La Régence à Paris (1715-1723). L’aube des Lumières

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« La Régence est tout un siècle en huit années » (Jules Michelet)

Le 1er septembre 1715, en tout début de matinée, Louis XIV (1638-1715) meurt. Son héritier désigné est un enfant âgé de cinq ans et neuf mois, son arrière-petit-fils, le duc d’Anjou (1710-1774) devenu dauphin de France le 8 mars 1712, jour de son baptême. Il n’aurait pas dû succéder à son arrière-grand-père. Mais de 1710 à 1715, la mort frappe à plusieurs reprises la famille royale. Variole et rougeole pourprée sont à l’origine de ces décès. D’abord son grand-père, Louis de France (1661-1711), le Grand Dauphin. Puis son père, le duc de Bourgogne (1682-1712) surnommé le Petit Dauphin. A la mort de son frère aîné, le duc de Bretagne (1707-1712), le troisième fils du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), devient l’héritier du trône avec le titre de dauphin de Viennois. Il est âgé de deux ans. Malade, on craint longtemps pour sa santé mais il se remet, soigné par sa gouvernante, la duchesse de Ventadour (1654-1744). Elle le protège des abus de saignées qui ont vraisemblablement causé la mort de son frère. Ensuite, il est confié à Louis Auguste de Bourbon (1670-1736), duc du Maine, surintendant de son éducation, au cardinal  André-Hercule de Fleury (1653-1743), son précepteur, et au duc de Villeroy (1644-1730), son gouverneur.

A cause du trop jeune âge de l’héritier désigné et parce que le nouveau roi n’atteindra sa majorité qu’à son treizième anniversaire (1723), le royaume est dirigé par son grand-oncle Philippe II, duc d'Orléans (1674-1723), avec le titre de Régent de France. C’est à l’occasion du tricentenaire de sa mort (2 décembre 1723) que le musée Carnavalet-Histoire de Paris présente cette exposition.

Un mot sur le musée. Le bâtiment est construit, entre 1548 et 1560, par Pierre Lescot (1515-1578 ; on lui doit également la Cour carrée du Louvre). Il a été commandé pour le président du parlement de Paris, Jacques de Ligneris (1480-1556). Situé dans le 3ème arrondissement (quartier du Marais) au 23 de la rue de Sévigné, il présente des collections sur des thématiques variées (numismatique, peintures, sculptures, mobiliers, objets d’art, estampes, décors reconstitués,... et photographies pour une approche plus contemporaine). Il réunit l’hôtel de Carnavalet et l’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, les deux étant reliés par une galerie au premier étage. Un musée qui, depuis 2013, fait partie des quatorze musées de la ville de Paris. Cinq années de travaux, repensant la muséographie, ont été nécessaires avant sa réouverture au public en mai 2021.

Le parcours de l’exposition débute par une séquence chronologique et historique : le retour de la cour à Paris. Puis, interroge sur la Régence en elle-même : est-ce un nouveau régime ? Parle du « système de Law ». Evoque des transformations que connaît la ville. D’un nouvel art de vivre qui voit le jour : renaissance du théâtre, influence des salons littéraires, innovations dans le domaine de la peinture. Sans oublier la Régence « libertine » qui reste si présente dans la mémoire collective ! L’exposition s’achève avec le départ du roi pour Versailles et son sacre en la cathédrale de Reims. Deux évènements qui marquent la fin de la Régence.

Nous l’avons dit : cette période commence par la prise du pouvoir par Philippe, duc d’Orléans prince du sang, au détriment de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine (1670-1736) fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan (1640-1707). La cour s’agite. Le pouvoir se partage entre le nouveau Régent, la haute noblesse et les parlementaires. Un nouveau système de gouvernement se met en place, la polysynodie. Système de gouvernement dans lequel chaque ministre est remplacé par un conseil, le but étant d’écarter la bourgeoisie du pouvoir afin de rendre ce dernier totalement à la noblesse. Il sera dissout, le 24 septembre 1718. Et remplacé par des secrétaires d’Etat travaillant directement avec le prince. En même temps, la paix revient aux frontières et les conflits religieux s’apaisent.

Louis XV, l’enfant roi, nous accueille. La Princesse Palatine (1652-1722) disait de lui dans une de ses lettres datée du 18 novembre 1714 : « C’est un bel enfant. Il a de grands yeux très noirs, le visage rond, une jolie petite bouche. » Le portrait (1717) dû au pinceau d’Augustin-Oudart Justinat (1663-1743) confirme son propos ! Il est vêtu un habit d’apparat de brocart d’argent brodé d’or et enrichi de pierres précieuses. Coiffé d’un tricorne, chapeau à la mode. Et immédiatement identifiable grâce aux insignes royaux : le sceptre dans la main droite, la couronne (à demi cachée, posée sur un coussin bleu) et le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit qui lui barre la poitrine. L’index pointé de sa main gauche semble indiquer l’entrée de l’exposition !


Augustin-Oudart Justinat : Louis XV, 1717. Huile sur toile, 85 x 75,5 cm. Versailles, musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8562

Plusieurs estampes (eau-forte et burin). Pierre Gallays (1677-1749) représente Louis XIV et le dauphin en carrosse devant Versailles. Une façon d’évoquer la continuité dynastique entre le vieux roi et un très jeune enfant. Puis Nicolas Guérard (1648-1719) : Louis XV et Mme de Ventadour à Vincennes. Enfin Claude-Auguste Berey, dit Berey le Fils (1651-1732) : Vue générale du château de Vincennes, à une lieue de Paris. Une carte (voir photo) indique les deux itinéraires empruntés au départ de Versailles, en date du 9 septembre 1715. Celui du roi, cet après-midi-là, pour se rendre à Vincennes (de 14 h à 17 h) et celui du convoi funèbre de Louis XIV pour Saint-Denis (de 19 h à 5 h le lendemain matin).


Double itinéraire du 9 septembre 1715

Autre estampe d’un auteur anonyme : Entrée de Louis XV à Paris par la porte Saint-Antoine. Puis une huile sur toile de Louis-Michel Dumesnil (1663-1739) : Lit de justice de Louis XV, le 12 septembre 1715. Une séance solennelle du parlement de Paris qui installe la régence de Philippe d’Orléans. Le roi est assis au fond à droite, sa gouvernante à ses côtés. Précisons qu’elle est la seule femme présente dans cette assistance !

