Rencontre avec Alexis Kossenko

BaroquiadeS : Bonjour Alexis. Vous êtes aujourd’hui un flûtiste et un chef reconnu, tout particulièrement dans le domaine de la musique baroque, nous y reviendrons. Comment vous est venu le goût de la musique ?

Alexis Kossenko : J’ai découvert très jeune la musique, en l’écoutant avec mes parents qui étaient mélomanes – mais pas musiciens. A l’âge de trois ans, j’ai émis le souhait d’être chef d’orchestre, car j’étais très impressionné par la pantomime des chefs ! A quatre ans j’ai débuté mon éducation musicale, et à cinq ans j’ai commencé à m’initier à la flûte. J’ai alors voulu lui consacrer ma carrière de musicien. Puis, vers l’âge de vingt ans, des opportunités se sont offertes à moi pour exercer la direction d’orchestre.

BaroquiadeS : Oui, vous êtes un des rares chefs qui ne vienne pas du clavecin ou du violon...

Alexis Kossenko : Un des rares peut-être, mais je ne suis pas le seul… (sourire). En tant que souffleur, je me sens proche des chanteurs et suis très sensible à l’éloquence musicale, essentielle pour moi dans le travail de direction. Quand je travaille sur le répertoire vocal et l’opéra, je tente de réunir les chanteurs et l’orchestre dans un langage commun, en rendant les chanteurs plus instrumentistes et les instrumentistes plus chanteurs. Trop souvent, chanteurs et instrumentistes sont sur des planètes différentes, mais on le remarque peu, tant on y est habitués. Mais la musique gagne tellement en force d'éloquence lorsqu'on y prend garde et qu'on y remédie !

BaroquiadeS : Et c’est dans ce but que vous avez créé votre propre formation ?

Alexis Kossenko : Oui, j’ai fondé Les Ambassadeurs en 2011. J’étais inspiré par plusieurs envies : le travail sur l’œuvre de Rameau, et sur le répertoire de l’Orchestre de Dresde. Puis notre répertoire s’est étendu vers le XIXème siècle, et aussi prochainement vers le XXème siècle, comme on pourra le voir dans la programmation de l’Atelier Lyrique de Tourcoing.

BaroquiadeS : Justement, parlez-nous un peu de l’Atelier Lyrique...

Alexis Kossenko : J’y ai un peu grandi, car Jean-Claude Malgoire aimait donner leur chance aux jeunes musiciens et chanteurs. Mes premiers projets en musique baroque et classique se sont réalisés avec La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. C’était toujours un plaisir de venir jouer avec Jean-Claude et sa formation ! Et j’ai aussi pris part à certains de leurs derniers projets, comme Pelléas et Mélisande.

BaroquiadeS : Et vous avez pris la tête de cette formation...

Alexis Kossenko : Oui. Jean-Claude était à la fois à la tête de l’orchestre et de l’Atelier Lyrique, mais après sa disparition les deux structures se sont dissociées. François-Xavier Roth a pris la direction de l’Atelier Lyrique. Les musiciens de La Grande Ecurie m’ont proposé de prendre leur direction, d’abord pour assurer une partie de l'intérim dans des projets programmés : la Messe de la Délivrance de Théodore Dubois et L’Etoile de Chabrier. Pendant deux ans leurs projets ont été répartis entre différents chefs. Puis j’ai eu l’agréable surprise que les musiciens de La Grande Ecurie me proposent de prendre leur direction de manière permanente. Et nous avons fait le pari un peu fou de réunir les deux ensembles !

BaroquiadeS : Pourquoi un pari un peu fou ?

Alexis Kossenko : Parce que les deux ensembles avaient tous deux déjà une forte notoriété. La Grande Ecurie était indissociable d’une grande épopée musicale. Les Ambassadeurs avaient une identité bien affirmée grâce à des enregistrements remarqués. Heureusement certains des musiciens faisaient déjà partie des deux ensembles, cela a facilité la démarche. Mais ce n’était pas simple non plus au plan administratif. Notre pari était, en étant mieux armé envers les tutelles et les sponsors, de développer davantage d’activité, et aussi de réaliser des projets en grande formation. Cette nouvelle disposition a aussi permis de renforcer notre crédibilité auprès de la DRAC. Cela nous a aussi permis de conserver une place plus importante dans la programmation de l’Atelier Lyrique.

BaroquiadeS : Oui, nous avons pu constater que cette saison était désormais très alléchante, nous y avons d’ailleurs récemment assisté à l’Orpheus de Telemann (voir notre compte-rendu)...

Alexis Kossenko : La politique de programmation de l’Atelier Lyrique se décompose à peu près en trois tiers : un pour Les Ambassadeurs/ La Grande Ecurie, un pour Les Siècles (l’ensemble dirigé par F-X. Roth, NDLR) et un tiers pour les ensembles invités. Nous construisons ensemble les saisons. Cela nous permet d’offrir des productions qui se complètent, et ne se concurrencent pas, en particulier sur la musique du XIXème siècle. Nous allons aussi créer un partenariat avec nos voisins belges du Chœur de Chambre de Namur : nous avons notamment prévu d’enregistrer ensemble Zoroastre de Rameau, et Le Carnaval du Parnasse de Mondonville.

