloché (incision d’une surface en or ou en argent recouverte ensuite d'une couche d'émail transparent, afin de laisser visible le motif gravé). Toujours dans le domaine de la pastorale : L’agréable leçon du graveur René Gaillard (1719 ?-1790). Un jeune berger entoure de ses bras le cou d’une bergère. Celle-ci souffle dans une flûte dont il bouche alternativement les trous. Son bras droit repose sur la jambe du jeune homme. Tous deux esquissent un sourire. Des moutons et une chèvre couchée à leurs pieds soulignent la dimension bucolique et idyllique de la composition.

D’après Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) : Le Renard confessant les animaux, variante de la célèbre fable, Les Animaux malades de la peste de La Fontaine. Le renard, assis dans un confessionnal, écoute le lion. Un singe, juché sur le toit du confessionnal, tente d’écouter ce qui se dit. A l’entour, divers animaux exotiques attendent leur tour.

L’actualité est également présente. En témoigne la série de treize boutons ronds sous verre bombé, intitulés « demeures royales ». Demeures qui sont des joyaux de l’architecture française. Nous pouvons reconnaître Chantilly, Versailles et la Ménagerie royale, Marly, … Sceaux, Meudon et sa grotte, … Egalement, sur le couvercle d’une tabatière, l’ascension, face aux Tuileries, du premier aérostat, le 1er décembre 1783.


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Boutons « demeures royales », vers 1785 ; papier estampé (eau-forte), aquarelle, métal, verre ; diam 3,7 cm © Paris, musée Galliera-musée de la Mode de la Ville de Paris, inv. 2020.24.01.01 à 13 - Photo JMB

La manufacture de Wedgwood (manufacture anglaise de poterie, faïence et porcelaine fondée en mai 1759 par Josiah Wedgwood et son fils Thomas) crée, en 1775, un grès fin non émaillé, une pâte jaspée - jasperware - permettant l’imitation des camées antiques. Grès généralement teinté (fond bleu ou vert clair pour la plupart) dans la masse avec application de motifs en relief, le plus souvent blanc, comme c’est le cas des objets exposés. Produisant, flacons, boucles de ceinture,... Le flacon de parfum (vers 1783) et la boucle de ceinture avec camée (vers 1790) reprennent les figures du roman inachevé de Laurence Sterne (écrivain et membre du clergé britannique, 1713-1768) Le Voyage sentimental à travers la France et l’Italie (1768). Roman qui connut un tel succès qu’il contribua à faire du récit de voyage un des genres dominants de la seconde moitié du XVIIIème siècle. Ici, le héros rencontre à Moulins, une veuve éplorée, Maria (Poor Maria), assise sous un arbre en compagnie de son chien. Il la console et repart.

A noter dans cette salle, une vidéo présentant (sous forme d’animation) ces petits objets précieux dans leurs usages.

Notre visite touche presqu’à sa fin. Un prolongement. Exotisme et innovation du luxe miniature jusqu’au XXème siècle. Nous retrouvons nombre de ces petits objets, souvent à connotation « exotique », d’inspiration asiatique. Une boîte à musique en forme de harpe (1800-20)… un flacon de parfum en forme de montre (vers 1777/78)… une boîte à mouches (1763) en poudre de corne laquée sur or… un nécessaire à parfums en bois, or et vernis Martin (vers 1715/30). Pavillons à pagode, oiseaux, traitement particulier des arbres signalent l’inspiration exotique. Ou encore un flaconnier-nécessaire (1755/56). Ces panneaux imitent la technique « de la laque japonaise (urushi-e), mêlant décors métalliques en creux (harigaki) et lignes de poudre d’or en très léger relief (tsukegaki) » (catalogue).


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Antoine-Jan de Villeclair, flaconnier-nécessaire, 1755-1756 ; papier mâché, vernis Martin, gros de Tours, cristal, or ; H 7,8 cm L 4,6 cm P 6,9 cm © Paris, musée des Arts décoratifs, inv.57965 - Photo JMB

Un dernier mot sur « l’écho des Lumières chez les orfèvres du XXème siècle ». Les codes du raffinement du XVIIIème siècle sont réinvestis par les grandes maisons parisiennes de luxe, notamment Fabergé et Van Cleef & Arpels. Dans des flacons, poudriers, étuis à cigarettes ou Minaudières (petit sac de soirée contenant un nécessaire de maquillage dans un petit espace compartimenté). Egalement des montres châtelaines portées au revers de la veste ou à la ceinture. Ici encore, au cours de cette période « Art déco », les techniques et les matériaux (jade) orientaux sont source d’inspiration.

Un catalogue richement illustré accompagne l’exposition et permet d’apprécier, au plus près, une petite partie des objets exposés. Notons, également, la présence de cartels explicatifs (peu nombreux, hélas) à destination du jeune public.

À travers une sélection de chefs-d’œuvre, l’exposition présente ces « bijoux » dans le contexte de leurs usages et de l’évolution du goût. Ainsi donnent-ils à voir la diversité des pratiques liées à ces accessoires de luxe. Symboles d’élégance et de raffinement, les petits objets précieux exposés témoignent de la virtuosité et de l’inventivité des orfèvres parisiens du XVIIIe siècle. Or, nacre, pierres précieuses, porcelaine ou émaux sont convoqués pour leur réalisation. Si leur usage varie, ils font partie des us et coutumes d’un quotidien raffiné et suscitent un véritable engouement tant en France que dans toute l’Europe. « Destinés à être montrés, ces objets relèvent pleinement la parure et contribuent à façonner la culture des apparences, caractéristique du siècle » (Sixtine de Saint-Léger, catalogue).



Publié le 08 juin 2024 par Jeanne-Marie Boesch