Le carnaval du Parnasse - Mondonville

Le carnaval du Parnasse - Mondonville © Jean-Marc Nattier : Thalie, muse de la comédie - 1739
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Un ouvrage léger, brillant et populaire

Le carnaval du Parnasse est un ballet héroïque composé par Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) sur un livret de Louis Fuzelier (1674-1752) et créé à Paris le 23 septembre 1749 à l’Académie royale de musique. Le succès est immédiat avec pas moins de 35 représentations, un vrai triomphe ! Le spectacle sera repris en 1759, 1767 et en 1774 après le décès de Mondonville avec toujours le même succès. Le carnaval du Parnasse est en effet une œuvre d’un grand charme mélodique avec de nombreuses ariettes qui se gravent instantanément dans la tête. La musique ne peut cependant être qualifiée de facile car la conduite des voix et l’orchestration y sont très soignées. Le succès de l’œuvre lors de sa création ternit l’étoile de plusieurs musiciens contemporains, parmi lesquels Jean-Philippe Rameau (1683-1764) qui faisait représenter au même moment sa première version de Zoroastre (voir le compte-rendu) avec un succès plus que mitigé. Le compositeur dijonnais en fut durablement affecté d’autant plus que sa comédie lyrique Les Paladins (1757) ne connut pas un meilleur sort alors que Le carnaval du Parnasse poursuivait sa brillante trajectoire. Il est certain qu’à l’époque, les fraîches mélodies bien carrées de Mondonville pouvaient sembler plus attrayantes que celles souvent asymétriques et anguleuses de Rameau tandis que de nos jours, la complexité harmonique de la musique du Dijonnais et en particulier son art de la dissonance sont appréciés à leur juste valeur. Le carnaval du Parnasse confirmait son caractère inoxydable lors des représentations de 1774 ; le succès obtenu était d’autant plus méritoire qu’à cette époque, le public était passé à autre chose avec le triomphe de deux tragédies lyriques de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et Eurydice et Iphigénie en Aulide.

En ce milieu de siècle, un débat fort animé avait lieu au sujet des mérites comparés du léger et du tendre, du brillant et du pathétique, le premier qualificatif de chaque groupe de deux, étant associé à une musique galante et spirituelle qui avait les faveurs du public et le second à un genre musical, la tragédie lyrique, jugé démodée. A ce débat se greffait un autre entre la musique française et la musique transalpine dans lequel Mondonville devenait, on ne sait pourquoi, un chantre de cette dernière tandis que Rameau apparaissait comme le champion du style français. On pouvait regretter que ces grands musiciens fussent ainsi artificiellement confinés dans des cases alors que par exemple Rameau a souvent utilisé dans ses opéras des airs à l’italienne tandis que Mondonville était indiscutablement un brillant représentant de l’esprit français. C’est lui qui, dans le contexte de la Querelle des Bouffons, défendra les couleurs françaises avec Titon et l’Aurore (1753) (voir le compte-rendu) face à la Serva padrona de Pergolèse.

Une joute musicale oppose Clarice et Florine. Tandis que Clarice chante une pathétique mélodie française, Florine fait étalage de brillant dans un air chanté en italien ; Dorante les met d’accord dans un ouvrage qui conciliera le léger et le tendre. A l’acte I, sur le Parnasse, Momus évoque son penchant pour Thalie et signale celui d’Apollon déguisé en berger pour Licoris. Thalie demande à Momus de réfréner son ardeur. A l’acte II, Licoris, informée des desseins de son soupirant, pense aussi qu’ils sont prématurés. Le berger qui n’est autre qu’Apollon déguisé se plaint de l’indifférence de Licoris et pour la séduire se livre à une démonstration de chant en l’honneur des dieux de l’Olympe. A l’acte III, Momus déguisé en berger déclare sa flamme à Thalie travestie en bergère ; cette dernière lui répond favorablement. Persuadés d’avoir séduit un inconnu, les deux amants enlèvent leurs masques et se reconnaissent avec stupeur. Licoris ayant cru voir son berger lutiner Thalie, éprouve un cruel dépit qu’elle exprime à son amant en lui disant qu’elle s’apprêtait à lui céder. Momus met fin à l’imbroglio et la réponse du berger Apollon à la bergère Licoris est une déclaration d’amour. Deux unions sont alors célébrées au milieu des chants et des danses.