Tableau « complété » par une gouache de Pierre-Denis Martin (1663-1742) : Sortie du lit de justice, le 12 septembre 1715. Le Parlement se tient dans un palais sis dans l’île de la Cité (actuel Palais de Justice), appuyé à la Sainte-Chapelle que nous voyons ici. Un grand escalier, le « grand degré », permettait d’accéder à la grande chambre du Parlement. La foule se tient au pied de celui-ci et acclame le roi qui est porté par le Grand Ecuyer de France. Le 30 décembre de la même année, le roi quitte Vincennes pour s’installer au Palais des Tuileries.

Louis XV est instruit dans les domaines de l’histoire et de la politique, de la géographie et de la botanique. Il reçoit également des cours de danse, de dessin, d’équitation ainsi que de tactique militaire. Sont exposés : une Mappemonde à l’usage du Roy (1720, estampe aquarellée) et un Globe terrestre mécanique (1700, bois, papier, cuivre, laiton, carton et acier) de Guillaume Delisle (1675-1726). Un ouvrage (1718) concernant les Cours des principaux fleuves et rivières de l’Europe, composé et imprimé par Louis XV, roi de France et de Navarre.

Le Régent est attentif à l’éducation du jeune roi qui est décrit « comme un enfant vif, brillant, avide d’acquisitions, sans doute surdoué selon les critères actuels » (Pascale Mormiche, in catalogue). Une huile sur cuivre (vers 1716) d’un auteur anonyme : Louis XV recevant une leçon en présence du Régent. Elle a été soustraite à un ensemble de quatre panneaux d’un tableau dit « mécanique ». Nous avions découvert celui-ci lors de l’exposition Louis XV, Passions d’un roi (voir notre chronique).


Anonyme : Louis XV recevant une leçon en présence du Régent, vers 1716. Huile sur cuivre, 23,5 x 23,5 cm. Paris, musée Carnavalet, P631

Dans le même domaine une rare représentation du Régent et son fils dans son cabinet de travail, devant les portraits de Louis XIV et Louis XV en buste. Scène peinte dans un décor appartenant au tournant du siècle (une grande cheminée, bibliothèque et bureau en marqueterie, tenture à ramages où sont accrochés des tableaux,…).

Actes politiques, actes de représentation font partie de la fonction royale. De Louis de Boullogne (1654-1733) une huile sur toile (1716) Louis XV octroyant des lettres de noblesse au corps de la ville de Paris. Par là même le Régent « achète » ce que nous qualifions de nos jours de « paix sociale » ! Louis XV, vêtu de blanc, occupe le centre du tableau, assis sur un fauteuil, les jambes reposant sur un coussin de velours rouge. Le Régent se tient debout derrière lui, s’appuyant sur le dossier du fauteuil. Les échevins, une main sur la poitrine, vêtus de rouge cramoisi, s’agenouillent devant le roi. Ils portent encore la perruque louis-quatorzième.

En matière de diplomatie, ce sera la visite du tsar Pierre Ier le Grand (1672- 1725) en 1717 (voir notre chronique). Un allié dont on se méfie quelque peu mais qui est reçu avec faste. En témoigne l’estampe, Réception de Pierre le Grand figurant sur l’Almanach pour l’année 1718 (Gérard Jollain 1638-1724, éditeur et graveur). 1721, une ambassade de l’empire ottoman est reçue. Pierre-Denis Martin (1663-1742) peint la Sortie de l’ambassadeur de la Sublime Porte, Mehemet-Effendi, de l’audience accordée par le roi, le 21 mars 1721. « Arrivant de Constantinople, ville basse et pour l’essentiel en bois (il) s’étonne des maisons de pierre parisiennes, de leurs nombreuses fenêtres donnant sur la rue » (Thierry Sarmant, in catalogue).

Si la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) permet d’installer un monarque français sur le trône espagnol, elle laisse la France aux abois. L’abbé Dubois (1656-1723), conseiller du Régent, oriente la France vers une alliance anglaise, hollandaise et germanique (la Triple-Alliance signée à La Haye le 4 janvier 1717). Néanmoins, annonce est faite des fiançailles du roi avec l’infante d’Espagne, en signe de la réconciliation entre les deux pays. De Nicolas de Larguillière (1656-1746), Allégorie des fiançailles de Louis XV et de l’infante d’Espagne (1722). Esquisse pour un tableau aujourd’hui perdu. Le roi siège sur son trône. Entouré de trois grâces. Le Régent, guidé par la déesse de la sagesse, Minerve, tient entre ses mains le portrait de la fiancée. Au premier plan, les échevins parisiens à l’origine de la commande. En gage de paix entre les deux royaumes a lieu un échange de princesses ! La jeune Marie-Anne Victoire (1718-1781) est envoyée en France et la fille du Régent, Louise-Elisabeth d’Orléans, dite Mademoiselle de Montpensier (1709-1742) en Espagne, afin d’épouser l’héritier du trône. La jeune princesse espagnole n’ayant que trois ans sera élevée à la cour qui lui donnera le surnom de « infante-reine ». Louis XV se désintéresse de sa fiancée. Il est de santé fragile. Aussi décide-t-on, en 1725, de rompre les fiançailles et de renvoyer la jeune princesse (âgée de sept ans) en Espagne en même temps que sont annoncées les noces du roi avec Marie Leszczynska (1703-1768), vingt-deux ans, fille du roi de Pologne en exil.

Sont exposés dans cette première salle, deux bustes. Un marbre d’Antoine Coysevox (1640-1720), Louis XV à neuf ans. Un roi moins enfantin, moins joufflu que celui du buste à l’âge de six ans. Lèvres entrouvertes. De Jean-Louis Lemoyne (1665-1755), Philippe d’Orléans, régent du royaume. Ce dernier est exposé devant la généalogie royale, le fond bleu faisant ressortir sa prestance ! Notons que les portraits sculptés du régent sont peu nombreux et peu diffusés. Ici aucun insigne pour marquer sa fonction, hormis l’armure.


Antoine Coysevox : Louis XV à neuf ans, 1719. Marbre, 65 x 49,7 x 17 cm. Versailles, musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, MV 2118


Jean-Louis Lemoyne : Philippe d’Orléans, régent du royaume, 1715. Marbre, 87 x 74 x 38 cm. Versailles, musée national Des Châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1901

Mais quel est ce brouhaha ? Il provient de la seconde salle. Les murs font découvrir la foule parisienne, images extraites d’estampes présentées ici (voir photo). Mais encore ? Placé en hauteur, un écran diffuse la célèbre scène du film Le Bossu (1997) où le chevalier Henri de Lagardère (joué par Daniel Auteuil), grimé en bossu, harangue la foule pour qu’elle signe, sur sa bosse sensée porter bonheur, les billets à ordres et autres actions au porteur.


