Le Retour des Dieux sur la Terre & Le Caprice d’Érato - Colin de Blamont

Le Retour des Dieux sur la Terre & Le Caprice d’Érato - Colin de Blamont © Cleveland Museum of Art : Érato, muse de la poésie lyrique, par Charles Meynier - 1800
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Pour le bon plaisir du Bien-Aimé

Si l’univers du divertissement de cour du règne de Louis XIV est désormais mieux connu, grâce aux enregistrements des œuvres de Lully (La Grotte de Versailles, voir le compte-rendu), de Charpentier (Les Arts Florissants, voir le compte-rendu) ou encore de Desmarest (La Diane de Fontainebleau), celui relatif à l’ère du Bien-Aimé ne bénéficie pas du même éclairage. Le Soleil vainqueur des nuages, cantate de Clérambault célébrant la guérison du jeune Louis XV, parue en 1996, dans un album mémorable sous la direction de Marc Minkowski, semblait jusqu’à ce jour presque sans descendance, hormis une rare Égine, illustrant le répertoire des œuvres données pour le Théâtre des Petits Appartements (Coffret 200 ans de Musique à Versailles, 2007 avec Les Nouveaux Caractères de Sébastien d’Hérin). Et il aura donc fallu attendre un peu plus de quinze ans pour qu’apparaissent enfin en première mondiale ces deux œuvres d’une très grande qualité, signées à nouveau par François Colin de Blamont (l’album des Musiciens du Louvre comprenait pourtant déjà la cantate Didon de ce compositeur) . Si Le Retour des Dieux sur la Terre (1725) s’inscrit dans le cadre des festivités nuptiales de Louis XV et Marie Leszczynska (grande mélomane, à laquelle la cour de Versailles dut sa meilleure part de la musique produite et exécutée dans le cadre des Concerts de la Reine), Le Caprice d’Érato ou les Caractères de la Musique (1729) célèbre, avec peut-être plus de faste encore, la naissance du Dauphin, Louis de France, qui ne devint jamais roi mais en engendra trois. Ces deux divertissements, loin d’être anecdotiques ou limités à une simple musique de circonstance, éphémère par essence, s’affichent avec superbe, portés par deux partitions où Colin de Blamont démontre l’étendue de son art. Cet enregistrement, réalisé en 2021, paraît cependant après de remarquées et remarquables Fêtes Grecques et Romaines (1723) chroniquées, il y a peu (voir le compte-rendu), ces deux albums issus de la collection Château de Versailles Spectacles, permettant enfin de se faire une plus juste image de ce compositeur, serviteur inépuisable de la cour de Louis XV.

Pour mener à bien cet audacieux projet, s’associant les compétences du Centre de Musique baroque de Versailles, il a fallu d’abord compléter les partitions, qui nous sont parvenues dans une version réduite, comme nombre de productions de l’époque, où seuls le dessus et la basse figurent. C’est Benoît Dratwicki qui s’est attelé à cette tâche de reconstituer les parties intermédiaires manquantes (les partitions sont à venir sur le site de l’excellent Nicolas Sceaux, qui compte à son catalogue nombre d’œuvres majeures de cette période). Auteur d’une remarquable thèse sur le compositeur (voir le compte-rendude son ouvrage biographique), et très au fait des manières de de Blamont, on ne pouvait trouver meilleur artisan pour réécrire ces éléments. Outre cette contribution compositionnelle, Benoît Dratwicki signe une notice qui remet en perspective ces œuvres, tant au sujet de leur genèse que de leurs reprises dans les années qui suivirent leur création. L’autre acteur-clé de ce projet, c’est bien entendu l’excellent Alexis Kossenko, qui, opus après opus, explore, revisite et ranime bien des partitions avec une main ô combien heureuse (son Carnaval du Parnasse – voir le compte-rendu– comme ses Simphonies du Festin Royal – voir le compte-rendu – dans la même collection en apportent un témoignage éclatant). Toutefois, ce ne sont point ici ses Ambassadeurs/ La Grande Écurie qui parent ces pages de leurs coloris somptueux mais le Helsinki Baroque Orchestra. Certes, les effectifs en sont moins opulents mais ceux-ci ne manquent ni de fruité, ni de raffinement, sachant rendre parfaitement justice à deux partitions particulièrement chatoyantes sur le plan instrumental. Nous y reviendrons plus loin.