Nous avons du mal à trouver de l’intérêt dans l’évocation de cette bergerie du milieu du 18ème siècle. Louis Fuzelier était certes un habile versificateur et comme Mondonville avait la faveur des puissants de son temps parmi lesquels trônait Madame de Pompadour, « ministre du goût » à Versailles mais on ne peut s’empêcher de trouver l’argument du livret assez mince. Toutefois à la lecture de ce dernier, on est charmé par l’élégance du texte et les spirituelles réparties des personnages bien que certains codes nous échappent très probablement. Concernant la musique, on remarque ici une alternance d’ariettes à caractère populaire très courtes et d’airs tripartites de caractère italien, nettement plus longs avec da capo que l’on retrouvera plus tard dans Daphnis et Alcimadure (1754) (voir mon compte-rendu). Parmi les charmes de cette partition on notera la beauté des récits dont certains sont si richement accompagnés qu’on les confond facilement avec des airs.

Parmi les sommets, nous avons relevé dans le prologue, l’aria de Florine, Augelleti, chanté en italien avec da capo et coloratures, belle illustration du léger en réponse au tendre de Clarice. Un chœur féminin remarquable, richement accompagné de flûtes, intervient ensuite. Avec ses tambourins, petites flûtes et chants populaires, l’inspiration méridionale de Mondonville annonce avec un siècle d’avance l’Arlésienne de Georges Bizet (1838-1875). L’acte I est riche en airs et en duos. On remarque le duo de Momus et Thalie, Vous qui volez sans cesse, interrompu par un interlude orchestral brillant avec percussions et repris par le chœur dans une éclatante péroraison. L’air de Thalie, Loin de nos bois, est un rondeau dans lequel les couplets sont chantés successivement par un chœur féminin, les hautes-contre et pour finir le chœur tout entier. L’acte I se termine en beauté par une fugue jubilatoire, Que votre gloire vous ressemble, écrite pour le chœur. L’acte III est très différent car il contient surtout des récits expressifs et des dialogues entre Momus et Thalie et entre Licoris et Apollon. Le duo d’amour Licoris - Apollon qui suit, L’amour m’enflamme, est remarquable par son caractère passionné. Les deux amants chantent éperdument leur amour. L’opéra se termine par un air de Thalie spectaculaire et pétillant, Liberté charmante, accompagné par le chœur.

L’enregistrement présent, une première mondiale, a été effectué à la suite d’une représentation du Carnaval de Parnasse à l’Opéra Royal de Versailles dont notre confrère Bruno Maury a rédigé une chronique ; il s’agit d’une coproduction des institutions suivantes : Centre de Musique Baroque de Versailles, Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie et CAVEMA. Il porte le n° 22 dans la collection Opéras Français du label Château de Versailles Spectacles.

Momus, le dieu de la raillerie et des critiques moqueuses a pour interprète David Witczak. Ce dernier, spécialiste des rôles de « méchants », se voit confier un rôle plus aimable bien que Momus soit à l’occasion un dieu malfaisant. Ses interventions à l’acte I et surtout III sont remarquables et reflètent sa connaissance approfondie de ce répertoire et sa vaste culture musicale. Son plus bel air se trouve à l’acte I, Contre l’amour, cessez de vous défendre, dans lequel il courtise passionnément Thalie de sa superbe voix de baryton basse aux accents lyriques très séduisants.

Adrien Fournaison, baryton, jouait les rôles de Dorante, d’un suivant d’Euterpe, d’un suivant de Terpsichore. Le rôle est petit mais il dispose d’une superbe ariette, Amour, les dieux, la terre et l’onde, dans laquelle il se montre très convaincant avec sa voix au timbre chaleureux et sa diction exceptionnelle.