Vue de la salle

De fait, sont exposées diverses estampes en rapport avec le « système de Law ». A gauche, en entrant, la Rue Quinquempoix en l’année 1720 (cette rue est le lieu des transactions) et l’Agiotage (spéculation malhonnête ou illicite sur les cours de la bourse) dans le jardin de l’hôtel de Soissons d’Antoine Humbolt (16 ??-1758). Ou encore la Chute des actionnaires (auteur anonyme).

Revenons sur ce système qui s’est emballé pour finalement s’effondrer en 1720. Nous l’avons dit, sur plan économique, la guerre de succession d’Espagne a épuisé le royaume. Le Régent souhaite restaurer les finances mises à mal par les nombreuses guerres menées par Louis XIV. 1716. Il tente une politique de rigueur en réévaluant la monnaie. Le nouveau louis d’or, dit de Noailles, est sensé rétablir la confiance. L’écossais John Law (1671-1729) le convainc de regrouper les compagnies de commerce et d’établir un système fondé sur la circulation de papier-monnaie. Une estampe des graveurs néerlandais Léonard Schenk (1696-1767) et Peter Schenk (1693-1775) le montre en habit de contrôleur général des Finances, un billet de banque à la main. Est exposé un Billet de dix livres tournois (1720, impression typographique et inscriptions manuscrites). Law crée la Banque générale dont le capital est en partie payable en titres d’Etat. L’émission de ces actions permet de convertir les anciennes rentes de l’Etat et de les liquider. Ainsi le niveau de la dette publique baisse ! Manifestement la banque procède à une émission excessive de billets, émission que les réserves d’or et d’argent ne peuvent couvrir. S’ensuit rapidement une spéculation effrénée qui aboutit à l’effondrement du système. Néanmoins, l’Etat a réussi à se désendetter. Law crée également la Compagnie des Indes, association de diverses compagnies coloniales. Le commerce avec les « îles à sucre » (Antilles) connaît un bel essor.

Spéculation financière et criminalité violente. Goût pour l’argent facile qui induit vols et violences dans les rues parisiennes. Violences qui voient apparaître divers personnages profitant de la situation. Parmi eux, le duc de La Force (1675-1726), Antoine-Joseph Horn (1698-1720) et Louis-Dominique Cartouche (1693-1721). Si La Force fait trafic de marchandises en temps de pénurie, si Horn tue un agioteur, Cartouche est « désigné par la propagande royale comme le nouveau chef de la cour des Miracles parisienne et le meneur d’une troupe de cinq à six cents hommes » (catalogue). Une estampe dont l’auteur est anonyme présente Le Véritable portrait de Cartouche. Dans une vitrine, son arrêt de mort (un imprimé In-4°) ainsi qu’un extrait du manuscrit Mémoire sur Louis-Dominique Cartouche (1721).

Pour être près du roi, il faut se loger à Paris ! La noblesse construit ou réaménage nombre d’hôtels particuliers. Certains existent encore de nos jours. Tel l’hôtel de Matignon. Ou l’hôtel d’Evreux, actuel palais de l’Elysée. Deux quartiers sont propices à la création de cette architecture privée, les faubourgs Saint-Honoré et Saint-Germain. En parallèle avec le déclin du Marais. Une cartographie interactive permet de découvrir les bâtiments majeurs construits à cette époque. Des architectes y sont associés : Jean-Michel Chevotet (1698-1772) dont nous admirons une série de dessins, principalement des élévations de façades. Celle du Côté de la cour de l’hôtel du Maine (1723), celle Sur cour de l’hôtel d’Évreux (1722) ou celle Sur rue de l’hôtel Matignon (1724). De Gilles-Marie Oppenord (1672-1742), le Plan du salon à l’italienne du Palais-Royal (1717), le Régent lui ayant demandé de remodeler et moderniser ce palais, notamment au niveau des appartements.

Peu de chantiers importants dans la ville elle-même hormis la construction de nouvelles fontaines. De Robert Cotte (1656-1735), l’Elévation de la nouvelle pompe de la Samaritaine. Il s’agit d’un édifice construit sur le Pont Neuf afin de prélever les eaux de la Seine et alimenter ainsi les résidences royales du Louvre et des Tuileries. (Elle doit son nom à une sculpture représentant l’épisode biblique de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine). L’axe des Champs-Elysées est réaménagé avec la construction d’un pont tournant au bout du jardin des Tuileries. Une petite toile de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) : le Petit-Pont après l’incendie de 1718 (27 avril). Les maisons qui le couvraient et celles débordant sur l’eau sont détruites lors de cet incendie. La reconstruction du Petit-Pont est ordonnée par arrêt du 5 septembre suivant. Il est rebâtit en pierre, mais sans les maisons.

Deux petits films présentent, pour le premier, un extrait (2022) de l’histoire du décor disparu de la Galerie d’Enée au Palais-Royal, réalisé par Antoine Coypel (1661-1722 ; voir notre chronique). Pour le second, celui d’un film (2018) intitulé Le Destin d’un enfant de France. Il s’intéresse à la Galerie dorée de l’hôtel de Toulouse (siège actuel de la Banque de France). Un riche décor de boiseries réalisées par le sculpteur François-Antoine Vassé (1681-1736), sous la direction de Robert de Cotte. Pour Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1739), grand amiral de France, dernier fils légitimé de Louis XIV.

Ce renouvellement urbain ira de pair avec le renouveau des arts décoratifs. Ornements nouveaux. Formes nouvelles. Un « style Régence » qui pose les fondements du style dit « rocaille » voire « rococo ». L’effervescence immobilière induit également une hausse de la consommation de produits de luxe. Les objets d’art venus, parfois d’Asie, sont fort prisés. Des boutiques ont pignon sur rue. La corporation des marchands merciers regroupe différents corps de métier rivalisant dans l’excellence (voir notre chronique).