Les pages chorales offrent aux Chantres du Centre de musique baroque de Versailles l’opportunité de faire montre de leurs talents. Parfaitement préparés par le talentueux Fabien Armengaud, et alors qu’ils ne totalisent que dix-sept chanteurs, ceux-ci confèrent à chacune de leurs interventions puissance et vigueur, faisant de chaque chœur une petite fête en soi (Célébrons à jamais la présence d’Astrée, avec un art consommé des différents plans sonores ou encore les réjouissances galvanisantes de Que les échos des bois, que les champs d’alentour et de Qu’à l’envi tout réponde à vos accords divers). En formation réduite, le plaisir est analogue : on goûtera tout particulièrement l’excellence des pupitres féminins dans Minerve a la gloire, qui rappelle certaines pages d’Endymion (de Colin de Blamont également) dans le merveilleux album Nymphes de Virginie Thomas (voir le compte-rendu).

Au plan vocal, les solistes réunis endossent leurs rôles avec bonheur, l’affectation à chacun d’eux se révélant parfaite. Les similitudes de caractères entre les deux œuvres rendent évidents les liens entre le Retour des Dieux et le Caprice qui semble s’offrir comme une suite naturelle au premier divertissement. Ainsi Chantal Santon Jeffery campe tour à tour avec la même élégance La Nymphe de la Seine, l’Amour et une Érato d’une grande classe. Son entrée Quelle douce clarté dans le Retour des Dieux, dans un splendide écrin instrumental, s’avère particulièrement pénétrante. Plus loin, son dialogue avec le chœur est impressionnant. Sa palette expressive fait en plus merveille en muse, parvenant à illustrer tous ces caractères de la musique qu’Érato vante au gré de ses interventions dans le Caprice. Mais on retrouve également avec grand bonheur le timbre chaleureux et le style impeccable de Hasnaa Bennani qui incarne, et le mot n’est point excessif, Astrée, La Musique (La noble ardeur qui m’enflamme, d’une délicatesse extrême et d’un véritable enchantement) et une noble Junon (Qu’aux transports les plus doux), vocalisant à qui mieux mieux. Tout lui réussit. Marine Lafdal-Franc est Minerve dans chacun des divertissements, assurant avec superbe l’autorité qui sied au rôle sans surjouer pour autant (Nymphe, dans ces climats, reconnais la déesse). Quant à Jehanne Amzal, elle nous régale tout bonnement, qu’elle soit Bergère (irrésistible : Tout rit, tout enchante, ou l’alerte Sous cet épais feuillage, dont un motif annonce déjà la Folie de Platée !), délicieuse Poésie (Tu sais, Nymphe, que les destins) ou Élève d’Érato dans un air bachique particulièrement festif (Bacchus, ne tarde pas, viens nous saisir). Et comment ne point rendre les armes devant l’air Dans ce bocage où son dialogue avec le chœur donne envie d’entrer dans la danse !

Les rôles masculins sont tenus avec un même soin. Le délicat Clément Debieuvre chante tour à tour Un Habitant, Un Berger et Un Chasseur. On prend là aussi grand plaisir à savourer ses petits airs (Le Ciel nous présente), l’agreste L’Amour vole à la chasse ou encore le ravissant Jeunes cœurs, brûlez des ardeurs, qui parodie vocalement l’inoubliable air dansé de La Poésie. Enfin, David Witczak n’est désormais plus à présenter, excellant autant dans le répertoire sacré que dans les pages lyriques, il campe avec l’autorité naturelle qu’on lui connaît un Apollon plein de noblesse (rôle commun à nouveau aux deux œuvres), rendant un hommage royal (Au règne d’un grand roi) qui fleure bon le prologue d’opéra avec son programme De la célèbre Antiquité, Faites revivre les merveilles ou comme grand maître de cérémonie dans les festivités finales du Caprice (Pour votre souverain, redoublez votre zèle) et engageant le chœur à se réjouir dans Qu’à l’envi tout réponde à vos accords divers.