BaroquiadeS : Vous avez déjà une discographie imposante...

Alexis Kossenko : C’est vrai, à la fois comme chef et comme flûtiste. Actuellement je me consacre à un coffret de trois CD consacré à Eugène Walckiers, compositeur flûtiste originaire d’Avesnes sur Helpe. Sa musique est fabuleuse, pleine d'invention, d'inspiration, d'audace, d’humour. Ce projet s’est débloqué à la suite des annulations de concerts liées à la pandémie ; il s'inscrit dans une initiative de l'Atelier Lyrique de Tourcoing de mettre en valeur les compositeurs issus du nord de la France.

BaroquiadeS : Hormis vos incursions dans le répertoire du XIXème siècle, votre nom est très lié à la redécouverte d’œuvres baroques. Encore récemment vous nous avez proposé le rare Achante et Céphise (voir notre compte-rendu)...

Alexis Kossenko : Nos projets sont guidés par plusieurs fils rouges – et j’aime particulièrement cette idée. Le premier est consacré à la musique française, avec un focus sur Rameau, en partenariat avec le Centre de Musique Baroque de Versailles. Ainsi le Zoroastre de la version de 1749 constituera un inédit total, les enregistrements existants présentent tous la version de la reprise de 1756. En regard nous présenterons Le Carnaval du Parnasse de Mondonville, qui était l’œuvre concurrente de Zoroastre lors de la création de 1749. Nous avons également en projet Atys de Lully. Pour ces différents projets nous effectuons des recherches sur les hautbois de l’époque, les archets, la composition de l’orchestre, la disposition du grand et du petit chœur, leurs effectifs variables, l'usage du continuo. Et nous redonnerons également sur scène Les Paladins de Rameau dans la mise en scène réalisée par François de Carpentries pour le théâtre d’Oldenbourg (voir le compte-rendu). J’aime les metteurs en scène sensibles à la musique et respectueux de la partition, également capables d’exprimer à la fois de la poésie et de la bouffonnerie...

BaroquiadeS : Que voilà de beaux projets dans le domaine du baroque français ! Et pour les autres répertoires auxquels vous vous consacrez ?

Alexis Kossenko : Un autre fil rouge est celui du cycle consacré à l’Orchestre de Dresde, dont un premier volume vient de sortir (voir le compte-rendu). Nous poursuivrons par des monographies de Zelenka, Pisendel, Quantz, Heinichen, Fasch, Telemann, Hasse… L’attraction exercée par cet orchestre sur les compositeurs de son époque est incroyable : même la Messe en Si de Bach a été écrite dans le but de briguer un poste à Dresde. Et nous aimerions aussi monter le Cleofide de Hasse.

BaroquiadeS : C’est donc votre second fil rouge. Et les autres ?

Alexis Kossenko : Il y en d’autres, en effet. L’un est de donner en concert l’intégrale des cantates de Bach par ordre chronologique, afin de mesurer l’évolution du compositeur. Nous nous attachons à prendre en compte l’évolution du diapason, celui des effectifs (car Bach ne pouvait habituellement compter que sur les quatre choristes permanents de l’église Saint-Thomas). Mais il faut rompre avec ce que l’on a en tête, ce n’est pas facile… Par exemple, dans la Passion selon Saint-Jean, un seul ténor chantait Saint-Jean, l'Evangéliste, les airs et les chœurs, avec l’appui d’un seul ripiéniste ! Cela change complètement l’émotion suscitée...Et il existe près de deux cents cinquante cantates, sans compter les différentes versions !

Concernant le répertoire du XIXème siècle, nous ouvrirons, avec les IVème et Vème symphonies, le cycle Mendelssohn qui constitue un autre fil rouge de nos projets. Le but est de parcourir l’ensemble de sa musique d’orchestre et vocale ! Nous ouvrons aussi un partenariat avec le Palazetto Bru-Zane, dans ce cadre nous produirons L’Eclair de Fromental Halévy.

BaroquiadeS : Que de projets !

Alexis Kossenko : Tout cela peut paraître ambitieux, en effet, mais forme une ossature pour nos concerts, et nous permet de renouveler nos propositions de saison en saison. Un autre grand projet, plus personnel, ce sont Les Concerts de Pan : il s’agit d’enregistrer des œuvres pour flûte en répertoire solo, avec des instruments originaux, afin de faire comprendre l’évolution de la musique et de la facture instrumentale. Ces enregistrements vidéos sont diffusés sur une chaîne YouTube (à consulter ici) : vingt-cinq sont déjà disponibles en ligne, vingt-huit autres sont en préparation ! L’idée c’est de constituer une sorte d’encyclopédie de la flûte, facilement accessible à tous.

BaroquiadeS : Bravo Alexis pour tous ces projets, et nous aurons très certainement l’occasion de rendre compte de quelques-uns au moins d’entre eux dans nos colonnes.



Publié le 14 déc. 2021 par Bruno Maury