« La recherche du confort contribue à faire évoluer l’ameublement. La silhouette des sièges, tables-consoles, bureaux ou bibliothèques s’affranchit de la rigueur austère du siècle précédent pour s’animer de courbes et contrecourbes » (dossier de presse). Outre les lignes courbes apparaissent des motifs inspirés de la nature (feuilles, fleurs, coquillages,…). Ainsi de précieuses arabesques ornent la Chaise à porteurs aux armes d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans duchesse de Lorraine (anonyme, 1710/20 ; bois doré, sculpté et peint, cuir et tissu façonné). Conservée à l’intérieur, la chaise à porteur participe au décor du vestibule et renseigne sur le rang des occupants de la maison. Lorsqu’elle est utilisée dehors, elle est protégée par un toit clouté imperméabilisé grâce à des panneaux de vernis Martin.


Chaise à porteur aux armes d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans, duchesse de Lorraine et boiseries de l’hôtel Peyrenc de Moras

Une huile sur toile (1722) d’Alexis-Simon Belle (1674-1734) : Portrait présumé d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans, duchesse de Lorraine (1676-1744), et de son fils. Toute vêtue de rouge, la sœur du Régent est assise tenant un éventail fermé de sa main gauche. A ses côtés, debout, son fils (sans doute Léopold-Clément son aîné), vêtu de velours bleu et brocart, la désigne. Ni le rang princier des personnages, ni la présence d’éléments iconographiques attestant du duché de Lorraine ne permettent de certifier de l’exactitude de cette attribution. Ce qui n’est pas le cas du Miroir de toilette de la duchesse de Lorraine (bronze doré, 1718) de Nicolas Besnier (1686-1754). En effet, le profil de la duchesse apparaît à la base du cadre de ce miroir. Miroir qui fait partie du rituel public de la toilette. Ainsi que la couronne sommitale, issue de l'héraldique officielle. Restons dans ce domaine avec le Flacon à parfum de la toilette de la duchesse de Modène (vers 1717/24, vermeil). Charlotte-Aglaé d’Orléans, Mademoiselle de Valois (1700-1761), duchesse de Modène, est l’une des filles du Régent.

Un Fauteuil à la Reine (vers 1710/20, bois doré, cuir brodé, bambou, corne, ivoire et écaille). Il allie classicisme, voire austérité, du « style Louis XIV » en même temps que nouveauté, apportant, plus de confort tout en renouvelant l’ornementation. Il fait partie d’un ensemble réalisé pour Pierre Crozat (1661-1740), financier proche du Régent, mécène soutenant des artistes comme Antoine Watteau (1684-1741) ou Rosalba Carriera (1675-1757).

Au mur, deux Panneaux de boiserie de l’hôtel Peyrenc de Moras (sis place Vendôme) : Le Turc amoureux et La Pèlerine (vers 1724). En chêne sculpté, ils sont peints et dorés. Ayant pour sculpteur Jules Degouillons (1671-1737), pour peintre Nicolas Lancret (1690-1743) et pour peintre ornemaniste (il reproduit à l'identique, invente, dessine et réalise des ornements qui vont de la décoration en architecture à l'embellissement de décors ou encore d'objets) Claude III Audran (1658-1734). Finesse des détails dans un ensemble aéré où dominent les arabesques. Boiseries délicatement sculptées et peintes. Au centre du panneau, sous un treillis, une scène autonome représentant un personnage : le Turc, vu de face, habillé dans une chromatique rouge ; la Pèlerine, vue de dos, dans une tonalité bleutée. (voir photo plus haut).

« Philippe d’Orléans à titre privé, commande à la Manufacture des Gobelins une tenture de quatre tapisseries : elles reprennent quatre des scènes principales du cycle, placées en motifs centraux, quatre saynètes secondaires les complétant aux angles » (José de Los Llanos, catalogue). Le cycle dont il est question est une série, aujourd’hui disparue, de vingt-cinq petits tableaux de la main même du Régent. Tableaux illustrant le roman pastoral Daphnis et Chloé. Un récit d’initiation érotique du poète grec Longus, datant du IIème ou IIIème siècle de notre ère. Un grand médaillon entoure la scène principale. Les scènes secondaires sont entrecoupées de trophées pastoraux (instruments de musique, rubans et fleurs). Le sujet de la scène est indiqué sous le médaillon central : Les Naissances, Les vendanges, Daphnis et les chèvres, Les Noces. Ces deux dernières tentures sont accrochées au mur.

Une Console aux chimères (vers 1720) attribuée à François Roumier (16 ?-1748 ; chêne sculpté doré et marbre de Sarrancolin), Les tables-consoles sont destinées à prolonger les ornements muraux. « Réalisées dans la continuité stylistique des boiseries, elles sont souvent réalisées par un même atelier de sculpteurs sur bois » (Connaissance des arts, hors-série 1053). Des corps de serpents à tête de chien, au regard menaçant, s’entortillent autour des quatre pieds. Au-dessus, un Baromètre et un Thermomètre. A la fois objets scientifiques et objets d’art. Modèles uniques, tous deux ont été réalisés pour le comte de Toulouse par André-Charles Boulle (1642-1732) sur des dessins d’Oppenord. Le comte de Toulouse est amiral de France, ce qui explique les motifs marins (ancre, coquilles, homard) de leur décoration.


Baromètre et thermomètre du comte de Toulouse ; console aux chimères, fauteuil à la reine et panneau de la tenture Daphnis et Choé

De ces deux artistes ainsi que de l’horloger Jacques Thuret (1669-1738), Pendule d’Hercule et Atlas (vers 1712, bois, bronze, émail, étain, laiton et écaille de tortue). Un piédestal triangulaire qui contenait, à l’origine, un baromètre dont il ne reste plus que le cadran. Le globe céleste (fond bleu semé d’étoiles et un soleil stylisé), surmonté d’une victoire, indique l’heure et les phases de la lune. Hercule est sur le point de le soutenir. Il vient de demander, en échange, à Atlas de ramasser les pommes d’or du jardin des Hespérides.

Toujours dans le domaine des arts décoratifs, divers dessins d’étude d’ornement. Deux dessins de Nicolas Pineau (1684-1754) : Projets de bras de lumière et de consoles d’applique (vers 1708, crayon noir et sanguine), Nouveaux dessins de pieds de tables, vases et consoles (1708/09, estampe).