Mathias Vidal est un maître incontesté de l’opéra français. Comme toujours, il nous ravit par son engagement, l’expressivité de sa voix de haute-contre et sa culture musicale. A l’acte II, il entonne une vigoureuse chanson à boire, Chantons, chantons Bacchus, et son duo avec Licoris à l’acte III, L’amour m’enflamme, est une pure merveille.

Hasnaa Bennani est successivement Clarice, Euterpe, une suivante de Terpsichore et une vieille. Elle a à son actif de nombreux airs relativement développés parmi les plus remarquables du ballet héroïque. Un des plus beaux est indiscutablement l’air d’Euterpe, Chantez, dansez, amusez-vous. C’est un rondeau dans lequel la muse des musiciens chante le refrain tandis que le chœur et l’orchestre chante et joue respectivement les couplets. Hasnaa Bennani est une remarquable soprano au timbre velouté, à l’émission puissante et à la diction parfaite. Elle était également très à l’aise dans le bel air solennel, Mortels que le plaisir dispose de vos ans.

A Hélène Guilmette incombait le rôle de Licoris. La bergère Licoris intervient surtout à l’acte II en compagnie d’Apollon dans des récits et des duos très expressifs. La cantatrice québécoise chante au début de l’acte II, un bel air pastoral, D’un trait flatteur, de sa voix au timbre lumineux et à la musicalité raffinée, accompagnée par une flûte agile et un hautbois agreste.

Le rôle de Florine et de Thalie étaient attribués à Gwendoline Blondeel dont la typologie vocale de soprano colorature est parfaitement adaptée à ces rôles. Elle s’illustrait tout particulièrement dans deux airs aux deux extrémités de l’opéra. Au prologue Florine chante en italien l’aria Augelleti, aria avec da capo d’une voix très agile émaillée de jolies vocalises et de superbes couleurs. Mais le sommet du ballet héroïque se situe à la toute fin avec Liberté charmante, air très spectaculaire et développé accompagné par le chœur. La soprano nous régale de coloratures et de suraigus, d’un florilège de couleurs et de sons.

Exit l’ouverture à la française suivie d’une fugue qui était la marque de l’opéra français pendant des décennies ; l’aimable sinfonia qui ouvre le ballet ne garde de l’ancien temps qu’un prélude en rythmes pointés. Par contre un presto nerveux et radieux met en valeur les cordes merveilleuses et en particulier les dessus de violon à tomber de l’orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie. L’écoute des nombreuses danses qui émaillent le ballet héroïque, confirme l’excellence de tous les pupitres et en particulier de celui des bois qui les colorent délicieusement. Une percussion discrète mais efficace donne à cette musique un caractère ensoleillé rappelant les origines languedociennes de Mondonville.

Le Chœur de chambre de Namur met sa connaissance intime de la musique française baroque au service de ce ballet héroïque. Le fait que les voix de hautes-contre qui remplacent les voix féminines d’altos dans la musique française de l’époque, aient une tessiture moins haute que celle de ces dernières, est à l’origine du fameux creux français. Ce dernier a pour avantage de mettre les dessus sur un piédestal tandis que les hautes-contre apportent des couleurs qui leur sont propres. Tailles et basses puissantes complètent harmonieusement l’harmonie.

Alexis Kossenko dirige cet aréopage d’artistes d’une main qui ne tremble pas. Il infuse aux musiciens sa connaissance approfondie de ce répertoire. De ce fait, le flux musical s’écoule avec grâce et sans heurts. L’auditeur a la sensation délicieuse d’écouter la perfection technique d’un ensemble parfaitement au point et en même temps la fraîcheur et le naturel du premier jet. Chaque acteur, chanteur, orchestre, chœur est à la place qui lui revient, ni plus ni moins, pour la plus grande joie du mélomane.

Grâce à ce magnifique enregistrement, les œuvres lyriques de Mondonville commencent à être aussi bien connues que ses splendides grands motets.



Publié le 06 juin 2024 par Pierre Benveniste