On l’aura compris, on aurait tort de considérer ces deux divertissements comme des œuvrettes dénuées d’intérêt. Outre deux livrets, qui, s’ils n’échappent pas aux conventions du genre, s’avèrent de qualité étant signés de Tanevot et Fuzelier, la musique règne sans partage offrant un nombre incroyable de pages tantôt attendrissantes, tantôt éblouissantes, qui justifient pleinement leur succès obtenu à l’époque. On se laissera ainsi prendre à coup sûr par l’air d’Astrée en chaconne (Nymphe n’en doute point). Le Tout rit tout enchante s’affirme comme instantanément mémorisable, le chœur reprenant le rondeau entonné par la Bergère avec un plaisir évident. Et si Le Retour des Dieux offre déjà une substance vraiment appréciable, Le Caprice d’Érato pousse encore plus loin le plaisir. On pense à La Muse de l’Opéra, cantate isolée de Clérambault (1716) qui aurait été étoffée par la multiplicité des personnages, des chœurs, des danses mais dont l’enjeu est assez semblable : démontrer avec métier confondant le « Pouvoir de la Musique » : pastorale, sommeil, bruits infernaux, chasse, triomphe sont abordés par une série de tableaux tous plus séduisants les uns que les autres. Colin de Blamont s’y révèle peut-être encore meilleur que dans ses Fêtes Grecques et Romaines, le « petit » format lui réussissant décidément très bien. Le charme mélodique est constant, que ce soit au plan vocal comme on l’a vu ou au plan orchestral. Le Caprice est ainsi introduit par une éblouissante ouverture (notamment dans son pétillant volet fugué). Plus loin, l’air Le Dieu de Cythère est introduit par des effets de musette délicieux et débouche ensuite sur un duo de bassons d’une saveur très prenante : Le Retour des Dieux avait ouvert la voie à pareil effet dans le Deuxième Air des Arts, empreint d’une douce et sombre mélancolie.

Commun aux deux œuvres, un génie de la danse s’exprime de façon récurrente réservant une foule de pages échappant justement à un caractère purement conventionnel. Dans Le Retour des Dieux, on relèvera ainsi la grâce des Airs pour les Bergers, la puissance d’une Gigue très enlevée, l’entrain d’alertes Rigaudons, un Menuet virevoltant (plage 17), une Sarabande d’une délicatesse déjà ramiste (quels dialogues entre les cordes et les flûtes !). Dans le Caprice, l’Air en rondeau (plage16) a un je-ne-sais-quoi du fameux Tambourin des Fêtes d’Hébé (Troisième Entrée la Danse, transcription de celui pour clavecin des Pièces de 1724). Et l’Air pour les oiseaux , faisant naturellement la part belle aux flûtes, a nécessairement dû marquer Rameau, qui s’en souviendra pour ses Indes Galantes (l’Air vif pour les Fleurs de la Fête Persane trahit une évidente parenté avec celui-ci). Les multiples Fanfares qui émaillent les deux partitions adoptent elles aussi toute une variété d’atmosphères, tantôt martiales, tantôt cynégétiques, ce qui n’était pas pour déplaire à un monarque dont on sait le goût immodéré pour ces Plaisirs de la Chasse auxquels Daquin et Dandrieu devaient rendre hommage dans leurs pièces de clavecin. Après avoir découvert avec un plaisir non dissimulé Les Fêtes Grecques et Romaines dans la même collection, on en réitérera les douceurs avec ces deux divertissements pour lesquels Alexis Kossenko et Benoît Dratwicki n’ont point ménagé leur peine, en s’affirmant comme dignes et louables successeurs des Menus-Plaisirs.



Publié le 02 oct. 2024 par Stefan Wandriesse