Dans une vitrine, le Coffret nécessaire à thé du Régent, Philippe d’Orléans (1717/22, anonyme). Un luxueux coffret, pour deux personnes, en bois de violette et d’acajou, bronze doré et garniture de velours bleu à galon doré. Finesse de la porcelaine blanche (Chine) au décor en relief (minuscule clous d’or). Sucrier surmonté d’un couvercle de porcelaine tendre (Europe). Flacon en cristal. Deux cuillères et une boîte à thé en or ciselé. Le Régent s’intéresse à la porcelaine et renouvelle le privilège royal de la Manufacture de Saint-Cloud. Une production parisienne autonome voit le jour. Diverses pièces sont exposées : tasse et soucoupe, salière, gobelet, pot à pommade avec son couvercle. Un pot de chambre : remarquons la frise de grotesques !

Enfin une curiosité : le Four d’alchimiste du Régent (avant 1723). En terre chamottée (argile à laquelle on a rajouté de la chamotte, c'est à dire des fragments issus d’argile broyée et déjà cuite) et estampée (fleurs de lys). Philippe a transformé tout un appartement du Palais-Royal en laboratoire ! Où il souffle, également, le verre et compose des parfums. Pour ses expériences de potier, il est aidé par un chimiste, Homberg (saxon né à Jakarta).


Four d’alchimiste du Régent, av.1723. Terre chamottée, 70 x 52 x 47 cm. Sèvres, Manufacture et Musées nationaux, inv.8576

Ceci nous amène à la section suivante où nous découvrons un homme éclairé, curieux de tout, un prince artiste ! Nous l’avons dit, il peint. Peinture apprise auprès d’Antoine Coypel. Est exposée une Etude de figure portant la mention « Dessiné et donné par Son Altesse Royale Monseigneur le Duc d’Orléans à Jacques-Antoine Arlaud à Marly le lundi 6eme de novembre 1713 ». Le destinataire de ce pastel, Jacques-Antoine Arlaud (1668-1743) est suisse, peintre et professeur en miniature du Régent. Il s’agit ici une figure d’étude sur fond vert. La tête d’un jeune homme rejetée vers l’arrière, cheveux négligés, regardant vers le haut, la bouche ouverte. Chose inhabituelle, nous voyons ses dents.

Philippe est également un musicien accomplit. A la fois violiste, flûtiste et claveciniste. Mais également compositeur. Les opéras qu’il écrit sont riches en partitions instrumentales, voire danses en tout genre. Ainsi Penthée (1705) dont est exposée la première page manuscrite. Egalement une Viole de gambe ainsi qu’une Flûte traversière, datant du début du XVIIIème siècle. Un fond musical nous accompagne : un extrait – Ah Belle Armide – de La Jérusalem Délivrée de Philippe d’Orléans (oublié jusqu’à nos jours, un disque, enregistré sous le label Château de Versailles Spectacles, est à paraître en mai 2024). De Charles-Hubert Gervais (1671-1744), un extrait d’Hypermnestre (1717), la Passacaille. Du même compositeur, un recueil de motets manuscrits, relié aux armes du Régent, De Profondis clamavi ad te Domine. D’André Bouys (1656-1740), une huile sur toile, Réunion de musiciens (vers 1710). L’identité des musiciens fait débat sauf en ce qui concerne le personnage debout, coiffé une perruque foncée  qui tient une partition portant son nom : le compositeur et flûtiste Michel de La Barre (1675-1745). Les musiciens sont réunis, dans un décor à l’antique autour d’une table. Tonalité chromatique de bruns. En arrière-plan, la trouée du ciel et quelques frondaisons.


André Bouys : Réunion de musiciens, vers 1710. Huile sur toile, 117,5 x 89 cm. Dijon, musée des Beaux-Arts, CA 577

Plusieurs portraits du Régent. Dont celui peint par Jean-Baptiste Santerre (1651-1740) Philippe d’Orléans, régent du Royaume, et Marie-Madeleine de La Vieuville, comtesse de Parabère (1715).Cette toile est considérée comme son tableau officiel. Il est représenté en chef de guerre et porte l’armure d’apparat. Main gauche posée sur l’orbe (globe) fleurdelisée. Main droite tenant un gouvernail. A ses côté Minerve, déesse de la sagesse. Elle est représentée sous les traits de Madame de Parabère (1693-1755), sa maîtresse en titre.


Jean-Baptiste Santerre : Philippe d’Orléans, régent du Royaume, et Marie-Madeleine de La Vieuville, comtesse de Parabère, 1715. Huile sur toile, 248 x 162 cm. Versailles, musée national Des Châteaux de Versailles et de Trianon, MV 3701

Philippe devenu régent n’a plus le loisir de pratiquer lui-même la peinture ni les autres arts. Il n’en reste pas moins protecteur des arts, des lettres et des idées nouvelles auxquels il donne un nouveau souffle. La cour vit éparpillée dans Paris. Chacun veut y tenir son rang. La mode des salons (réunions mondaines tenues à jours et à heures fixes) connaît un nouvel essor. Littérature, politique sont au centre des discussions, parfois en écoutant de la musique. Femmes et hommes d’esprit s’y retrouvent. Le tableau de Jacques Autreau 1657-1745), Mme de Tencin servant le chocolat chaud à Fontenelle, La Motte et Saurin en est un exemple. Le salon de la marquise de Lambert (1637-1733), et ses célèbres « mardis », est le plus réputé sur la place parisienne. Bienséance et bon goût y sont à l’honneur. Est exposé son portrait peint par Largillière. Drapé sur la poitrine, retenu par une broche. Moiré mordoré de l’étoffe intérieure de son vêtement bleu. Coiffure au goût du jour. Visage éclairé par un sourire presque moqueur (Nota : Madame de Lambert est aussi une femme de lettres, autrice de plusieurs écrits féminins dont l’Avis d’une mère à son fils et à sa fille (1728) présenté ici).

Voltaire (1694-1778) « cherche sa voie dans ces salons contestataires » (dossier de presse). Ayant colporté des rumeurs contre le Régent, il est embastillé en 1717. A sa sortie, il connaît le triomphe avec Œdipe, première tragédie jouée à la Comédie-Française. Sont exposés la Lettre de libération (4 avril 1718) de François-Marie Arouet. Le portrait peint, vers 1724, par Nicolas de Largillière (1656-1746). Coiffé d'une perruque. Vêtu d’un gilet rouge mordoré au jabot de fine dentelle et d’un habit orné de larges boutons. Léger sourire aux coins des lèvres, il regarde le visiteur. En 1721, Montesquieu (1689-1755) fait publier, à Amsterdam, les Lettres persanes. Interdit par la censure, cet ouvrage n’en connaît pas moins un grand succès. Les deux protagonistes se moquant des mœurs de la société parisienne. Mais la nécessité de la vertu comme fondement de la vie sociale et ressort du meilleur gouvernement est mise en avant. Une œuvre exprimant les principales revendications des Lumières.

Cercles privés où l’on joue également. Dés, cartes, échecs, billards. De Jean-Baptiste Siméon Chardin (1669-1779) La Partie de billard (vers 1725). Un jeu typiquement aristocratique qui se popularise, à cette époque, dans les cafés. Œuvre de jeunesse atypique. Un petit tableau, probablement une étude préparatoire. Son père est un artisan fabricant de billard (billardier) installé rue Princesse. Une grande table de billard où s’affrontent deux joueurs : celui de droite, vêtu de blanc, s’apprête à pointer. A gauche, son adversaire, vêtu de rouge, patiente en tendant son verre à un serviteur. Le tout devant nombre de spectateurs.


Jean-Baptiste Siméon Chardin : La Partie de billard. Huile sur toile, 55 x 82,5 cm. Paris, Musée Carnavalet, P.2081

Le portrait du Marquis d’Artaguiette en buveur (1720) d’Alexis Grimou (1678-1733) n’est pas sans évoquer les peintures hollandaises du XVIIème siècle. Une façon de représenter les fêtes de la Régence ! Le marquis est à ce moment-là directeur de la Compagnie d’Occident (qui a lancé l'exploitation du très important gisement des Mines de plomb du sud du Missouri). Tonalités de brun et ocre. Le marquis est assis à table, un verre vide dans sa main gauche. De la droite, il lève un flacon de vin qu’il regarde presqu’amoureusement ! Il va se servir. Ses yeux humides pétillent d’aise. Remarquons la petite touche blanche dans le coin de ceux-ci. Sa bouche s’entrouvre avec volupté. Sur la table un morceau de pain ainsi qu’une assiette avec un morceau de (?).


Alexis Grimou : Marquis d’Artaguiette en buveur, 1720. Huile sur toile, 130,5 x 98,4 cm. Niort, service des Musées de la communauté d’agglomération du Niortais, inv.842.1.1

C’est l’occasion ici de dire un mot de la Régence libertine. Car finalement, la mémoire collective, nous l’avons dit, associe Régence et débauche. Le Régent est libre penseur, impie à l’occasion et libertin. Il donne l’exemple par ses excès. Il est alors question des fameux « petits soupers » donnés au Palais-Royal. Ou des bals masqués. Le Régent et sa fille, la duchesse de Berry (1695-1719) y cherchent volontiers l’aventure ! Pour le carnaval de 1716, un bal masqué est ouvert au public moyennant le paiement d’un « droit d’entrée » d’un écu. Une imagerie érotique se développe. Des commandes auxquelles répondent les peintres. Commandes généralement destinées à la sphère privée. De Jean Raoux (1677-1734), L’Offrande à Priape (1720). Une œuvre caractéristique du « petit goût ». Une vision érotisée de l’Antiquité. Une cérémonie païenne au cours de laquelle une prêtresse âgée conduit une jeune mariée devant la statue de Priape, le dieu de la fécondité. Elle l’invite à lui offrir le sacrifice rituel, s’asseoir sur le sexe de la sculpture du dieu. Sexe caché par une guirlande de fleurs. Geste sensé assurer la fertilité du jeune couple. La jeune mariée, couronnée de marjolaine (fleur de l’hyménée) cherche à couvrir sa poitrine dans un geste de pudeur. Expression inquiète de son visage qui s’oppose au regard malicieux de la prêtresse ! En arrière-plan, le marié attend allongé sur un lit. Des esclaves lui servent à boire. Raffinement des coloris dans une tonalité de gris-violet avec des éclats d’orange, de jaune.

1er octobre 1715, les spectacles ont l’autorisation de reprendre. Une véritable renaissance surtout pour la comédie italienne interdite depuis 1697. La commedia dell’arte, très appréciée des Parisiens, se joue parfois en extérieur, en pleine rue. La salle de spectacle des Tuileries, fermée depuis 1682, rouvre en 1721. Celle de l’hôtel de Bourgogne est rénovée. Marivaux (1688-1763) y crée ses premières pièces. Avec succès ! Six des salles de spectacles sont indiquées sur un plan de Paris.

De Jean-Baptiste Oudry, Comédiens italiens dans un parc (signé et daté : « oudri/1719 »). A cette époque, Oudry fréquente volontiers le monde du théâtre où il travaille occasionnellement comme décorateur. Une peinture dans un registre léger. Une troupe pose dans un paysage apparenté à un décor de théâtre, un décor à l’antique. Arlequin esquisse un pas de danse. Pierrot semble vouloir laisser la place à Colombine qui, assise sur le sol, manie son éventail. Elle tient un petit chien sur ses genoux. Au-dessus d’elle, un magnifique perroquet rouge observe la scène. Charles-Antoine Coypel (1694-1752) est ce que nous nommons un « artiste polyvalent » : peintre mais aussi auteur dramatique ! Louis XV danse, en 1720 aux Tuileries, un ballet extrait des Folies de Cardenio dont il a écrit le livret. Sujet tiré du Don Quichotte de Cervantès (1547-1616). Issu de ce même ouvrage, Don Quichotte protège Basile qui épouse Quitterie par une ruse d’amour (1716), Une huile sur toile qui fait partie d’un ensemble de cartons pour une tenture tissée par la Manufacture des Gobelins.


Charles-Antoine Coypel : Don Quichotte protège Basile qui épouse Quitterie par une ruse d’amour, 1716. Huile sur toile, 120 x 127 cm. Compiègne, musée national du château de Compiègne, dépôt du musée du Louvre, inv.3565

Un pastel sur papier (1723) : Adrienne Lecouvreur, de la Comédie-Française, dans le rôle de Cornélie. En buste et de face. Elle tient l’urne cinéraire de son époux défunt, Pompé (acte V, scène 1 de la tragédie La Mort de Pompé de Pierre Corneille). Le fond bleu (qui forme comme une auréole autour de sa tête) fait ressortir l’habit noir de veuve, les boucles grises de la chevelure. (Nota : Adrienne Lecouvreur (1692-1730) innove en renonçant à la diction chantante, traditionnelle dans la tragédie, pour adopter une déclamation simple et naturelle. Autres nouveautés : un jeu de scène épuré, le refus de costumes et colifichets trop extravagants).

Début du XVIIIème siècle, les grandes commandes royales s’amenuisent du fait de l’état déplorable des finances. Les dernières sont celles concernant le Dôme des Invalides ou la voûte de la chapelle de Versailles. Nous pouvons y associer le décor de la Galerie d’Enée du Palais-Royal, bien que cette dernière soit d’ordre privé. Désormais, ce sont ces commandes privées qui vont animer la scène artistique. « L’époque inaugure ainsi le mélange des genres, entre peintures d’histoire, portraits de groupe, portraits de fantaisie et scènes de genre » (Connaissance des Arts, HS 1053). Le Régent fait venir la vénitienne et pastelliste Rosalba Carriera qui intègre l’Académie royale de peinture en 1720. Elle fait découvrir ce medium qui permet une liberté de trait pour traduire les expressions. Grâce à Pierre Crozat qui l’héberge et l’introduit dans les cercles mondains, le portrait au pastel connaît une heure de gloire. (voir nos chroniques Pastels du Louvre et Pastels, entre ligne et couleur).

« Du tableau de chevalet, le portrait devient également portatif ; la terre cuite et le marbre pour les traits sculptés se croisent avec des techniques graphiques nouvelles tels le pastel ou la miniature sur ivoire (…) Le portrait individuel va devenir omniprésent : offert à ses amis ou ses proches (…) » (Rose-Marie Herda-Mousseaux, Musée Cognacq-Jay, Le goût du XVIIIème siècle). Admirons un portrait allégorique, Le Printemps, tout en grâce et sensualité. D’autres peintres vénitiens font le voyage parisien. De Sebastiano Ricci (1675-1734), La France sous les traits de Minerve, terrasse l’Ignorance et protège les Arts. Un tableau lui aussi allégorique qui sera son morceau de réception à l’Académie. Ou Giovanni Antonio Pellegrini (1675-1741) dont est présentée une esquisse pour le plafond de la banque royale : Le Débarquement en bord de Seine de marchandises en provenance de Louisiane (1720). « (Un) grand décor plafonnant à la thématique nouvelle, exaltant  les vertus du Bon Gouvernement par le commerce transatlantique »  (Valentine Toutain-Quittelier, catalogue). A gauche, la Seine embrasse le Mississippi devant l’Amitié qui les unit. Au centre de la composition les allégories ailées de la Félicité et de la Tranquillité au-dessus de deux chevaux blancs. Sur la droite, des hommes déchargent des marchandises d’un navire en provenance de la Louisiane. Sans doute pour les transborder dans un chariot attelé aux chevaux.

Comédiens italiens, musique italienne, peintres italiens… Venise et Paris s’entrecroisent, se mêlent le temps de la Régence. Un autre nom y est associé, celui d’Antoine Watteau agréé à l’Académie en 1712, présentant, en 1717, son morceau de réception le Pèlerinage à l’île de Cythère. Une peinture novatrice : La Déclaration attendue (vers 1715). Nous retrouvons la thématique des « fêtes galantes » où légèreté, insouciance et élégance priment. Une pastorale (mise en scène des amours de bergers et bergères dans une nature idyllique) où les personnages sont resserrés dans le tiers droit de la composition. Au premier plan, un amoureux assis par terre, jambes allongées, tête baissée, coiffé d’un chapeau de paille, tresse un bouquet de fleurs. Devant sa fiancée, légèrement accroupie, qui semble attendre patiemment un geste, un mot de sa part. En arrière-plan, une femme, de dos, tient une fillette dans ses bras, fillette qui regarde les amoureux, sourire aux lèvres. Une seconde fillette tient une corbeille de fleurs qu’elle offre à l’amoureux (?). Puis, dominant la scène, un joueur de flûte accompagne cet instant suspendu dans le temps. Il regarde le spectateur d’un air rieur et… complice ! Les personnages féminins portent des vêtements aux soieries chatoyantes, peu en rapport avec leur condition de bergères ! Tonalité picturale douce pour cette composition poétique.

Si cette huile sur toile est la seule de Watteau accrochée dans l’exposition, plusieurs dessins voire feuilles d’étude sont présentés. Sur papier beige, à la mine de plomb et rehauts de craie blanche, Etudes de femmes jouant de la guitare ou tenant une partition (1717/18) : remarquons les visages penchés, leur coiffure, les plis des robes. Une étude d’un homme assis et de feuillage (vers 1715) : l’homme assis correspond peu ou prou à l’attitude de celui du tableau vu précédemment. Dans le coin gauche de cette feuille (pierre noire et sanguine), un homme, de dos, allongé, dont le costume est détaillé : plis de la veste (ou cape ?) et de la culotte. Une Feuille d’étude avec cinq têtes d’homes, une tête d’enfant, deux mains tenant une flûte. Pierre noire, sanguine et craie blanche sur papier, ce qu’il est coutume d’appeler « maîtrise aux trois crayons ». Ebauches rapides mais lisibles. Expressivité des visages qu’ils aient la tête baissée ou qu’ils regardent au loin. Carnation de la peau obtenue par l’emploi de la sanguine, la craie blanche faisant vibrer celle-ci. Le crayon noir permet de suggérer cheveux, cils (ceux de la tête d’enfant) et yeux (ceux, légèrement globuleux, de la figure en haut à gauche).


Antoine Watteau : Feuille d’étude avec cinq têtes d’homes, une tête d’enfant, deux mains tenant une flûte, vers1716. Pierre noire, sanguine et craie blanche sur papier, 20,5 x 26,4 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts, AG.1822.1.76

Une restitution en 3D du pont Notre-Dame nous transporte sur les lieux en 1720. Dans la boutique du marchand mercier que Watteau peint dans sa célébrissime toile, L’Enseigne de Gersaint. Restitution due à une équipe universitaire pluridisciplinaire (informatique, histoire et histoire de l’art).

Entrons dans la dernière salle qui reprend, dans un ton plus clair, le fond bleu de la première. La Régence s’achève ! C’est au XIVème siècle que le roi Charles V (1338-1380) fixe la majorité des rois à leur quatorzième année. Louis devient majeur le 16 février 1723. Le Régent prévoit d’organiser la cérémonie avant qu’il n’ait atteint sa majorité. La date est fixée au début de 1722. Mais son organisation complexe, les nombreux préparatifs la repoussent au 25 octobre. La ville de Reims se doit d’accueillir avec faste une cérémonie qu’elle n’a plus connue depuis soixante-huit ans et l’onction, le 16 juin 1654, de Louis XIV.

15 juin 1722, Louis XV quitte Paris (une ville qu’il a parcourue très souvent) pour retourner à Versailles. 16 octobre, le roi quitte le château, s’arrête brièvement à Paris et prend le chemin de Reims en s’arrêtant à Villers-Cotterêts, Soissons et Fismes. Il arrive à Reims le 22 octobre. Le 25, la cérémonie proprement dite commence à l’aube pour se poursuivre durant six heures. Selon des rites établis de façon immuable. Remise des éperons et de l’épée de Charlemagne. Onction. Remise de la couronne d’abord soutenue par las pairs de France puis posée sur sa tête. Est exposée une copie (vers 1835/80) de la couronne plus légère que le jeune roi porte pour quitter la cathédrale. Ainsi qu’une copie artificielle du célèbre diamant Le Régent. S’en suit un festin au Palais du Tau (une des résidences de l’archevêque de Reims qui devient résidence royale lors des sacres des rois de France). Le roi est seul à une table disposée sur une estrade surmontée d’un dais. Le vin servi est du vin de Champagne soit effervescent (pétillant) soit tranquille (sans bulles). Est exposée une longue bouteille, simple d’apparence : Bouteille portant le sceau du sacre de Louis XV. (Nota. A l’occasion du tricentenaire du sacre de Louis XV, la Société des Amis de la Cathédrale de Reims a publié, dans sa revue La plume de l’Ange (n°17), un article intitulé 1722, Reims est en liesse pour le sacre de Louis XV, de Bernadette Dubois et Hervé Paul). Parmi d’autres, une médaille en argent : Buste à droite de Louis XV en habit de sacre, « Le Couronnement ». La mention « buste à droite » signifie que le roi est montré de son profil droit. La mention gravée : LUDOVICUS XV REX CHRISTIANISSIMUS.


Anonyme : Bouteille portant le sceau du sacre de Louis XV, destinée à contenir du vin de Champagne, 1722. Verre, Reims, Palais du Tau, Centre des monuments nationaux, TAU2020001078

Trois huiles sur toile. La première attribuée à Antoine Dieu (vers 1662-1727) : Allégorie à la gloire de Philippe d’Orléans, régent de France (1718). Un médaillon où le Régent est peint portant son armure… peint comme le protecteur de la monarchie qu’incarne un jeune roi ? Entouré d’un panthéon de vertus, vertus souvent à caractère mythologique. Un hommage au développement économique et artistique du royaume qu’il gouverne.


Attribué à Antoine Dieu : Allégorie à la gloire de Philippe d’Orléans, régent de France, 1718. Huile sur toile, 106 x 77 cm. Versailles, musée national Des Châteaux de Versailles et de Trianon, MV 5968

De Nicolas Lancret, Le Lit de Justice tenu au Parlement à la majorité de Louis XV (22 février 1723). Proclamation officielle de cette majorité. Nouvelle évocation de la grande chambre du Parlement. Représentation à la fois solennelle et moins guindée. Le trône royal dans un angle au fond de la chambre, entouré des dignitaires du royaume. Au premier plan, une évocation de la vie mondaine régnant dans la capitale : des jeunes femmes conversant avec des petits-maîtres. Le Régent garde néanmoins le pouvoir par l’intermédiaire de Guillaume Dubois dit le cardinal Dubois (1656-1723) qui meurt l’été suivant. Philippe d’Orléans décède à son tour le 3 décembre 1723.

Ultime portrait (1718) dû au pinceau de Jean Ranc (1674-1735), Louis XV. Il porte les atours du sacre : manteau fleurdelisé bordé d’hermine, grand collier de l’ordre du Saint-Esprit. Il touche de sa main la couronne car… le sacre n’ayant pas encore eu lieu, la couronne n’a pas encore été réalisée ! Un jeune roi qui esquisse un léger sourire tout en regardant le visiteur. Comme il nous avait accueillis, nous remercierait-il maintenant de notre visite ?


Jean Ranc : Louis XV, v.1719. Huile sur toile, 81 x 65,3 cm. Montpellier, musée Fabre,, dépôt d’une collection particulière

La Régence s’achève ! Un intervalle de huit années au cours desquelles Paris prend la place de Versailles pour redevenir la capitale du royaume. « Versailles est mis entre parenthèses, et c’est pour cela qu’il y a toute cette effervescence politique, économique et culturelle, toute une concentration d’individus, d’idées et d’échanges, durant ces quelques années » (Ulysse Jardat, commissaire de l’exposition). Nous sommes à « l’aube des Lumières ». A cet Esprit des Lumières qui voit le jour…

Exposition et catalogue explorent la personnalité du Régent mais aussi son influence sur ce moment de notre histoire. Les œuvres exposées témoignent des changements, des idées nouvelles qui prennent vie. Des œuvres (peintures, sculptures, œuvres graphiques, mobiliers, éléments de décors) issues de collections publiques et privées permettent d’explorer ces changements. A noter : les cartels explicatifs sont en français et en anglais. Un parcours illustré, « une narration textuelle et visuelle », (catalogue) est destiné aux enfants. Avec des illustrations qui leur sont dédiées. Quatorze cartels proposent un décryptage des thématiques abordées ainsi que six grandes illustrations. (voir photos).


Extrait du parcours illustré


Extrait de la narration

Un bémol : l’utilisation de la partie centrale de la toile de Pierre-Denis Martin, Vue de Paris, prise du quai de Bercy (1716), comme affiche ! Certes une vue de Paris mais peu lisible… vue de loin ! Un catalogue… qui n’est pas qu’un catalogue ! Si la liste des œuvres exposées est répertoriée (pages 236 à 250), il faut parcourir (non sans une certaine ténacité !) les pages dudit catalogue afin de les retrouver. Catalogue qui, à notre avis, est un livre passionnant, permettant de (re)découvrir cette période quasi oubliée de notre Histoire. Redisons-le, ces années sont « non une parenthèse ou une transition entre deux mondes, mais un moment privilégié où s’invente une nouvelle manière de penser » (Catherine Volpilhac-Auger, catalogue).



Publié le 19 févr. 2024 par Jeanne-Marie Boesch